La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°123/124

Pétition destinée au Parlement Européen
 

     Les Organisations, associations et individus signataires affirment que tous les réacteurs aussi bien de l'Europe de l'Est que de l'Ouest représentent une grave menace pour la sécurité de tout le continent. Ils demandent au Parlement Européen d'user de tous ses pouvoirs pour obtenir la fermeture de ces réacteurs, et de s'opposer à tous les investissements qui ne seraient pas destinés à gérer leur fermeture immédiate.
     Les problèmes généralement mis en évidence pour la partie la plus vieille de ce parc sont: vieillissement prématuré, techniques mal conçues et démodées, prise en compte insuffisante de la possibilité d'accident. Les représentants officiels de l'Industrie et des Autorités de Sûreté reconnaissent qu'il est impossible que ces installations puissent être aussi sûres que des réacteurs de nouvelle conception et ils considèrent eux-même qu'elles sont une menace pour les populations.
     Les signataires rappellent au Parlement Européen que des alternatives existent pour toutes les nations concernées. Ces alternatives non seulement éliminent le risque nucléaire mais sont aussi moins chères et plus rapidement mises en oeuvre. Elles créent plus d'emplois et une économie plus efficace et donc peuvent contribuer à la stabilité sociale.
     Les signataires s'adressent plus particulièrement au Parlement Européen pour qu'il fasse pression sur la Banque Européenne de Développement et de Reconstruction (BERD), sur la Banque d'Investissement Européen (BIE) et autres institutions pour qu'elles arrêtent leurs investissements aux industries nucléaires. 
     En particulier:
     - Eviter de moderniser des réacteurs obsolètes. Sous l'apparence d'une amélioration de la sûreté, de tels investissements n'éliminent pas le danger et sont simplement une subvention aux firmes occidentales.
     - Eviter d'achever les constructions (ou de prévoir de nouveaux réacteurs) même aux standards actuels.
     - Investir sur des programmes d'énergies alternatifs tels que:
          Economies d'énergies
          Adaptation des sources d'énergie
          Energies renouvelables
     Les solutions les plus favorables pour l'écosystème sont aussi les plus saines en termes économiques et sociaux. Elles doivent prendre le pas sur l'Industrie Nucléaire.

Nom
Adresse
Pays

Signature
Renvoyer cette pétition avant le 31 mai 1993 à
CON"I'RATOM 7 bd Carl Vogt, CH 1205 Genève, Suisse.
p.22a

Note explicative Contratom
 
     Les centrales nucléaires (du type RBMK et VVER) des pays centre- et est-européens représentent une menace réelle pour la sécurité des peuples et des écosystèmes du vieux continent dans son ensemble. Il ne se trouve aujourd'hui personne pour contester ce fait. En effet, tant les milieux écologistes que les experts proches des intérêts nucléaires occidentaux sont unanimes: les centrales en question sont vétustes, mal construites, mal exploitées et par conséquent extrêmement dangereuses. Seules les solutions qu'ils envisagent pour faire face à cette menace divergent fondamentalement.
     En effet, ceux-là mêmes qui d'emblée réclamaient leur fermeture définitive, proposent actuellement de "moderniser" les centrales grâce à la technologie occidentale en la matière. Pour ce faire, ils tentent de persuader les banques internationales (au premier rang desquelles nous trouvons la B.E.R.D.) et les milieux politiques de débloquer les immenses sommes que supposent ces "rénovations".

1. Pourquoi une telle volte-face des milieux pro nucléaires?
     En termes simples, il s'agit manifestement d'une adaptation aux conditions du marché. C'est-à-dire que devant l'insolvabilité criante des pays de l'ex-bloc de l'Est, le lobby nucléaire cherche à "sauver les meubles" en prétendant souhaitable une modernisation des vieilles centrales qu'il jugeait, il y a peu, impossible voire irresponsable. Avec à la clef (selon des estimations récentes) des contrats pour quelques 20 milliards de dollars...
     Pourtant, malgré ce traitement de choc, les centrales incriminées n'en seraient pas sûres pour autant. C'est ainsi que M. François Cogné lui-même (Inspecteur général de la Sûreté au Commissariat à l'Energie Atomique-France) a affirmé qu'il coûterait une somme infinie pour amener les VVER soviétiques au niveau de sécurité actuel, car il s'agirait là d'un objectif inatteignable.

     Jean Musitelli, porte-parole de l'Elysée, interprétait d'une façon toute politique cette impossibilité et ouvrait la voie aux objectifs mercantiles du lobby nucléaire, lorsqu'en juin dernier, il affirmait que selon les cas, il peut être décidé en accord avec l'Etat sur le territoire duquel est située l'installation que: "sous réserve d'un certain nombre de travaux, d'ailleurs très coûteux, la centrale peut fonctionner à un niveau de sûreté qui n'est certes pas occidental, mais qui est acceptable pour le pays en question". Le cynisme de ce genre de position est non seulement criminel, mais aussi doublé d'une large tranche d'ignorance. Comme si, après les événements de Tchernobyl, on pouvait encore penser que ce type de choix se limite à la dimension nationale?
     Une catastrophe ne peut être que continentale, voire mondiale!!!
     Les études sur les centrales de conception soviétique s'accumulent ces temps derniers. Elles sont de plus en plus fouillées et documentées. Elles convergent toutes pour fustiger les incroyables faiblesses de ces installations.
     Sans entrer ici dans les spécificités de chaque réacteur, nous pouvons sérier ces points noirs de leur conception de la façon suivante:
1 - absence de certains éléments aussi fondamentaux pour la sécurité que le confinement ou le système de refroidissement d'urgence du coeur,
2 - la non séparation physique des équipements de sécurité redondants,
3 - la mauvaise séparation anti-incendie des bâtiments,
4 - la piètre qualité tant des matériaux employés que de leur mise en oeuvre lors de la
construction,
5 - la difficulté de contrôle de la réactivité (pour les RMBK à puissance réduite),
6 - les équipements communs à des paires de réacteurs (ex Koslodoui)
p.22b

     A cela s'ajoutent, dans la plupart des cas, des problèmes non moins inquiétants de qualification et de motivation du personnel exploitant, le manque de pièces détachées (surtout depuis la désagrégation du COMECON), pour ne citer que ceux-ci.
     On voit mal, dans ces circonstances, comment l'adjonction de systèmes de contrôles sophistiqués ou même d'un système de refroidissement d'urgence (lorsque cela est possible) pourrait compenser l'absence de confinement, le sous-dimensionnement des cuves (dont, en plus, l'acier est devenu cassant) ou l'insuffisance de la qualité des matériaux et des standards de construction.
     En d'autres termes les milieux pro nucléaires envisagent de prolonger significativement dans le temps la menace qui pèse sur l'Europe entière, puisque, de leur aveu même, il est techniquement impossible, même à grand frais, d'amener ces centrales à un degré de sécurité satisfaisant les nonnes internationales en la matière (nonnes qui rappelons-le, sont déjà incapables d'assurer un risque nul).

2. Des personnalités montent au créneau
     Des personnalités, de plus en plus nombreuses, se lèvent pour faire connaître cette vérité. Elles joignent leurs voix à celles de nombreux groupes (de toutes tendances) et s'élèvent contre le rafistolage des centrales nucléaires, vétustes de l'Europe centrale et de l'Est.
     Parmi celles-ci, signalons les prises de position particulièrement marquantes de M. Carlo Ripa di Meana[1], ministre italien de l'Environnement, ex-Commissaire européen à l'Environnement et de Madame Ségolène Royal[2],ministre français de l'Environnement.
     Le premier estimait qu'un programme ambitieux d'économie et d'utilisation rationnelle de l'énergie pourrait suppléer à bien meilleur coût (environ 30% moins cher) le remplacement par des centrales neuves des 19 centrales les plus dangereuses de l'Est européen. Et encore, dans son calcul, s'appuyait-il sur un prix unitaire de 1,2 milliards de dollars extrêmement favorable!!
     Le ministre français de l'Environnement, n'envisageant (même pas comme cas de figure) ni le remplacement des anciennes centrales par des réacteurs modernes, ni même leur rénovation, s'est prononcée devant l'Assemblée Nationale pour un programme immédiat, portant sur deux ou trois ans au plus, de substitution du nucléaire par le gaz, les économies d'énergie et l'utilisation rationnelle de l'énergie.
     Ces voix viennent, comme en écho, donner un poids politique encore plus important à la décision allemande de fermer immédiatement toutes les centrales nucléaires situées dans l'ex-RDA. Décision qui, soit dit en passant, n'empêche pas Siemens de proposer des "modernisations" de centrales hors du territoire allemand!!!

3. Ces centrales peuvent être remplacées à moindre coût par des économies d'énergie, des énergies de substitution et une utilisation plus rationnelle de l'énergie[3]
     La structure de consommation de l'énergie des ex-pays de l'Est est fondamentalement différente de celle des pays occidentaux. Dans ces pays, l'industrie consomme entre 43 et 78% de l'électricité contre environ 20% dans nos pays. Cette relative concentration est de nature à faciliter les actions de rationalisation et d'économie d'énergie, et ce, à tous les échelons du processus de production. La profonde restructuration des économies de ces pays doit même nous offrir une occasion historique de procéder à cette rationalisation.
     De tels investissements auraient pour conséquence de doter des économies chancelantes d'avantages comparatifs non négligeables en les rendant plus compétitives par la réduction des coûts de production (à l'image du Japon l'efficacité énergétique confère à ses produits un avantage de 6% par rapport à ceux des Etats Unis). 

suite:
Ils sont beaucoup plus rentables, plus souples et donc plus vite amortis. Le fait qu'ils soient beaucoup plus créateurs d'emploi indigène est incontestablement un facteur important dans la recherche de stabilité politiques pour ces économies renaissantes. C'est également un élément-clé de la lutte contre les mouvemènts migratoires de masse.
     Pour donner une estimation du gaspillage d'énergie que connaissent ces pays, il suffit d'évoquer les pertes en gaz naturel que connaît la Russie chaque année.
     Elles sont principalement dues à la vétusté du réseau de distribution. La comparaison avec la consommation annuelle de la France ou de l'Europe de l'Ouest est presque choquante:
Pertes de gaz naturel en Russie (1991):  100-150 milliards
  de m3 par an
Consommation de l'Europe de l'Ouest (1991): 319,31 milliards
  de m3 par an
Consommation de la France (1991):  34,11 milliards
  de m3 par an
Source: Cedigaz, "le gaz naturel dans le monde en 1991-statistique"

     En conséquence, le scénario suivant doit être envisagé:

1. Réparation du réseau de distribution du gaz (suppression des pertes).
2. Mise en oeuvre de génératrices chaleur/force décentralisées actionnées au gaz pour la production de courant électrique
3. Donc, fermeture des réacteurs nucléaires dangereux et réduction simultanée de l'émission des gaz à effet de serre (par la suppression des pertes de gaz).
4. Promotion de l'utilisation rationnelle de l'énergie (ex. ampoules à faible consommation).

     On le voit, l'augmentation de l'efficience énergétique est, pour ces pays, une priorité absolue à tous les stades du processus économique (production, distribution, consommation) et représente un potentiel presqu'inimaginable. Il s'agit bien là d'un double enjeu puisque cette rationalisation dans l'utilisation de l'énergie ne peut jouer un rôle positif dans la lutte aujourd'hui engagée contre l'aggravation de l'effet de serre et le réchauffement de l'atmosphère.

4. Ces centrales pourraient être fermées rapidement et définitivement.
     La crise économique actuelle a provoqué dans ces pays une
baisse considérable de la consommation électrique (largement tributaire du ralentissement de l'appareil de production). On prétend, par exemple, que la centrale bulgare de Kozlodoui, une de plus dangereuse qui soit[4], est indispensable parce qu'elle fournit 40% du courant du pays. En fait, si l'on tient compte du fait qu'elle fournissait voici trois ans seulement 20% de celui-ci et que durant ce laps de temps la consommation a chuté de 20%, il apparaît clairement qu'on a choisi, plutôt que de se libérer de cette épée de Damoclès version moderne, de mettre à l'arrêt d'autres moyens de production d'énergie!! Il s'agit notamment des centrales à charbon. De telles politiques énergétiques sont irresponsables et suicidaires.
     A l'inverse la Pologne qui n'est pas soumise à la pression d'un lobby nucléaire domestique a montré qu'il est non seulement souhaitable, mais surtout possible de suivre une politique d'abandon de la voie nucléaire. Elle a su pour cela renoncer à la poursuite de la construction, pourtant déjà avancée, des centrales nucléaires sur l'ensemble de son territoire. Sa décision se basait sur un simple calcul économique rigoureux, montrant qu'il était largement plus rentable d'assurer son approvisionnement énergétique en dotant ses centrales à charbon de filtres adéquats.

p.23

     M. A. Yakoblov, Conseiller du Président Russe Boris Eltsine, développait un raisonnement analogue seulement adapté à la dotation en ressource de son pays lors d'une de ses apparitions à la télévision française[5]. Il y mêlait certaines considérations politiques non dénuées d'intérêt:

     "La meilleure façon de se passer du nucléaire est de fermer toutes les centrales nucléaires et de les remplacer par une production à base de gaz naturel. On a des turbines à gaz qui ont été développées pour l'aviation et on peut les transformer en turbines à gaz très efficaces, plus efficaces que ce que l'on a en occident. Il nous faut cinq à sept ans et 6 milliards de dollars pour remplacer toutes les centrales nucléaires par des centrales à gaz. Pour améliorer la technologie des centrales nucléaires, il faudrait 60 milliards de dollars, donc le calcul est clair, il faut fermer les centrales nucléaires.
     Ce programme n'a pas été développé d'une façon aussi détaillée que celui qui a été préparé par nos scientifiques nucléaires, c'est une proposition des Verts, Greenpeace et autres, et nos ingénieurs ont confirmé leurs calculs. On peut remplacer le nucléaire par le gaz, et je pense que s'il y avait la volonté politique, qui malheureusement n'existe pas, on pourrait le faire. La communauté internationale, le G7 (7 pays les plus riches), M. Attali (BERD) et d'autres, veulent investir dans le nucléaire et ça n'a vraiment pas de sens. Quelque soit l'investissement dans l'industrie nucléaire, le danger d'accident existera malheureusement toujours. La plupart des accidents n'ont pas lieu à cause de la mauvaise technologie, mais à cause d'erreurs humaines."

     L'exemple bulgare de Koslodoui montre pourtant que des solutions encore plus simples existent bel et bien, puisque conune l'affirme le Commandant Cousteau:
"(...) un investissement de 450 millions de francs (français) permettrait le remplacement de 10 millions d'ampoules à incandescence par des ampoules fluorescentes consommant cinq fois moins d'électricité.

     Un investissement de l'ordre de 300 millions de francs (français) permettrait d'améliorer le rendement des centrales thermiques existantes et de mener une politique nationale d'incitation à l'utilisation rationnelle de l'énergie. De tels investissements permettraient d'économiser l'équivalent de la production électriques des tranches I à IV de Koslodoui, pour un coût largement inférieur à celui de leur rénovation."
Source: Koslodoui, danger immédiat?, Paris, Equipe Coustean, 1992.

     En conclusion, la structure de consommation d'énergie des pays de l'Est de l'Europe, toute différente de celle connue en occident, jumelée avec la chute de la production qu'ils traversent actuellement, leur donne une chance historique de moderniser leur appareil de foumiture énergétique tout en réduisant le risque d'une catastrophe écologique majeure à néant.
     La Suisse se doit de les aider sur cette voie. Elle peut le faire en se basant sur le savoir-faire dont elle dispose, notarnment en matière d'ingeniene a petite et moyenne échelle.


1. Voir à ce propos les interviews qu'il a donnés à la presse.
2. Assemblée Nationale française, séance du 30 avril 1992.
3. Comme l'a déjà montré en 1990 une étude polonaise publiée par "The National Atomic Energy President's Team for Studying The Problems of NPP
Zarnowiec", bien avant la parution des travaux projectifs de groupes écologistes tels ceux de Greenpeace International ("Risk Finance: Backfit vs Shutdown of VVER Nuclear Reactors", Amsterdam, nov. 1991) ou ceux de l'Institut für Angeewandte Oekologie ("Alternative Strategien für die Westliche Unterstützung einer ökologisch verträglichen Energiewirtschaft in Russland", Berlin, juin 1992).
4. Voir à ce propos l'expertise menée par l'Equipe Cousteau sur cette centrale.
5. Emission de FR3 "La Marche du siècle:crime nucléaire" du 23 septembre
1992.
p.24

EDF: tout va bien?

     Voici quelques faits assez marquants parrni les incidents qui émaillent la vie quotidienne de notre "chère" entreprise EDF:
     - Les fissures des traversées des couvercles de cuve. On en a trouvé une circonférentielle (voir Magnuc de janvier 1993).
     - le rappel à l'ordre des ministères devant le peu d'enthousiasme de l'entreprise pour faire du vrai retour d'expérience.
     - les comptes rendus de quelques réunions qui font un peu frémir devant le manque de réalisme de la direction.
     - La maintenance mal faite.

REP 900 et 1.300 MWe (France)
Anomalies de couvercles de cuve
(voir également les bulletins SN n°83, n°84 et n°86)
Rappel
     Le 23 septembre 1991, alors que le réacteur n+3 de Bugey était à l'arrêt pour visite décennale et rechargement en combustible, une fuite sur un manchon du couvercle de la cuve avait été mise en évidence au cours de l'épreuve hydraulique du circuit primaire de l'installation.
     L'épreuve hydraulique du circuit primaire des réacteurs à eau sous pression est effectuée tous les dix ans par l'exploitant, conformément à la réglementation en vigueur pour ces installations. Cette épreuve est réalisée, après déchargement des assemblages combustibles du coeur du réacteur, à une pression de 207 bars, la pression normale de fonctionnement étant égale à 155 bars. Ce contrôle permet de s'assurer de l'étanchéité du circuit primaire et de détecter des défauts qui pourraient provoquer des fuites pendant le fonctionnement de l'installation.
     La fuite décelée, de l'ordre d'un litre par heure, affectait l'un des soixante-cinq manchons (ou traversées) étanches, en alliage "inconel 600", permettant le passage des tiges de commande des grappes de contrôle du coeur à travers le couvercle de la cuve du réacteur.
     Les investigations menées dès la découverte de l'anomalie avaient révélé à la mi-octobre 1991, la présence d'une dizaine de fissures longitudinales (d'une longueur d'environ 10 cm) dans le manchon incriminé du couvercle de la cuve du réacteur n°3deBugey.

Le contrôle des couvercles
     Dès la découverte de l'anomalie, après discussion avec l'autorité de sûreté (la DSIN), l'exploitant a lancé des contrôles de l'ensemble des traversées du couvercle de la cuve du réacteur n°3 de Bugey. Il a étendu progressivement ses investigations aux couvercles de cuve des autres réacteurs à eau sous pression de 900 MWé (dits de première génération) à Bugey et Fessenheim. Compte tenu des défauts constatés au cours des premiers contrôles, EDF a décidé d'examiner l'ensemble des réacteurs les plus anciens du palier de 1.300 MWé.
     Les méthodes de contrôle utilisées par EDF sont les suivantes: examens télévisuels, ressuage, courants de Foucault et ultra-sons. Les contrôles des couvercles, manuels dans un premier temps à l'exception des contrôles télévisuels, sont aujourd'hui progressivement automatisés. Les performances de ces méthodes d'examen automatisé sont en cours d'évaluation.
     Des contrôles complets du couvercle de la cuve de quatre installations ont été effectués. Ils ont révélé des défauts sur des traversées des couvercles de trois d'entre eux: deux sur le réacteur n°3 de Bugey, huit sur le réacteur n°4 de Bugey et un sur le réacteur n°1 de Flarnanville. Par contre, aucune fissure n'a été mise en évidence sur le couvercle de la cuve du réacteur n°1 de Paluel.
     De même, des contrôles partiels ont été mis en évidence des défauts sur quatre des sept installations examinées. Ces défauts concernent une traversée du réacteur n°1 de Fessenheim, une traversée du réacteur n°1 de Cattenom, quatre traversées du réacteur n°4 de Paluel et deux traversées du réacteur n°1 de Saint-Alban. Les examens partiels des couvercles des réacteurs n°2 de Fessenheim, n°2 de Flamanville et n°3 de Paluel n'ont pas révélé d'anomalie.

suite:
     Ces défauts ne mettent pas en cause la tenue mécanique des traversées affectées. Par ailleurs, même dans l'hypothèse où un de ces défauts entraînerait une fuite d'eau du circuit primaire à l'extérieur de la traversée, les procédures d'exploitation permettraient aux opérateurs de la détecter et d'y remédier avant que la sûreté de l'installation ne soit affectée.

Traitement de l'anomalie
     Les actions engagées depuis la découverte de l'anomalie, ont eu pour objectif de réduire le plus possible le risque de fuite du circuit primaire au cours du fonctionnement d'un réacteur. De plus, la mise en place de systèmes performants de détection de fuite permet de limiter considérablement les conséquences d'une fuite éventuelle, enfin, un système empêchant toute possibilité d'éjection de grappe de commande, en cas de rupture d'un manchon, est monté progressivement sur les réacteurs de Bugey et de Fessenheim, les autres installations du parc nucléaire disposant d'un équipement de ce type.
     L'exploitant intervient sur les manchons affectés de fissures pouvant être à l'origine d'une fuite en fonctionnement. Ainsi, le manchon à l'origine de la fuite du couvercle du réacteur n°3 de Bugey a été remplacé. Quatre manchons du réacteur n°4 de Bugey ont été réparés, ainsi que les traversées les plus affectées du réacteur n°4 de Paluel.
     Après avoir procédé, dès janvier 1992, à l'essai d'un premier système de détection de fuite, installé sur les réacteurs de Fessenheim et le réacteur n°2 de Bugey, EDF a installé et testé un nouveau système de détection en mai 1992 sur le couvercle des réacteurs n°2 et n°3 de Bugey. Les résultats des essais de ce dernier système ayant confirmé les performances attendues, l'exploitant a équipé tous les réacteurs de Bugey et le réacteur n°2 de Fessenheim. Il procède actuellement à l'installation de ces détecteurs, au cours de leurs arrêts programmés, sur les réacteurs n°1 de Cattenom, n°1 de Flamanville et n°2 de SaintAlban. Les réacteurs n°1 de Fessenheim et n°2 de Paluel seront également équipés de ce système, à l'occasion de leurs prochains arrêts prévus à l'automne 1992. De plus, dans le but d'équiper au plus vite tous les réacteurs les plus anciens du palier 1.300 MWé, un autre type de détecteur de fuite, dont les performances sont en cours de validation, a été monté sur les réacteurs n°1 et n°4 de Paluel. Son montage sur le réacteur n°1 de Saint-Aiban est envisagé, lors de son arrêt actuel.
     Par ailleurs, l'exploitant s'est engagé à changer les couvercles des réacteurs de Bugey et de Fessenheiru dans un délai de trois ans. A titre provisoire, le couvercle réparé du réacteur n°4 de Bugey a été remplacé au cours du présent arrêt par un couvercle neuf provenant de la centrale nucléaire espagnole de Lemoniz, dont la construction a été arrêtée.
    Cet incident a été classé au niveau 2 de l'échelle de gravité en 1991.

p.25

Complément MAGNUC 27 janvier
Les enjeux de sûreté
 
La fuite d'un adaptateur
     On rappelle qu'à ce jour, aucune fuite n'est survenue en exploitation (une seule a été constatée, lors d'une épreuve à Bugey). Les défauts existants conduisent cependant à en examiner l'éventualité.
     Une telle fuite (fuite d'eau radioactive du circuit primaire sur le couvercle de la cuve à l'intérieur de l'enceinte) pourrait être gérée après qu'elle ait été détectée par les procédures d'exploitation sans que la sûreté de l'intallation en soit affectée et sans conséquence pour l'environnement.
     Le réacteur serait, dans ce cas, arrêté et ferait avant redémarrage l'objet des contrôles et réparations nécessaires.
Les situations accidentelles
     De façon beaucoup plus hypothétique, une situation accidentelle pourrait résulter de la rupture brutale d'un adaptateur fissuré sur lequel une fissuration circonférentielle très importante se serait développée. Une telle situation a été étudiée à la conception des réacteurs; elle nécessiterait néanmoins la mise en oeuvre de procédures accidentelles afin de ramener le réacteur dans un état sûr. A ce jour, sur plus de 700 adaptateurs contrôlés, aucune fissure circonférentielle initiée à l'intérieur des adaptateurs n a été constatée. Toutefois, des résultats récents d'expertise, acquis en décembre 1992 sur la traversée ayant fuit à Bugey 3, mettent en évidence, en complément de la fissuration longitudinale à l'origine de cette fuite, des débuts de fissuration circonférentielle dans la zone de la soudure à l'extérieur de l'adaptateur. Ces dernières fissurations sont vraisemblablement dues au fait que l'interstice entre l'adaptateur et le couvercle a été maintenu en présence d'eau primaire, suite à la traversée d'une fissure longitudinale.
p.26a

Lettre des ministres à EDF
29 juillet 1992
Le ministre de l'environnement
Le ministre de l'industrie et du commerce extérieur

     Monsieur le Directeur Général,
     La mise en évidence en septembre dernier, lors d'une épreuve hydraulique, d'une fissuration d'un adaptateur du couvercle de cuve du réacteur n°3 du site de Bugey a conduit votre établissement, depuis lors, à engager sur l'ensemble du parc nucléaire des actions destinées à apprécier l'étendue de cette anomalie et à en assurer un traitement satisfaisant au plan de la sûreté. De telles actions correctives ont été, de manière générale, définies rapidement par votre établissement. Néanmoins, leur mise en oeuvre pratique n'a pu être réalisée dans les délais annoncés. Nous souhaitons donc que votre établissement poursuive et accentue les efforts engagés afin de qualifier et mettre en oeuvre, au plus tôt, tant sur les réacteurs de 900 MWé, les divers procédés techniques nécessaires à la bonne gestion de l'anomalie affectant les couvercles de cuve.
     Les décisions que vous prendrez à court terme en ce sens feront l'objet d'une attention particulière de notre part.
     Par ailleurs, le traitement d'une anomalie potentiellement générique peut s'avérer d'autant plus délicat que le problème affecte un parc nucléaire important et standardisé. Une telle situation peut être d'autant mieux gérée qu'elle est mieux anticipée. A cet égard, nous notons que l'anomalie des couvercles de cuve est la troisième de ce type à affecter le matériau appelé "inconel 600", déjà à l'origine de dégradations importantes sur les tubes de générateur de vapeur et les piquages de pressuriseur. Nous constatons, de plus, qu'il a fallu attendre une fuite de l'enceinte primaire lors d'une épreuve hydraulique pour la détecter.

     On peut s'interroger sur les raisons qui ont conduit, dans le cadre du "retour d'expérience" des deux problèmes précédemment cités, à ne pas engager précocement des investigations préventives sur les composants similaires. Nous attachons en conséquence une importance particulière à ce que des efforts importants soient accomplis par votre établissement pour s'assurer de l'état des diverses pièces en inconel 600 équipant les réacteurs à eau sous pression et pour prévenir l'apparition de telles anomalies sur les réacteurs non encore en service. Plus généralement, il nous paraît nécessaire que votre établissement s'interroge sur sa capacité à anticiper l'apparition de ce type d'anomalie et sur son aptitude à réagir rapidement dès lors qu'une telle anomalie est découverte. Dans ce cadre ,nous souhaitons que votre établissement réexamine les principaux incidents ou anomalies survenus par le passé sur le parc nucléaire et vérifie que tous les enseignements nécessaires à moyen et long termes en ont été tirés. Cet examen devrait inclure une analyse critique des moyens humains et techniques associés.
     Sur l'ensemble des points évoqués ci-dessus, nous vous prions de bien vouloir nous faire part, d'ici deux mois, des orientations que vous retenez et, notamment, de votre doctrine quant à l'étendue et la rapidité des investigations à entreprendre pour tirer tous les enseignements d'une anomalie sur les composants présentant des similitudes avec un composant affecté. Un premier bilan de l'avancement des diverses analyses et actions que vous mènerez devra être disponible pour la fin de la présente année. Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Directeur Général, l'expression de nos sentiments distingués.
Le ministre de l'environnement Ségolène Royal
Le ministre de l'industrie et du commerce extérieur Dominique Strauss-Kahn
p.26b

Compte rendu définitif de la réunion ad'hoc
stratégie de maintenance des couvercles de cuves des tranches REP
et revue des zones en Inconel 600, du jeudi 29 octobre 1992
 
Participants : MM. BERGOUGNOUX, BERTRON, CARLIER, DUPRAZ, TARBY, HEDIN, LECOCQ, ROLLAND, BRETON, MACE (partiellement), BOULOT, REYNES, NADAL, BRUGNOT, SEGUY.

     En introduction M. CARLIER précise que le palier CP0 a déjà été examiné mais qu'une nouvelle difficulté est apparue récemment sur le couvercle de Bugey 2. Sur le 1.300 MW le problème de la cinétique semble être plus complexe qu'on ne le pensait. Enfin une réactualisation de la réflexion sur les zones en Inconel 600 a conduit à identifier de nouvelles zones sensibles: les traversées de fond de cuve, les plaques de partition de GV et les réparation de DSR.
     M. HEDIN présente ensuite l'état des réflexions sur le dossier des couvercles en abordant les points suivants: connaissance du phénomène, évolution, analyse de sûreté débouchant sur une stratégie de maintenance pour le CP0, le CP 1/2 et le
1.300MW.
     Le point de départ de ce dossier est la fuite survenue sur un adaptateur du couvercle de Bugey 3, pendant l'épreuve hydraulique décennale. On sait aujourd'hui que cette fissure était traversante en fonctionnement, qu'elle ne fuyait pas en service et qu'elle est due à de la corrosion sous contraintes de l'alliage 600 (phénomène déjà connu sur les tubes de GV et les piquages de pressuriseur 1.300 MW). Le phénomène est générique (pouvant toucher tous les couvercles de tous les paliers), évolutif (pouvant nécessiter des réparations à terme) dispersé (nécessitant une approche statistique), thermiquement activé (d'où la conversion en dôme froid des couvercles du palier 1.300 pour limiter l'amorçage et la propagation du phénomène). Aujourd'hui on peut considérer que le palier CP0 est largement affecté (5 tranches sur 6 sont touchées), que le 1.300 connaît une phase d'amorçage et que sur le CP l/CP2 le phénomène n'est pas encore amorcé. La zone sensible est la zone périphérique des couvercles (où les contraihtes sont les plus importantes), les couverdes 1.300 étant de ce point de vue plus pénalisés que les 900 à cause de la température sous le dôme.
     Concernant les perspectives d'évolution du phénomène il n'est pas exclu que celui-ci apparaisse sur le palier CP l/CP2 dans la deuxième moitié de la vie de ces réacteurs; pour le 1.300, on considère que le nombre total d'adaptateurs fissurés d'ici 5 ans devrait être inférieur à 30 mais des incertitudes subsistent qui seront levées par un programme de R et D et le retour d'expérience. L'impact sur la disponibilité du palier 1.300 en 1993 devrait rester inférieure à 1%.
     Une incertitude demeure également sur le devenir de la soudure d'adaptateur, nécessitant un complément de contrôles et un programme de R et D.
     Au niveau analyse de sûreté, les fissures longitudinales actuelles sont acceptables pendant une durée limitée moyennant la mise en place de systèmes d'anti-éjection des adaptateurs, la mise en place de système de détection de fuites performants, des contrôles manuels, puis robotisés, la conversion des tranches 1.300 en dôme froid. Malgré cela, on assiste à une forte pression des Autorités de sûreté (dont la position est plus contraignante que la NRC) qui conteste la position EDF sur la cinétique de propagation des fissures et le volume des contrôles à effectuer.
     Les contrôles robotisés ont débuté depuis quelque temps et sont un succès: ils permettent une forte réduction du coût, du délai et de la dosimétrie du contrôle.

suite:
     Le bilan de l'ensemble des contrôles est le suivant:
     - sur le 900, sur 260 adaptateurs contrôlés, 18 sont fissurés,
     - sur le 1.300, sur 260 adaptateurs contrôlés, 9 sont fissurés.
     Concernant la stratégie:
     - sur le CP0, il s'agit de la mise en place de couvercles neufs à partir de fin 93 jusqu'enfin 94, avec des adaptateurs en alliage 690. En attendant les remplacements, des contrôles robotisés sont programmés, ainsi que des réparations minimales, si nécessaire.
     - sur le 1.300, on peut considérer trois familles de couvercles les plus anciens (P4 et le début du P'4, soit environ 8 tranches) pour lesquels le fonctionnement en dôme chaud a dépassé 25.000 heures et pour lesquels le phénomène est peu développé sauf sur FLA 1; les intermédiaires (6 tranches) pour lesquels la conversion en dôme froid, survenue tardivement, ne sera pas suffisante pour éviter le phénomène; et les plus jeunes (6 tranches). Les 6 dernières passées au dôme froid peuvent être assimilées au CP 1-CP2 . La stratégie concerne les 14 premières tranches. Quatre options de maintenance ont été examinées: le remplacement des couvercles par des couvercles neufs, la restauration des couvercles par remplacements d'adaptateurs, la réhabilitation des couvercles par traitements curatifs préventifs (qui a la faveur de Framatome) et le traitement des couvercles au cas par cas. De la comparaison technico-économique des différentes options, il ressort les propositions de stratégie suivantes pour les couverdes 1.300:
     - le remplacement de couvercles est une solution réglant totalement et définitivement le problème, sans aléa.
     - préciser l'écart économique entre les solutions de remplacement de couvercle et celle à caractère préventif/curatif; les deux autres solutions sont jugées moins intéressantes.
     - lever les incertitudes restant sur l'évolution de la maladie et le comportement de la soudure.
     - exploiter au mieux le retour d'expérience des contrôles et les résultats du programme de R et D.
     La décision définitive est à prendre en 1993. D'ici-là, un certain nombre d'actions conservatoires à court terme ont été prises: la commande d'un couvercle neuf et des approvisionnements lourds capables d'un second, la réalisation et la qualification de 1 ou 2 machines automatisées multifonction pour traiter les adaptateurs fissurés, la mise en oeuvre d'un programme d'inspection en service de chacun des 14 couvercles les plus anciens pour étoffer notre connaissance sur l'amorçage et l'évolution du phénomène.
     Sur le CPl/CP2, palier non encore affecté (fonctionnement en dôme froid) un programme d'inspection ad'hoc est prévu avec 2 tranches en 92 et 2 tranches en 93, ainsi que l'adaptation d'un outillage multifonction 1.300 aux couvercles CPl/CP2 considérés comme des précurseurs pour les plus jeunes couvercies 1.300.
     De la discussion qui a suivi cette présentation il ressort les points suivants:
     - M. BERTRON estime que le dossier est très clair et synthétique mais il se demande si la fissure de Bugey 3 qui était traversante et qui ne fuyait pas en service ne risque pas de remettre en cause notre stratégie. De plus il convient de ne pas éliminer trop vite la solution de traitement au cas par cas celleci pouvant être mise en oeuvre dans l'attente du remplacement.
p.27

     - En réponse M. DUPRAZ estime que la quasi-totalité des fissures trouvées sur le 1.300 se situant dans le premier tiers de l'épaisseur. On dispose donc d'une marge suffisante dans le temps pour effectuer le programme d'actions tel que proposé dans la stratégie.
     - M. LECOCQ estime que l'option remplacement des couvercles est la plus intéressante et permet une mise en concurrence éventuelle. Dans le chiffrage actuel de l'option traitement curatif/préventif des couvercles qui est sans aucun doute une solution très intéressante en terme de chiffre d'affaire pour FRAMATOME, il n'est pas intégré le coût des études de développement des procédés, qui grève sensiblement son coût.
     - A une question de M. REYNES, il est précisé que le stockage des vieux couvercles est compris dans le chiffrage de l'option remplacement. Enfin il est précisé qu'il n'a pas été trouvé de défaut dans la soudure inconel/inox de la liaison bride/adaptateur dans la manchette (une tranche 900 et une tranche 1.300 ont été contrôlées).
     - M. ROLLAND estime que les différentes options ne s'excluent pas l'une l'autre. Le remplacement total n'exclut pas l'option de traitement au cas par cas dont le prix dépend du volume des contrôles. La solution traitement préventif présente l'inconvénient d'engager des coûts certains alors que la solution du traitement au cas par cas peut s'avérer intéressante si le développement du phénomène venait à se ralentir. L'optimisation de la solution doit prendre en compte le retour d'expérience et les aléas possibles.
     - M. BERGOUGNOUX demande ce qui déclenche la décision de remplacement d'un couvercle. Il paraît important d'étudier les branchements possibles des différentes stratégies les unes aux autres (par exemple: remplacement à bon escient après contrôle, ce qui paraît être une solution intéressante) car les dates de déclenchement des opérations et l'actualisation sont importants pour l'optimisation de la stratégie.
     - M. DUPRAZ estime qu'il faudra vraisemblablement adapter la stratégie à chaque couverde en fonction de l'état zéro. Le déclenchement du changement de couverde sera piloté par l'évolution de la fissure vers la traversée complète de l'adaptateur. Ce qu'il est important avant tout c'est de disposer d'un maximum de retour d'expérience avant de décider.
     - M. CARLIER précise que cette stratégie a été présentée à l'autorité de sûreté qui s'y est montrée plutôt favorable. Le dialogue avec elle est par contre beaucoup plus tendu sur le CP0.
     - M. TARBY présente ensuite les conclusions du réexamen effectué en 1992 de la revue de projet de 1991 sur les zones en Inconel 600 et qui avait identifié 3 zones sensibles: les évents du couvercle de cuve, la soudure de liaison plaque de partition-bol du GV et le bossage du drain des GV 1.300. Ce réexamen conduit à identifier de nouvelles zones sensibles: les pénétrations de fond de cuve en anomalie de fabrication ou réparées ainsi que les défauts sous revêtement réparés dans les tubulures de cuve. Ces zones présentent un risque d'amorsage à partir de 100.000 heures de service (durée au plus tôt).
suite:
     Concernant la soudure plaque de partition-bol du GV, non détensionnée en fabrication, les conséquences d'une fissuration (by-pass du faisceau tubulaire entraînant un déséquilibre limité du fonctionnement) sont maîtrisables. 2 GV ont été contrôlés, sans rien trouver. Un plan d'action est prévu: étude pour mieux appréhender le comportement du métal déposé, programme d'inspection en service, analyse des conséquences en terme de sûreté et mise au point de mesures préventives.
     Concernant les pénétrations de fond de cuve, les conséquences d'une rupture (fuite non isolable) sont acceptables, même si la rupture d'une pénétration entraîne la ruine de 2 voisines. Les pénétrations de la cuve de Bugey 3 ont toutes été contrôlées, sans rien révéler. Un plan d'action est prévu: un programme de maquettes pour mieux estimer les contraintes, un programme d'inspection en service prévoyant le contrôle de 2 tranches par an, une analyse de sûreté précisant les éléments permenant la maîtrise du scénario de rupture, la mise au point de mesures préventives et de procédés de réparation M. LECOCQ précise que les traversées de fond de cuve du palier N4 sont en Inconel 690, détensionné thermiquement à partir de Civaux 2. Pour Chooz Bl/B2 et Civaux 1, les traversées sont en Inconel 600, traité thermiquement, mais aucune n'a été réparée, ni redressée.
     Pour ce qui est des défauts sous revêtement réparés au droit des tubulures (7 cuves sont concernées), l'analyse montre que si le défaut se propage, celui-ci ne devrait pas devenir critique avant la fin de vie des cuves (40 ans). Un plan d'action est prévu: études visant à établir l'absence de risque pour les tubulures, qualification d'une méthode d'inspection en service de l'épaisseur du revêtement, inspection des cuves réparées en décennale, mise au point de mesures préventives.
     Un dossier sera transmis aux Autorités de Sûreté sur l'ensemble de ces points pour la fin novembre. Il concernera les tranches en exploitation et les tranches futures.
     La chiffraison de l'ensemble du programme est en cours. Un montant global de plusieurs centaines de MF est probable.
     M. CARLIER fait ensuite rapidement le point sur le couvercle de Bugey 2. Sur 3 traversées, 8 défauts longitudinaux de 4 mm de profondeur maximum ont été découverts, suite aux contrôles. Compte-tenu:
     - de la cinétique en dôme chaud (3 à 4 mm/an), rendant très faible le risque de voir la soudure traverser en un cycle,
     - du coût d'une réparation éventuelle en termes de disponibilité (plusieurs semaines) et de dosimétrie (50 à 100 rem),
     - du changement planifié du couvercle au prochain arrêt, la DEPT ne souhaite pas réparer avant redémarrage, contrairement au BCCN qui fait pression pour obtenir une réparation. Une épreuve de force est possible.
     En fin de réunion, M. NADAL s'interroge sur la communication à faire sur les résultats de l'expertise de la traversée de Bugey 3. L'option de ne pas communiquer est possible, mais dans ce cas il serait nécessaire d'avoir une réflexion complémentaire en envisageant le cas où l'information serait divulguée par quelqu'un d'autre.
p.28

Exploitation du parc nucléaire
Comité de Direction
Compte rendu de la réunion du 30 novembre 1992
Technique

Fessenheim 2/Vanne de refoulement du circuit RRA:
     Le démontage de la vanne de refoulement a révélé que l'opercule avait été monté a l'envers.
     Le Comité de Direction demande à l'Inspection Nucléaire de procéder à l'analyse exhaustive des causes de cette anomalie: respect des procédures, qualité de l'intervention du prestataire extérieur, nature du contrôle opéré, étude comportementale, rôle du management, organisation du Retour d'Expérience national sur les interventions.
     La détection de cette anomalie incite à l'introduction, dans les commandes, d'un système de primes et pénalités attaché aux résultats obtenus tant en termes de qualité que de délais.
     Les Moyens Centraux du Parc feront des propositions en ce sens pour ce qui concerne les commandes nationales. Ils animeront par ailleurs une réflexion tendant à définir un cadre de cohérence pour mettre en place ce système dans les commandes locales (Pilote: L. AYE).
Blayals I/Couvercle de cuve:
     La profondeur des fissures (5-6 mrn semble-t-il) découvertes sur deux adaptateurs du couvercle de Blayais 1 conduit l'Exploitant à présenter à l'Autorité de Sûreté, cette semaine, une stratégie de redémarrage en l'état.
Stratégie Générateur de Vapeur et lessivage:
     L'intérêt du lessivage du générateur de vapeur n°2 de St Laurent B1 en 1993 a été étudié en étroite concertation entre les Moyens Centraux du Parc et l'ingénierie de site.  Il ressort de cette analyse:
     - Concernant St Laurent B1, il n'est pas certain que le lessivage du GV 2 permette de prolonger ce matériel jusqu'à l'an 2000. Les solutions à base de RGV partiel ou total seront donc évaluées plus précisément avant de statuer définitivement.
     - Concernant le Parc, il convient, avant de décider un nouveau lessivage, de:
     - mieux cerner les besoins du Parc (tranches 900 de la famille 2),
     - s'assurer que l'injection d'acide borique à Fessenheim 2 n'est pas suffisante pour dégager un retour d'expérience.
     Le travail accompli par les Moyens Centraux et l'ingénierie locale, en cette occasion, a illustré tout l'intérêt de l'enrichissement mutuel de leurs analyses respectives.

Unités
Social:
     La journée d'action prévue le 1er décembre pour protester contre la réforme des Commissions Secondaires de la DEPT qui sera examinée le même jour en CSNP, donnera lieu à quelques baisses de charge dans le nucléaire.
Tests des Personnels des entreprises prestataires à l'entrée des sites nucléaires:
     Le Comité de Direction convient de s'en tenir à la politique retenue à l'égard des entreprises prestataires et fondée, à travers la généralisation du carnet d'accès, sur la responsabilisation des acteurs:
     - celle de l'employeur qui garantit la formation et l'habilitation de son personnel,
     - celle de l'exploitant qui assure le suivi et la vérification des prestations de l'entreprises extérieure.
     Dans ces conditions, le Comité de Direction préconise de ne pas faire procéder systématiquement aux tests des personnels des entreprises sous-traitantes à l'entrée des sites nucléaires.
     Il demande que soient proposées néanmoins des solutions transitoires destinées à s'assurer du respect par les prestataires de leurs obligations sur la qualification de leurs personnels dans la période précédant la généralisation du carnet d'accès (phase ultime: juillet 1993).
     Un cadre de cohérence sur les tests systématiques (exceptionnels) ou par sondage à pratiquer, au-delà de juillet 1993, sera par ailleurs proposé aux sites (Pilote: P. Schmitt).

suite:
Besoins en emplois cadres d'EDF
Production Transport/EPN à l'horizon 2000
     En prévision de la réunion du 18 décembre 1992 avec F. Ailleret sur les besoins en emplois "Cadres" de l'EPN à l'horizon 2000, le Comité de Direction émet les observations suivantes sur le document qui lui est présenté:
     - Développer un chapitre sur les solidarités internes au sein d'EDF Production Transport en insistant:
     · sur la nécessité de compenser les sorties nettes de cadres du nucléaire vers le reste de !a DEPT par des entrées de cadres provenant de ce secteur,
     · sur la possibilité offerte aux personnels de haute maîtrise du reste d'EDF Production Transport de bénéficier, au sein du nucléaire, d'une formation permettant le passage au collège cadre.
     - Maintenir, pendant les trois années à venir, la tendance actuelle en matière de recrutement de cadres afin d'atteindre l'objectif affiché de + 400 emplois cadres Bac + 4 d'ici 1995 (dont la plus grande partie est destinée au gréement des ingénieries). En nombre, ces postes sont financés par le redéploiement interne, stratégie qui sera intégrée au dossier "effectifs" de la DEPT.
     - Préciser les effets du maintien de ce volume de recrutement sur le déroulement de carrière de la haute maîtrise et des cadres.
     - Compléter l'éclairage international du document en citant quelques exemples proches d'Europe du Nord (Finlande, Suède...).
     Le Comité de Direction se ressaisira du dossier, ainsi amendé, le lundi 7 décembre 1992 avant qu'il ne soit examiné par l'Equipe de Direction d'EDF Production Transport mardi 8 décembre prochain.

Maîtrise des coûts du nucléaire:
préparation de la réunion à la Direction Générale du 17 décembre 1992
     Le Comité de Direction retient les modifications suivantes sur le dossier qui sera présenté à F. Ailleret le 17 décembre:
     - Présenter sur une même page les graphiques relatifs à l'évolution des dépenses brutes et corrigées du Parc.
     - Indiquer que les prévisions de dépenses occasionnées par les fissures des couvercles de cuve n'intègrent pas encore les conséquences de la découverte des fissures des adaptateurs du couvercle de Blayais 1 (palier 900MW).
     - En ce qui concerne les prévisions de dépenses contenues dans le programme 1993-1995 DE/EPN (encore à l'état de projet), préciser les tendances d'évolution plutôt que les chiffres bruts encore sujets à caution.
     - S'assurer de la cohérence du chapitre relatif aux ingénieries locales avec le dossier emploi Cadres à l'horizon 2000.
     - Intégrer les données prévisionnelles de fin d'année 1992 dans le nombre de jours moyens de prolongation d'arrêt de tranche annoncé pour cette année.
     - Dans le chapitre relatif au SFP, citer en priorité l'effort de cohérence recherché au travers de la mise en place de l'lnstitut de Formation à la Maintenance (IFM) et de l'lnstitut de Formation à la Conduite (IFC).
     - Modifier le titre du dossier de façon à bien illustrer l'objet du document qui ne traite pas seulement des dépenses d'exploitation du Parc mais également de la disponibilité du nucléaire.

Commentaire
     Ne craignez rien. Dormez en paix, on veille pour vous.
     Il n'empêche que les fissures existent et EDF, aidé par Framatome, essaie de se défiler. La DSIN a bien du mal à avoir les informations et à obliger EDF à faire les contrôles.
     La prochaine Gazette fera le point.

p.29

Le nucléaire et EDF fragilisés par la politique de maintenance des centrales nucléaires
La situation se dégrade
     Il y a peu de temps que la Direction a reconnu que la maintenance pouvait affecter la sûreté des centrales nucléaires.
     Il aura fallu les incidents significatifs de 1990 et surtout les relances médiatisées des Autorités de Sûreté pour que la Direction du Nucléaire veuille bien prendre conscience du problème.
     Personne ne conteste plus aujourd'hui que la maintenance puisse mettre en cause la Sûreté. Mais il subsiste un désaccord entre le Personnel et la Direction portant sur le degré de gravité de la situation, et sur les solutions.
     La Direction suivant sa bonne habitude, minimise les problèmes ,allant même jusqu'à prétendre que la situation s'améliore. Pourtant les écrits ne manquent pas qui mettent en évidence l'impuissance de la Direction du nucléaire à améliorer la sûreté. (voir par exemple le Rapport TANGUY[1], le rapport BIRRAUX[2], les études de psychopathologie du Professeur DEJOURS[3], les rapports EURISYS CONSULTANTS[4], nos diverses interventions).
     Les événements ne démentent pas les analyses: les indicateurs événementiels (incidents significatifs par exemple) montrent que la situation ne s'améliore pas (et encore ne reflètent-ils qu'une partie de la réalité). Les situations que nous vivons et que nous dénonçons en témoignent également.
     La qualité du service (disponibilité par exemple) atteste des mêmes contre-performances.
     Les accidentologues ont mis en évidence que pour les systèmes industriels complexes, une catastrophe survient toujours dans un contexte d'exploitation en mode dégradé et de non prise en compte d'événements précurseurs.
     L'heure est grave, car dans le nucléaire, nous sommes depuis plusieurs années en mode dégradé et la politique de la Direction notamment dans le domaine de la maintenance des centrales nucléaires contribue à accélérer cette dégradation.
     Faut-il attendre un accident nucléaire pour que les Pouvoirs Publics prennent les mesures qui s'imposent?

Le contexte culturel et managérial
     La politique de maintenance comme d'autres est influencée par la culture militaire et productiviste de l'ex-Service de la Production Thermique.
     La culture militaire est probablement un héritage du passé, époque des chefs venus de la marine.
     Quant à la culture productiviste, elle est soulignée par Pierre TANGUY dans son rapport 1991: "Mais les enquêtes sur le terrain montrent aussi que les agents d'exécution ressentent cette pression de la hiérarchie, sans d'ailleurs, et pour cause[6], être en mesure de se référer à des messages précis, mais par contriction profonde les chefs, c'est bien connu, c'est la production qui les intéressent; ils ont été nommés là pour faire du kWh".
     Cette culture conduit à une approche très déterministe de la Sûreté qui se traduit par une Réglementation et des procédures volumineuses et complexes.
     La Direction n'a pas l'intention de s'attaquer sérieusement[6] à cette question, et dans la pratique, les gens (qui n'ont guère le choix) trichent, ou improvisent sous les pressions diverses.
     En matière de communication la politique de la Direction est aussi condamnable. En effet la remontée des critiques négatives est proscrite. Ceux qui s'y risquent sont mis au placard. Seules sont acceptées les informations qui permettent de faire croire que la Direction est efficiente.

suite:
     On peut d'ailleurs généraliser en disant que la Direction proscrit l'exercice du contre-pouvoir, sous toutes ses formes. (d'où la répression syndicale dont nous sommes l'objet sur certains sites).
     Ceci explique sans doute la stratégie de mobilité des cadres: n'importe qui, n'importe où et pas longtemps.
     De fait il n'existe pas de plan de carrière, il n'est pas tenu compte du point de vue des individus et la capitalisation de l'expérience acquise au cours de chacun des postes est faible. La mobilité contribue surtout à l'élévation du niveau de confusion et d'incompétence.
     Cela explique sans doute également le refus de la Direction de s'ouvrir aux sciences humaines. Pourtant la technique pure a ses limites et le progrès passe désormais par là.
     Mais l'Etat Major du nucléaire a des certitudes qu'il impose par un management autoritaire. Il ne faut pas s'étonner dans ces conditions que le retour d'expérience ne puisse pas fonctionner. En effet pour les raisons signalées ci-dessus de nombreux événements précurseurs ne sont pas traités comme ils devraient et fatalement un événement plus grave arrive ou va arriver!
     Quant au contrôle inteme, il est pratiquement inexistant! Est-ce une erreur de management, ou une volonté pour mieux pratiquer la politique de l'autruche? Dans le même ordre d'idée, alors qu'elle prône les principes du rapport INSAG.4[7], la Direction ne met en place aucun suivi des indicateurs qui y sont proposés. C'est probablement aussi leur culture qui amènent nos dirigeants à n'entreprendre aucune action contre la corruption. Le marché de la maintenance (plus de 6 milliards de francs chaque année)[8] échapperait-il à ce phénomène qui préoccupe les Pouvoirs Publics en ce moment? Les remarques de Michel Lavérie le patron de la DSIN[9] rejoignent les critiques précédentes, à savoir, un décalage permanent entre les discours et les réalités, une négligence ou un retard important dans la prise en compte des demandes d'amélioration, une déficience dans les moyens techniques et humains associés.

Caractéristiques de la politique de maintenance actuelle
Une doctrine diffuse et empirique:
     Contrairement à la conduite des installations pour laquelle il existe des règles soumises aux Autorités de Sûreté (Règles Générales d'Exploitation), il n'y a pas d'équivalent pour la maintenance[10].
     Il n'existe donc pas de doctrine reconnue.
     Ainsi, on fait une grosse part de maintenance sans savoir pourquoi. On démonte, on retarde (en prenant des doses) et on referme. La charge de travail est telle que les milliers de dossiers issus d'une révision, ne sont pas rationnellement exploités.
     De l'aveu de certains responsables: dans bon nombre de cas, on fait plus de mal que de bien! (cf. par exemple conférence de M. P. Tournier 19 juin 92 "la sûreté nucléaire au quotidien").
     Depuis de nombreuses années, certaines installations sont "ouvertes" comme s' il s'agissait de décennales. Quand on demande pourquoi cette facon de procéder? on s'entend répondre que c'est le spécialiste, le doctrinaire des services centraux qui l'impose: (la politique des gammes). Souvent le dit "spécialiste" n'a de spécialiste que le nom, puisque comme les autres, il subit la politique de mobilité stratégique. Parfois c'est parce qu'il en a reçu l'ordre!

p.30

en cours...
     Pourquoi la doctrine n'a-telle pas d'assise scientifique? Pourquoi ne pas appliquer la maintenance Prédictive[11], alors que l'effet palier se prêterait à merveille à une maintenance intelligente et économique? En fait, la périodicité et le contenu des interventions sont directement issus des constructeurs, qui ne manquent pas de faire de la consommation, tant au niveau des pièoes de rechange, qu'à celui des heures travaillées. D'ailleurs les installations fournies dans les centrales, sont de moins en moins accompagnées de plans permettant aux techniciens et ingénieurs EDF de gérer eux-mêmes les matériels dont ils ont la responsabilité. Certains contrats sont d'ailleurs rédigés de facon à "excuser" les constructeurs de cette attitude. Conséquence les ingénieurs n'ont pas d'autres solutions que de sous-traiter. Se passe-t-il la même chose dans les autres pays équipés de centrales REP (USA, Japon, Allemagne, Belgique, Afrique du sud)?
L'absence stratégique d'expert:
     Côté EDF il n'y a pas aujourd'hui d'Expert même pour les matériels importants pour la sûreté ou la disponibilité. De fait les décisions se prennent lors de réunions à huis clos entre Dirigeants. Dans ce domaine également la Direction s'est donnée les moyens d'être incontestée!
L'augmentation stratégique de la sous-traitance:
     Ici, on arrive au paradoxe suprême: la Direction dit vouloir améliorer la sûreté et baisser les coûts, et elle décide pour ce faire, une forte augmentation de la sous-traitance. Nous étions déjà à un taux de sous-traitance de l'ordre de 50% avec un certain nombre de difficultés.
     La Direction veut allègrement passer à 90 %. De plus, il faut avoir présent à l'esprit que dans le nucléaire, il a été observé des sous-traitances en cascade allant jusqu'à 5 à 6 niveaux[12]. Est-ce que le nucléaire, technologie de pointe, peut s'accommoder de cette fantaisie? Dans ce contexte de mobilité générale, qui connaîtra l'installation demain? Pour pallier cette critique, la Direction a décidé de fidéliser les entreprises. Elle accepte même de payer des surcoûts de prestations. A quoi cela va-t-il servir, puisque le système libéral n'interdit pas encore aux salariés d'être, eux, infidèles à leur entreprise? Dans la pratique on observe en moyenne, qu'un agent d'entreprise sur deux ne se représente pas l'année suivante. Il a même été observé sur un site, lors d'une révision, un mouvement de personnels équivalent à 5 fois l'effectif nécessaire.
     Il y a de plus ceux qui tournent sur les différents sites, en étant exposés à des pratiques différentes, tant pour les méthodes de travail que pour les aspects administratifs et réglementaires. Si on y ajoute la démotivation, la fatigue des transports, la précarite du statut liée au niveau de la dosimétrie, on réunit tous les ingrédients pour créer la potentialité d'une erreur ou d'une omission. Quand bien même, on fidèliserait un certain nombre d'agents d'entreprise, qui peut prétendre que la non-qualité qui sera à l'origine de l'accident ne sera pas le fait d'un des nombreux autres travailleurs extérieurs. Qui maîtrise la situation, dans cette fourmilière que la Direction accroît et désorganise tous les jours un peu plus? On vient par exemple de découvrir récemment qu'il est possible d'être boulanger, la nuit, et de travailler sur du matériel important pour la sûreté, le jour. Ce genre de situation ne peut aller qu'en augmentant, car ce n'est pas le nouveau carnet d'accès qui y remédiera (le carnet DATR n'empêche pas certains agents extérieurs de recevoir, chaque année, des doses 2 à 3 fois supérieures à la limite maximale annuelle). Comment assure-t-on la maîtrise de la sûreté, de la disponibilité et des coûts dans un tel contexte? Pour les acteurs du terrain, il est indéniable que ces domaines sont interdépendants et affectés négativement par les dispositions imposées par la Direction. Ainsi certains sites qui réussissaient à respecter les durées d'arrêt de tranche, sont aujourd'hui systématiquement en retard. Le personnel estime que les 2 causes principales sont l'organisation de la maintenance et l'accroissement de la sous-traitance.
suite:
La politique de non-transparence:
     Elle va de pair avec la suppression des contre-pouvoirs.
     Encore une fois le discours est à la transparence et la pratique à l'opposé. Parce qu'elle sait qu'elle ne peut convaincre, la Direction triche sur les chiffres. M. Carlier annonce 10.000 agents d'entreprise chaque année et explique qu"'On sort les servitudes qui sont autre chose que de la maintenance". Comment se fait-il que ses propres services indiquent (voir application informatique A22) qu'environ 20.000 agents d'entreprises recoivent des doses radioactives chaque année? Comment se fait-il que le fichier informatique d'accès du personnel (FAP) comporte 50.000 noms d'agents extérieurs? Y aurait-il 10.000 travailleurs pour les servitudes?
     Celles-ci sont-elles gratuites?
     Ne peuvent-elles mettre en cause la sûreté?
     Dans la plupart des domaines la Direction n'a pas de dossier. Lorsqu'elle en a, elle les cache. C'est le cas par exemple des études de psychopathologie et des analyses d'accident mortel. Pour ces dernières, la Direction a même décidé de ne pas les diffuser afin qu'ils ne puissent être transmis à la justice. La raison en simple ces dossiers indiquent que l'on fonctionne en régime dégradé par conséquence directe du management exercé par la Direction. En ce qui concerne les coûts, la Direction n'a pour tout argument que ses certitudes. C'est donc un peu léger pour engager l'avenir du nucléaire et de l'établissement. La Direction refuse de faire la lumière sur le coût comparatif agents EDF-agents extérieurs. A Bugey par exemple, où l'intersyndicale CGT-CFDT-FO-CFTC a chargé le cabinet SECAFI de cette mission, le chef d'unité refuse de fournir les éléments à l'expert. La réponse lui fait tellement peur qu'il n'hésite pas à recourir à l'entrave au fonctionnement de l'organisme statutaire.

Les propositions
Le partage du travail entre EDF et les entreprises:
     C'est une question ayant des aspects objectifs et politiques? Puisqu'il n'y a pas consensus au sein de l'établissement, il faut impliquer les Pouvoirs Publics. Jusqu'à quel point l'Etablissement Public doit-il aider les entreprises? Dans quels buts? Quelles entreprises? Européennes ou seulement francaises? (les moyens utilisés par le GIIN[13] pour faire du protectionnisme sont-ils à la hauteur du problème?
     Le lobby nucléaire, en mal de centrales à construire, veut vivre de la maintenance, en renchérissant son coût[14]; ce faisant, il prend le risque de se discréditer à l'exportation (les étrangers se renseignent aussi sur les coûts d'exploitation. Soulignons que la SNCF, autre grande nationalisée qui doit garantir la disponibilité du trafic, a une politique radicalement opposée à celle d'EDF, à savoir qu'elle réalise la totalité de la maintenance du matériel roulant avec du personnel statutaire. Ses dirigeants sont-ils plus mauvais que les nôtres, qui ont fait la politique du "tout charbon", puis du "tout fioul" (les transformations étaient à peine terminées qu'on repassait les chaudières au charbon), puis du" tout nucléaire", aujourd'hui du "tout sous-traitance"? Le nucléaire est une énorme machine qui utilise des technologies de pointe. Il requiert de nombreux spécialistes hautement qualifiés. Il serait suicidaire pour l'Etablissement de ne pas garder la maîtrise du savoir faire. Comme on ne peut se fier au beau discours de la Direction, il faut obtenir des garanties sur des solutions concrètes! (quels métiers, quel avenir?) Si l'on veut réellement faire évoluer les métliodes de maintenance, il faut nécessairement y participer, et envisager des équipes mixtes (EDF+Entreprises). On peut assurer "le bon et plein emploi des agents EDF", autrement que par la réduction d'effectif, en utilisant nos équipes spécialisées sur la scène internationale (à l'étranger également il n'y a pas que la conception qui affecte la sûreté!). Il y a là, des ouvertures pour les ORI[15] qui ont des professionnels de grande valeur, et dont il faut renforcer l'effectif pour éviter d'être à la merci des fournisseurs. Pour la part qui resterait sous-traitée, il faudra tenir compte de la compétence réelle (sur le terrain et non de celle des dirigeants de l'entreprise), ainsi que des coûts effectifs.

p.31

La réorganisation de la maintenance:
     Une réorganisation est nécessaire aussi bien au niveau des entités nationales (Moyens centraux du Parc, CNIP, SEPTEN) qui "pédalent dans la choucroute", que du terrain où il est nécessaire d'apporter des corrections à la réforme. Il faut bien entendu que le personnel et ses représentants y soient effectivement associés (ce qui n'est pas le cas actuellement).
Au niveau national:
     Il faut mettre en place une orchestration nationale pour les opérations de maintenance qui impactent la sûreté et la disponibilité (l'équivalent de ce qu'est le dispatching national à l'exploitation). Il est nécessaire de mettre en place de véritables experts afin qu'EDF se réapproprie les décisions concernant la maintenance. Il faut mettre fin à la guerre entre Services, savamment entretenue jusqu'ici par les gens qui y trouvaient leur intérêt (l'éloignement géographique et l'indépendance hiérarchique sont à réduire au maximum)[16]. Il faut rapidement disposer d'une doctrine reconnue par le terrain et par les Autorités de sûreté. Elle devra notamment préconiser la suppression de la maintenance de complaisance et de routine et s'appuyer sur un contrôle et un retour d'expérience efficient. Il faut mettre en place un véritable contrôle interne à tous les niveaux, non sans avoir compris pourquoi il n'y en a pas actuellement.
Au niveau local:
     Il est nécessaire de définir comment on assure le maintien du savoir faire (quels métiers? quels effectifs?). Il faut assurer la stabilité de l'agent à la tâche, tout en lui garantissant une évolution de carrière sur place. En effet le temps lui donne une meilleure vision des choses. Il lui permet d'affiner ses connaissances techniques et relationnelles. De bonnes conditions de travail associées à un système de rémunération satisfaisant le conduisent à mieux s'impliquer. La stabilité à la tâche ne peut que contribuer à l'amélioration de la sûreté, de la disponibilité et des coûts.
L'amélioration du retour d'expérience:
     L'analyse des incidents et des contre-performances doit être faite sans domaines interdits:
     - incidence de l'organisation,
     - part imputable aux exécutants mais également à l'encadrement aussi bien pour l'entreprise que pour EDF (compétence, conscience professionnelle, stress, santé),
     - part imputable au service central,
     - part imputable à l'Etat Major, alors que certains services centraux brassent du vent et des papiers sans aucune efficacité, certaines analyses ne sont pas faites.
suite:
     Il serait pourtant très intéressant de savoir pourquoi certains réalisent leur visite partielle avec 3 fois moins de personnel que leurs homologues; comment ceci se traduit dans les résultats (qualité, sécurité, sûreté, disponibilité, coût); pourquoi ceux qui étaient performants ne le sont plus; pourquoi le taux de suicide dans certaines centrales nucléaires est 10 fois plus important que la moyenne des industries francaises, etc? Il existe bien d'autres domaines qui impactent la maintenance. Nous nous contenterons de citer les plus importants, comme la nécessité de rétablir le dialogue social, de définir une politique de l'innovation, d'introduire les sciences humaines dans la formation et dans les méthodes de travail (y compris dans les analyses de sûreté et de coût). Pour conclure, nous souhaitons une prise de conscience et des décisions rapides de la part de la Direction générale. Les dysfonctionnements, fraudes[l7], défaillances humaines[l8], se multiplient et l'accident peut survenir à tout moment dans ce contexte dégradé. Dans la négative cette question devra être portée à la connaissance des Ministres de tutelle (déià partiellement informés grâce aux Autorités de sûreté), et à celle des parlementaires.
Notes:
1. Pierre TANGUY est Inspecteur Général pour la Sûreté Nucléaire à EDF.
2. Claude BIRRAUX Député est Rapporteur de L'office Parlementaire d'évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques.
3. Christophe DEJOURS est psychanalyste, psychiatre, médecin du travail et ergonome.
4. EURISYS CONSULTANTS s'est spécialité dans l'étude des accidents dans les systèmes industriels complexes.
5. Note de la rédaction: ce "et pour cause" n'a probablement pas la même signification pour Pierre TANGUY et pour nous.
6. On observe dans ce domaine comme dans d'autres, une opposition à 180 degrés entre le discours et les actes.
7. Auxquels il faut ajouter des opérations comme le remplacement des générateurs de vapeur: plus de 3 milliards par tranche.
8. DSIN: Direction de la Sureté des Installations Nucléaires rattachée au Ministre de l'Industrie.
9. Ce qui tend à prouver qu'il n'y a pas que la Direction qui avait sous-estimé l'incidence de la maintenance sur la Sûreté.
10. Groupe consultatif international pour la sûreté nucléaire.
11. Sur ce point également il y a le discours et les actes.
12. C'est le problème vulgairement appelé de la Viande à REMS et de la Pompe à Fric.
13. Groupe Intersyndical de l'Industrie Nucléaire.
14. EDF "vache à lait".
15. Organisation Régionale d'Intervention.
16. Pourquoi la Direction n'applique-t-elle pas "le raccourcissement de la ligne hiérarchique" aux grands chefs?
17. Par exemple films radiographiques SPIE à Dampierre.
18. Par exemple déclenchement des 3 tranches de Paluel le 15.10.92.
p.32

Retour vers la G@zette N°123/124