H. Chevalier
De l'eau pour les centrales
Chaque tranche d'une centrale nucléaire comprend un condenseur ayant pour but de condenser la vapeur d'eau brûlante ayant actionné les turbines et de recycler l'eau vers le réacteur. Cette condensation est obtenue par un circuit d'eau de refroidissement, eau pompée dans un fleuve, dans un canal ou dans la mer. Deux systèmes de circuit sont possibles. Dans une tranche "à circuit ouvert", l'eau, prélevée dans le milieu aquatique, traverse le condenseur puis est rejetée en totalité dans le même milieu. Pour un réacteur d'une puissance d'environ 1.000 MW, la prise d'eau sera de 50 m3/sec, ce qui représente, par exemple, le débit moyen de la Garonne près de Toulouse. Ce système de refroidissement ne peut être utilisé qu'avec un apport d'eau naturel suffisant (grand fleuve, estuaire, lac ou mer), ou bien que pour des réacteurs de moins de 1.000 MW, dans le cas d'un fleuve à débit moyen (exemple les deux réacteurs de 900 MW de la centrale du Bugey). Si le débit du fleuve se révèle insuffisant pour un "circuit ouvert" on opte pour l'autre système le "circuit fermé". Dans ce système la prise d'eau dans le milieu est de l'ordre de 3 m3/sec pour une tranche de 1.000 à 1.300MW. L'eau chaude sortant du condenseur est refroidie par une tour réfrigérante (ou aéroréfrigérant) qui évapore environ le 1/3 de l'eau pompée dans le fleuve (0,5 à 1 m3/sec d'eau en vapeur), le restant allant dans un bassin d'eau froide. De ce bassin part un recyclage de l'eau vers le condenseur et un rejet dans le fleuve de l'ordre de 2,5 m3/sec. Pour une centrale de plus de 1.000MW, le débit du fleuve devra être suffisant pour une telle prise d'eau, mais aussi pour le respect de la limite thermique du milieu aquatique, norme indiquée dans l'autorisation préfectorale de fonctionnement de la centrale. En effet, c'est de l'eau chaude qui est rejetée par le circuit de refroidissement et, si 1'étiage[1] du fleuve se trouvait au plus bas, ce rejet d'eau chaude provoquerait une pollution thermique excessive entraînant la mort de nombreux organismes aquatiques et des phénomènes d'eutrophisation[2]. Une telle situation s'est produite en été 1990 pour la centrale nucléaire de Golfech qui n'avait pourtant qu'un réacteur - de 1.300 MW - en service. Avec la sécheresse, le débit de la Garonne était tombé si bas que le réacteur dut être arrêté. Les barrages-réservoirs à la rescousse
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Mais des barrages-réservoirs liés au nucléaire ont été aussi réalisés en aval des centrales, réservoirs "de secours" prévus pour diluer une pollution accidentelle radioactive. La carte indique les principaux barrages-réservoirs, réalisés ou projetés, utiles ou utilisables au parc électronucléaire français. Il est, en effet, souvent difficile de dire si tel barrage a été construit/ou sera construit dans le but d'alimenter ou de secourir une centrale nucléaire. Un barrage-réservoir peut avoir plusieurs vocations: stockage d'eau pour l'irrigation et pour la distribution d'eau potable (stations de pompage sur le lac), soutien d'étiage (les pompages étant effectués dans le cours d'eau dont le débit est soutenu par les lâchers du réservoir), écrêtement des crues (dans ce cas le réservoir est maintenu à bas niveau pour que la crue le remplisse et soit ainsi retardée = "bassin compensateur"), accessoirement aussi "lac de loisirs" (cette vocation étant toutefois souvent incompatible avec les autres). On peut penser que les barrages-réservoirs réalisés avant 1970 (comme le réservoir "Seine", près de Troyes, mis en service en 1966) furent faits sans "préméditation nucléaire". Dans les années 70, par contre, époque où le programme électronucléaire fut accéléré, des barrages furent construits pour une vocation multiple dont une "utilité pour l'industrie" (traduisons pour une centrale nucléaire à venir). La finalité de soutien d'étiage pour, principalement ou exclusivement une centrale nucléaire, a été cependant officiellement déclarée pour certains barrages financés ou commandités par EDF. C'est le cas du barrage de Pierre-Percée, dans le bassin de la Moselle, lié à la centrale de Cattenom, du barrage de Lunax-Gimone, dans le Gers, d'une capacité de 25 millions de m3 dont 10 millions financés par EDF pour la centrale de Golfech et du réservoir "Aube" financé aussi en partie par EDF pour la centrale de Nogent-sur-Seine. Les barrages liés à la centrale de Nogent-sur-Seine
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Le réservoir Seine noya
2800 hectares du Parc Naturel Régional de la Forêt d'Orient
(dont 54 % de bois de chênes séculaires); plusieurs villages
furent sacrifiés pour le réservoir Marne; quant au réservoir
Aube, c'est 2.000 hectares de vieux chênes et 850 ha de cultures
qu il devait engloutir.
Les barrages liés aux centrales de la Loire
Le barrage de Pierre-Percée
Les barrages liés à la centrale de Golfech
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Mais déjà, bien avant, des barrages avaient été réalisés: celui de Malause sur la Garonne en amont de Golfech (barrage qui pouvait être interprêté comme lié à la petite centrale hydroélectrique établie sur le canal de Golfech) et plusieurs réservoirs présentés comme essentiellement destinés à l'irrigation et au soutien d'étiage d'affluents de la Garonne: Lestrade, Bancalie, Rassisse, Saint-Géraud (sur des affluents de la rive droite), Astarac et Puydarrieux (sur des affluents de la rive gauche), enfin Montbel, le plus gros de tous (60 millions de m3), dans le bassin de l'Ariège, destiné à alimenter à la fois le bassin de la Garonne et les pays du Seuil du Lauragais. En 1986 s'ouvrit l'enquête publique - avec une étude d'impact des plus folkloriques - du barrage-réservoir de Lunax-Gimone, officiellement en partie destiné à la centrale de Golfech, comme il a été dit précédemment. Le programme de réalisation de barrages-réservoirs, dans le bassin de la Garonne, n'allait pas s'en tenir là car, en 1988, le Comité de Bassin définissait un "Programme décennal de développement des ressources en eau" (le PDRE), prévoyant la création de nouveaux réservoirs destinés, selon les termes du Comité et de l'Agence de l'Eau Adour-Garonne, à trois objectifs: - le maintien d'un débit minimum admissible (DMA) dans toutes les rivières du bassin, - la compensation des prélèvements existants, - l'accompagnement du développement de nouvelles surfaces irriguées. Quatre sites furent prospectés pour la réalisation d'un ou plusieurs gros barrages-réservoirs: Charlas (près de Toulouse), Vabre Nord-Gijou (bassin du Tarn), Laurélie-Viaur (bassin de l'Aveyron) et Saint-Geniez d'Olt (haute vallée du Lot). En 1993, le Comité de Bassin et l'Agence de l'Eau, confirmant la poursuite du PDRE - ceci malgré la crise agricole arrêtant le développement des cultures irriguées - retenait deux de ces quatre sites: Charlas et Saint-Geniez d'Olt[5]. Charlas serait le plus gros barrage-réservoir du Sud-Ouest: 100 à 110 millions de m3. Il noyerait 600 hectares de bonnes terres agricoles (déjà irriguées !). Sa réalisation se chiffrerait autour de 1 milliard de F. La finalité du projet n'est pas clairement définie. Ses promoteurs sont le Comité de Bassin, l'Agence de l'Eau, la Région Midi-Pyrénées[6] et une société d'économie mixte qui serait le maître d'ouvrage: la CACO (Compagnie d'Aménagement de Côteaux de Gascogne). Curieusement EDF ne s'est pas manifesté dans le projet, peut-être par ruse pour laisser la responsabilité du barrage aux partenaires pré-cités. Prospectives pour la centrale de Civaux
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Le lobby barrages
Les promoteurs des barrages-réservoirs liés ou non au nucléaires appartiennent à deux catégories: l'Administration (EDF, DDAF, DDE, Agences de Bassin, Préfets...) et les élus (constituant les Conseils généraux, les Conseils régionaux, les Conseils municipaux des grosses agglomérations, siégeant aussi dans les Etablissements publics d'aménagement et dans les Comités de Bassin, également souvent présents dans des sociétés d'économie mixte...) Ces décideurs subissent les pressions (le lobby) des bénéficiaires de ces grands travaux hydrauliques. Ces bénéficiaires sont les maître d'ouvrage (entreprises de travaux publics, sociétés d'économie mixte...) et les utilisateurs de l'eau (gros irrigants représentés par les Chambres départementales d'Agriculture, industriels..) On peut constater que souvent les mêmes personnes sont à la fois décideurs et bénéficiaires (c'est ce qui s'appelle être juge et partie) élus, ingénieurs des DDE intéressés par les "rémunérations accessoires", responsables EDF, industriels et responsables agricoles siégeant dans les Comités de Bassin... Les plus pernicieux des organismes décideurs sont les Etablissements publics composés d'élus absolument pas qualifiés pour concevoir des aménagements hydrauliques et pour définir un programme de gestion d'un fleuve et de son bassin. On peut citer "l'Institution interdépartementale des barrages-réservoirs du bassin de la Seine" qui programma les grands réservoirs Seine, Aube et Iliarne, "l'Etablissement public d'aménagement de la Loire et de l'Allier" (EPALA) - dont le président est Jean Royer, maire de Tours - promoteur des barrages liés ou non aux centrales sur la Loire et qui prospecte aussi les réservoirs pour la centrale de Civaux, "l'Entente interdépartementale d'aménagement de la vallée du Lot", présidée par Jean-François Poncet également président du Comité de Bassin Adour-Garonne, "l'Institution interdépartementale pour l'aménagement hydraulique du bassin de l'Adour", composée de 25 conseillers généraux, etc. Ces organismes décideurs échappent totalement à tout contrôle démocratique car, en règle générale, les usagers de l'Eau et les associations d'environnement n'y siègent pas. ` Dans le Sud-Ouest, un autre pilier du lobby des grands travaux hydrauliques est la CACG, précédemment citée, maître d'oeuvre de la plupart des barrages-réservoirs au sud de la Garonne. Cette société d'économie mixte, contrairement aux Etablissements publics, est une entreprise à but lucratif, mais présidé par un élu, lequel se trouvé être à la fois député, président du Conseil général du Gers et président de la Chambre d'Agriculture dudit département... (suite)
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Si, comme nous l'avons vu, certains barrages-réservoirs étaient indispensables à l'électronucléaire - source d'énergie, elle, non irremplaçable, la finalité d'autres, récemment mis en chantier ou projetés, reste obscure. Les besoins des cultures irriguées ne se justifient plus puisqu'avec la nouvelle PAC ces cultures ne vont plus se développer. Pourtant, dans le Sud-Ouest, le Comité de Bassin, l'Agence de l'Eau et les Etablissements publics d'aménagements hydrauliques maintiennent la réalisation de nouveaux barrages-réservoirs dans des bassins où n'existent pas de centrales nucléaires[7] deux barrages sont programmés dans le bassin de la Charente (Trazence et Mas Chaban) et deux gros réservoirs de 20 millions de m3 sont projetés dans le bassin de l'Adour (Eslourenties et Arrayou). Ces grands travaux hydrauliques s'inscrivent ainsi, ou dans le lobby nucléaire, ou dans le lobby de l'agriculture productiviste, ou tout bêtement dans le lobby des "grands travaux pour des grands travaux" (avec parfois une odeur souterraine de corruption politique...). Des exemples existent de barrages-réservoirs qui n'ont jamais été utilisés, le premier en date étant le tristement célèbre barrage de Malpasset, près de Fréjus, qui se rompit en 1959 causant la mort de 433 personnes... Nous avons sous les yeux, surtout dans les bassins de la Loire, de la Garonne, de la Charente et de l'Adour un programme de barrages, "justifiés" ou non par le nucléaire, par l'irrigation ou par des risques d'inondations, qui rappelle, à l'échelle de notre pays, les programmes démentiels hydrauliques du Tiers Monde comme le "Narmada Project" en Inde... Ces barrages se traduisent, ou se traduiront, par des impacts destructeurs et perturbateurs pour les vallées, les bassins hydrographiques et les hydrosystèmes, mais aussi par des choix budgétaires non rentabilisables ne pouvant qu'agraver la situation économique locale, régionale et nationale. Quelques chiffres: le devis du réservoir de Lunax-Gimone se chiffrait, en 1986, à 184 millions de F, celui de l'Arrêt-Darré, "petit" réservoir de 10 millions de m3, actuellement en chantier dans le bassin de l'Adour, s'élevait à 92 millions de F, quant au barrage de l'Arrayou (20 millions de m3), près de Bagnères-de-Bigorre, il coûterait 200 millions de F... Le département du Gers, important partenaire du programme hydraulique Adour-Garonne, accuse une dette de 1 milliard 246 millions de F! Ces chiffres se passent de commentaires... p.8
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