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N°135/136 juin 1994

Pétition soumise au Parlement européen
contre Superphénix (résumé)
Le réacteur à neutrons rapides situé à Creys-Malville, France
     
     Superphénix, un prototype, et le seul surgénérateur nucléaire au monde à neutrons rapides de taille industrielle (1.250MW), a été commandé par NERSA, un consortium de services publics européens, appartenant à 51% à Electricité de France. La cuve du réacteur contient plus de 5 tonnes de plutonium radioactif, entouré de plus de 5.000 tonnes de sodium hautement inflammable. Ce réacteur est intrinséquement dangereux et capable de créer un désastre nucléaire radioactif de l'envergure de la catastrophe de Tchernobyl. Depuis son démarrage en 1986, le réacteur n'a connu que des accidents, ce qui a mené à une série d'arrêts dus à des problèmes permanents de sûreté. Le dernier de ces arrêts, du 3 juillet 1990 jusqu'à ce jour, s'est avéré tellement long qu'une réautorisation de redémarrage a été nécessaire.
     Le dernier rapport de la DSIN[1] intervenu dans la procédure de réautorisation indique que le comportement du réacteur est imprévisible en raison des problèmes techniques non résolus. Le rapport prévoit que «de nouveaux incidents» se produiront très vraisemblablement. Par ailleurs, les modifications du projet et de la construction intervenues depuis sa première autorisation, mettent en doute la validité des calculs initiaux de sûreté. En outre, le plutonium contenu dans le coeur, qui se dégrade avec le temps, est inaccessible à l'inspection pour «plusieurs années». Malgré les réserves de la DSIN, le Premier Ministre français a décidé, en principe, de faire redémarrer Superphénix comme laboratoire de recherche et d'expérimentation dans la destruction des déchets nucléaires.
     Il s'agit d'une utilisation complètement nouvelle, sans rapport avec celle pour laquelle le surgénérateur a été destiné à l'origine. Selon la DSIN, le réacteur ne pourrait être détourné vers cette nouvelle utilisation avant au moins 1998 et, encore, seulement pour traiter des quantités peu importantes. Le réacteur reste intrinsèquement dangereux.
     
     Les pétitionnaires (WWF et autres) ont déposé une plainte auprès de la Commission Européenne par laquelle ils affirment que la France enfreint, ou menace d'enfreindre, le droit communautaire, précisément en ce qui concerne l'Article 34 EURATOM(1) qui établit l'obligation d'obtenir l'opinion préalable de la Commission Européenne quant aux mesures sanitaires supplémentaires à prendre pour des «expériences particulièrement dangereuses»; également la Directive du Conseil 89/618/EURATOM concernant l'information du public sur les mesures de protections sanitaires à prendre en cas d'urgence pour fuites radioactives ou accident nucléaire; ainsi que la Directive du Conseil 85/337/CEE sur l'évaluation de l'impact sur l'environnement. Ils se sont plaints également du fait que la France n'a inclus ni la Suisse, ni Genève dans l'enquête publique et les procédures de consultation, contrairement aux principes de droit international incorporés dans le droit communautaire.
     Les pétitionnaires soumettent leur requête au Parlement Européen afin de demander à la Commission Européenne de:
     1 - s'adresser à la Cour de Justice Européenne afin de voir condamner la France pour non respect du droit communautaire et d'exiger que la réautorisation soit suspendue jusqu'à ce que la légalité soit respectée;
     2- d'informer le Parlement Européen sans tarder de son opinion sur la plainte et des suites qu'elle entend lui donner;
     3 - d'établir une Commission d'Enquête afin d'examiner le comportement de la France en ce qui concerne la réautorisation du redémarrage du surgénérateur Superphénix, et de rédiger un rapport à ce sujet.
1. DSIN: le département gouvennemental français ch&gé de la sureté des mstallations nucléaires.
p.3


En application de l'Article 138d du Traité CE et de l'Article 107C du Traité EURATOM
A : Monsieur le Président du Parlement Européen
     NOUS, LES PÉTITIONNAIRES SOUSSIGNÉS CONCERNÉS par le fait que le prototype de Superphénix situé à Creys-Malville en France en bord de Rhône, à 50 km de Lyon et 75 km de Genève, seul surgénérateur nucléaire à fonctionner de manière industrielle dans le monde, est dangereux en lui-même et capable de créer un désastre radio-écologique de l'importance de Tchernobyl;
     RAPPELANT que le surgénérateur de Creys-Malville a été commandé en 1975 par la NERSA, société au capital de laquelle participe un certain nombre de sociétés européennes dont Electricité de France à hauteur de 51 %, et ce afin de produire de l'électricité à hauteur de i 250 mégawatts;
     AVERTIS de ce que le coeur de Supeiphénix contient plus de 5 tonnes de plutonium (à comparer avec 500 kg dans un réacteur nucléaire à eau pressurisée) et plus de 5 000 tonnes de sodium, lequel est hautement inflammable au contact de l'air et de l'eau et de ce que, à ce jour, il n'est pas possible d'éteindre effectivement un feu de sodium de plus de quelques centaines de kilos;
     SOUCIEUX qu'une telle installation ne puisse étre autorisée à exister et à fonctionner qu'avec les précautions les plus rigoureuses et ayant apporté toutes les preuves de la sûreté, et ce dans toutes les circonstances;
     RAPPELANT que Supeiphénix n'a pas fait la preuve de sa sûreté; depuis que les opérations de fonctionnement ont commencé en 1986, il n'a fonctionné que I'equivalent de 174 jours à pleine puissance, les arrêts étant dus à des accidents considérés d'après les documents d'autorisation comme purement «hypothétiques» ; que ce réacteur est arrêté depuis le 3juillet1990 et qu'il nécessite, d'après la loi française, une nouvelle autonsation laquelle est précisément le sujet de la présente pétition;
     ALARMÉS de ce que les rapports de sûreté du DSIN de juin 1992 etjanvier 1994 indiquent que le comportement de Super-phénix n'est pas parfaitement maîtrisé et qu'il ne peut pas être assuré en toutes circonstances parce qu'il n'y a pas d'explication ou de solution existant actuellement au sujet des anomalies constatées dans le coeur du prototype Phénix, qui constitue pourtant un plus petit réacteur ou, en raison des questions relatives à l'éventuelle fusion du coeur de Supeiphénix; que le rapport de sûreté de 1994 prévoit pour l'avenir de nouveaux incidents de nature inconnue ; que les modifications dans l'organisation et la construction du réacteur créent de nouvelles questions au regard de la validité des calculs de sûreté qui ont été faits à l'origine;
     INQUIETS de ce que le plutonium contenu dans le coeur du réacteur, qui se dégrade avec le temps, ne peut être inspecté avant «plusieurs années»;
     CONVAINCUS de ce que la reprise de Supeiphénix dans n'importe quelles conditions et sans une résoluùon scientifique satisfaisante et complète de ces problèmes fondamentaux constitue une menace inacceptable sur la santé et la vie humaine et sur l'environnement;
     CRAIGNANT que la menace d'une catastrophe majeure pèse, non seulement sur la population et sur l'environnemnet français et des autres Etats membres de l'Union Européenne (et notamment l'italie et l'Allemagne), mais aussi sur la Suisse et particulièrement le Canton et la Ville de Genève, situés seulement à 75 km de la centrale et dont les représentants et habitants ont fait campagne contre Superphénix depuis son inauguration;
suite:
     PRÉOCCUPÉS par le communiqué du Premier Ministre français du 23 février 1994 décidant que Superphénix ne sera plus exploité comme une centrale nucléaire mais comme un réacteur consacré à la recherche, étant donné que son redémarrage dans n'importe quelle condition et sans qu'aucun des problèmes fondamentaux ne soient résolus, continue de poser une menace inacceptable;
     N'ÉTANT PAS EN MESURE DE COMPRENDRE la déclaration du Premier Ministre selon laquelle le réacteur sera désormais consacré à la recherche, visant à la réduction des déchets radioactifs à longue durée de vie provenant du retraitement nucléaire et de la combustion de l'uranium naturel - une complète réorientation des objectifs de Superphénix, en vue desquels il n'a pas été conçu - alors que le rapport de 1994 de la DSIN établit clairement que ces opérations ne pourront commencer avant la mise en service du 3ème coeur en 1998 au plus tôt, et alors que le communiqué n'établit pas comment le réacteur devra fonctionner dans la période allant de l'autorisation jusqu'en 1998;
     CONSIDÉRANT que, selon le rapport de 1994 de la DSIN, les quantités de plutonium et, dans une moindre mesure, les actinides mineurs qui sont susceptibles d'être incinérés par Superphénix seront en fin de compte insignifiantes, et notant que les recherches préliminaires sur cette option ne constituent pas à l'heure actuelle une réelle démonstration de sûreté;
     RAPPELANT les changements, tant économiques que politiques, intervenus au niveau mondial depuis la première autorisation de Superphénix en 1977, avec la chute du mur de Berlin, la surproduction mondiale d'uranium et de plutonium (qui doit être opposée aux prévisions de pénurie dans les années 1960 et 1970), la catastrophe de Tchernobyl et la décision des autres gouvernements de mettre une fin rapide aux programmes relatifs aux réacteurs à neutrons rapides (comme par exemple en Allemagne, aux Etats Unis et au Royaume Uni);
     PAR AILLEURS INQUIETS devant les infractions actuelles et prévisibles commises par la France au regard du droit commautaire en relation avec le redémarrage de Superphénix, à savoir:
     Article 34- paragraphe 1 du Traité EURATOM concernant l'obligation non respectée par la France, de reconnaître dans ses procédures administratives que le redémarrage de Superphénix dans n'importe quelles conditions constituera «une expérience particulièrement dangereuse», nécessitant l'élaboration de mesures sanitaires supplémentaires qui devront être soumises à la Commission Européenne pour avis préalable, tout comme toute expérience individuelle ou programme d'expérimentations déterminés en vertu de la nouvelle réglementation;
     · La Directive du Conseil 89/618/EURATOM, concernant l'information de la population sur les mesures de protection sanitaire applicables et sur le comportement à adopter en cas d'urgence radiologique;
     · La Directive du Conseil, 85/337/CEE, concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement (à cet égard, il est reproché à la France une transposition imparfaite de cette directive dans le droit français et la non observation des dispositions de la directive dans le présent cas);
p.4

     · L'absence de prise en compte de l'opposition de la Suisse et, en particulier, des associations de protection de l'environnement, de médecins, de scientifiques et des autorités des Villes de Genève et Lausanne, Lancy, La Chaux-de-Fonds et autres communes dans l'enquête publique et dans les procédures de consultation pour le redémarrage de Superphénix, en contradiction avec les principes du droit international qui sont à la base du droit communautaire;
     AYANT DÉPOSE PLAINTE auprès de la Commission Européenne à propos du manquement de la France au droit communautaire;
     CONSIDÉRANT que cette matière ressort du champ d'activités des Communautés et affecte directement les intérêts des pétitionnaires;
     LES PÉTITIONNAIRES DEMANDENT AU PARLEMENT EUROPÉEN:
     · de demander à la Commission Européenne, en procédure d'urgence, de prendre toutes mesures utiles incluant, si nécessaire, l'ouverture d'une procédure à l'encontre de la France devant la Cour de Justice des Communautés Européennes en application des Articles 169 du traité CE et 141 du traité EURATOM en vue de voir déclarer le manquement de la France à l'égard de ses obligations et obliger la France à n'autoriser le redémarrage ou à ne procéder à ce redémarrage qu'après s'être soumise à ses obligations;
     · de demander à la Commission Européenne d'informer le Parlement Européen sans délai et par écrit, de son opinion sur cette plainte et des mesures qu'elle se propose d'adopter à ce sujet;
     · d'instituer une Commission d'Enquête conformément aux Articles 138c du Traité CE et 107b du traité EURATOM, afin d'enquêter sur l'exécution par la France de ses obligations communautaires dans la procédure relative à Superphénix et de rédiger un rapport à ce sujet.
Les pétitionnaires
ASSOCIATIONS:
WWF - Section de Genève, APAG, APPEL DE GENEVE, (Association de scientifiques). L'AVENIR EST NOTRE AFFAIRE, (Association de femmes). CONTRATOM. FRAPNA (FÉDÉRATION RHÔNE-ALPES DE PROTECTION DE LA NATURE). MÉDECINS EN FAVEUR DE L'ENVIRONNEMENT (2.500 médecins en Suisse). IPPNW - PSR (SUISSE). Physicians for social responsibility, (2.500 médecins en Suisse). SPE (SOCIÉTÉ DE PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT), GENÈVE. WWF (AUTRICHE, ALLEMAGNE, BELGIQUE, DANEMARK, ESPAGNE, FRANCE, GRÈCE, ITALIE, PAYS-BAS, ROYAUME-UNI, SUEDE, SUISSE).

COLLECTIVITES PUBLIQUES:
VILLE DE: GENÈVE, LAUSANNE, LANCY, LA CHAUX DE FONDS.
COMMUNE DE: AVULLY, CIHENE-BOURG, CHENE-BOUGERIES, CONFIGNON, PUPLINGE, RUSSIN, THONEX.

SIGNÉ, le 24 mars 1994 par S.C.P. Huglo Lepage & Associés et S J Berwin & Co pour les pétitionnaires

p.5a

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