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N°137/138

A.C.R.O.
Lettre au préfet de Seine Maritime
Objet: Terrains Bayard à Saint Nicolas d'Aliermont

     Lors de la réunion du 7 juillet 94 l'A.C.R.O. a fait part de son désaccord sur le seuil envisagé par le ministère de la santé pour la décontamination des anciens terrains Bayard à Saint Nicolas d'Aliermont.
     A la demande de la DRIRE et de la DDASS, l'A.C.R.O.a adressé ses observations sur ce projet le 17 juillet en insistant sur la nécessité d'une analyse plus sérieuse des risques sanitaires encourus.
     Nous nous étonnons de voir les travaux engagés dès le 2 août sur la base d'un seuil de décontamination (5 Bq/g) présenté en réunion comme simple projet alors que ce seuil est contestable au regard des normes sanitaires applicables.
     Afin que chacun puisse avoir un jugement clair sur l'évolution de cette affaire, il importe de savoir si ce seuil est définitif
     et dans l'affirmative, si une autorisation de construire des logements sur les terrains concemés sera accordée.
Rouen le 19 août1994.
p.16a

Communiqué de la préfecture:
Décontamination du site BAYARD à Saint Nicolas d'Aliermont
     A l'issue d'études approfondies menées sur le site de l'ancienne usine Bayard et de l'usine Couaillet Mauranne à Saint Nicolas d'Aliermont, la Préfecture de Seine Maritime a confié à l'ANDRA (Agence pour la gestion des déchets radioactifs) la maîtrise d'ouvrage des opérations de décontamination de ces sites.
     Ces opérations qui vont débuter mardi 2 août 1994 consistent à retirer à l'aide de petites pelleteuses mécaniques, la terre contaminée par des résidus de radium 226 incorporés dans les peintures luminescentes utilisées dans la fabrication des aiguilles et cadrans de réveils et de montres.
     Deux pièces d'un des bâtiments de l'usine Couaillet Mauranne, toujours en activité, seront également décontaminées par enlèvement du carrelage et grattage des murs.
     L'ensemble des déchets radioactifs issus de ces opérations d'assainissement sera mis dans des conteneurs métalliques provisoirement entreposés sur place dans un local surveillé et contrôlé, ayant leur prise en charge par l'ANDRA.
     La durée de ces opérations sera d'environ six semaines. Elles seront suivies par des analyses de mesures de la radioactivité effectuées par l'OPRI (Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants) qui devront déterminer si les normes sanitaires édictées par la Direction Générale de la Santé (DOS) ont été respectées.
     La période de ces travaux a été choisie en raison de la fermeture de l'usine Couaillet Mauranne pendant les congés d'été.
1er août 1994.
p.16b

Communiqué de prresse de I'A.C.R.O.
     En décembre 93, l'A.C.R.O diffuse les résultats de mesures de radioactivité effectuées sur un terrain de l'ancienne usine des réveils Bayard à Saint Nicolas d'Aliermont (Seine-Maritime), où un lotissement est en projet.
     Le sol est pollué par du radium 226, cette contamination allant jusqu'à 8.500 fois la normale.
     Le 2 août 1994 les opérations de décontamination, coordonnées par le Préfet, ont démarré; l'ANDRA procède au décapage du terrain, la terre ainsi enlevée et triée est provisoirement stockée dans les fûts.
     L'objectif des pouvoirs publics est d'atteindre une contamination résiduelle de 5 becquerels par gramme de terre selon une note technique élaborée par le Ministère de la santé.
     L'ACRO, qui avait demandé à être consultée sur ce sujet a fait valoir en juillet 1994 que ce niveau de contamination est incompatible avec la présence de pavillons; en effet sur le site la contamination résiduelle en radium pourrait atteindre des niveaux 50 fois supérieurs à une situation normale.
     Rappelons que le radium comme le plutonium sont des isotopes parmi les plus radiotoxiques qui soient, le radium 226 l'étant 3 fois plus que le plutonium 239 s'il est ingéré.
     Les bases de calcul servant à définir le seuil de décontamination retenu ne prennent en compte que le risque d'irradiation externe, sans envisager les autres voies d'incorporation possibles (inhalation, ingestion).
     C'est un oubli inadmissible!
     et bien sur, les travaux d'assainissement se font sans tenir compte de nos remarques sur les insuffisances de l'évaluation du risque sanitaire, entre autres:
     - absence de détermination des groupes à risque (enfants, résidents) ainsi que des durées d'exposition les plus pénalisantes.
     - absence de mesure de contamination et transfert dans les végétaux, notamment les légumes.
     L'ACRO demande que le niveau de pollution résiduelle soit révisé à la baisse et repose sur une analyse plus sérieuse des risques sanitaires encourus.
     Le changement d'appellation du service ayant, en théorie, en charge la protection radiologique des populations (S.C.P.R.I transformé récemment en O.P.R.I) n'a pas semble-t'il modifié les pratiques.
     L'ACRO constate que les dispositions actuellement retenues par les pouvoirs publics à Saint-Nicolas-d'Aliermont ne permettent pas de respecter la réglementation sanitaire en vigueur et les recommandations faites au niveau international.
     Il convient en l'occurrence de faire prévaloir la protection sanitaire des populations sur l'aspect financier de cette opération de décontamination.
ACRO - 17 août 1994.
p.16c

Mines d'uranium du Limousin
Résultats de l'étude radioécologique
conduite par le laboratoire de la CRII-RAD
     
Objectifs de l'étude
     Pendant une trentaine d'années, la COGEMA a exploité au nord de Limoges, en Haute-Vienne, une cinquantaine de mines d'uranium. Devenue moins rentable, cette activité est aujourd'hui en cours de cessation.
     C'est dans ce contexte que le Conseil Régional de la Haute-Vienne a confié au laboratoire de la CRII-RAD la réalisation d'une étude radioécologique sur la division minière de la Crouzille.
     Les prélèvements ont été effectués de janvier à août 1993. Compte tenu de l'étendue de la division de la Crouzille et du grand nombre de sites miniers, il ne pouvait être question de dresser un bilan exhaustif. L'étude devait avant tout permettre:
     1. d'évaluer la nature et l'activité des déchets radioactifs entreposés sur les sites
     2. d'identifier les principaux risques, dans la perspective de la fermeture des sites et de leur réaménagement.
     3. de caractériser l'état radiologique du site de Bessines, site minier où fonctionnait depuis 1958 (et jusqu'à 1993) une usine de traitement (usine SIMO).

Une région à risque
     Les analyses réalisées hors influence des sites miniers ont montré que les populations de la région sont déjà exposées à une radioactivité naturelle nettement supérieure à la moyenne. L'exposition est liée principalement à l'inhalation de radon et à l'irradiation exteme à partir des sols.
     Dans ce contexte, le surcroît de rayonnement induit par les activités minières devrait être contrôlé de façon rigoureuse. L'étude a montré que tel n'est pas le cas. Cette situation est au contraire utilisée par l'exploitant pour banaliser les surcroîts d'exposition dus à ses activités.

A. Les exploitations minières ont généré des masses considérables de déchets radioactifs
     L'exploitation minière conduit à l'extraction et à l'accumulation de stériles et de résidus. Les stériles correspondent à des blocs beaucoup plus radioactifs que des roches normales mais dont la teneur en uranium est insuffisante pour que l'extraction soit rentable.
     Les résidus correspondent au minerai uranifère, tel qu'il se présente après que l'uranium ait été extrait la roche a été réduite à l'état de sable. Il est essentiel de retenir que l'extraction de l'uranium n'enlève, au maximum, que 20 à 25% de la radioactivité initiale. Cette opération augmente par contre considérablement la dangerosité du matériau. Les produits radioactifs se trouvent à l'origine bloqués en profondeur, prisonniers de la gangue minérale. Une fois la roche extraite et finement broyée, ils deviennent au contraire particulièrement mobiles: émanation de radon, envol de poussières, lessivage par les eaux,... tout ces transferts se trouvent facilités. Les risques d'irradiation et de contamination des populations sont sans commune mesure avec la situation antérieure.
     Les analyses effectuées ont montré que les niveaux d'activité sont généralement supérieurs à la limite des 100.000 Bq/kg fixés par la réglementation pour les substances radioactives autres que les substances naturelles. Ces matériaux doivent donc être répertoriées et surveillés comme des déchets radioactifs. Plusieurs échantillons présentent même des concentrations de plusieurs millions de becquerels par kilo.

suite:
     La gestion de ces déchets doit être d'autant plus rigoureuse qu'il s'agit de radionucléides à haut risque sanitaire. Il faut en effet souligner que 9 des 24 radionucléides identifiés appartiennent à la classe 1, qui regroupe les produits les plus radio-toxiques de la nomenclature.
     Les analyses ont révélé diverses anomalies: niveaux d'activités plus élevés que ceux déclarés par l'exploitant; échantillons présentés comme des stériles (activité inférieure à 4.000 Bq/kg) alors qu'il s'agissait de résidus dont l'activité s'élève à plusieurs millions de becquerels par kilo; accès impossible à la plupart des enfouissement (et donc impossibilité de vérifier la présence de déchets interdits); etc.

B. Pas de centre de stockage pour les déchets miniers
     Si l'on en croit les déclarations de l'exploitant, plus de 20 millions de tonnes de résidus radioactifs sont entreposés sur la division minière de la Crouzille.
     Près de 6 millions de tonnes de déchets ont été déversés dans l'ancienne mine à ciel à mine ouvert du Brugeaud, près de Bessines. On peut estimer que la radioactivité totale de ce «stockage» d'élève à plus de 70.000 curies: 70 fois la limite fixée pour les stockages les plus dangereux, c'est-à-dire les INB (Installations Nucléaires de Base). A cela s'ajoutent les 8 millions de tonnes amoncelées sur les verses.
     Le stockage de Bellezanes peut s'évaluer à 8.000 curies. Là encore la limite des 1.000 curies fixée pour les INB est largement dépassée.
     Or aucun de ces sites ne bénéficie du statut d'INB, les résidus miniers n'ont jamais été considérés officiellement comme des déchets radioactifs et par conséquent aucun aménagement n'a été réalisé pour les recevoir et assurer leur confinement.
     Selon les cas, les déchets miniers ont été:
     - amoncelés à même le sol jusqu'à constituer d'énormes verses, propices à la diffusion du radon et aux envol de poussières radioactives.
     - déversées dans les excavations des anciennes mines à ciel ouvert: les analyses réalisées à Bellazane ont montré que ce type de stockage n'est pas étanche et que les boues s'infiltrent dans les galeries sous-jacentes.
     - injectés dans certaines galeries souterraines.
     Les analyses effectuées sur les eaux brutes montrent que l'eau, au contact des résidus, se charge de radionucléides. Tant que l'eau est pompée puis traitée, le problème est maîtrisé mais dès que le site est fermé, les galeries sont noyées et l'eau radioactive peut s'écouler en profondeur.
     Quel que soit le cas de figure, rien n'a été fait pour isoler les eaux souterraines et les préserver, ne serait-ce qu'à court terme, des risques de contamination. Or, les produits radioactifs présents dans les déchets miniers vont rester dangereux pendant des centaines de milliers d'années: il faut ainsi 75.000 ans pour que la radioactivité du thorium 230 soit divisée par deux; 4,5 milliards d'années pour l'uranium 238.


     Nota: Les risques chimiques, liés à la présence de métaux lourds, d'arsenic et des diverses substances chimiques n'ont pas été étudiées dans le cadre de cette étude mais devraient eux aussi être pris en compte.
p.17

C. L'étude montre que l'impact des activités minières sur l'environnement n'a pas été correctement surveillé
     L'extraction et le traitement de l'uranium augmentent l'exposition des populations riveraines. L'étude a permis d'identifier les différentes voies d'exposition et de constater que les prescriptions réglementaires sont souvent restées lettre morte.

1. Irradiation externe
     L'obligation préfectorale de mesurer le rayonnement en limite de site n'est pas respectée: les stations de contrôle sont souvent situées à plusieurs centaines de mètres des limites, c'est-à-dire hors influence du rayonnement. Bien souvent, en outre, les sites ne sont pas correctement clôturés et permettent l'accès à des zones dangereuses.
     Les mesures radiométriques réalisées en périphérie du site SIMO et sur la route de Lavaugrasse font apparaître des dépassements de la limite réglementaire fixée en France à 5 mSv/an (1 mSv/an au niveau international).
     Par ailleurs, le dispositif de contrôle ne prend pas en compte les sources de diffuses d'irradiation: notamment l'irradiation provoquée par la réutilisation des stériles ou des résidus pour la construction ou les travaux publics.

2. Inhalation du radon
     Les mesures effectuées autour du site SIMO de Bessines montrent que l'impact s'étend à plusieurs centaines de mètres, avec des valeurs allant de 3 à 25 fois le bruit de fond naturel de la région.
     Compte tenu de ces valeurs, les doses reçues par les riverains sont susceptibles de dépasser les limites réglementalres (ces limites fixent le niveau à partir duquel le risque cancérigène et génétique est trop élevé pour être toléré).
     Les résultats de l'exploitant (absence d'impact) s'expliquent par une méthodologie incorrecte réseau inadapté et choix d'une station de référence - Rilhac-Rancon - située hors de la division mais caractérisée par un fort taux de radon qui permet de gommer l'impact des sites.

3. Inhalation de poussières radioactives
     Là encore, alors que les contrôles officiels sont négatifs, les analyses effectuée sur des mousses (capteurs de poussières) révèlent la marque des envols de poussières radioactives à partir du site.
     Les mesures de la CRII-RAD ont également permis de repérer l'impact des transports de minerai et de résidus le long des itinéraires empruntés par les camions. Là encore cette voie de contamination n'a pas été prise en compte dans les contrôles, l'exploitant qualifiant de «négligeable» et «d'indécelable» la contamination provoquée par le passage des camions.

4. Contamination du milieu aquatique
     Les activités minières ont généré de très grandes quantités d'effluents liquides. Ces effluents doivent être traités avant rejet dans les cours d'eau afin de diminuer leur radioactivité. Les quelques contrôles effectués ont permis de mettre en évidence des dépassements des limites de contamination (l'exploitant était pourtant prévenu des dates et lieux des prélèvements).
     Encore une fois, les résultats présentés par l'exploitant ne rendent pas compte de la réalité. Dans la lettre de la Crouzille, les résultats comparés aux limites réglementaires ne correspondent pas à la radioactivité des rejets, comme le prévoient les décrets, mais aux cours d'eau, c'est-à-dire aux échantillons obtenus après dilution!
     L'impact de ces rejets sur les ruisseaux de Bellezane, des Petites Magnelles et sur le cours de la Gartempe est très net. Les sédiments prélevés dans les deux ruisseaux ont des niveaux de contamination analogues à certains résidus miniers et devraient être traités comme des déchets radioactifs. 

suite:
Le régime plus torrentiel de la Gartempe a favorisé la dispersion des radionucléides les niveaux sont plus faibles mais la contamination est mesurable sur tous les points contrôlés, jusqu'au confluent avec la Brame.

Conclusion
     La réglementation impose d'évaluer les doses de rayonnement qu'une personne est susceptible de recevoir du fait des activités minières.
Les contrôles réglementaires sont effectués par le CRPM (Centre de Radio-Protection dans les Mines - désormais appelé Algade), laboratoire choisi par l'exploitant et créé en son sein. L'étude a démontré que ces contrôles ne permettaient pas à l'Administration de connaître l'impact des sites sur l'environnement ni d'évaluer les doses reçues de ce fait par les populations.
     L'étude documentaire réalisée sur les dossiers détenus par la DRIRE a révélé que pendant des années, l'exploitant est resté maître d'oeuvre du contrôle de ses activités. A aucun moment il n'a eu à rendre compte des dysfonctionnements de sa gestion et des infractions aux dispositions réglementaires: les zones d'influence des sites n'ont jamais été déterminées, ni pour les pollutions atmosphériques, ni pour la contamination des eaux souterraines; le système de calcul des expositions ajoutées est incorrect; les stations de mesures sont placées et déplacées sans justification, etc.

D. Le devenir des sites
     Le réaménagement des sites s'inscrit parfaitement dans ce contexte: absence de dossier scientifique, de cahier des charges, de règle fondamentale de sûreté, aucune réglementation ad hoc, pas de consultation des populations et de leurs représentants sur la création de sites de stockage, etc.
     L'exploitant semble avoir en carte blanche et procède au réaménagement des sites au fur et à mesure de leur fermeture.
     Ces opérations se résument pour l'essentiel à la couverture des déchets. Rien n'est prévu pour la pollution liée aux infiltrations d'eau. La circulation des eaux souterraines n'est pas connue, le réseau hydrologique n'a pas été correctement étudié. Nous n'avons aucun dossier sur la stabilité des ouvrages, les choix de radioprotection, la gestion, l'entretien et le contrôle des sites après fermeture, leur statut, etc.
     A moins de réagir très vite les populations se trouveront mises devant le fait accompli.
     Il est important d'exiger:
     - La réalisation d'études complémentaires, tant sur les plans radiologiques que chimiques, permettant de poser un diagnostic sur l'ensemble de la division de la Crouzille.
     - Une concertation préalable sur le devenir des sites miniers et la création de lieux de stockage définitifs: à quelles conditions, avec quels contrôles et quelles garanties?
     - La définition, par les autorités, de règles fondamentales de sûreté et d'un cahier des charges précis auquel l'exploitant devra se conformer.
     La constitution de dossiers scientifiques permettant d'apprécier les risques liés à la présence des déchets et de déterminer les meilleurs procédés pour limiter les transferts vers les populations.
     - La transparence totale de tous les dossiers qui vont conditionner la protection des populations actuelles et de leurs descendants.
     - La participation de scientifiques indépendants des exploitants.
     L'état de délaissement actuel est particulièrement préoccupant. L'adrninistration a une lourde responsabilité; il est urgent qu'elle définisse un minimum de règles du jeu. Quant aux populations, et à leur représentants, il est essentiel qu'elles s'imposent dans les processus de décisions, faute de quoi c'est une logique purement économique qui décidera du réaménagement de leur lieu de vie et de leur protection contre les pollutions.

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Références:
 · L'intégralité de l'étude réalisée par la CRII-RAD (5 volumes) est disponible auprès du service de documentation du Conseil Régional du Limousin (27 boulevard de la Corderie, 87031 LIMOGES) et du Conseil Général de Haute-Vienne (43 avenue de la Libération, 87000 LIMOGES)
 · Une synthèse d'une quinzaine de pages peut-être consultée aux adresses ci-dessus ou demandée à la CRII-RAD, 371 avenue V. Hugo, 26000 Valence (contre 20,00 F de frais d'envoi et de photocopies).
Le nouvel arrêté
régissant la décharge radifère de Gueugnon
Olivier Daillant
     Un nouvel arrêté préfectoral régissant la décharge radifère de Gueugnon (71/ Saône-et-Loire) a été signé le 20 avril 1994; il mérite d'être brièvement présenté et commenté, car il présente un certain nombre d'éléments nouveaux: non seulement il semble appliquer la loi dans son esprit et ne contient pas d'erreurs, ce qui est une première en Saône-et-Loire (en matière de nucléaire s'entend), mais il pose certains principes qui pourraient être repris ailleurs sur des sites comparables. Alors, pour une fois qu'il y a quelque chose de positif dans le paysage nucléaire français, pourquoi ne pas en parler?
     Rappels sur Geugnon: La COGEMA y a exploité de 1954 à 1980 une usine de raffinement du minerai d'uranium (production de «yellow cake»). Les résidus de ce traitement ont tout naturellement été remplir des gravières situées à proximité immédiate. Ces résidus sont logiquement composés - outre les résidus chimiques de précipitation - des différents radioéléments des familles de l'uranium 238 et du thorium 232, à l'exception des isotopes de l'uranium. En 1980 l'exploitation a cessé et un premier arrêté (4/9/1980) a autorisé le démantèlement de l'usine, qui a été enterrée au milieu de ses propres déchets. En 1987 (28/8), un autre arrêté fixait un certain nombre de prescriptions techniques prétendues garantir l'environnement au voisinage du dépôt. En fait, cet arrêté prévoyait un suivi on ne peut plus sommaire de la radioactivité: les seuls radioéléments dont le suivi était imposé étaient le radium 226 et l'uranium 238 (le moins présent puisqu'ayant fait l'objet d'une séparation); pour le reste, différentes positions sur la clôture et l'aménagement du site étaient fixées, la plupart n'ayant jamais été appliquées comme il est (était?) de coutume en France.
     Ainsi en 1989, les clôtures n'étaient-elles toujours pas complètes, l'aménagement des abords inexistant et la couverture végétale pour le moins parcellaire; pour couronner le tout, les lapins avaient creusé de nombreux terriers, mettant à nu l'intérieur de la décharge. C'est à ce moment que celle-ci avait fait quelque bruits dans la presse et qu'une campagne de mesures avait été confiée par des associations locales à un laboratoire d'analyses indépendant. Certains résultats d'analyses étaient impressionnants: la terre à la sortie de terriers de lapin avait une activité de plus de 11.000 Bq/kg en radium 226; les mesures de radon donnaient des résultats auxquels on est plus habitué dans des habitations sur terrain granitique qu'à l'air libre (environ 480 Bq/m3 sur le site); les éléments les plus contaminés de la chaîne alimentaire étaient des champignons (Coprins en particulier), pouvant avoir une activité de plus de 600 Bq/kg en plomb 210 mesuré sur la matière sèche.
suite:
     A l'époque la COGEMA avait réagi comme souvent en se voulant rassurante et en étayant son argumentation de quelques déclarations mensongères, par exemple en affirmant que la recommandation de la Commission Européenne sur la concentration de radon admissible dans les maisons était de 700 Bq/m3 (Le Progrès 13/5/90), alors quelle est de 200 et de 400 selon qu'il s'agit d'un bâtiment neuf ou ancien.
     Cela n'a pas empêché la machine administrative de se remettre en marche et la DRIRE semble s'être mise au travail avec beaucoup de méticulosité.

Contenu de l'arrêté
     Le texte contient toute une série de prescriptions relatives tant à l'aménagement matériel du site qu'aux contrôles de radioactivité.
     Sur l'aménagement du site: prescriptions très précises pour réaménager le site là où les lapins ont creusé des terriers et pour empêcher qu'à l'avenir des galeries ne soient creusées; enfin, espérons que «toutes dispositions (...) pour prévenir le creusement de terriers» seront suffisantes pour empêcher les lapins de gratter!
     Concernant la stabilité des berges de la rivière Arroux, passant à quelques mètres du bord du site, des relevés topographiques sont imposés une fois par an.
     Sur les mesures de contrôle de la radioactivité:
     - Quelques dispositions «classiques» d'abord: un réseau piézométrique est prévu ainsi que des mesures régulières de l'eau de l'Arroux; l'élément intéressant est que le plomb 210 devra être mesuré dès dépassement de la concentration moyenne annuelle en radium soluble; il aurait peut-être été préférable que le plomb 210 soit analysé d'office, mais au moins cet élément fait-il son apparition dans un texte, ce qui est très important au vu de sa radiotoxicité: la limite annuelle d'incorporation est de 3.000 Bq selon la directive européenne, de 2.000 Bq selon la loi française et passera sans doute à 600 Bq lorsque les dernières recommandations de CIPR seront reprises dans les textes européens.
     - Les mesures de radon sont introduites (inexistantes dans l'arrêté de 1980). En cas de dérive significative, des mesures de flux de 222Rn sont imposées, ainsi qu'un examen du facteur d'équilibre entre le radon et ses descendants à vie courte. Il est intéressant de noter l'apparition dans le texte d'un arrêté du concept de dérive significative.

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     - Par ailleurs, la surveillance de la radioactivité est imposée dans certains bio-indicateurs (il semblerait que ce soit là aussi une première): les sédiments des gravières situées en aval, bien sûr, mais aussi les poissons s'y trouvant (connus pour concentrer certains radioéléments dont le radium), les plantes potagères à racines (carottes, connues pour concentrer le radium et le plomb 210) ou à grande surface foliaire (salades, choux) et les champignons: le groupe des agarics (rosés des prés) parce qu'ils sont souvent consommés et des coprins, car c'est dans ces derniers que les concentrations les plus fortes de radioactivrté ont été révélées par les analyses. Ces contrôles doivent être effectués au moins une fois tous les deux ans et porteront «a minima» sur le 238U, le 226Ra et le 210Pb. Ce concept a minima mérite aussi d'être relevé, puisqu'il implique qu'en cas de concentration anormalement élevée, d'autres éléments devront être analysés.
     - Le principe d'analyses contradictoires est clairement posé dans l'article 4: il peut avoir lieu sur demande de l'inspecteur des installations classées, mais un bilan contradictoire sera en tout état de cause établi tous les cinq ans par un laboratoire extérieur agréé.
     - Le Taux Annuel d'Exposition Totale Ajoutée fait son apparition dans le texte: il s'agit de l'application du principe général de radioprotection selon lequel la somme des expositions internes (à des radioéléments différents ayant des LAI différentes) et externe ne doit pas aboutir à un dépassement de l'exposition totale. Cela semble évident, mais c'est rarement dit et encore plus rarement appliqué dans les textes. Ajoutons un autre élément conforme à l'esprit des règles de radioprotection: pour l'eau potable, l'arrêté admet qu'une personne du public consomme 2,2 l par jour pendant 365 jours par an et pour l'inhalation, l'arrêté admet qu'une personne du public séjourne aux abords du site 7.000 heures par an en inhalant 0,8 m3 d'air par heure.
     - Pour terminer, l'article 11 prévoit la publicité de l'arrêté outre les dispositions habituelles, un avis doit être publié dans deux journaux régionaux, indiquant où les prescriptions imposées peuvent être consultées.
     Pour résumer, alors que l'ancien arrêté n'imposait que des mesures d'uranium et de radium dans l'eau, le nouveau texte impose des analyses d'uranium, de radium, de radon 220 et 222 et de leurs descendants à vie courte, de plomb 210 et de polonium 210, tout cela «a minima». En cas de dérive, des analyses de flux de radon sont prévues, ainsi que des analyses des autres radioéléments de la famille de l'uranium. Les milieux contrôlés sont non seulement le milieu aquatique mais aussi l'air, les sédiments, les bio-indicateurs, la chaîne alimentaire et le rayonnement extérieur. Le principe d'analyses contradictoires est énoncé. Une annexe fixe les servitudes et interdit en particulier toute construction de bâtiment et toute activité agricole, ce jusqu'à ce que les causes ayant rendu nécessaires ces servitudes aient totalement été supprimées (donc dans quelques millénaires).
suite:
     On peut simplement regretter que les radioéléments de la chaîne du tliorium n'aient pas été inclus; il semblerait que la DRIRE ne souhaitait pas alourdir le texte, estimant que les éléments de cette famille ne seraient pas surreprésentés si les taux de radioéléments de la chaîne de l'uranium restaient présents à une concentration «normale». Le texte pourrait être critiqué aussi pour un autre élément: il part des chiffres d'activité massique des résidus officiellement admis: 495 Bq/kg. Si l'on pense que le dépassement de la limite de 500 Bq/kg entraîne le classement dans une autre rubrique de la nomenclature, il est permis de se poser des questions sur le chiffre officiel de 495 Bq/kg; il ne sera toutefois jamais possible de connaître l'activité exacte présente dans le site.
     De toute façon, l'arrêté se base sur la législation actuelle et la modification des textes européens semble imminente: le texte du projet de règlement a été soumis au Parlement Européen pour avis et la procédure devrait suivre son cours. Il est quasiment certain que les limites actuelles devront être divisées par 5. L'arrêté devra alors être modifié dans ce sens et ce pourrait être l'occasion de le compléter en ajoutant par exemple les radioéléments descendants du thorium.
     Là n'est cependant peut-être pas le problème principal: il est en effet fort probable que certaines analyses auront mis en évidence des activités dépassant les limites qui seront alors imposées (pour des champignons, les LAI seraient atteintes avec la consommation d'un peu plus d'un kg par an si les résultats sont les mêmes qu'en 89/90). Le problème de l'héritage nucléaire de posera alors dans toute son ampleur: une situation de fait à laquelle rien ne peut remédier, du moins pour ce site. Mais cela permettra de susciter la réflexion avant d'en créer d'autres: au niveau de la Saône-et-Loire, la COGEMA envisage par exemple d'ouvrir une exploitation minière à St Symphorien-de-Marmagne.
     De plus, même si l'on ne doute pas de longévité du Service des Installations Classées (l'art. 4 b de l'annexe 3 dispose: «les servitudes ne pourront être levés que par suite de la suppression totale des causes ayant rendu nécessaire l'établissement des présentes servitudes et après avis du Service des Installations Classées»; la suppression des causes sera en l'occurrence la disparition du radium au bout de x périodes de 1600 ans - x dépendant de la quantité initiale. Rappelons que le fameux «10 périodes» ne représente qu'un facteur 1.000!), il est évident que tôt ou tard les mesures de contrôle tomberont dans l'oubli; plus les prescriptions seront sévères, plus il y a de chances que cette échéance soit lointaine: mieux vaut que la décharge soit oubliée dans 200 ou 300 ans que dans 50 ou 60...
     A notre avis cet arrêté apporte des éléments positifs, non seulement pour le site mais pour d'autres décharges ou exploitations; si les associations de protection de l'environnement poussent à la roue et que les nouvelles générations d'ingénieurs responsables des installations classées ont un esprit plus ouvert, ce texte pourra servir de source d'inspiration pour bien d'autres sites.
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