Un bilan des conséquences sanitaires de l'accident
de Chernobyl
Denis Bard, Pierre Verger, Philippe Hubert - Avril 1994
Département de Protection de la Santé de
l'Homme et de Dosimétrie (DPHD)
Populations exposées
Aux personnels présents sur le site pendant les premières heures de l'accident et qui ont reçu des doses pouvant entraîner des effets aigus, il faut ajouter cinq catégories de populations exposées. En premier lieu, les "liquidateurs", groupe constitué par les personnels (dont une moitié de militaires) qui sont intervenus, pour la décontamination ou le nettoyage directement sur le site ou dans la zone des 30 km autour de l'installation. Leur nombre est estimé à environ 600.000 [UNSCEAR 1988]. La deuxième catégorie est celle des 115.000 personnes évacuées de la zone des 30 km, dont les habitants de Pripiat, localité située à 2 km de la centrale [UNSCEAR 1988]. Le troisième groupe comprend les 270.000 personnes qui continuent à résider dans des zones dites contrôlées, c'est à dire les zones dont le niveau de contamination en césium-137 est supérieur ou égal à 0,6 MBq/m2 (15 Ci/km2) et dans lesquelles sont appliquées des mesures de protection, en particulier des restrictions de consommation des denrées agricoles [ILYIN 1991]. Ces personnes sont continuellement soumises à une irradiation externe et interne. Un quatrième groupe de 3,7 millions de personnes vit dans des zones contaminées à un moindre degré: les mesures de protection y ont été moins draconiennes avec pour conséquence des doses reçues non négligeables (environ 50 mSv en moyenne) [SHUTOV 1993]. Le cinquième groupe est constitué par la population générale des 3 pays limitrophes (environ 280 millions de personnes en 1991). Ces habitants vivent sur des territoires dont le niveau de contamination en césium-137 est inférieur à 0,04 MBq/m2 (1 Ci/km2). Enfin il faut prendre en compte les populations d'Europe. Les niveaux de contamination en césium-137 se sont étagés entre 1 kBq/m2 environ (25 mCi/km2) et 0,04 MBq/m2 environ (1 Ci/km2). Dans ce dernier cas, se trouvent, par exemple, le Sud de l'Allemagne, l'Autriche et le Nord de l'Italie [UNSCEAR 88]. Le tableau 1 résume ces données. Tableau 1:
Les doses reçues sont estimées à
plus de 250 mSv pour 10% des liquidateurs, et de 100 à 250 mSv pour
30 à 50% de ceux-ci [AIEA 1991]. Pour les populations évacuées,
la dose reçue
(suite)
|
suite:
Des travaux sont en cours, notamment sur les liquidateurs ou les personnes évacuées de la zone des 30 km, pour reconstituer ou mesurer par diverses techniques dosimétriques (physiques ou biologiques) les doses individuelles reçues. Il est donc possible que de fortes variations individuelles soient constatées. Ceci a d'ailleurs été établi dans le cas particulier des doses à la thyroïde chez les habitants de la ville de Kiev [LIKHTAREV 1994]. De plus, ces estimations de dose efficace ne renseignent pas sur les doses reçues à divers organes. Effets induits par les rayonnements ionisants ou susceptibles
de l'être
Pathologie cardio-vasculaire
Malformations congénitales (MC)
p.18
|
Les malformations prises en compte dans l'étude
étaient les suivantes: anencéphalie, spina bifida,
fentes labiales et palatines, polydactylie, phocomélie, atrésie
oesophagienne, atrésie anale, trisomie 21 et malformations multiples.
Une augmentation significative de l'incidence de MC (tous types confondus)
avant et après l'accident a été constatée dans
les zones contaminées comme dans les zones témoins. Une analyse
de corrélation géographique a été effectuée,
à l'échelle du district, dans les zones contaminées
uniquement. Les indicateurs d'exposition moyenne par habitant et l'incidence
observée des MC n'étaient pas corrélés.
Discussion
Agrégats spatiaux - temporels de cas
(suite)
|
suite:
Au total, les clusters apparents rapportés dans la littérature n'ont pas été confirmés ni validés (erreurs de recueil de données ou d'interprétation?) [DOLL et al. 1990]. Ils sont, d'autre part, le fruit d'un double biais: biais de dépistage et biais de publication. Il est en effet inévitable, par le jeu des probabilités, que les équipes médicales cherchant à étudier les conséquences de Chernobyl dans les mois suivant l'accident, aient mis en évidence des clusters isolés et que leur publication ait été plus fréquente que celle de résultats négatifs [DOLK & LECHAT 1993]. Dans les pays d'Europe les plus exposés aux retombées, les doses in utéro sont évaluées à 0,2 mGy au maximum [DOLL et ai. 1990]. La survenue de malformations congénitales secondaires à l'accident de Chernobyl était donc très fortement improbable, et, bien entendu, l'est de plus en plus aux niveaux actuels d'exposition. Dommages au matériel génétique
Cancers
Doses reçues à la thyroïde
p.19
|
Dans la population de la ville de Kiev, une étude
de reconstruction des doses à la thyroïde a été
effectuée à partir de 2691 mesures par spectrométrie
[LIKHTAREV et al.1994]. Dans cette étude, la contribution
des iodes à vie courte n'a pas été prise en compte
(du fait de l'arrivée du panache sur la ville de Kiev 4 jours après
le début de l'accident et de leur décroissance radioactive
rapide). A Kiev, les résultats montrent une variation considérable
des doses individuelles sur 4 ordres de grandeurs. De plus, la distribution
des doses apparaît bimodale alors que dans l'étude précédente
[LIKHTAREV et al. 1993] elle est log-normale. La dose individuelle
moyenne à la thyroïde selon l'âge est présentée
au tableau 2.
Tableau 2:
Biélorussie. Dans les zones les plus fortement contaminées (14 districts des régions de Gomel et Mogylyov) la dose moyenne à la thyroïde est estimée à 0,3 Gy pour la population entière et à 0,7 Gy pour les enfants âgés de 7 ans ou moins au moment de l'accident [ILYIN 1991]. Pour cette tranche d'âge, la proportion d'enfants ayant reçu des doses à la thyroïde de plus de 30 mGy et de plus de 200 mGy est estimée à 50% et 8% respectivement. Russie. Dans les zones les plus contaminées, les doses moyennes à la thyroïde sont estimées à 0,1 Gy pour la population entière et 0,4 Gy pour les enfants âgés de 7 ans ou moins [ILYIN 1991]. ZVONOVA et BALANOV (1993) ont effectué des mesures à la thyroïde par spectrométrie et/ou comptage corps-entier dans la population de la région Tula (n = 677) dans les zones dont le niveau de contamination est compris entre 0.04 et 0.6 MBq/m2 (Tableau 3). La contribution de l'inhalation à la dose totale à la thyroïde a été estimé à 2 à 10%. Celle des iodes à vie courte ne représente, dans ces régions, que 10 % de la dose par inhalation. Tableau 3:
Incidence des cancers de la thyroïde de l'enfant en Biélorussie
et en Ukraine
(suite)
|
suite:
Pour les 9 premiers mois de 1993, 53 cas sont rapportés [KAPLIYEVA & ASTAKHOVA 1993]. En Ukraine, 4 à 9 cas par an étaient dépistés sur 1986-88, puis 21 en 1989, 38 en 1990, 40 en 1991 et 70 en 1992 [OLEYNIC 1993]. Des études épidémiologiques sur ce cancer ont commencé (études cas-témoin et de cohorte) pour quantifier l'excès de risque en tenant compte d'autres facteurs de risque potentiels, notamment la carence iodée. Mais la reconstitution des doses n'est pas terminée. Celle-ci ne pourra être faite que pour l'iode-131, en l'absence de données disponibles, pour les iodes à vie courte (essentiellement tellure-132 et iode-132) rejetés lors de l'accident [WILLIAMS et al. 1993]. Données disponibles sur le cancer de la thyroïde et les
rayonnements
Discussion
p.20
|
En appliquant les limites supérieures et inférieures
des intervalles de confiance à 90 % des coefficients de risque absolu
minimum et maximum calculés dans l'ensemble des études effectuées
sur le cancer de la thyroïde chez l'enfant [SHORE 1992], on peut s'attendre
à observer un excès compris entre 0 et 78 cas par an chez
27.000 enfants.
Si l'on applique les bornes supérieures est inférieures du coefficient de risque très significatif obtenu dans l'étude des Iles Marshall, on obtient un excès attendu compris entre 2 et 12 cas par an pour 100.000. Le détail des calculs figure en Annexe 1. Conclusion
Leucémies
Autres cancers
(suite)
|
suite:
On peut s'interroger sur le risque de survenue de cancer in situ selon la voie de contamination (inhalation ou ingestion) par exemple les cancers du poumon, ou du tube digestif, ou encore à localisation n'importe où dans l'organisme selon la nature soluble ou insoluble de la particule considérée, l'affinité particulière de tel radio-élément conduisant à une localisation préférentielle dans un organe ou tissu particulier. Sur ces questions, les données expérimentales et épidémiologiques sont rares. En tout état de cause, les connaissances disponibles donnent à penser que l'augmentation d'incidence de tels cancers chez des populations significativement exposées resterait faible. Leur mise en évidence est donc problématique. Effets indirects
Effets stress
Autres manifestations
Avortements volontaires
p.21
|
De nombreuses études épidémiologiques
ont débuté ou sont prévues dans les trois pays de
l'ex-URSS les plus touchés par la catastrophe. Elles portent sur
5 thèmes principaux: les cancers tnyroïdiens, les leucémies,
les effets de l'irradiation foetale in utero, la santé bucco-dentaire,
et les atteintes du cristallin.
Ces études ont pour but de fournir dans la mesure du possible, des réponses aux questions exposées plus haut en ce qui concerne le cancer de la thyroïde, de vérifier qu'il n'existe pas d'excès décelable d'autre pathologie chronique. Elles sont menées sous l'autorité de l'OMS (programme IPHECA), et impliquent de nombreux partenaires internationaux, Européens, Nord - Américains et Japonais, des pays de l'ex-URSS les plus concernés. Les études sont conduites en population générale d'une part, chez les "liquidateurs" de la centrale accidentée d'autre part. |
L'IPSN est impliqué dans trois des
projets soutenus par l'Union Européenne. Le premier (ECP-7) vise
à aider à la mise en place d'études épidémiologiques
dans les trois Républiques concernées, avec une triple mission
initiale:
ï vérifier la faisabilité d'études à visée analytique; ï recenser les études en cours ou projetées par ailleurs; ï initier une étude cas-témoin sur la leucémie chez les "liquidateurs" en Russie et Biélorussie, les liquidateurs ukrainiens étant sur ce point de vue étudiés par les Américains. Cette étude s'articule avec deux autres, portant l'un sur la dosimétrie biologique (ECP-6), l'autre sur la reconstitution des doses (ECP-10). En dehors de ces études sur les effets biologiquement plausibles, rien ne semble prévu sur le plan international pour étudier les effets indirects (stress, nutrition...), ni d'enquêtes conduites pour répondre aux interrogations, voire à l'angoisse des populations, dans une problématique de santé publique, comme cela a été fait à TMI, ou à Sellafield. Enfin, il ne semble pas non plus prévu d'étudier l'excès de très nombreuses pathologies dont font état de nombreux médecins des pays de la CEI. p.22
|