La G@zette Nucléaire sur le Net!  
N°145/146, novembre 1995
Etat des activivités de l'IPSN concernant les résidus miniers

Département de l'environnement et des installations
Jean-Claude Barescut
(24 janvier 1995)

1. Situation du problème
     L'exploitation minière donne naissance à deux types de résidus. Le premier dénommé «stériles» est constitué des roches trop pauvres pour être exploitées mais qui ont du être déplacées pour donner accès au minerai ce type de résidus ne pose pas de problèmes. Le second type est constitué de roche finement broyée ayant été soumise à l'action de divers réactifs chimiques. Seul l'uranium est extrait les autres éléments et en particulier le radium restent dans les résidus.
     Les résidus sont mis en tas à proximité des usines de concentration ou transportés vers des sites proches appropriés. Une usine étant commune à plusieurs sites d'extraction, les résidus ne sont donc pas nécessairement stockés sur leur site d'extraction. Il peut même s'agir dans certains cas de résidus de traitement de minerais importés, comme ce fut le cas pour l'usine du Bouchet (Essonne). Les résidus, qui se présentent initialement sous forme d'une boue à l'issue des opérations de séparation, sont sédimentés dans des bassins barrés si nécessaire par des digues. Les bassins sont remplis progressivement pendant la durée d'exploitation des sites.
     En France, l'activité minière a fortement décru pour des raisons économiques ces dernieres années, des minerais beaucoup plus riches étant disponibles à l'étranger. Les sites miniers sont donc en voie de fermeture et de réaménagement.

1.1. Les nuisances des résidus
     Il y a en France 50 millions de tonnes de ces résidus. Leur activité est de l'ordre de 10 à 100 Bq/g en thorium et radium. Il s'agit d'éléments de très longue durée de vie: le Ra 226 a une demie vie de 1.600 ans, son élément père le Th 230 a une durée encore plus élevée de 77.000 ans. Il en résulte que la décroissance radioactive de ces résidus est insignifiante à l'échelle humaine. Le stock considérable de radioéléments inclus dans ces résidus ainsi que les flux importants qui en sont issus (bien plus élevés que ceux de toute installation nucléaire, accident majeur mis à part) nécessitent des protections.
     L'estimation de l'impact radiologique des résidus ne se réduit pas au produit du stock de radioéléments par les facteurs de dose. Il faut aussi tenir compte des obstacles à la mobilité d'origine naturelle ou grâce à des mesures de protection.
     Les voies d'impact des résidus sur l'hornme sont très classiques:
    · les résidus sont une source de rayonnement gamma qui peut affecter des résidents à proximité,
    · l'eau peut solubiliser les éléments présents dans les résidus et les transporter,
    · des effondrements de digue peuvent disperser les résidus,
    · le radium se transforme en permanence en gaz radon qui peut, dans certaines condition, être très concentré (habitation construite sur ou avec les résidus).

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1.2. Les aménagements possibles
     Le traitement généralisé de ces déchets pour en extraire toutes les vies longues (Ra et Th) serait une solution extrême mais d'une faisabilité non démontrée et d'un coût sans doute démesuré vis à vis de la réduction de la nuisance réelle.
     Le rejet à la mer présente des avantages objectifs (la concentration de ces éléments déjà présents naturellement dans la mer ne changerait pas) mais elle est impraticable, l'opinion publique et les accords internationaux n'acceptant pas cette hypothèse.
     Compte tenu du volume des résidus, la solution actuellement retenue est le stockage en place dans les anciennes mines à ciel ouvert, avec mise en place de couvertures plus ou moins élaborées et de servitudes d'utilisation du sol et du sous-sol.

2. L'action de l'IPSN
     Elle se situe sur deux plans: un volet «expertise» incluant notamment l'examen des projets de réaménagement étudiés par les exploitants et soumis aux pouvoirs publics, un volet «recherche» incluant des études sur les mécanismes physicochimiques de base et aussi, une réflexion sur les méthodologie de l'évaluation de l'impact.

2.1 Les recherches sur la compréhension des mécanismes
     Les mécanismes à étudier sont ceux des divers modes de migration des éléments radiotoxiques et aussi ceux du «vieillissement» des résidus.
     On a indiqué que, du point de vue de la radioactivité, ces résidus n'évoluaient que d'une façon insignifiante. Il n'en est pas de même du point de vue physico-chimique, puisque les résidus se tassent en expulsant leur eau. Le lessivage par l'eau peut entraîner des ségrégations entre les grains les plus fins et les plus grossiers. Les équilibres chimiques fortement perturbés par les réactifs d'extraction vont revenir progressivement à la normale, ce qui se traduira, pendant une phase transitoire, par des phénomènes de dissolution et de précipitation de phases minérales secondaires et bien sûr par des eaux de lixivation à composition évolutive. Tout ceci influe sur les migrations en faisant évoluer les perméabilités à l'eau et au gaz et les retards dus aux interactions chimiques.
     Parmi ce large éventail de phénomènes, nous avons choisi d'étudier en priorité les effets d'émanation de radon et de solubilisation de certains éléments.

2.1.1 Le radon
     Ce gaz radioactif issu de la décroissance du radium a une mobilité importante. Il décroît en 4 jours et forme des descendants solides qui se fixent sur les poussières de l'air.

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Ce sont ces descendants qui sont responsables par inhalation de l'essentiel de la dose, car ils restent dans les bronches et les poumons assez longtemps pour y déposer leur énergie de désintégration.
     La migration du radon jusqù'à l'homme se décompose en plusieurs phases.
     Tout d'abord, la décroissance du radium en radon au sein de la roche éjecte le radon par effet de recul. Une partie de ces atomes éjectés n'ont pas une énergie suffisante pour sortie des grains de roche incluant le radium initial ou auront au contraire assez d'énergie pour pénétrer dans un grain voisin où ils seront emprisonnés. Compte tenu de la décroissance rapide du radon, cela signifie que seule une petite partie du radon formé sera libérée (une thèse est en cours au SERGD sur ce sujet).
     Le radon libéré doit encore atteindre la surface du sol. Il ne peut le faire que transporté en solution (à condition que le trajet de l'eau soit d'une grande rapidité, ce qui n'est que rarement le cas), ou en empruntant les porosités non saturées en eau de la roche. Plus ce trajet est long, plus le radon a des chances de disparaître avant d'atteindre la surface. L'état de saturation des porosités et la facilité des migrations de gaz qui en résulte est donc un paramètre clé. Des études sont en cours pour modéliser ces phénomènes d'infiltration. S'agissant de matériaux de très faibles granulométrie, les effets de capillarité doivent être pris en compte. C'est grâce à cette capillarité que les résidus peuvent garder une certaine humidité même s'ils sont très au dessus du niveau des nappes. C'est en l'occurrence un élément favorable à une réduction des émanations. La connaissance de la répartition des phases liquides et gazeuses permet ensuite de calculer la vitesse de migration du radon. Les modèles nécessaires sont maintenant opérationnels: leur validation sera la prochaine étape. Elle pourra se faire à partir d'essais sur maquettes et échantillons et aussi par des expériences in-situ (mesure simultanée des flux de radon en surface et de l'état hydrique du sol).
     La dernière étape est le trajet du radon dans l'atmosphère. La concentration du radon en atmosphère libre est assez faible, à l'exception de situations météorologiques particulières (atmosphère très stable et sans vent) survenant sur des résidus riches et non recouverts. Il est évidemment nécessaire de pouvoir estimer cet effet, ne serait-ce que pour optimiser les moyens de protection. De plus, l'estimation de l'impact ajouté par un site demande que l'on puisse distinguer le radon émis par le site du radon ambiant (les sites miniers sont forcément dans des zones où les niveaux naturels sont plus élevés que la moyenne), ce qui peut être fait à partir de la mesure des facteurs d'équilibre entre le radon et ses descendants à vie courte.

2.1.2 Les effets chimiques
     En ce qui concerne les problèmes plus spécifiquement chimiques, une thèse est en cours. Elle inclut des caractéristiques fines des échantillons de résidus et des eaux interstitielles. Les modèles de spéciation chimique et de transport encours de développement pour les besoins des stockages profonds pourront s'appliquer au cas des résidus miniers. Le radium est réputé pour être soluble. On constate effectivement, dans les eaux minérales des régions riches en uranium, que ~s teneurs en radium sont faibles. Par ailleurs, il y a des exemples de résidus ayant séjourné en eau courante et dont la teneur en radium ne semble pas avoir diminué.

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     Ces éléments sont plutôt rassurants, mais les grands tas de résidus étant soumis à des conditions chimiques particulières, il convient de vérifier que cela ne peut pas se traduire, à un moment ou un autre de leur évolution ultérieure, par une solubilité accrue du radium et des toxiques chimiques. L'intérêt d'une étude chimique ne se limite pas aux seuls problèmes de lixiviation immédiate: il est important aussi de déterminer dans quelles conditions peuvent se produire des précipitations de phases minérales nouvelles. Une agglomération des grains par ce type de phénomène serait doublement bénéfique: en réduisant la libération du radon et en transformant le résidu en un matériau moins attractif que du sable pour des amateurs de matériaux bon marché (cela s'est déjà produit dans les pays de l'est).

2.1.3 Les collaborations internationales
     Il faut noter que ces travaux se font dans un cadre international. En particulier, les expériences in-situ ainsi que des inter-comparaisons de modèles se font avec la CCE et l'Allemagne, qui est un pays ayant dans sa partie orientale de nombreux sites miniers ayant été gérés sans souci de leur impact.

2.2 Les recherches sur la méthodologie de l'évaluation d'impact
     Une évaluation d'impact consiste à définir les scénarios pouvant intéresser une installation et les nuisances correspondantes (principalement radiologiques, mais les autres aspects ne doivent pas non plus être négligés, en particulier, il faut veiller à ce que la réduction du risque radiologique n'implique pas une augmentation inacceptable d'un risque non radiologique). Les résidus miniers sont un banc d'essai particulièrement remarquable pour ce type d'étude.
     En effet:
    · une large gamme de phénomènes naturels et d'actions humaines sont impliqués (infiltration, remise en suspension, relâchement de produit gazeux, érosion, intrusion...),
    · les impacts peuvent approcher de la zone du mSv, voire beaucoup plus pour des scénarios «accidentels» comme les prélèvements de matériaux; à titre de comparaison, les installations nucléaires occidentales, telles les centrales, ont des impacts qui se chiffrent en mSv en situation normale,
    · on ne peut se contenter d'évaluer un impact actuel, il faut prévoir comment il peut évoluer à long terme.
     Les études d'impact des installations classiques (centrales, usines) peuvent bénéficier de facilités multiples: des enquêtes sur les modes de vie pour repérer les «groupes critiques», des mesures dans l'environnement pour vérifier la justesse d'intermédiaires de calcul et enfin de la possibilité de majorations importantes des calculs.
     Lorsque l'impact d'une installation est de l'ordre du mSv, on peut se permettre d'accumuler des marges de sécurité importantes (exemple: pour une centrale on évalue séparément l'impact de la voie d'air et de la voie eau et l'on additionne ensuite; il n'y a pourtant pas de raisons que le point soumis à l'impact maximal pour une voie le soit aussi pour l'autre). On peut se le permettre, car l'on est plusieurs ordres de grandeur en dessous de l'acceptable. On ne peut évidemment en faire autant quand l'on approche le mSv, un ou deux ordres de grandeur de plus pouvant faire basculer dans l'inacceptable.

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     L'étude de l'impact à court terme des résidus miniers ne pose pas de gros problèmes (voir expertise ci-après en 2.3). Pour le moyen et le long terme, on ne peut pas échapper à la nécessité de bâtir tout un ensemble de scénarios et à les épurer de leurs incompatibilités. Par exemple, on ne peut pas faire l'hypothèse qu'une eau sera bue si sa composition chimique la rend impropre à la consommation, de même, il n'est pas sérieux d'imaginer que l'on fera un forage en haut d'une colline plutôt que de pomper dans une nappe alluviale... Lorsque des scénarios cohérents sont bâtis, il reste à calculer leurs conséquences de façon réaliste et enfin à juger de leurs vraisemblances (quantifier une probabilité est plus difficile).
     Procéder de cette façon est indispensable pour prendre des décisions de protection «optimisées». Deux situations à conséquences similaires, mais dont l'une ne pourrait airiver qu'au terme d'une suite d'événements peu probables, ne sont pas équivalentes. Un excès de protection contre des situations rares peut conduire à des effets pervers (en plus du gaspillage de ressources qui pourraient être utilisées ailleurs). Il ne s'agit pas que d'un cas d'école. Si par exemple on envisageait de retraiter tous les résidus pour en extraire radium et thorium, cela réduirait un risque mais en créerait d'autres: les nuisances de l'usine de traitement, l'irradiation des ouvriers, l'isolement de radium sous une forme concentrée et bien plus dangereuse que sa forme diluée dans les déchets...
     La réflexion sur tous ces sujets est loin d'être mure, aussi bien en France qu'au niveau international (l'AIEA se cherche une doctrine). Quelques allusions controversées se trouvent dans les textes de la CIPR. Cependant quelques pays se sont engagés dans la voie du réalisme et de l'estimation du risque. Il est clair que la réflexion doit se poursuivre encore.
     Quelle que soit la façon de voir ces problèmes généraux, les outils techniques nécessaires restent similaires. Il faut recenser des scénarios, compléter les connaissances sur les phénomènes cruciaux dans ces scénarios et enfin bâtir des outils d'évaluation globale des impacts. L'aspect global est évidemment fondamental. Un exemple typique est celui de l'évolution des écosystèmes agricoles. Les diverses interactions entre les compartiments de l'environnement (eau, sol, plantes, animaux, humains) peuvent être modélisés en rassemblant les connaissances de radioécologie, radiobiologie et en les combinant à la description des pratiques agricoles et des modes de vie (type d'alimentation, degré d'autarcie...). Ce genre d'approche est désormais classique et s'applique dans de nombreux autres domaines (impact de rejets, contamination par accident). Ces travaux d'intégration sont en cours et font l'objet d'intercomparaisons entre les équipes de différents pays (dans le cadre de l'exercice BIOMOVS en particulier).

2.3 Les enseignements de l'étranger
     Il est intéressant de connaître les pratiques et les principes des pays étrangers. Elles se répartissent entre une tendance pragmatique (Anglo-saxons) et une tendance maximaliste (Allemagne).
     Parmi les Anglo-saxons, l'Australie a une approche résolument réaliste. Les impacts de sites existants (exemple: Alligator River) sont calculés avec précision (direction du vent, facteurs d'équilibre) en veillant à ne pas y inclure de composante naturelle. Des impacts de 0.2 à 0.3 mSv au groupe critique sont jugés acceptables. En ce qui concerne le long terme, il est visé un minimum de restrictions d'usage et un risque résiduel est accepté s'il est ALARA.
     Le Canada a des pratiques similaires. Des textes réglementaires sans ambiguïté se placent dans la philosophie ALARA en précisant que c'est le risque qui doit être optimisé. Les contrôles institutionnels à long terme doivent être évités autant que possible mais ne sont donc pas totalement exclus.
     A l'autre extrême se situe l'Allemagne. Pour elle les groupes critiques peuvent être représentés par un seul individu et avec des hypothèses largement majorantes. Le souci de ne dépasser en aucun cas les limites conduit à la quasi-impossibilité de banaliser des sites miniers. Il faudrait pour cela que le sol dans toute son épaisseur ne dépasse jamais 0.2 Bq/g de radium (la croûte terrestre fait en moyenne 0.04 Bq/g et les résidus peuvent dépasser 100).

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   Malgré cet exemple extrême, il semble que la tendance dominante soit de se diriger vers le réalisme et vers l'acceptation de risques réduits pourvu qu'ils soient ALARA.

2.4 Les premières expertises
     Compte tenu de la fermeture progressive des sites miniers, les projets de réaménagement de sites se multiplient. L'examen d'un premier dossier de réaménagement de site a été confié à l'IPSN en 94 (le site COGEMA de Montmassacrot).
     Il s'agit d'un petit site au fond d'un thalweg barré par une digue. Les résidus qu'il contient sont en grande partie essorés, mais n'ont pas encore atteint leur compaction maximale.
     COGEMA s'est fixé pour objectifs:
    · d'assurer la sécurité vis à vis du public et de l'environnement,
    · d'appliquer le principe d'optimisation, afin de rendre les impacts résiduels de toutes natures aussi faible qu'il est raisonnable possible,
    · de limiter l'étendue des terrains faisant l'objet d'une servitude,
    · de réussir l'intégration paysagère.
     Cela inclut notamment:
    · de ramener les émissions de gammas et de radon au niveau naturel par une couverture appropriée,
    · de réduire la pente de la digue et assurer son drainage de façon à garantir sa stabilité, y compris en cas de séisme,
    · de reprofiler les terrains de façon à limiter les infiltrations et les ruissellements générateurs d'érosion,
    · de contrôler les circuits d'eau pouvant être contaminés.
     Les aménagements prévus améliorent incontestablement la situation. L'IPSN a donc conseillé au Préfet (ce type d'installation relève d'autorisations préfectorales) d'accepter la réalisation des travaux tout en faisant procéder à un suivi de l'évolution du site (tassement, évolution de la digue, de la qualité deseaux...).
     A court terme ces mesures, complétées par des servitudes d'utilisation des terrains (pas de construction ni d'utilisation de l'eau à l'intérieur d'un périmètre de protection), garantissent un impact raisonnable (au besoin selon les résultats du suivi, des renforcements de recouvrement sont envisageables).
     A moyen terme, il est vraisemblable que certains aménagements se révéleront superflus (le traitement des eaux de ruissellement en particulier).
     Pour le long terme, il conviendra ultérieurement, à la lumière des retours d'expérience, de mieux préciser l'évolution future du site et d'établir des jeux complets de scénarios prenant en compte tous les événements possibles (y compris les faibles probabilités et les événements perturbant les réaménagements).
     On n'imagine pas pour le long terme de se priver volontairement des protections apportées par le maintien du contrôle sur le site: c'est une protection presque absolue et somme toute peu coûteuse. Cela ne dispense néanmoins pas d'étudier des variantes avec oubli (qui ne sont pas nécessairement catastrophiques, ne serait-ce que parce que des travaux sur un site oublié peuvent permettre de redécouvrir sa nature) et de prévoir des protections réduisant l'impact dans ces cas. La philosophie de l'optimisation qui est maintenant dominante n'exige pas que l'on se protège contre tout quel que soit le coût. En revanche, il est nécessaire que les décisions soient prises en toute connaissance de leurs conséquences (positives et négatives). Même après la mise en oeuvre de mesures appropriées, le risque résiduel est rarement nul. Il sera considéré comme acceptable au vu d'une part de son niveau absolu et d'autre part de la vérification qu'il n'existe pas de meilleures solutions.

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UN GROUPEMENT DE SCIENTIFIQUES
POUR L'INFORMATION SUR L'ENERGIE NUCLEAIRE
Connaissez-vous le GSIEN?
 
    Depuis 1976, il existe, en France, un groupement de scientifiques indépendantsqui diffuse de l'information sur les nombreuses questions que soulèvent le développement de l'industrie nucléaire en France. Lors de l'accident nucléaire de Tchernobyl, ce groupe a été abondamment sollicité par la presse et le public pour répondre aux carences des services officiels.
    Les compétences pluridisciplinaires du Groupe de Scientifiques pour l'Information sur l'Énergie Nucléaire ont été largement reconnues puisque plusieurs de ses membres ont participé à des expertises de projets nucléaires... à l'étranger. En réclamant l'accès à la documentation, la pluralité des analyses, afin d'obliger les services officiels à fournir une inforrnation sincère, le GSIEN a témoigné qu'une large fraction de la communauté scientifique française souhaitait des structures d'évaluation indépendantes d'un des plus importants programmes nucléaires au monde.
    La catastrophe de Tchernobyl a largement montré qu'en France, l'information sur le nucléaire est biaisée: on ne peut être en même temps promoteur et garant de la sûreté, on ne peut confier aux mêmes services la sûreté des systèmes et les conséquences de l'échec de ces mêmes systèmes.
    Rappelons que c'est l'absence totale de débat démocratique sur l'énergie nucléaire qui est à l'origine du GSIEN et la motivation de son activité, compte tenu de la démission du pouvoir politique vis-à-vis des nucléocrates du CEA, de l'EdF et de l'indifférence absolue de ceux-ci vis-à-vis de l'opinion publique et même de la législation.
    Le GSIEN, c'est plus de 120 dossiers scientifiques publiés dans la revue «La Gazette Nucléaire», c'est la publication de plusieurs livre et de nombreuses interventions devant des organismes officiels ou pour le public, c'est aussi la réponse à de nombreuses demandes (scolaires, journalistes, associations...)
    Ce groupe indépendant, à but non-lucratif, ne fonctionne que par la volonté de ses membres et avec les financements de leurs cotisations. A l'heure (*) où les importantes avaries du réacteur surgénérateur Superphénix soulèvent des inquiétudes et son redémarrage sans cesse repris les confirme, il est important qu'un groupe tel que le GSIEN puisse continuer à bien fonctionner. Cela dépend largement de votre soutien.
 
 

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A propos de la reprise des essais nucléaires
 
     Depuis fort longtemps le lobby militaro-industriel ne s'était pas senti aussi attaqué qu'actuellement suite à l'annonce faite par le Président Chirac, de la reprise des tirs nucléaires. Il se sent tellement contesté dans ce qu'il considérait être son sanctuaire de légitimité qu'il utilise toute une panoplie d'arguments ayant une apparence scientifique et technique.
     Ce qui est prodigieux c'est le contraste entre les hérauts de la presse qui reprennent ces argumentaires sans aucun esprit critique et le pékin moyen qui s'en tient à son gros bon sens et qui désapprouve cette initiative même pas douteuse, franchement stupide.
     Lors de la décision de moratoire sur les essais nucléaires décidé par le président Mitterand en 1992, un des porte-parole traditionnels du lobby avait eut le culot (courage ???) de transcrire un argumentaire inqualifiable contrairement à certains pays du tiers monde qui vaudraient faire des tirs pour développer une bombe «sale», nous voulions améliorer la propreté de nos bombes, améliorer le rapport qualité-prix. La bombe française aurait fourni le «kilomort» au coût le plus bas.
     Cette fois devant la chute libre de l'acceptation publique de la décision, il ne suffit plus de faire donner les seconds couteaux traditionnels de la presse. On voit monter aux créneaux les grands chefs de la Direction des Applications Militaires du CEA, et pour bien montrer qu'eux ils sont des scientifiques compétents, ils arrivent à nous torcher des formulations d'une nébuleuse clarté: «Cela suppose de faire appel à des concepts robustes, qui présentent des marges suffisantes à l'égard des différents effets de seuil intervenant dans le fonctionnement de la charge nucléaire pour les rendre peu sensibles à des variations limitées des paramètres de réalisation» (J. Bouchard - Libération - jeudi 3 août 95). Ce même Directeur explique dans La Recherche (n° 281, nov. 95) «Il ne s'agit pas d'essais sur le vieillissement des armes proprement dites, mais sur les concepts qui permettent d'analyser le vieillissement».
     A quand des analyses sur l'effet de la maladie de Parkinson sur un chef d'Etat qui n'arriverait plus à appuyer sur le bouton?
     Les arguments techniques ne résistent pas à une analyse logique simple.
     - Il faudrait tester le modèle de bombe actuellement déployé dans notre «force de frappe». De deux choses l'une: ou ce modèle d'arme a été testé depuis plusieurs années, bien avant d'en lancer la construction en série, et un tir supplémentaire ne nous apprendra rien de plus, ou nos spécialistes ne sont pas certains de son bon fonctionnement et ils ont équipé notre parapluie nucléaire avec quelque chose que l'on pourrait remplacer par des bombes factices. Dans ce cas cela relève de l'escroquerie en matière de deniers publics et de la haute trahison en matière de sécurité nationale.
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     - Deuxième argument, ce seraient des tirs dits «de sécurité», destinés à vérifier si les dispositifs destinés à empêcher n'importe quel fou galonné à déclencher le feu nucléaire sans l'accord du Président, sont toujours opérationnels malgré le vieillissement. Donc il s'agit de voir si les vetos marchent bien, donc que la bombe n'explose pas si tous les cadenas n'ont pas été enlevés. Ce genre de test peut très bien être effectué sur une bombe d'où on a ôté la charge nucléaire (puisqu'il s'agit d'un essai de non-explosion), et cela relève tout à fait des installations Armée/DAM de Moronvilliers.
     A quoi cela servirait-il d'affiner par des mesures sur tir réel les paramètres de calcul utilisés dans les simulations si ce n'était pas destiné à servir à développer de nouveau engins? Les anciennes valeurs étaient bien suffisantes, puisque, si je ne m'abuse, on sait faire avec ces paramètres des charges capables d'exploser. La notion de recherche avec pour finalité unique le «savoir» en matière d'armement me ferait sourire si ce n'était pas une gigantesque hypocrisie. Essayez d'imaginer l'esprit de recherche fondamentale, la volonté de repousser les limites de la connaissance quand des «scientifiques» (!!??) «améliorent» des mines anti personnelles dont la France est un des plus gros exportateurs mondiaux.
     Ne croyez vous pas que nos hommes politiques sont en train de céder à la pression des militaires qui souhaitent disposer d'une arme de faible puissance, arme du champ de bataille qu'ils pourraient utiliser à leur volonté dans un conflit local?
     On peut lire des raisonnements extrêmement surprenants quant à la justification des tirs en Polynésie. Le dernier en date consiste à expliquer qu'on pourrait très bien faire ces tirs quelque part dans l'hexagone, dans la Corrèze par exemple, en raison de leur totale innocuité, à un détail près. Il y a quand même un léger (???) ébranlement à la surface du sol au moment de l'explosion et cela risquerait d'endommager le parc des églises romanes qui constitue une part importante de notre patrimoine.
     On peut quand même se poser une question intéressante: pourquoi la Polynésie? Nous avons d'autress possessions encore plus éloignées, encore moins peuplées: les îles Kerguelen, les îles saint Paul et Amterdam. On peut supposer que les personnels civils et militaires qui vont préparer et assister aux tirs préfèrent l'accueil des vahinés à celui des manchots empereurs
     Il faudrait que nos technocrates de la mort, les nécrocrates, cessent de parler de Science quand il s'agit d'améliorer l'efficacité de leurs engins, car, à quoi sert tout le savoir, toute la recherche qu'ils appliquent à leur tache. Cela ne sert, comme amélioration, qu'à faire passer le rendement d'une bombe de 100.000 à 150.000 morts (en vocabulaire de nécrocrate le kilomort par kilotonne pour combien de Mégafrancs). Quel immense progrès obtenu sous le nom de «Science», quelle perversion de ce qui aurait dû servir à améliorer la condition humaine...
Raymond SENÉ
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