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N°147/148
Réflexions autour des explosions nucléaires françaises
de Moruroa et de Fangataufa
Jean Pignero
Militant depuis 1957 pour la protection contre les rayonnements ionisants,
Président international, avec Maurice E. André, de l'Association internationale pour la protection
contre les rayonnements ionisants (AIPRI)
     Les atolls de Moruroa et de Fangataufa sont les couvercles d'au moins 136 cavernes nucléaires (annexe 1) contenant des produits radioactifs dangereux ou très dangereux, pour la vie environnante. La couche limitant ces cavernes, initialement sphériques (annexe 2), constituée de basalte vitrifié par l'explosion s'effondrera avec le temps. Sous la pression de l'eau élargissant les fissures (annexe 3), les poissons radioactifs migreront dans l'environnement marin. Cet empoisonnement est imparable. On n'a pas le droit, moralement, de créer ces poches de poisons morts, car les hommes sont et resteront toujours responsables du meilleur entretien possible de leur environnement : de l'air, des eaux et de la terre.
     Ce n'est pas parce que les explosions aériennes bénéficient d'un écho médiatique considérable qu'il faut passer sous silence toutes les autres explosions, volontaires ou accidentelles et les centaines de milliers de tonnes de déchets radioactifs jetés en mer, poubelle anonyme (150 000 tonnes pour l'Océan atlantique du seul fait des puissances européennes).
     J'ai souligné on, ci-dessus car il faut distinguer dans l'humanité la foule des braves gens et une toute petite élite de décideurs qui savent ce qu'est le nucléaire, qui vivent de ses secrets en subordonnant la défense du peuple anonyme au secret de leur suprématie nucléaire.
     Ce ne sont pas les Français qui, par référendum, ont décidé ces huit dernières explosions, c'est le président de la République tout seul, de même qu'à l'origine, seuls Roosevelt, Churchill, Staline, de Gaulle, Mao ont décidé de créer une industrie nucléaire dans leurs pays respectifs sans solliciter l'accord de leurs peuples. Ils ont agi comme des dictateurs qu'ils étaient.
     Les hommes, considérés dans leur ensemble, se reconnaissent responsables du respect de leur environnement, d'un air et des eaux qui devraient rester sains, exempts de toutes pollutions, maintenant et toujours, et aussi de la terre où courent les eaux nourricières et qu'entourent les mers, nourricières, elles aussi.
     Le conseil oecuménique des églises, réuni en septembre 1995, a déclaré, entre autres: «La production et le déploiement des armes nucléaires sont un crime contre la vie et contre l'humanité «. J'approuve cette déclaration dont il faudra bien un jour tirer la leçon: s'il y a crime, c'est qu'il existe un ou plusieurs criminels, qu' il faut nommer, car l'enjeu de la sauvegarde de l'humanité est mondial et peut être immédiat: sauver les hommes et leur environnement est primordial. Ayons donc le courage de dire que les chefs des états nucléaires (où existent une industrie nucléaire et/ou seulement des armes nucléaires) sont les premiers criminels nucléaires politiques de leurs pays, l'armement nucléaire étant partout une affaire d'État entourée de secrets dressés contre les hommes.
     Il existe en France une centrale nucléaire extrêmement dangereuse, à Creys-Malville, entre Lyon et Genève. Si elle sautait un jour, les dégâts seraient cent fois plus importants qu'à Tchernobyl. Dans l'hypothèse de cet accident (les états-majors prévoient bien les guerres), il faudrait établir la chaîne des décideurs à juger, du directeur de la centrale au chef de l'État sans oublier tous les donneurs d'ordres intermédiaires.
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Il faudrait donc, dès à présent, établir ces chaînes de responsables et coupables: le respect dû au populations qui seraient irradiées impose cette précaution. Pour l'honneur de ces responsables, il faut souhaiter, en une telle circonstance fatale, qu'ils se constituent prisonniers, en attendant leur jugement équitable.
     Une autre considération s'impose: pour produire seulement ces 177 bombes nucléaires qui ont explosé sur et sous les atolls, il a fallu développer une industrie nucléaire importante dont tous les stades de production et/ou d'utilisation des éléments radioactifs sont producteurs de déchets radioactifs. Condamner les armes nucléaires, c'est donc condamner l'industrie nucléaire dans son ensemble. Dure vérité à avouer: il faut être contre tout le nucléaire.
     Les humains doivent reconnaître, qu'ils ont dépassé en direction du mal, depuis 1942 (date de la premiere reaction nucléaire «en chaîne») la croisée des chemins vers le bien ou le mal. Il leur faut rebrousser chemin avec toute la prudence désirable, étant donnés les dangers encourus, mais avec une détermination farouche, en sachant bien que cette politique de repli nucléaire entraînera d'autres difficultés, dont celle de l'approvisionnement en énergie. Mais il faut admettre que cette politique conditionnera un avenir moins catastrophique que notre présent nucléaire.
     Ce sera la seule évolution démocratique, celle que les populations opposées à tout le nucléaire sauront imposer aux tenants du nucléaire.
Annexe 1
Essais nucléaires français
(chiffres officiellement reconnus par le C.E.A.)
Source : Revue «ATOMISEZ» (actualisée).

                              Aériens Souterrains Totaux

Moruroa                   37         128            165
Fangataufa                  4             8              12
Totaux M+F             41         136            177
Algérie (rappel)           4           13             17
Totaux généraux        45         149           194
+ 12 essais de sécurité = 206 essais 
Annexe 2
Voir le schéma p. 18 des «Essais nucléaires, NON», de M.E. ANDRÉ.
Annexe 3
     « Une bombe souterraine profonde emprisonne tous les composants radioactifs, crée des milliers de tonnes de terres radioactives autour du point d'explosion par activation neutronique à bout portant, ceci donnant alors la création de 382 isotopes radioactifs différents dont la demi-vie va de 1 heure à des centaines de millions d'années, empoisonnant le sol pour l'éternité (annexe 4) dans un rayon fonction de la puissance de la bombe. 
p.7

Un exemple donné par l'opération PLUMBBOB en 1957, dit ceci: La bombe de seulement 1,7 kt explosa à une profondeur de 240 mètres: l'explosion nucléaire forma une caverne sphérique momentanée de 40 m de diamètre, tandis que la force de l'explosion fissurait les roches dans un diamètre de 120 m, broyant toutes les roches dans un diamètre de 80 m; l'onde de choc provoqua des signaux sismiques détectés àplusieurs centaines de km, et un faible signal fut enregistré en Alaska. Ensuite le sol s'effondra à partir de 120 m du point ZÉRO, remplissant la caverne avec la lave radioactive qui gardait 80% du total de la radioactivité de fission.»
(«Essais nucléaires, NON», p. 19)
     Note de J.P.: comparez ce chiffre de 1,7 kt avec les puissances avouées des explosions souterraines actuelles:
1ère     le 5.9.95: 20 kt (soit 11 fois 1,7kt).
2ème le 1.10.95: l50kt (soit 88 fois 1,7kt).
3ème le 27.10.95: 60 kt (soit 35 fois 1,7 kt).
4ème 1e21.11.95: 4Okt (soit 23 fois 1,7kt).
5ème le 27.12.95: 30 kt (soit 17 fois 1,7 kt).
Annexe 4
     Pourquoi la pollution radioactive est-elle éternelle? La réponse ressort de la compréhension de la notion de désintégration radioactive exponentielle: ceci signifie qu'une pollution radioactive ne peut être annulée par quiconque ou s' annuler elle-même d'un coup, mais qu'elle diminue ou s'atténue naturellement (même si les éléments radioactifs ont été produits artificiellement), la période étant le temps nécessaire pour que la radioactivité de chaque polluant nucléaire diminue de moitié; au bout d'une période, l'élément radioactif considéré aura perdu progressivement la moitié de sa radioactivité égale à 50% de l'activité initiale, au cours de la période suivante, la moitié de la radioactivité restante initiale. Et ainsi de suite.
     Prenons pour premier exemple le plutonium 239, élément-roi de la guerre nucléaire, dont la période ou demi-vie radioactive est de 24.300 ans: la moitié de sa radioactivité et donc de sa toxicité correspondante sera disparue en 24.300 ans; il faudra attendre 24.300 ans de plus, soit 48.600 ans pour qu'elle soit réduite au quart de sa valeur initiale. 
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Or il faut attendre 10 périodes pour que la radioactivité de quelque élément que ce soit se réduise naturellement au millième de sa valeur initiale, et 20 périodes pour qu'elle soit réduite au millionième. Dans le cas du plutonium 239, il faudra donc attendre 243.000 ans pour atteindre le millième de sa valeur initiale et, compte tenu de sa toxicité très élevée, 486.000 ans pour atteindre le millionième de sa valeur initiale.
     Ajoutons que le plutonium 239 et tous les produits de la fission nucléaire, voient par le phénomène de la radioactivité, désintégrer les atomes qui se transforment en d'autres éléments radioactifs ayant chacun une période propre selon l'élément dans lequel il se transforme provisoirement. Chaque élément chimique radioactif a sa période et ses propriétés chimiques et radioactives, sa toxicité propre, jusqu'à ce que ces éléments, de désintégrations en désintégrations successives deviennent des éléments stables, c'est à dire non radioactifs.
     Voici qûelques exemples de transmutation des corps radio­actifs : l'uranium 238 deviendra finalement du plomb stable; le thorium également ; par contre le plutonium 241 deviendra finalement du bismuth stable, tandis que le plutonium 239 deviendra progressivement de l'uranium 235 qui, lui, finira comme plomb stable, les iodes radioactifs deviennent du baryum stable, les césiums deviennent soit du cérium stable, soit du néodyme stable, soit du praséodyme stable: ce sont les chaînes de désintégrations et leurs familles radioactives, à consulter dans les ouvrages spécialisés.
     Prenons un second exemple: le strontium 90 dont la période ou demi-vie est de 28 ans il faudra attendre 280 ans pour que sa radioactivité soit réduite au millième et 560 ans pour atteindre le millionième de sa valeur initiale.
     Rappelons que l'ère de la radioactivité artificielle date de 1942 pour sa réalisation industrielle et que la civilisation la plus ancienne connue historiquement date de 11.000 ans environ: en 1996 nous sommes donc seulement dans la deuxième période de désintégration du strontium 90 créé en 1942 et à l'aube extrême de la première période de désintégration du plutonium 239 créé en 1942; depuis, les pollutions radioactives nouvelles, toujours plus importantes s'ajoutent aux anciennes.
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