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N°151/152
Dossier Superphénix
en cours de réfection au 25 octobre 2012...
1- Commission scientifique chargée d'évaluer les capacités de Superphénix comme outil de recherche
     La Commission scientifique d'experts indépendants chargée d'évaluer les capacités de Superphénix a été mise en place le 4 octobre 1995 par:
     * Mme Corinne LEPAGE, Ministre de l'Environnement
     * M. Yves GALLAND, Ministre de l'Industrie
     * Mme Elisabeth DUFOURCQ, Secrétaire d'Etat à la Recherche
     Elle est présidée par le Professeur CASTAING et comprend MM. AUBERT
BIRKHOFFER    Allemagne (GRS)
BAER    Suisse
CHARPAK
FRIEDEL
QUÉRÉ
SCHAPIRA
SENÉ (démissionnaire)
     * rapporteur LAVERIE
     Comme préalable à la parution du nouveau décret d'autorisation de création de Superphénix (Creys-Malville) il avait été demandé à NERSA, EDF et CEA d'établir un programme d'acquisition de connaissances (PAC).
     Ce PAC a été soumis à l'évaluation de MM. Dautray (CEA, Haut Commissaire) et Detraz (CNRS-IN2P3) avant d'être approuvé par le ministre chargé de la recherche.
     Le décret 94.5.69 du 11-07-1994 comprend donc un PAC dont les trois volets sont:
     * démontrer la capacité d'un réacteur à neutrons rapides (RNR) à produire de l'électricité à un niveau industriel tout en contribuant à la gestion du plutonium et à la réduction des déchets radioactifs de longue vie,
     * étudier la flexibilité des RNR utilisant le combustible plutonium et qualifier les solutions techniques développées dans le cadre des programmes de recherche visant à permettre de faire fonctionner ce type de réacteur en consommateurs nets de plutonium,
     * étudier la possibilité de destruction des déchets radioactifs de longue vie, en particulier les actinides mineurs, américium et neptunium, dans le cadre du programme de recherche SPIN (Séparation incinération) engagé par le CEA pour répondre aux dispositions de la loi du 30 décembre 1991.
2 - Lettre de démission
     La lecture du projet de sommaire, contenant les résumés de conclusion, que vous avez rédigé ne fait que confirmer mon embarras et ma perplexité.
     Si nous avons un accord sur un grand nombre d'idées générales, nous sommes en désaccord sur les moyens de les mettre en oeuvre.
     Je partage, en grande partie, vos préoccupations relatives aux générations futures mais je crains fort que les modèles technologiques, énergétiques, économiques que notre société a développés, soient des impasses.
     En ce qui concerne le sujet précis de la mission qui nous a été confiée, il m'apparaît clairement que, sur de trop nombreux points, nous sommes en désaccord.
(suite)
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La dernière audition que nous avons effectuée n'a pu que confirmer mon analyse qui porte sur les points suivants:
     * La seule préoccupation de la NERSA (au demeurant parfaitement légitime) est de produire de l'électricité afin de récupérer une partie de son investissement, et c'est aussi considéré par la DGEMP comme la première priorité,
     * Tout l'habillage "recherche" n'était destiné qu'à se mettre en accord avec lignes directrices définies par le rapport Curien. Ce rapport était cependant très prudent en soulignant que Superphénix ne pouvait servir qu'à valider industriellement des voies explorées à l'aide de Phénix, sachant qu'en tout état de cause les travaux de recherche fondamentale en amont demanderaient plusieurs décennies. La machine qui pouvait permettre cette exploration est Phénix dont l'arrêt inéluctable à très court terme va imposer une révision complète des orientations.
     * Je ne crois pas à la logique industrielle des "Réacteurs à Neutrons Rapides - Sodium - Uranium - Plutonium" (RNR). Elle conduit à une machine beaucoup trop complexe pour avoir une fiabilité industrielle en accord avec les exigences de sûreté. Elle impose la voie du retraitement des combustibles irradiés et produit des quantités de transuraniens à vie longue dont l'hypothétique destruction est problématique.
     * Les problèmes d'inventaire du Plutonium et des actinides me semblent être dans une impasse avec ce type de filière. En suivant cette voie, notre souci de ne pas léguer aux générations futures une situation irréversible conduit à ce qu'au moment où une civilisation techniquement plus évoluée déciderait d'arrêter l'utilisation de cette filière ou même de ne plus avoir recours au nucléaire, elle serait obligée de faire fonctionner tout un parc de RNR pendant environ un siècle pour résorber partiellement l'inventaire de ces produits radiotoxiques.
     Ce n'est pas la première fois qu'un développement se four¬voie dans une impasse en France ou dans d'autres pays du monde. Il faut du courage politique et du réalisme pour décider de le stopper. La considération de l'énormité des capitaux déjà dépensés (30 milliards de francs admis aujourd'hui, sans compter les deux coeurs, les "à coté" et les antécédents qui doivent faire monter ce chiffre à plus de 50 milliards) n'est pas une raison en soi pour justifier la poursuite de l'utilisation de cet appareil. Nous avons heureusement arrêté la construction des abattoirs de la Villette (sans parler du financement de la recherche sur les avions renifleurs!) et stoppé le programme "Concorde". L'analyse des conséquences de cette dernière décision courageuse et impopulaire montre qu'elle a permis de dégager des moyens humains, financiers et techniques qui ont rendu possible le programme Airbus qui situe aujourd'hui le groupe Airbus Industrie dans les toutes premières places mondiales.
     Le maintien en fonctionnement de Superphénix n'apportera d'enseignements que pour lui même car je pense qu'il sera une réalisation sans suite.
     * Sur le plan de la métallurgie, la recherche peut s'effectuer avec d'autres moyens (échantillons placés dans une capsule neutrons rapides dans un réacteur à neutrons thermiques, sources de neutrons de spallation,...). Les travaux préliminaires à la construction de Rapsodie se sont fait en l'absence de ce type de réacteur et se sont réalisés.
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     * Sur le plan de la thermohydraulique, du comportement des assemblages... etc., il existe au CEA de nombreux équipements (boucles d'essai, réacteurs d'essai tel CABRI...) qui permettent de mener à bien des études multiples sans avoir à subir la lourdeur d'une installation de taille industrielle non conçue pour cet usage.
     * Sur le plan de la physique de la transmutation/incinération, les travaux sont au stade de la recherche et non de la validation. Et ce n'est pas l'irradiation pendant 5 à 6 cycles de 12 ans de quelques kilogrammes d'Américium qui apporteront des réponses en matière de physique fondamentale. Avant de passer à ce stade il y a des décennies de recherche de laboratoire à mener à bien.
     * Sur le plan des nouvelles filières, des voies de recherche séduisantes semblent se dessiner, comprenant en particulier l'amplificateur d'énergie (Thorium, Plomb) de Rubbia. L'énormité des moyens absorbés par Superphénix et son auto justification dans son unicité ne peuvent que gêner, voire bloquer l'émergence de nouveaux concepts.
     * Le maintien de Superphénix en activité exige la présence d'équipes importantes et compétentes pour que la sûreté du réacteur reste à un niveau équivalent à celui des réacteurs à eau légère malgré les problèmes rencontrés. Ceci grève le développement d'autres voies où ces équipes pourraient apporter leur savoir-faire.
     En conclusion, ma réponse à la question contenue dans notre lettre de mission:
     "SPX peut-il satisfaire aux trois points du programme d'acquisition de connaissance" est clairement non.
     Seul le premier point du programme d'acquisition de connaissance pourrait avoir un début de réalisation. En effet si Superphénix ne tombe pas en panne (seul l'avenir pourrait le dire si on décidait de ne pas l'arrêter et le passé ne rend guère plausible cette hypothèse de non-panne), il pourrait, alors, produire de l'électricité, unique objectif de ses promoteurs.
     Le travail au sein de cette commission fut très enrichissant tant en raison des sujets abordés que des rapports humains avec ses membres.
     Mais je pense qu'il ne serait pas honnête de ma part de vous faire perdre votre temps en discutant point par point, en essayant d'amender un texte auquel je ne pourrai pas m'associer.
     Dans ces conditions je vous fais part de mon intention de me retirer de votre commission.
     Je vous prie de croire, Monsieur le Professeur, en l'assurance de mes sentiments respectueux.
Raymond SENÉ

3 - Analyse du dossier et présentation de l'argumentaire
PAC 1
     "démontrer la capacité d'un réacteur à neutrons rapides (RNR) à produire de l'électricité à un niveau industriel tout en contribuant à la gestion du plutonium et à la réduction des déchets radioactifs de longue vie"
     Quel intérêt peut présenter cette acquisition d'une expérience sur le fonctionnement à un niveau industriel d'un réacteur de la filière NEUTRONS RAPIDES - PLUTONIUM - SODIUM.
En dehors de se conforter dans l'opinion que c'est une succession d'erreurs dans les choix techniques il n'y a guère de secteurs d'intérêt.
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     Tout d'abord il ne faut pas oublier que dans la conjoncture actuelle tant économique qu'énergétique de la France et de l'Europe il n'est pas envisagé d'étudier un recours à autre chose qu'aux réacteurs à eau pressurisée (REP) avant 2050. Les raisons en sont simples. Les premiers réacteurs du parc de REP d'EDF vont arriver en fm d'utilisation dans une dizaine d'années. Étant donné:qu'il faut de l'ordre de 10 ans pour aller des premières études à la production du premier kilowatt, en passant par toutes les phases des autorisations administratives et de la construction, les seules machines disponibles sont les REP du pallier N4 (1.500 MWé). Même le projet franco allemand EPR (European Pressurized Reactor) ne semble pas être à un stade d'élaboration suffisamment avancé pour pouvoir être programmé dès aujourd'hui.
     A fortiori il n'est pas question d'envisager le moindre réac¬teur à neutrons rapides (RNR). Le projet européen de réacteur à neutrons rapides, suite logique (???) de Superphénix (SPX) et de Kalkar, baptisé EFR (Experimental Fast Reactor) est abandonné par tous les partenaires européens, y compris et surtout sur le plan de la participation financière. Seules des équipes françaises continuent à y travailler, ce qui constitue plus une veille technologique que l'élaboration d'un projet in¬dustriel pouvant être concrétisé. Le projet français de RNR 1.500, baptisé SPX 2, dont l'avant projet date de janvier 1984, fut présenté au "grand" public dans le numéro de février 1988 de Nuclear Engineering International par Remy Carle. Le "design" permettant de diminuer le prix de construction, donc celui du kWh, montrait un bâtiment de confinement aussi léger que celui des RBMK de Tchernobyl, ce qui peut paraître normal pour un type de réacteur qui a les mêmes caractéristiques de réactivité, avec coefficient de vide positif.
     Pour revenir à la question posée par le PAC 1 on peut la subdiviser en deux.
     1.1 Sur le plan strict de la capacité de produire de l'électri¬cité à un niveau industriel: cette question sous-tend tout d'abord la capacité de production, puis le prix de revient de cette production pour avoir un quelconque intérêt éco¬nomique.
     1.1 Il ne faut pas oublier qu'en l'absence du barillet, mis hors service en 1987 en raison d'une fuite de sodium irréparable, les mouvements d'entrée sortie des combustibles se font à l'aide d'un poste de transfert de combustible (PTC) qui ne permet pas de faire plus de trois opérations par jour. Une opération d'échange des 358 assemblages fissiles demande au dire de NERSA/EDF environ 8 mois après trois années de fonctionnement. En comptant en plus un mois d'arrêt par an pour réarrangement du combustible, on arrive à un maximum théorique de disponibilité de SPX de 75%. S'il arrivait à fonctionner, en dehors de ces périodes d'arrêt "normales" à 75% de sa puissance nominale on arriverait bon an mal an à 50%, ce qui doublerait les estimations du prix du kWh, déjà fort pessimistes.
     1.2 Production à un niveau industriel sous-entend aussi, avec un niveau de sûreté équivalent à celui des REP actuellement en service. Or il est clair qu'un des critères qui avait fait émettre les plus extrêmes réserves aux autorités de sûreté en 1994 concernait l'inspectabilité des structures internes du coeur du réacteur. La remarque qui avait été faite à l'époque, disant que l'inspection d'une partie essentielle pour la sûreté, située dans la cuve, qui demanderait un temps d'accès se chiffrant en jours, voire semaine sur un REP, demanderait ici un temps se chiffrant en année(s). Le "sous marin jaune", voguant dans le sodium liquide et permettant de voir des défauts apparus sur les structures internes, n'est pas pour demain.
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     L'utilisation du sodium, bien que présentant un certain nombre d'avantages, engendre pour des raisons de sécurité
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