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N°151/152
Position sur le démantèlement des installations nucléaires

Amis de la Terre


Commentaire Gazette
     Voici un dossier sur le démantèlement émanant des Amis de la Terre. Cet aspect des déchets est très important. C'est même un des plus importants. En effet le démantèlement des installations arrivées enfin de vie a été largement sous estimé. Il suffit pour s'en convaincre de faire le tour des friches de notre XXe siècle: usines du nord, mines de charbon, filatures, aciéries, décharges, etc. Le nucléaire, dernier venu de la panoplie, n'a pas échappé à cette logique: la technique trouvera les solutions le moment venu. Le seul pépin de ce raisonnement est qu'une installation dont on n'a pas prévu la fin n'est pas conçue pour gérer cette fin. Et ce qui n' est déjà pas facile devient impossible. L'autre pépin est que le propriétaire des lieux a une fâcheuse tendance à se défiler, refilant le bébé à la collectivité, qui n'en peut mais et doit se débrouiller. Nous avons déjà fait un tour de la question dans la gazette 94/95 et il est bon de le reprendre. Le démantèlement, à la suite de divers incidents (le plus grave étant l'explosion sodium à Rapsodie et le plus embêtant les réacteurs de l'Est) a été traité, sur le papier, par les Autorités de Sûreté avec leurs appuis techniques. Les trois niveaux de démantèlement décrits sont classiques mais classiques ne signifient pas faciles. Le premier niveau est le seul à avoir été réalisé sur toutes sortes d'installations grandes et petites. En effet c' est seulement le maintien à l'arrêt d'une installation. Si cela se passe sur un site où se poursuit une activité ce niveau est facile à mettre en oeuvre. Il est aussi plus facile d'assumer la surveillance sur un site encore en activité. Faut-il ou non démanteler tout de suite ? La réponse n'est pas si simple car il y a des arguments pour et contre.
     POUR : la mémoire du site est intacte, les compétences existent toujours. La séparation des déchets en différentes catégories permet leur stockage dans des sites appropriés. Le site peut être décontaminé et rendu à un autre usage.
     CONTRE le travail sur un site actif présente de sérieux dangers pour les travailleurs. La séparation des déchets suppose qu'on est capable de décontaminer et de repérer les diverses catégories. La décroissance radioactive permet un travail plus facile et diminue les déchets. La mémoire du site à 2 ans, 20 ans ou plus n' existera jamais parce que ce sont des intérimaires qui exécutent les visites décennales et qui ont déjà assuré la construction.
     Il est possible de choisir le démantèlement immédiat mais seule l'expérience que l'on accumule sur les petits sites donnera une orientation. Pour le moment on peut seulement récapituler les actions entreprises:
     - démantèlement partiel des divers ateliers Cogéma et C.E.A. à la Hague, à Fontenay, à Marcoule.
     - démantèlement partiel de Chinon, de Brennilis, de Rapsodie
     - etc.
     Il est bien évident que les experts du nucléaire avaient intérêt, en ]978 entre autre, à prétendre dominer le sujet. Cela permettait de faire plus de nucléaire. Il est plus que temps de prendre la mesure du problème et d'admettre que le démantèlement est facile dans les dossiers d'enquête publique et les dossiers AIEA ou CEE mais beaucoup moins évident sur le terrain.
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     Le plus grand argument pour le démantèlement immédiat est que cela ne permet pas à l'industriel de récuser sa responsabilité et l'oblige à provisionner correctement les travaux. Dans ces conditions il est préférable de commencer le démantèlement des installations le plus vite possible. Le GSIEN est en accord avec les Amis de la Terre sur ce point.
Introduction
     La France et beaucoup d'autres pays se trouvent confrontés à un nombre croissant de réacteurs et autres installations qui, vu leur âge ou leur état, ne sont plus exploitables. Même lorsque le combustible irradié et les divers fluides contribuant à leur fonctionnement (eau légère, eau lourde, gaz carbonique, sodium...) en ont été retirés, ces installations contiennent encore des quantités élevées de radioactivité, qu'il s'agisse des produits d'activation ou d'autres radioéléments qui ont été dispersés lors des inévitables incidents de fonctionnement ou des opérations de maintenance. Il ne saurait donc être question d'abandonner ces installations à elles-mêmes.
     Ce problème est particulièrement crucial pour la France qui, on le sait, est nettement le pays le plus nucléarisé du monde, à la fois par tête d'habitant et par unité de P.I.B. Elle possède en effet:
     - une soixantaine de réacteurs de types variés, surtout à eau pressurisée mais aussi des réacteurs graphite-gaz, un réacteur à eau lourde (Brennilis) et plusieurs surgénérateurs (dont le célèbre Superphénix)
     - toute la chaîne du combustible nucléaire avec des mines, la séparation de l'uranium naturel, son enrichissement (Pierrelatte), la fabrication du combustible nucléaire, son retraitement (La Hague, Marcoule), le façonnement des combustibles aussi à l'uranium qu'au plutonium, etc.
     - enfin un volet complet de nucléaire militaire, avec la construction de bombes en tous genres et de sous-marins nucléaires.
     Un certain nombre de ces installations sont, soit déjà arrêtées, soit bientôt à bout de course. Parmi elles, les réacteurs suivants:
     - les réacteurs plutonigènes graphite-gaz G. 1, G.2 et G.3 de Marcoule;
     - les réacteurs graphite-gaz de Chinon A.1, A.2 et A.3, de St.-Laurent des Eaux A1 et A2, et de Bugey 1
     - le réacteur à eau lourde de Brennilis;
     - le réacteur à eau pressurisée de Chooz A1
     Les «gros» réacteurs à eau pressurisée (900 MWé, 1.300 MWé, 1450 MWé) mis en service depuis 1977, sont prévus pour fonctionner entre 25et 30 ans, de sorte que le problème de leur sort ultérieur se posera au début du siècle prochain, parfois au rythme de 5 ou 6 réacteurs par an. L'expérience acquise sur de plus petites unités sera alors précieuse. Si elle est positive, elle pourra servir de «vitrine» pour l'exportation et contribuer au très nécessaire «nettoyage» des installations nucléaires des pays de l'Est qu'il vaut certainement mieux arrêter que rafistoler.
     Les Amis de la Terre demandent donc que cette question soit prise très au sérieux, en évaluant de façon approfondie les impacts sur l'homme et son environnement des diverses solutions et en refusant de laisser la majeure partie du problème ànos descendants.
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I - Les trois niveaux de démantèlement proposes par les autorités nucléaires
     Dès 1975, l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique, AIEA (document 179, «Déclassement des installations nucléaires», 20-24 octobre 1975) s'est efforcée de répondre aux questions suivantes:
     - laissera-t-on les installations nucléaires arrêtées en héritage aux générations futures? Dans l'affirmative, quels seront les risques et les nuisances à terme?
     - est-il possible de les démanteler entièrement et, dans ce cas, que fera-t-on des déchets produits?
     La réponse alors donnée est «NON-OUI» et l'AIEA, suivie par les autorités nucléaires nationales, a défini 3 niveaux de démantèlement. Leur description est plus ou moins complète suivant les textes. Voici celle que donne le C.E.A. dans le dossier d'Enquête Publique sur le démantèlement de la centrale de Brennilis (Finistère):
     «En préambule et quel que soit le niveau de démantèlement retenu, les matières radioactives nécessaires à l'exploitation ou en résultant (combustibles nucléaires, matières fissiles ou fertiles, sources radioactives, effluents, déchets et autres produits radioactifs) sont évacués du site. Les circuits contaminés sont vidangés et, autant que faire se peut rincés.
a) Niveau 1 ou «Fermeture sous surveillance»
     L'installation, pour les parties comportant des matériaux ou des matériels radioactifs, reste pratiquement intacte. Elle est durablement confinée et maintenue sous surveillance. Des contrôles et entretiens périodiques sont nécessaires. Ce niveau correspond à une mise à l'arrêt sûre de l'installation. La radioactivité résiduelle (activation des structures + contamination) reste présente en quasi-totalité.
b) Niveau 2 ou «Libération partielle et conditionnelle»
     Une partie de l'installation est démontée ou démantelée. Les matériaux et matériels radioactives subsistants sont contenus à l'intérieur d'un ou plusieurs volumes scellés, réduits, dont le confinement a été renforcé. Les dispositifs de confinement et de protection biologique mis en place en regard permettent d'alléger la surveillance radiologique de l'installation. Les contrôles et entretiens sont simplifiés. Les autres parties de l'installation peuvent être réutilisées ou reconverties pour de nouvelles activités. Par rapport au niveau 1, la radioactivité résiduelle de l'installation est peu modifiée. (NDLR : EdF appelle cette étape «le déshabillage»)
c) Niveau 3 ou «Libération totale sans restrictions»
     L'installation, dans ses parties radioactives, est totalement démantelée. Tous les matériaux et équipements qui présentent encore une radioactivité significative sont évacués du site. L'activité résiduelle est suffisamment faible pour qu'elle ne nécessite plus ne confinement, ni surveillance. Les locaux subsistants sont réutilisables sans restrictions. Le site peut être libéré pour libre usage». (NDLR : Inspirée par le philosophe J. Derrida, EdF appelle cette étape «La déconstruction»).

II - Faut-il démanteler?
     Certains écologistes pensent que le démantèlement ne ferait que transporter ailleurs, dans des centres de stockage, le problème des déchets nucléaires. Ils semblent préférer un stockage sur place, «en attendant des recherches pour diminuer la radioactivité».
     Les Amis de la Terre, qui s'opposent en l'état actuel des choses à tout stockage irréversible de déchets nucléaires à haute activité ou à longue période, peuvent-ils être sensibles à un tel argument? Après réflexions, les raisons suivantes les conduisent à préférer un démantèlement:

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     1) L'étude précise et fouillée que les Allemands ont faite sur le démantèlement de leur réacteur à eau bouillante de Gundremmigenn A (250 MWé)-, leur a montré que ce démantèlement est possible, même au niveau 3 (voir plus loin) et que les déchets proprement nucléaires ne constituent que 7 % des 6.000 tonnes de matériaux.
     2) Parmi ces déchets nucléaires, ceux qui sont à faible activité et à courte période présenteront moins de dangers dans des sites de stockage appropriés - comme celui de Soulaines, dans l'Aube - que dispersés et sans conditionnement dans des installations nucléaires arrêtées.
     3) Quant aux déchets à haute activité ou à longue période, le même argument s'applique, mais c'est dans des centres d'entreposage réversible qu'il vaut mieux les envoyer (notre position est qu'un éventuel stockage définitif de ce type de déchets ne devrait avoir lieu qu'après quelques décennies de recherches sur la séparation des éléments à très longue période et sur les moyens de les éliminer).
     4) Laisser des déchets de différents types dispersés dans de nombreux sites nucléaires posera inévitablement des problèmes de «mémoire», dont l'importance sera soulignée dans le paragraphe III ci-dessous. Pour les surmonter il faudra, aussi tôt que possible, procéder à une séparation minutieuse de ces déchets, ce qui implique de démanteler. Cette séparation devra être prudente et éviter, dans les cas douteux, de placer des déchets dans les catégories les plus faciles à gérer. Cette séparation devra être suivie de conditionnements adéquats.

III- Quel niveau de démantèlement?
     Les 3 niveaux étant conçus pour se succéder, on ne crée, a priori, pas d'irréversibilité si l'on s'arrête au niveau 1 ou 2. Cependant l'on devra veiller à ce que les dispositions résultant d'un démantèlement, disons au niveau 2, ne viennent pas compliquer un démantèlement ultérieur au niveau 3 (il y a des exemples contraires dans le cas de Brennilis).
     Disons aussitôt qu'un démantèlement au niveau 3 est possible peu de temps après l'arrêt de l'installation. C'est ce à quoi les Allemands sont en train de procéder sur leur réacteur à eau bouillante de Gundremmingenn A, 250 MWé, qui a fonctionné de 1966 à 1977: grâce à des techniques bien choisies (sciage sous glace, sciage dans l'eau, polissage électrolytique des surfaces métalliques...), ils prévoient que ce démantèlement se fera sans forte exposition des travailleurs, à un coût raisonnable et prévisible et avec assez peu de déchets nucléaires à stocker ou entreposer (7 % des 6.000 t de matériaux). Dès qu'ils auront trouvé le financement, les Anglais procéderont au démantèlement complet de leur prototype A.G.R. de Windscale.
     D'ailleurs, dès 1978, dans l'exposé qu'il fit devant le Conseil de l'Information sur l'Énergie Électronucléaire, présidé par Madame Simone Veil, M. Crégut, alors coordonnateur pour le déclassement des installations nucléaires à l'Institut de Protection et Sûreté Nucléaire (IPSN), s'exprimait en ces termes:
     «Sur le plan international, les experts en déclassement, les spécialistes en radioprotection et les techniciens nucléaires s'accordent pour souligner:
     - que le démantèlement complet d'une installation nucléaire, quel qu'en soit le type, est dès maintenant possible,
     - que les déclassements réalisés et les études faites n'ont pas fait apparaître de difficultés techniques insurmontables».

(NDLR - On disait alors «déclassement «au lieu de «démantèlement»).

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     Cependant les positions exprimées par les opérateurs du nucléaire français, EdF, COGEMA, et C.E.A., en particulier les déclarations faites par leurs responsables du démantèlement le 17 novembre 1994 devant l'Office Parlementaire d'Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, ainsi que les projets du C.E.A. pour Brennilis, montrent que ces organismes ont choisi de procéder aussi tôt que possible à des démantèlements de niveau 2 et de remettre le démantèlement au niveau 3 à beaucoup plus tard, 30 à 50 ans en général, EdF envisageant même 100 ans pour le REP de Chooz A1.
     Par exemple, dans le cas de Brennilis, le dossier C.E.A. soumis à Enquête Publique, prévoit de conserver:
     - l'enceinte étanche avec tout de qu'elle contient (cuve, circuits du gaz carbonique et des effluents liquides), et la cheminée de rejet des effluents gazeux ainsi que les tuyauteries la reliant à l'enceinte étanche (les ouvertures de l'enceinte étanche seraient bouchée par obturation des circuits et colmatage des interstices)
     - un bâtiment attenant qui serait transformé pour contenir un local du personnel (vestiaires, etc.), des bureaux, des appareils de contrôle, des détecteurs variés, un local technique, un lieu d'entreposage des eaux douteuses et des moyens de ventilation destinés à déshumidifier l'air intérieur à l'enceinte étanche afin d'y limiter la corrosion. Tout le reste, y compris le bâtiment turbine (production d'électricité), la station de traitement des effluents et le bâtiment contrôle-bureaux, serait détruit (donc «déshabillage»).
     On a vu (cf. § I) que, même au niveau 2, la radioactivité résiduelle restera présente en quasi-totalité. Dans le cas de Brennilis, qui est pourtant un «petit» réacteur (70 MWé), elle est estimé à 4,3.1016 Bq (Becquerels), soit 350.000 Curies, une quantité qui est loin d'être inoffensive. Certes, dit le dossier du C.E.A., seuls 4.1011 Bq, environ 10 Curies, seraient «dispersables», mais ceci suppose que l'intérieur de l'enceinte étanche restera en parfait état pendant 50 ans, sans corrosion des métaux ne dégradation des bétons.
- Arguments pour une longue attente avant le niveau 3
     Le principal est celui de la décroissance radioactive: chaque radioélément perd la moitié de sa radioactivité en une certaine période de temps appelée sa période. Celle du Cobalt 60, produit de l'activation du fer qui est présent en assez grande quantité dans les structures métalliques, est de 5,3 ans de sorte que sa radioactivité sera divisée par mille (plus précisément 1.024 = 210) en 53 ans. Mais cet argument ne tient pas compte des radioéléments à bien plus longue période (américium, plutonium...) qui pourraient être présents dans les recoins des circuits suite, par exemple, aux inévitables défaillances de certains tubes de combustible nucléaire.
     On fait aussi état d'éventuelles percées technologiques qui pourraient faciliter le démantèlement au niveau 3. Mais auront-elles lieu sans expérimentation en vraie grandeur sur certaines installations?
     L'argument de l'exposition des travailleurs n'a qu'une valeur relative. Lors du démantèlement de Gundremmigenn A, la dose collective reçue est estimée à environ 2 Sieverts pour les opérations correspondant aux niveaux 1 et 2, à environ 2 Sieverts également pour celle du niveau 3. Cela s'explique assez aisément: contrairement aux opérations des niveaux 1 et 2, et aussi aux opérations de maintenance et réparation, les opérations du niveau 3 comprennent la destruction de certaines parois, ce qui multiplie les angles d'attaques possibles, facilite la mise en oeuvre de protections temporaires et permet d'utiliser des robots.
- Arguments contre une longue attente avant le niveau 3
     Pendant une longue période d'attente, les matériaux de ce qui restera de l'installation (au moins son enceinte étanche vont subir une usure. 
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Dans les cas des métaux, en particulier des aciers au carbone, il s'agit de la corrosion. La ventilation déshumidifiante prévue pour la limiter ne sera que partiellement efficace sur une longue durée; de plus, à moins de ménager des ouvertures soigneusement calculées pour faciliter la circulation de l'air sec (opération qui relève du «niveau 3» et, pire, dans des structures fort encombrées !), elle atteindra moins facilement les parties intérieures des structures métalliques (cuves, tuyauteries...), qui sont les plus radioactives,) que leurs parties extérieures. Ainsi une longue attente dispensera de façon imprévisible une partie de la radioactivité et accroîtra ainsi les dangers des opérations du niveau 3.
     Une autre conséquence d'une longue attente serait la perte de la mémoire. Pour bien mener un démantèlement, il faut non seulement connaître les plans détaillés de l'installation, mais aussi les résultats des inspections qui y ont été faites, les incidents qu'elle a subis, les opérations de maintenance et les réparations qui y ont été effectuées. Pour cela, la mémoire «morte» des dossiers n'est pas suffisante. Lors de l'audition du 17 novembre 1994 de l'Office Parlementaire d'Évaluation, un ingénieur Belge, M. Lochard, évoqua en ces termes le démantèlement du réacteur BR.3 du Mol:
     «Il s'est arrêté en 1987. Le démantèlement a commencé en 1990. Le laps de temps n'est pas grand. Le problème, ce sont les hommes. Ils sont partis, ils ont été mutés ailleurs, d'autres sont partis à la retraite. Au niveau de la mémoire vive, si vous n'avez pas les hommes, cela devient vite très compliqué. Au niveau de la mémoire trace, il existe plusieurs dossiers. Vous attaquez une phase de démantèlement et l'on vous dit: «Attention, il y a eu des modifications en telle année, on a changé les boulons à tel endroit». Vous avez 25 centimètres d'épaisseur de dossiers très techniques sur l'appel d'offres, les études préliminaires sur le changement des boulons, mais il n'y a pas de trace incessante du point de vue de radioprotection».
     Lors de la même audition, M. André-Claude Lacoste, alors Directeur de la DSIN (Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires), souligna aussi la nécessité de la «mémoire vive». Le représentant de la CFDT rappela que les opérations sont en grande partie sous-traitées par des entreprises extérieures (pour raison de coût et ne pas trop exposer le personnel d'EdF) et effectuées par des équipes volantes, d'où une forte perte de «mémoire Vive». Pour des opérations courantes, les opérateurs du nucléaire sont parfois amenés à faire appel à la mémoire de leurs retraités. L'une des raisons données pour l'arrêt de Brennilis en 1985 a été que, sinon, il aurait fallu former de nouveaux spécialistes de la filière eau lourde. Où seront, dans 50 ans, les personnes connaissant bien l'installation à démanteler?
     Même lorsqu'elle est abondante, comme le disait M. Lochard, la «mémoire trace» n'est pas à l'abri de tout soupçon. Et il y a des cas où elle est inexistante; ou introuvable. On connaît, par le ministère de l'Environnement, les centaines de sites abandonnés et pollués où l'on ne sait guère ce qui y a été déposé. Même dans le domaine nucléaire, a priori mieux contrôlé que le domaine chimique, il y a des exemples: l'usine des terres rares de Rhône-Poulenc à la Rochelle; celle des anciennes montres à aiguilles radioactives Bayard à St-Nicolas d'Aliermont (Seine Maritime). Le secteur public n'est pas à l'abri comme en témoigne la découverte, par des militants et des joumalistes, des «déposantes» du C.E.A. du Bouchet et de l'Orme-des Merisiers en région parisienne: le C.E.A. n'a pas retrouvé, dans ses archives, l'inventaire précis des déchets qui y ont été déposés.
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Le choix dépend-t-il du site?
     La question de la date du démantèlement complet se pose t-elle différemment pour un réacteur qui, comme Brennilis, est isolé sur son site, et pour Chooz A1 sur le site duquel il y a 4 autres réacteurs dont les plus récents tourneront jusque vers 2020? A moins de laisser à Brennilis une équipe de surveillance importante, les possibilités d'interventions seront évidemment meilleures à Chooz.
     Mais cela suppose que ces réacteurs récents fonctionneront aussi longtemps qu'il sera possible et, si l'attente soit être de 50 ans, seront remplacés par d'autres. L'argument du site est ainsi valable dans la bouche de ceux qui souhaitent la poursuite du nucléaire. Il l'est moins dans la bouche de ceux qui demandent une sortie du nucléaire.

IV - L'aspect financier
     Le coût d'un démantèlement complet est loin d'être négligeable par rapport au coût de la construction. Leur rapport est estimé à 30 % par la COGEMA pour ses usines de retraitement de La Hague et Marcoule. Pour ses réacteurs, EdF l'estime à15 %, soit 1'500F par kW de puissance, ce qui représente environ 50 % du coût de la construction de la partie proprement nucléaire du réacteur; d'ailleurs des experts indépendants, comme Florentin Krause, montrent qu'EdF sous-estime le coût du démantèlement et le situent dans une fourchette allant de 2'000F à 6'200F par kW.
     En tous cas, EdF, C.E.A. et COGEMA sont amenés à provisionner des sommes importantes, des milliards dans le cas d'EdF et de la COGÉMA. Ces entreprises font état de bons «taux d'actualisation» pour faire fructifier les capitaux mis de côté et cette fructification est, en théorie, d'autant meilleure qu'on attend plus longtemps. Avec les 4,5 % de la Caisse d'Épargne, le mécanisme des intérêts composés multiplie par 9 en 50 ans toute somme qui y est placée. Mais EdF et COGEMA comptent sur des taux bancaires plus rémunérateurs que ceux de la plébéienne Caisse d'Épargne: avec un taux de 8 %, le multiplicateur est de 47 en 50 ans, d'où un pactole pour une provision de quelques milliards! On comprend mieux pourquoi les entreprises nucléaires tiennent à retarder le plus possible un démantèlement complet.
     Mais ces calculs ne tiennent pas compte de l'inflation, ni des vicissitudes des marchés financiers qui subissent assez souvent des krachs. Il y a aussi les placements malencontreux qu'on peut faire à la recherche de taux avantageux: ainsi, vers 1992, la COGEMA a perdu 250 millions.

Conclusion

     Nous avons vu qu'un démantèlement sérieux des installations nucléaires est une nécessité et qu'on ne doit pas laisser longtemps des substances fortement radioactives dispersées sur une multitude de sites et mal conditionnées.
     Les arguments contre une longue attente avant un démantèlemeht complet, au niveau 3, sont plus forts, à notre avis,que ceux qui militent pour une telle attente; l'argument relatif à la «mémoire» est particulièrement important. Les différences entre sites ne peuvent jouer qu'un rôle mineur. L'argument financier du «taux d'actualisation» est de l'ordre d'un pari qui, minimisant les dépenses présentes, risques d'obliger nos descendants à payer fort cher.
     Et puis, dans ces temps troublés, quel sera l'état politique et social du pays dans 50 ans ? Même si l'on est optimiste, l'on doit aussi s'interroger sur la pérennité des entreprises nucléaires, qu'une politique trop libérale (on l'a vu outre Manche) pourrait démanteler ou privatiser.

LES AMIS DE LA TERRE SONT DONC D'AVIS DE 
PROCÉDER AUSSI TÔT QUE POSSIBLE, SANS LÉSINER ET EN EMPLOYANT LES MEILLEURES TECHNIQUES, AU DÉMANTÈLEMENT COMPLET DES INSTALLATIONS NUCLÉAIRES.


En guise de conclusion du GSIEN
Démantèlement: L'épine

     Il est un point que notre société avait mal évalué: que faire d'un site, d'une usine qui a fini sa vie. Pendant des siècles on a rasé et reconstruit. On a aussi laissé à l'abandon des endroits souillés et attendu que la nature fasse le ménage. Ce problème de remise en état d'un site est le fait de toutes les industries employant des produits chimiques et autres ingrédients polluants. Il est clair que le démantèlement des installations nucléaires est une vaste question qui rejoint le devenir des friches industrielles qui agrémentent le Nord et l'est de la France.
     Il se trouve que, pour le nucléaire, il est à peu près impossible de se retirer sur la pointe des pieds, sans risquer des incidents graves à terme. Les exemples du Mexique (démantèlement d'un appareil contenant du cobalt en oubliant de retirer la source, 1980), du Brésil (oubli d'un appareil contenant une source de césium, 1987) ont rappelé que le rayonnement n'est pas perçu par nos sens, des centaines d'habitants ont été contaminés gravement et une vingtaine sont morts depuis la découverte des «oublis» Les résidus des mines d'uranium ont aussi rappelé leur existence par la pollution radium-radon qu'ils génèrent.

Stratégie de démantèlement
     On en est toujours aux principes généraux c'est-à-dire on définit un niveau de déclassement selon 3 possibilités:

suite:
     niveau 1: On retire la matériel très radioactif, On boucle le site et on surveille,
     niveau 2: On décontamine, on retire tout ce qu'on peut retirer, on continue la surveillance,
     niveau 3: On rend le site à la nature.
     Pour le moment on a exécuté le niveau 1 sur de petites installations, assuré le niveau 2 sur quelques petits sites (Chinon A1 et des ateliers à Saclay, Fontenay et Marcoule). On a en cours un niveau 2, pour des installations de petites taille industrielle telles Brennilis et Rapsodie.
     Sur ce premier site (un réacteur de 70 MWé) on a contaminé récemment au moins 2 travailleurs avec de l'eau tritiée (septembre 1995), 9 ans après le début des opérations. Quant à Rapsodie (un réacteur à neutron rapide de 40 mW) 11 ans après son arrêt, en 1994, une explosion du sodium résiduel (100kg) a tué 1 personne, blessé grièvement au moins 3 et ravagé un atelier en détruisant une dalle de 300 m2.
     La question qui se pose en faisant le bilan actuellement est la suivante: on avait, pour des raisons techniques et d'irradiation du personnel, repoussé le démantèlement assez longtemps dans le temps. On pensait 50, 100 ans pour les réacteur de 1000 MWé. Est-ce la solution?
     C'est éventuellement une solution si on pense à l'impact financier sur le coût actuel du kW/h.
     C'est une solution semble-t-il pour minimiser l'impact radiologique.
     Mais le coût est alors reporté sur les générations futures.
     Compte tenu des problèmes techniques non résolus c'est aussi une solution.
     Mais qu'en est-il en fait?
     L'impact sur les travailleurs peut être plus important que prévu parce que:
     - les structures vont se corroder avec le temps et il faudra plus de temps pour intervenir donc on annulera la diminution de l'activité par un temps de séjour plus long,
     - la mémoire de l'installation va être perdue et les interventions vont devenir difficile ce qui aura un effet aggravant.
     - la surveillance d'un site et l'accumulation de déchets de faible activité exigent une gestion rigoureuse et une pérennité des institutions pour éviter l'irradiation et la contamination des populations.
     Quant au coût si l'installation se dégrade, il sera plus élevé que prévu 50 ans avant.

Le démantèlement et le recyclage
     Le démantèlement génère un monceau de déchets plus ou moins contaminés. En l'état de la législation il n'y a pas de définition claire du contenu radioactif d'un déchet. Les classifications A B C ont été faites pour les déchets issus du retraitement et ne sont axées que sur le contenu en émetteurs à vie longue (émetteurs de particule alpha).
     Les déchets de type A voient leur volume croître de façon très importante dès qu'on ajoute les bétons, les ferrailles issus du démantèlement. Comme il y a 2 centres de surface pour stocker ce type de déchets, l'un complet (Centre de Stockage de la Manche) avec 500.000 m3, le 2ème prévu pour 1 million de m3 (Centre de Stockage de l'Aube), il y a une tentation à relever les seuils et à définir un seuil d'exemption permettant de limiter les déchets.
     Si on décide qu'à partir d'une certaine limite un béton ou une ferraille n'est pas radioactive on peut le réutiliser dans le bâtiment ou dans une aciérie. Mais la surveillance et le contrôle sont si difficile que:
     - on a découvert dans le Limousin une école maternelle contaminée parce que construite sur des résidus de mine et après moult hésitation on vient enfin de la fermer,
     - si on admet la limite de dose actuelle de 100 Bq/g (datant de 1966 et non destinée à fixer la limite entre déchet radioactif / non radioactif mais utilisée faute de mieux), le débit de dose à 1m d'une plaque de fer de 1m de diamètre et de 1cm d'épaisseur contenant l00Bq/g de cobalt 60 est de 0,01 mSv/h. La limite pour les travailleurs est 0,025 mSv/h. Comme dans une aciérie il n'y a pas une seule plaque de fer on dépasse très rapidement les doses admissibles pour les travailleurs. En ce qui concerne la population comme, en général, on divise par 10 la limite travailleurs cette plaque ne peut pas être mise sur le marché.
     Le recyclage, nouvelle stratégie prônée par nos pollueurs dépend de normes garantissant la santé des populations et minimisant les effets sur l'environnement. Qui saura les faire adopter et qui arrivera à les faire respecter. En l'absence de réponses la Direction de la Sûreté des Installations dans une note de 1994 préconise de stocker ce type de résidus dans un site dévolu à cet usage.

Coûts
     Les estimations de coûts dépendent du temps qui s'écoule entre la fermeture d'un site et le démarrage des opérations. Plus les opérations démarrent loin dans le temps, plus l'incidence actuelle est faible. Si on reporte les opérations dans 50 à100 ans on estime que ce coût se situe autour de 10 à 12 % du coût d'un réacteur (environ 500 millions à 2 milliard selon les réacteurs). Mais on ne compte pas la mise au point des appareils, les inconnues, etc. De plus les quelques expérimentations aussi bien étrangères que françaises conduisent à des coûts beaucoup plus élevés, de l'ordre du coût du réacteur ou même davantage, soit de 5 à 20 milliards par réacteur.
     Le démantèlement comme le stockage des déchets est pour les générations futures.

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