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N°177/178
SYNTHÈSE DES TRAVAUX DU GROUPE RADIOECOLOGIE NORD-COTENTIN

7 juillet 1999

SOMMAIRE
A. INTRODUCTION
1. Historique de la création du Groupe
2. Missions et composition du Groupe
B. Principaux résultats
MISSION 1: RECONSTITUTION DOSIMETRIQUE ET EVALUATION DES RISQUES
1. Objectif général et méthodologie
2. Synthèse des travaux sur les rejets
3. Synthèse des travaux sur les mesures
4. Synthèse des travaux sur la confrontation modéles/mesures
5. Synthèse des travaux sur la reconstitution des doses reçues par les populations et sur l'évaluation des risques correspondants
6. Résultats et discussion des résultats
MISSION II: EVALUATION DES DOSES INDIVIDUELLES A DES GROUPES DE POPULATION PLUS EXPOSES
1. Mode d'approche
2. Résultats et discussions des résultats
C. RECOMMANDATIONS
1. Sources d'exposition autres que les installations nucléaires
2. Surveillance
3. Ajustement des modéles
4. étude d'incertitude
5. Expertise pluraliste
Diffusion du document
E. COMMENTAIRES DE MEMBRES DU GSIEN
LISTE DES ANNEXES

p.15 à 24

A. INTRODUCTION
1. Historique de la création du Groupe
    En janvier 1997, l'équipe du professeur J.F. Viel de l'université de Besançon publiait dans le British Medical Journal les résultats d'une étude épidémiologique ("cas témoin") réalisée autour de l'usine de retraitement de La Hague. Cette étude mettait en évidence l'association entre certaines habitudes de vie (la fréquentation des plages locales, la consommation de produits de la mer, le fait d'habiter dans une maison de granit) et le développement de leucémies parmi les sujets de moins de 25 ans dans un rayon de 35 km autour de l'usine de retraitement de La Hague. Les auteurs émettaient l'hypothèse d'une relation causale entre cette observation et l'exposition aux rayonnements résultant des rejets de cette installation. L'étude faisait suite à différentes publications de la même équipe, notamment à celle de 1995 sur l'incidence de la leucémie chez la même catégorie de population de la région suggérant un excés de leucémies dans la zone des 10 km (canton Beaumont-Hague) à la limite du seuil de significativité (4 cas observés entre 1978 et 1992 pour 1,4 cas attendus)
     Afin de répondre au débat suscité par les conclusions de ces travaux, Mme Corinne Lepage, Ministre de l'Environnement et M. Hervé Gaymard, secrétaire d'état à la Santé et à la Sécurité Sociale, mettaient en place au mois de février 1997, un Comité Scientifique sous la présidence du professeur Charles Souleau, doyen de la faculté de Pharmacie de Chatenay Malabry, afin de proposer "une nouvelle étude épidémiologique dans le Nord-Cotentin ". Dès le début des travaux du Comité, il est apparu indispensable à ses membres et à son président, d'élargir sensiblement le champ de sa mission initiale à un travail scientifique rétrospectif de "reconstitution et d'évaluation des doses de rayonnement" susceptibles d'être reçues par les populations les plus exposées du Nord-Cotentin du fait des sources naturelles, médicales, des retombées des essais nucléaires atmosphériques et de l'accident de Tchernobyl et des établissements industriels ou de stockage nucléaires de la région.
     Un premier rapport d'étape était présenté par le président du Comité en juillet 1997 à Mme Dominique Voynet et M. Bernard Kouchner, respectivement nouveaux Ministre de l'Environnement et de l'Aménagement du territoire et Secrétaire d'état à la Santé.
     En ce qui concerne le volet épidémiologique, l'une des conclusions du Comité était la nécessité de compléter l'étude d'incidence sur les sujets de moins de 25 ans dans le canton de Beaumont-Hague par des données correspondant aux années les plus récentes (1993 - 1996), non couvertes par les travaux antérieurs de J.F. Viel. Des recommandations étaient également faites quant à la nécessité d'améliorer le systéme de surveillance épidémiologique autour des sites à risques.
     En ce qui concerne le volet radiologique, le groupe de travail mis en place par le Comité, comprenant principalement des experts désignés par les appuis techniques des autorités et les exploitants, mettait en évidence la cohérence des mesures faites dans l'environnement par différents intervenants et donnait une évaluation des doses aux groupes de population susceptibles d'être les plus exposés, évaluation basée sur les modeles des exploitants. Le groupe souhaitait donc poursuivre son travail afin d'être en mesure de confirmer cette évaluation.
     Le président du Comité Scientifique, n'ayant pas souhaité continuer sa mission, la Ministre de l'Environnement et de l'Aménagement du Territoire et le Secrétaire d'état à la Santé décidaient en août 1997 de confier la poursuite des travaux épidémiologiques au professeur Alfred Spira, directeur de recherche à l'INSERM et celle des travaux du groupe "Radioécologie Nord-Cotentin" à Annie Sugier, directrice de la protection à l'IPSN. Une lettre de mission complémentaire a été envoyée à celle-ci en novembre 1997 afin de compléter les objectifs assignés au groupe Radioécologie Nord-Cotentin (cf. Annexe I).
     Le professeur Spira a remis aux Ministres en juillet 1998 un rapport intitulé "rayonnements ionisants et santé : mesures des expositions à la radioactivité et surveillance des effets sur la santé" (1) où il présente les résultats de ses travaux et des propositions d'action tant au niveau du Nord-Cotentin qu'en ce qui concerne la surveillance nationale. Il poursuit actuellement son travail selon les orientations définies dans son rapport.
     Le groupe Radioécologie Nord-Cotentin a remis deux rapports d'avancement au cours des années 1997 et 1998 et une note méthodologique en juillet 1998 (1), et a conclu ses travaux par le présent rapport ainsi que par des rapports détaillés correspondants aux principaux thémes traités.
     L'objet du présent document est de présenter l'approche adoptée par le groupe Radioécologie Nord-Cotentin et les résultats obtenus.

2. Missions et composition du Groupe
    Conformément aux lettres ministérielles des 25 août et 27 novembre 1997, le groupe de travail a deux missions distinctes:
     Mission 1: apporter des éléments d'information complémentaire aux études épidémiologiques réalisées ou en cours dans le Nord-Cotentin, en estimant, à partir d'une reconstitution des expositions provenant de différentes sources de rayonnements ionisants (industrie nucléaire, examens médicaux, rayonnements naturels, retombées des essais atmosphériques d'armes nucléaires et de l'accident de Tchernobyl) le risque de leucémie attribuable à ces seules sources au cours de la période 1978 - 1996 pour les jeunes (0 - 24 ans) du canton de Beaumont-Hague.
     La population reconstituée (1978-1996) est celle de l'étude de J.F. Viel (1978-1992), et du docteur Guizard (1993-1996). Il faut souligner que le calcul de risque se limite à un objectif (les leucémies), à une population restreinte (les jeunes) et à une période donnée (1978-1996). Le calcul, en ce sens, ne peut être confondu avec un calcul global de l'impact sanitaire lié aux installations nucléaires du Nord-Cotentin. La mission du groupe ne comportait pas non plus l'étude des autres causes potentielles de leucémie.
     Mission 2: éclairer les décisions à prendre sur la révision des textes réglementaires régissant le fonctionnement de l'usine de retraitement COGEMA - La Hague, en évaluant les expositions des groupes de population susceptibles d'être les plus exposés.
     Cette approche dite "réglementaire" répond à un objectif de protection de l'ensemble de la population en s'assurant que les groupes susceptibles d'être les plus exposés sont bien soumis à des doses faibles comparées aux limites fixées pour un individu pouvant être soumis à plusieurs sources d'exposition (expositions médicale et naturelle non comprises).
     Dans les deux cas, les niveaux d'exposition doivent être définis, dans la mesure du possible, de façon réaliste malgré les difficultés d'un tel exercice dans le cas d'une étude rétrospective. Cette approche se différencie des estimations a priori majorantes réalisées dans le passé.
     La spécificité du groupe Radioécologie Nord-Cotentin a résidé, d'une part, dans sa composition (contrôleurs, experts institutionnels français, exploitants, membres de mouvements associatifs et experts étrangers) et, d'autre part, dans la réalisation d'une analyse critique systématique aussi exhaustive que possible. Il s'agit donc d'une expertise pluraliste qui ne doit cependant pas masquer l'important déséquilibre qui existe entre les différents acteurs en termes de moyens.
     La composition du groupe, d'abord limitée à quelques uns des principaux intervenants concernés, a été élargie avec l'accord des Ministres; il comprend ainsi des experts provenant d'organismes trés divers: organismes d'expertise ou de contrôle nationaux (OPRI, CNRS, IPSN), exploitants (EDF, COGEMA, ANDRA, Marine Nationale), experts de la Commission spéciale d'information prés de l'établissement de La Hague ainsi que du mouvement associatif (ACRO, GSIEN, CRII-RAD) et experts d'instituts étrangers (NRPB Britannique, BFS Allemand, OFSP Suisse).
     De plus, afin de s'assurer d'une participation aussi approfondie que possible des experts au travail d'analyse critique, des groupes spécialisés ont été constitués dont l'objectif était de traiter des différents aspects de la mission du groupe plénier. Ce sont ainsi au total environ 50 experts qui ont travaillé sur le projet dans ces différents groupes:
     - le premier examine de façon critique les rejets déclarés par les exploitants des installations nucléaires du Nord-Cotentin et si nécessaire reconstitue les données manquantes.
     - le deuxième rassemble et interpréte les mesures faites dans l'environnement par les différents intervenants (institutionnels et non institutionnels) depuis la mise en service des installations.
     - le troisième compare entre eux les modéles et confronte les prévisions de ceux-ci avec les mesures faites dans l'environnement.
     - le quatrième identifie les groupes de population du Nord-Contentin pertinents du point de vue épidémiologique (mission 2) ou dont les habitudes de vie les conduisent à être plus exposés aux sources industrielles nucléaires locales (mission 1), afin d'évaluer le niveau moyen des expositions auxquelles ils ont été ou sont soumis; il évalue également le niveau moyen des expositions reçues du fait des autres sources de rayonnement (naturelles, médicales et retombées des essais nucléaires atmosphériques et de l'accident de Tchernobyl) et estime le risque correspondant à la somme de l'ensemble des expositions considérées (mission 2).
     Ce travail est complémentaire de celui mené par le professeur Spira concernant le suivi épidémiologique des populations du Nord-Cotentin. Ces études qui ont donné lieu à la publication d'un rapport, se poursuivent selon les orientations définies dans ce rapport.
     Nous examinerons successivement pour les missions 1 et 2 les modes d'approche retenus et les résultats obtenus, ainsi que les recommandations que l'on peut faire à la suite de ces travaux et les commentaires émis par certains membres du groupe.

B. MISSION 1: RECONSTITUTION DOSIMETRIQUE ET EVALUATION DES RISQUES
1. Objectif et méthodologie
    L'objectif poursuivi est d'estimer les risques éventuels, en particulier de leucémies, liés aux expositions de la population du Nord-Cotentin aux rayonnements naturel, médical ou provenant d'installations nucléaires et des retombées des essais atmosphériques d'armes nucléaires et de l'accident de Tchernobyl. Ces estimations sont comparées aux données établies à partir des enquêtes épidémiologiques.
     A cette fin, le groupe effectue un exercice de reconstitution des doses à la moelle osseuse reçues par la population concernée pendant la période couverte par les études épidémiologiques. En effet, seule une reconstitution rétrospective réaliste de ces doses incluant toutes les sources d'exposition permet une estimation du nombre de leucémies attribuables aux rayonnements. Elle permet aussi une comparaison de ce nombre avec celui constaté pour la population du Nord-Cotentin.
     Compte tenu de l'hypothése avancée par J.F Viel, l'effort principal porte sur les expositions dues aux rejets des installations nucléaires et notamment sur l'usine de retraitement COGEMA.
     Deux méthodologies complémentaires permettent d'évaluer le transfert vers l'homme de radionucléides contenus dans les rejets:
     - l'une consiste à mesurer les concentrations en radionucléides dans l'environnement et à estimer en conséquence l'impact sur des groupes de population compte tenu de leur localisation géographique et de leur utilisation de cet environnement,
     - l'autre consiste, connaissant les rejets, à s'appuyer sur des modéles traduisant les mécanismes de dispersion et de reconcentration des radionucléides dans l'environnement jusqu'à l'homme.
     Le groupe Radioécologie Nord-Cotentin met en oeuvre les deux méthodologies complémentaires citées plus haut en validant les modéles par la comparaison de leurs résultats avec les mesures faites dans l'environnement.
     Les modéles ainsi validés permettent d'évaluer les niveaux de contamination en tout point de l'environnement alors que le nombre de mesures est nécessairement limité et que les valeurs attendues se trouvent souvent en dessous du seuil de mesure.
     L'originalité de l'approche adoptée réside d'une part dans l'ouverture du groupe à des intervenants d'origine multiple et d'autre part dans la recherche d'une analyse aussi systématique et exhaustive que possible des données disponibles.

2. Synthése des travaux sur les rejets
    L'objectif premier était de reconstituer les activités des radionucléides présents ou susceptibles d'être présents, dans les rejets liquides et gazeux des différentes installations nucléaires implantées dans la région du Nord-Cotentin (usines de retraitement de combustibles usés de COGEMA, Centrale électrique de Flamanville d'EDF, Centre de stockage de la Manche de l'ANDRA, arsenal du port de Cherbourg de la Marine Nationale).
     L'analyse critique des rejets mesurés et faisant l'objet d'une déclaration réglementaire porte sur les points suivants:
     -caractère aussi exhaustif que possible de l'inventaire en radionucléides des rejets;
     -cohérence entre d'une part, la source " exhaustive " ainsi définie, quantifiée lorsque c'est possible par des codes de calcul, et d'autre part l'activité des effluents rejetés mesurée à l'émissaire par les exploitants et déclarée dans le cadre des procédures réglementaires de rejet;
     -reconstitution des rejets de radionucléides présents mais non mesurés dans le passé ou encore actuellement, soit parce que les rejets correspondants n'étaient pas considérés comme significatifs suite au calcul d'impact des exploitants, soit en raison des limites des techniques analytiques. Cette reconstitution est faite en supposant identique le comportement physico-chimique des isotopes d'un même radionucléide, en définissant des analogies chimiques entre éléments proches (au sens de la classification périodique) et en tenant compte des informations disponibles sur les impuretés présentes dans le combustible qui donnent naissance à des produits d'activation susceptibles de se retrouver dans les rejets.
     Les exploitants ne comptent dans leur inventaire que les activités mesurées. Ils ne visent donc pas l'exhaustivité. De même, lorsque une mesure est en dessous du seuil de détection, ils ne recherchent pas nécessairement, par des mesures bas niveau, la valeur la plus précise mesurable. Or, ces éléments sont nécessaires à une évaluation de l'impact radiologique rigoureuse et précise, même si in fine, il peut apparaître que les radionucléides qui n'avaient pas été inclus dans l'évaluation, a priori, pèsent relativement peu en termes d'impact dosimétrique. C'est seulement à la suite de cette analyse qu'une telle conclusion pourra être tirée et que l'on pourra volontairement décider de limiter le terme source aux radionucléides majeurs. De plus, dans le cadre de cette étude, s'agissant d'évaluer la dose à la moelle, il est important de bien identifier les différents radionucléides considérés.
     Pour l'essentiel, les étapes de l'analyse critique citées plus haut peuvent être appliquées de façon satisfaisante aux usines de COGEMA/La Hague pour lesquelles, à partir du tonnage annuel retraité et des caractéristiques des combustibles usés (nature, taux d'irradiation et temps de refroidissement moyen) fournis par l'exploitant, il a été possible sur la base de codes de calculs standards, d'établir les quantités annuelles d'activité des principaux radionucléides présents dans les combustibles usés au moment de leur retraitement et donc susceptibles d'être rejetés dans l'environnement.
     Par contre, pour les deux réacteurs de la Centrale de Flamanville, comme pour les réacteurs nucléaires en général, la nature et l'activité des radionucléides présents dans les effluents liquides et gazeux dépendent d'un grand nombre de paramètres tels que le mode de conduite du réacteur, le taux de relâchement des radionucléides des assemblages combustibles (micro fissures, taux de rupture, etc. ...), la libération des produits d'activation des matériaux de structure dans les circuits de refroidissement et surtout le traitement et la gestion des effluents liquides avant leur rejet en mer, lesquels ont évolué dans le temps.
     Pour les installations de l'arsenal de Cherbourg les moyens de vérification sont encore plus limités. En effet, les rejets en mer sont beaucoup moins importants que ceux de l'usine de retraitement de COGEMA et leur contribution à l'activité ajoutée dans l'environnement est très faible.
     Sur le Centre de Stockage de la Manche de l'ANDRA, il n'y a pas de relation simple entre l'inventaire radiologique des déchets stockés et les rejets d'activité mesurés dans l'environnement (cours d'eau du Grand Bel et de la Ste Hélène notamment). Pour établir cette relation, il faudrait connaître l'évolution des colis et la cinétique de transport des substances radioactives dans le sous-sol (liée à leur solubilité).
     La solution proposée, s'agissant des deux réacteurs de la Centrale de Flamanville et de l'arsenal de Cherbourg consiste pour l'essentiel à se limiter aux radionucléides mesurés par les exploitants et inclus dans leur déclaration de rejets (pour Flamanville le carbone 14 et le nickel 63 ont été rajoutés). Pour le centre de la Manche la solution proposée consiste à se limiter aux principaux radionucléides mesurés dans l'environnement par les différents laboratoires.
     Le bilan des travaux sur les rejets peut être tiré en distinguant les différentes installations. L'usine COGEMA a fait l'objet d'une attention particulière en raison du niveau plus élevé de ses rejets comparés à ceux des autres installations nucléaires de base (INB).
     Au total, pour les rejets de COGEMA, 39 radionucléides sur 75 considérés (52%) ont été rajoutés à la liste des radionucléides qui ont fait l'objet d'une mesure et d'une identification analytique et qui ont été fournis par COGEMA au groupe. En terme d'activité, ces compléments ne modifient pas les ordres de grandeur des résultats fournis par l'exploitant cependant ils ont permis de préciser la composition des rejets.
     Pour les autres installations industrielles, on soulignera les points suivants:
     -Les rejets liquides et gazeux de la centrale de Flamanville ont été complétés par l'évaluation de l'activité du carbone 14 à partir des données de la littérature étrangère; de même, l'activité du nickel 63 dans les rejets liquides de la centrale a été précisée à partir des mesures récentes faites par l'OPRI ;
     -Pour les rejets de l'arsenal, les informations qui n'étaient pas jusqu'à présent disponibles dans le domaine public ont été transmises au groupe par le Ministre de la Défense sous la forme d'un tableau de mesures des rejets.
     Les résultats obtenus ne remettent pas en cause les données fournies par les exploitants en terme d'activité rejetée, cependant ils ont permis de préciser la composition des rejets, nécessaire pour conduire les calculs d'impacts dosimétriques.

3. Synthèse des travaux sur les mesures
    L'objectif poursuivi a été de rassembler et d'interpréter les résultats des mesures faites dans l'environnement par la dizaine de laboratoires qui effectuent régulièrement des mesures de radioactivité dans la région. L'approche adoptée a consisté successivement à:
     -établir un inventaire de l'ensemble des prélèvements et des types de mesures qui ont été réalisés depuis le début du fonctionnement des installations,
     -normaliser la présentation des résultats de mesures et les rassembler sous forme de tableaux et de courbes,
     -interpréter les résultats ainsi rassemblés.
     Le collationnement des informations n'est en effet pas suffisant, il convient d'analyser la variabilité des mesures au sein d'un même laboratoire, et également, entre les différents laboratoires.
     Ensuite il y a lieu de définir les facteurs qui influencent les niveaux de radioactivité dans l'environnement dans l'espace et au cours du temps et qui pourraient expliquer les différences constatées. Par exemple, pour un même lieu, la période de la prise d'échantillon: avant ou après un rejet. Il est ainsi possible de valider les valeurs qui sont utilisées pour la comparaison avec les résultats des modèles de transfert dans l'environnement, et/ou utilisés directement pour la reconstitution dosimétrique.
     Le groupe de travail s'est efforcé d'être exhaustif pour l'inventaire des prélèvements et des types de mesures. En revanche, pour les résultats des mesures, compte tenu du nombre considérable de données à rassembler et à vérifier dans un temps limité, il a été décidé de donner la priorité aux informations les plus pertinentes pour la comparaison avec les résultats des modèles et l'estimation des doses aux populations. Les critères de sélection suivants ont donc été appliqués:
     -traiter en priorité les résultats pour lesquels plusieurs organismes ont effectué des prélèvements au même endroit et au même moment afin de pouvoir les comparer entre eux,
     -privilégier les indicateurs décrits par des longues séries de mesures afin de suivre l'évolution temporelle de la radioactivité, et pour lesquels des stations de prélèvements existantes permettent de couvrir au mieux la zone du Nord-Cotentin,
     -mettre l'accent au cas par cas sur des points qui présentent un intérêt particulier comme certains maillons de la chaîne alimentaire (lait) ou encore l'impact d'un incident localisé dans le temps et l'espace,
     -donner la priorité aux résultats disponibles sous forme informatique pour pouvoir les traiter rapidement,
     -traiter les données de l'environnement situées à l'extérieur des sites nucléaires où s'appliquent les modèles de dispersion que l'on cherche à valider.
     Seuls les résultats obtenus à partir de 1978 sont pris en compte. En effet, à partir de la fin des années 70, non seulement de nombreuses données ont été informatisées, mais en outre les mesures ont gagné en qualité. Enfin l'étude porte jusqu'en 1997, sous réserve de la disponibilité des résultats de mesures correspondant à cette année.
     Le nombre total de " déterminations de l'activité de différents radionucléide et d'activité totale", se montent à 500.000 environ avec la répartition suivante :
ANDRA (5.01%), COGEMA (50.86%), CRII-RAD (0.08%), EDF (2.97%), GEA (16.10%), LDA50 (1.87%), LERFA (5.44%), OPRI (17.54%), ACRO (0.14%), GREENPEACE (0.01%)
     - La revue critique des résultats a donné lieu à l'établissement de tableaux récapitulatifs par indicateur ou par radionucléide, précisant pour chaque organisme et chaque lieu la moyenne arithmétique annuelle retenue comme grandeur représentant les niveaux moyens de radioactivité dans l'environnement, accompagnée de l'écart-type, de la valeur maximale des niveaux d'activité enregistrée dans l'année et du nombre de résultats d'activité supérieurs à la limite de détection par rapport au nombre total de mesures réalisées dans l'année.
     - Les types de prélèvements, les traitements et les mesures de radioactivité des échantillons (et donc des seuils de détection) sont adaptés aux objectifs propres à chaque laboratoire (surveillance, expertise ou recherche). Cela peut conduire à une comparaison difficile des résultats, notamment par exemple, en raison des seuils de détection qui diffèrent suivant ces objectifs.
     Au total, l'ensemble des travaux sur les mesures environnementales, malgré cette diversité des pratiques, a permis de mettre en évidence, tous les éléments d'appréciation étant pris en compte, la cohérence de l'ensemble des résultats, et un consensus de la part des participants sur l'analyse de l'évolution dans le temps et l'espace des niveaux de radioactivité détectés dans l'environnement.
     Cette revue d'une grande ampleur a nécessité un effort considérable. Elle met à la disposition de tous les experts et du public le collationnement et l'analyse de l'ensemble des données recueillies sous la forme d'un CD Rom.

4. Synthèse des travaux sur la confrontation modèles/mesures
    L'objectif général poursuivi par ces travaux était de proposer les modèles les mieux adaptés à l'évaluation des concentrations dans l'environnement des radionucléides rejetés par les installations nucléaires du Nord-Cotentin.
     Ces modèles décrivent et quantifient les différentes étapes du passage d'un contaminant radioactif de son point de rejet aux différentes composantes de l'environnement jusqu'à l'homme: La dispersion dans le milieu récepteur est modélisée par un facteur de dilution pour les rejets liquides en mer ou en rivière et par un coefficient de transfert atmosphérique (CTA) pour les rejets gazeux dans l'atmosphère. Les transferts vers les compartiments au contact de l'homme sont modélisés par les facteurs de concentration des radionucléides dans les produits marins et dans les poissons de rivière ainsi que par des coefficients de distribution pour les sédiments. Pour les compartiments terrestres et notamment les aliments, la modélisation est beaucoup plus développée et tient compte d'un grand nombre de voies d'atteintes.
     En premier lieu, un inventaire des modèles existants et de leurs paramètres (modèles COGEMA, ANDRA, EDF, IPSN et modèle européen PC-Cream) a été réalisé. Cette intercomparaison montre que la dispersion des résultats de mesures par rapport aux valeurs prévues par le modèle est rarement supérieure à 10 dans le milieu marin comme dans le milieu terrestre. Le groupe juge que ces différences sont normales. Elles sont dues, d'une part, à la nature même des modèles et à la représentativité des paramètres choisis et d'autre part, à la fluctuation inévitable des mesures environnementales.
     Par ailleurs, la comparaison des prévisions des modèles aux résultats des mesures effectivement réalisées dans l'environnement a été menée systématiquement. Cette approche a permis d'ajuster, de façon tout à fait exceptionnelle dans ce type de travaux, les paramètres des modèles à la réalité locale à chaque fois que cela était possible.
     L'apport de ces confrontations est indéniable dans le milieu marin, où l'on dispose, pour un grand nombre de radionucléides de mesures environnementales suffisantes, en nombre et en sensibilité. Il n'en va pas de même dans le milieu atmosphérique en raison du nombre limité de mesures environnementales suffisamment sensibles. Une marge de progrès existe donc en priorité dans ce domaine.
     Lorsqu'on disposait de longues séries de mesures supérieures aux limites de détection, (domaine marin), des éléments ont été fournis pour quantifier la variabilité des activités des radionucléides dans l'environnement marin.
     Cet exercice a permis d'avoir confiance dans la modélisation du devenir des radionucléides rejetés dans le milieu marin car la modélisation a pu être ajustée sur les longues séries de mesures disponibles pour certains radionucléides. Par contre, dans le domaine terrestre, le nombre plus réduit de mesures supérieures aux limites de détection ou l'importance relative du bruit de fond n'ont pas permis de mener une confrontation modèles/mesures aussi complète.

5.Synthèse des travaux sur la reconstitution des doses reçues par les populations et sur l'évaluation des risques correspondants
    Les doses à la moelle osseuse reçues par la population du Nord-Cotentin du fait des installations industrielles nucléaires de la région peuvent être calculées à partir des valeurs des rejets et des mécanismes de transferts dans l'environnement.
     La démarche retenue par le groupe est double :
     -évaluer la dose moyenne à la moelle osseuse reçue par une "cohorte" représentative de la population locale et en déduire le risque de leucémie ; l'ensemble des voies d'exposition de la population considérée est étudié,
     -estimer la variabilité autour de la dose moyenne à la moelle osseuse ainsi obtenue par l'étude de " scénarios cohorte " correspondant à des comportements particuliers susceptibles de conduire à des expositions plus importantes; il s'agit notamment de comportements mis en cause par les études épidémiologiques ("consommer beaucoup de produits de la mer", " aller souvent à la plage" ...).
     La cohorte fictive retenue est celle des jeunes de 0 à 24 ans du canton de Beaumont-Hague pour laquelle l'étude cas-témoin du professeur J.F. VIEL avait montré un excès de risque de leucémie à la limite de la significativité.
     A partir des registres de naissance et des données de scolarisation pour le canton de Beaumont-Hague et en tenant compte des arrivées d'enfants dues au "grand chantier", et des taux de décès, le groupe a ainsi reconstitué le nombre de jeunes (0 - 24 ans) ayant habité dans le canton de Beaumont-hague ("cohorte") pendant la période considérée (1978-1996), soit une cohorte de 6.656 jeunes pour la période 1978-1996, ce qui correspond à une durée de présence cumulée de l'ordre de 70.000 personnes.années.
     A partir des activités dans l'environnement et des habitudes de vie déterminées sur la base d'enquêtes locales (localisation géographique des groupes de populations considérées, utilisation de l'environnement et consommation des produits alimentaires par ces mêmes groupes) les activités incorporées par l'organisme et l'exposition externe sont calculées. L'application de facteurs spécifiques permet de convertir ces activités en dose. Ces facteurs dont l'utilisation est recommandée par les instances internationales n'ont pas fait l'objet d'une analyse critique du groupe.
     Les modes de vie des individus de la cohorte correspondent à des situations moyennes. Le réalisme a été privilégié dans le choix des modes de vie.
     Les doses calculées sont des doses délivrées à la moelle osseuse (organe cible pour le risque de leucémie). Toutes les voies d'exposition prises en compte pour chacune des classes d'âge ont été considérées aussi bien pour les rejets de routine que pour ceux dus aux accidents et incidents. Les doses sont calculées depuis le début des rejets des installations nucléaires (1966, date de début des rejets de l'usine de La Hague). Pour les autres sources d'exposition aux rayonnements ionisants (médicales, naturelles, retombées des essais atmosphériques d'armes nucléaires et de l'accident de Tchernobyl), les doses sont calculées depuis 1954. Les doses délivrées à la moelle osseuse du foetus durant la grossesse (exposition in utero) ont été prises en compte uniquement pour les rejets de routine des INB.
     Il était ensuite nécessaire de calculer le risque de leucémie induit par des expositions aux rayonnements ionisants (risque radio-induit). L'hypothèse retenue afin de calculer ce risque est celle de la relation dose/effet sans seuil, c'est-à-dire qu'aux "faibles doses" correspond un "risque faible" et non un risque nul. Les modèles utilisés sont reconnus au niveau international.
     Cette relation a été admise par le groupe sans analyse critique bien qu'elle soit utilisée ici dans un domaine de doses (de l'ordre de 0,1 à 0,001 mSv pour les installations nucléaires) très éloigné du domaine dans lequel elle a été effectivement démontrée.
     Le risque radio-induit de leucémie a été estimé sur la période pour laquelle des données épidémiologiques sont disponibles (1978-1996).

     Les résultats obtenus sont les suivants:
Doses collectives
    La dose collective délivrée à la moelle osseuse due aux rejets de routine aux installations industrielles nucléaires du Nord-Cotentin pour l'ensemble de la cohorte des jeunes de 0 - 24 ans pour la période 1966 - 1996 s'élève à 0,30 h.Sv.
     Les voies d'exposition prépondérantes pour la dose délivrée à la moelle osseuse sont l'ingestion de produits marins (42% principalement dus au 90Sr, 106Ru, 137Cs, 60Co et 14C) et l'exposition externe au sable des plages (22% principalement dus au 60Co, 106Ru, 95Zr et 154Eu).
     Une étude essentiellement bibliographique a été réalisée pour estimer l'exposition des populations du Nord-Cotentin aux expositions d'origine naturelle, médicale, dues aux retombées des essais atmosphériques d'armes nucléaires et de l'accident de Tchernobyl.
     La dose collective totale délivrée à la moelle osseuse pour la période 1954-1996 vaut 322 h.Sv. La source d'exposition prépondérante est l'exposition naturelle avec une contribution de 74%, soit 241 h.Sv. La principale voie d'exposition naturelle est l'ingestion de 210Po (21% de la dose collective totale) principalement via l'alimentation en produits marins. L'exposition médicale est une source d'exposition non négligeable (24% de la dose collective totale, soit 76 h.Sv). L'exposition due aux retombées des essais atmosphériques d'armes nucléaires et de l'accident de Tchernobyl contribue pour 2% (5 h.Sv). Enfin, les installations industrielles nucléaires du Nord-Cotentin contribuent pour moins de 0,1% (0,30 h.Sv).
     Les doses dues aux accidents ou incidents ont également été considérés, ainsi la dose collective délivrée à la moelle osseuse pour la cohorte ajoutée par le percement de la conduite est de 0,04 (par rapport à 0,30 h.Sv en fonctionnement normal). Dans le cas de l'incendie du silo, la dose collective ajoutée délivrée à la moelle osseuse pour la cohorte est de 0,14 h.Sv.
     Enfin, on a considéré les doses à la moelle osseuse dues à l'exposition in utero du fait des rejets de routine des installations nucléaires locales en utilisant deux approches dans l'attente de la publication des modèles de la CIPR. L'approche enveloppe conduit à une dose collective due à l'exposition in utero de 0,15 h.Sv. L'approche plus réaliste conduit à une dose collective de 0,02 h.Sv.

Risque
    L'étape ultime de l'évaluation radioécologique est, à partir des doses collectives à la moelle osseuse, d'estimer le nombre de cas que l'on peut attribuer à l'exposition aux rayonnements ionisants dans la cohorte des jeunes de 0 - 24 ans ayant résidé dans le canton de Beaumont-Hague.
     Cette étape d'évaluation de risque nécessite l'application de coefficients de risque issus de la littérature permettant de relier dose et risque. Elle peut nécessiter également, en fonction de l'approche retenue, de disposer d'une estimation de l'incidence "normale" de la leucémie en France chez les jeunes.
     Le nombre total de cas au sein de la cohorte attribuable à l'exposition aux rayonnements ionisants dans le Nord-Cotentin est de 0,835. La figure 4 présente la proportion associée à chaque source d'exposition. Cette figure est à mettre en parallèle avec la figure 2 qui présente la proportion de la dose collective délivrée à la moelle osseuse associée à chaque source d'exposition. L'exposition naturelle et médicale sont les principaux contributeurs au risque (respectivement 74% et 24%). Les installations industrielles nucléaires du Nord-Cotentin contribuent au risque pour 0,1%.
     Une évaluation du risque de leucémie a été réalisée pour les rejets accidentels. Le nombre de cas de leucémie radio-induit estimé sur la période 1978-1996 est de 0,0001 cas pour le percement de la conduite de rejets en mer de COGEMA et de 0,0004 cas pour l'incendie du silo de COGEMA.
     Seule l'approche réaliste de l'exposition durant la grossesse (in utero) a été retenue pour l'estimation du risque de leucémie radio-induit associé.
     Le nombre total de cas de leucémie estimé chez les 0 - 24 ans du canton de Beaumont-Hague pour la période 1978 à 1996 associé à l'exposition in utero due aux rejets de routine des installations nucléaires du Nort-Cotentin est de 0,0003. Sur l'ensemble de la cohorte, l'exposition in utero augmente le nombre de cas estimé de l'ordre de 33%.

6. Résultats et discussion des résultats
6.1. Résultats
    Les estimations de cas de leucémie théoriquement attribuables aux différentes sources d'exposition aux rayonnements ionisants chez les jeunes de 0-24 ans pour le canton de Beaumont-Hague sur la période de 1978-1996 se décomposent de la façon suivante:
     Installations nucléaires 0,0014 (rejets de routine: 0,0009*, rejets accidentels: 0,0005)
     Sources naturelles 0,62
     Sources médicales 0,20
     Autres 0,01(retombées des tirs nucléaires, accident de Tchernobyl)
     Soit un total (arrondi) 0,83 cas sur une période de 19 ans.
     *A ce risque s'ajoute la contribution de l'exposition in utero calculée uniquement pour les rejets de routine des INB et qui atteint 0,0003 cas.

     A partir des modèles de risque utilisés, le nombre de leucémies attribuables à l'exposition aux rejets des INB pour la "cohorte reconstituée" de 6656 jeunes du canton de Beaumont-Hague est estimé à 0,0014 cas pour la période de 1978 à 1996. La part des cas théoriquement attribuables aux installations industrielles nucléaires représente ainsi environ 0,2 % des cas attribuables à l'ensemble des sources d'exposition aux rayonnements ionisants. Sur la base de cette estimation, la probabilité que survienne un cas radio-induit par les INB est de l'ordre de 1 pour mille (hors exposition in utero).
     A partir des modèles de risque utilisés, le nombre de cas de leucémies attribuables à l'ensemble des sources d'exposition est de 0,83. Il s'agit pour l'essentiel de l'exposition aux sources naturelles et médicales (99%). Notons que la population nationale dans son ensemble est exposée à ces mêmes sources.

suite:
6.2. Discussion des résultats
    Des études épidémiologiques ont montré que le nombre total de cas de leucémies attendu dans le canton de Beaumont-Hague de 1978 à 1996 serait de l'ordre de deux si le taux de survenue de cette maladie était le même que celui observé au niveau national. Quatre cas ont été observés. Cette différence n'est cependant pas statistiquement significative.
     La reconstitution des expositions résultant des installations nucléaires, telle qu'elle a été réalisée par le groupe Radioécologie Nord-Cotentin, aboutit à un nombre calculé de 0,0014 cas radio-induit de leucémie sur la période 1978-1996. Ce nombre est faible en regard de l'incidence de leucémie observée par les études épidémiologiques récentes.
     Cependant, ce résultat est une estimation moyenne et il convient à ce stade de souligner que les marges d'incertitude n'ont pas été quantifiées. Du fait de cette réserve, certains membres du groupe considèrent ne pas pouvoir à ce stade conclure qu'il est peu probable que les rejets des INB contribuent à l'incidence de leucémie observée dans le canton de Beaumont-Hague.
     Les résultats obtenus sont comparables à ceux d'études semblables réalisées en Grande-Bretagne autour des usines de retraitement de Dounreay et de Sellafield. La conclusion des études britanniques était que les rejets des installations nucléaires ne peuvent expliquer le nombre de cas de leucémies observées.
     De plus, des scénarios ont été examinés afin d'évaluer l'effet de comportements plus pénalisants en terme de dose sur le risque individuel. Les comportements considérés sont ceux identifiés dans l'étude cas-témoins de D. Pobel et J.F. Viel publiée en 1997 (temps passé à la plage, consommation de poissons, mollusques et crustacés locaux). Même une fréquentation intensive des plages (1h20 par jour) n'augmente pas de façon notable le risque radio-induit associé à l'ensemble des sources. Pour un individu qui consommerait une grande quantité de produits de la mer locaux (500 g par jour), le risque augmente d'un facteur 2 environ, mais cette hausse est due essentiellement à l'ingestion de radionucléides d'origine naturelle dans les produits de la mer.

C.MISSION II: ÉVALUATION DES DOSES INDIVIDUELLES A DES GROUPES DE POPULATION PLUS EXPOSES (approche réglementaire)
1.Mode d'approche
    Le mode d'approche adopté dans le cadre de la mission I sur l'évaluation des rejets, l'analyse des mesures dans l'environnement et la sélection de modèles de transfert des radionucléides dans l'environnement s'appliquent également à la mission II.
     Par contre les groupes de population considérés sont différents. Il s'agit ici d'identifier les groupes ou individus susceptibles d'être les plus exposés du fait de leur localisation géographique ou de leurs habitudes de vie. On soulignera qu'une interprétation très large a été donnée à la lettre de mission puisqu'on ne s'est pas limité à l'exposition aux rejets de l'usine de La Hague, mais qu'on a également considéré des situations d'expositions particulières dues aux rejets du Centre Manche. De même on a distingué des situations d'exposition "chronique" s'exprimant en dose efficace annuelle et des expositions "occasionnelles" s'exprimant en dose efficace pour une action ou une situation de durée limitée.
     Ce sont ainsi une quinzaine de situations ou scénarios particuliers qui ont été examinés parmi lesquels ceux que retient COGEMA dans ses études d'impact ("groupes de référence") et comparés à un scénario théorique moyen.
     Les doses calculées sont les doses à l'organisme entier (également appelées "doses efficaces"), considérées comme un indicateur du détriment sanitaire et notamment des risques de cancer aux tissus et organes réputés sensibles aux radiations. Les doses efficaces sont calculées uniquement pour les rejets de routine des INB.

2. Résultats et discussions des résultats
    Le groupe Radioécologie Nord-Cotentin a étudié une quinzaine de scénarios particuliers en faisant varier les habitudes de vie. Les scénarios particuliers conduisant aux doses efficaces les plus importantes (hors champ proche) sont comparés aux groupes de référence que retient COGEMA dans ses études d'impact. Les années présentées sont celles qui ont donné lieu aux impacts les plus importants par les voies marines et terrestres (hors champ proche) :


     Ces valeurs sont à comparer à la limite pour le public de 1 mSv/an (en fait à une fraction de celle-ci pour tenir compte de la contribution éventuelle d'autres sources industrielles) et, à titre indicatif, à la radioactivité naturelle de 2,4 mSv/an.
     Les résultats obtenus pour les scénarios particuliers des pêcheurs aux Huquets et pour les habitants du hameau de Pont-Durand conduisent, pour l'année 1996, à des valeurs environ 5 à 7 fois plus élevées que celles obtenues avec les groupes de référence retenus par COGEMA dans ses estimations réglementaires de l'impact de ses rejets en utilisant la même méthodologie que celle du groupe Nord-Cotentin. Ces différences sont dues aux choix concernant les habitudes de vie. Les résultats peuvent être considérés comme une étude de sensibilité à ces facteurs.
     La pratique de comportements particuliers (scénarios occasionnels hors "champ proche") conduit à des incréments de dose efficace inférieurs ou au maximum de l'ordre de grandeur de la dose efficace associée au scénario théorique moyen.
     La consommation d'un crabe pêché dans le "champ proche" (à proximité de l'émissaire de rejets en mer COGEMA) en 1985 conduit à une dose efficace de plusieurs centaines de µSv mais ce scénario est très peu fréquent du fait de l'interdiction de mouillage et de dragage en "champ proche" et de la très faible présence de faune marine à cause des forts courants locaux.
     L'ensemble des résultats concernant les scénarios particuliers est présenté dans des tableaux.

D. RECOMMANDATIONS
1. Sources d'exposition autres que les installations nucléaires
     L'évaluation rétrospective des expositions dues aux sources naturelles et médicales montrent qu'elles contribuent majoritairement à la dose à la moelle estimée pour la cohorte et aux risques radio-induits de leucémie. Ces sources d'exposition devraient faire l'objet, au niveau local, d'études rétrospectives plus approfondies sur les analyses médicales chez les jeunes et les femmes enceintes.
     Il serait également important d'élargir le champ de l'expertise à la prise en compte d'autres sources de pollution (pollution chimique, ...) et à leur éventuelle synergie avec les effets des rayonnements ionisants.
2. Surveillance
    L'une des questions importantes qui émerge des travaux du groupe est celle des objectifs de la surveillance et des mesures dans l'environnement selon les différents organismes qui la réalisent. Il convient en particulier de distinguer, d'une part, les mesures de routine faites afin de s'assurer, à la fois, qu'il n'y a pas de dysfonctionnement de l'installation (caractère d'alerte) et que les limites de rejet autorisé sont bien respectées et, d'autre part, les mesures qui permettent de reconstituer la dose à des groupes de population. Les deux types de mesures sont sans aucun doute justifiés.
     Le groupe a utilisé largement les résultats de mesure de la surveillance de l'environnement mais a constaté le besoin de mesures plus spécifiques pour certains radionucléides et avec des limites de détection plus basses pour mieux apprécier dans le futur les niveaux de l'exposition des populations.
     De même, l'amélioration de l'exhaustivité de la liste des radionucléides mesurés par les exploitants dans les rejets ainsi que de la précision des leurs mesures, permettrait de mieux valider le terme source des rejets utilisé dans les modèles de transfert de radionucléides dans l'environnement.
     Enfin, il conviendra de définir un cadre de collaboration des différents laboratoires qui ont contribué à constituer la base de données des mesures dans l'environnement afin de poursuivre la mise à jour de cette base et de l'élargir à des indicateurs qui n'ont pas été pris en compte.
3. Ajustement des modèles
    L'approche réaliste nécessite d'ajuster les modèles d'estimation des transferts de radionucléides dans l'environnement sur de longues séries de mesures significatives correspondant à des moyennes annuelles. Ceci a été possible dans le domaine marin où un grand nombre de mesures étaient disponibles. Par contre, dans le domaine terrestre, le nombre plus réduit de mesures significatives où l'importance du bruit de fond n'a pas permis de mener une confrontation aussi complète modèles/mesures. Il convient donc de poursuivre la réalisation de mesures bas niveaux.
4. Étude d'incertitude
    Dans le domaine marin des études d'incertitude sur l'effet de la variabilité de l'ensemble des données utilisées, notamment sur la variabilité des mesures, ont été réalisées mais n'ont pas été exploitées pour le calcul de dose. Il faut souligner qu'une étude d'incertitude globale n'a pas été faite dans les travaux semblables réalisés en Grande-Bretagne. Une telle étude pourrait être réalisée ultérieurement.
5. Expertise pluraliste
    Le travail est fondé sur une expertise pluraliste réalisée avec la participation active du mouvement associatif et des experts étrangers. Le groupe Radioécologie Nord-Cotentin a bénéficié de l'ouverture complète des dossiers COGEMA, principal exploitant concerné par l'étude, ainsi que de sa forte implication lors de la reconstitution des données (terme source et mesures dans l'environnement). Les experts du mouvement associatif qui ont fortement participé aux travaux du groupe ont également apporté leurs résultats de mesures dans l'environnement ainsi que l'examen critique des données permis par leur connaissance du terrain. Cette approche se distingue fortement d'une action d'information ou de communication. Il s'agit effectivement d'un travail réalisé ensemble avec le soutien technique de l'IPSN. L'expertise pluraliste s'est traduite par une approche critique de l'ensemble du dossier et par une meilleure appréciation des caractéristiques des comportements des groupes de population considérés. Les experts étrangers faisaient partie intégrante de cette expertise, ils ont non seulement apporté leurs connaissances scientifiques personnelles mais ils ont en outre permis de relayer certaines des interrogations du groupe auprès de leurs organismes d'expertise nationaux.
     Il conviendra ultérieurement de s'interroger, à la lumière des réactions de ces différentes composantes, sur la contribution d'une telle expertise dans le processus d'analyse des dossiers d'impact dans d'autres situations.

6. Diffusion du document
    Les rapports du groupe Radioécologie Nord-Cotentin pourraient être adressés à des instances d'expertise internationales afin de recueillir leurs réactions et de publier dans un délai de six mois à 1 an l'ensemble des commentaires recueillis.

E. COMMENTAIRES DE MEMBRES DU GROUPE
Monique SENE (GSIEN) :
    La composition élargie du Groupe Radioécologie du Nord-Cotentin est un apport pour la richesse des débats. Cependant pour gagner en efficacité l'expertise indépendante (des industriels et des instances de contrôle) doit disposer de moyens humains et financiers pour assumer une telle tâche.
     Jusqu'à présent, les mesures n'ont été effectuées que pour vérifier le bon fonctionnement des installations et non pour réaliser un suivi sanitaire des populations. Dans ces conditions, si les cas observés de leucémies ne peuvent pas être expliqués par une exposition calculée sur la base de rejets eux-mêmes calculés, les grandes incertitudes mises en évidence ne permettent pas de conclure à l'innocuité des rejets réels. Au contraire, ces incertitudes doivent inciter à la plus grande prudence et obliger à limiter les rejets et à continuer les études.
     Les irradiations d'origine médicale doivent, elles aussi, être minimisées et leur impact mieux analysé.
     Il existe maintenant un inventaire (ainsi qu'un registre des cancers) qu'il convient d'exploiter et de pérenniser pour assurer un vrai suivi des populations et des travailleurs.

EXTRAIT DES ANNEXES
Annexe I Lettres de mission
(Annexe II Composition du groupe plénier et des groupes de travail spécialisés )
Annexe III Évaluation du nombre de cas de leucémies au niveau national et dans le canton de Beaumont-Hague
Annexe IV Textes complets des réserves et commentaires des experts de mouvements associatifs

ANNEXE I
     La Ministre de l'Aménagement Le Secrétaire d'État à la Santé du Territoire et de l'Environnement
Paris le 25 AOÛT 1997

Madame,
     Nous vous remercions d'avoir accepté la présidence du groupe radioécologie dont nous avons décidé la mise en place à la suite des recommandations du "Comité scientifique pour une nouvelle étude épidémiologique dans le Nord Cotentin", qui a été présidé par le Professeur Charles SOULEAU à la demande de nos prédécesseurs.
     Vos objectifs seront les suivants :
     - dresser un inventaire des rejets radioactifs liquides et gazeux effectués par les installations nucléaires dans le Nord Cotentin ;
     - faire un bilan de la surveillance de la radioactivité des différents milieux de l'environnement et produits de la chaîne alimentaire ;
     - faire un bilan des doses délivrées aux populations les plus exposées en y incluant les doses dues aux expositions naturelle et médicale ;
     - estimer le risque associé aux doses reçues.
     Nous avons bien conscience de l'importance du travail nécessaire pour mener à bien cette tâche mais nous tenons, en tout état de cause à disposer d'un rapport d'étape de votre groupe dans les six mois.
     De plus, conformément au rapport qui nous a été remis le 1er juillet par le "Comité scientifique pour une nouvelle étude épidémiologique dans le Nord Cotentin", nous vous demandons que vous réalisiez en premier lieu les travaux suivants :
     - faire le point des connaissances sur le comportement des radionucléides dans l'environnement pour vérifier les estimations des exploitants ;
     - établir les comparaisons nécessaires entre les résultats des mesures et les modèles de transfert dans l'environnement ;
     - évaluer de la façon la plus réaliste possible la dose reçue par les personnes les plus exposées.
     Nous souhaitons, sur ces trois points, disposer d'un document de votre groupe sous quatre mois.
     Vous maintiendrez la composition du groupe telle qu'elle a été initialement établie et vous pourrez auditionner toute personne ou organisme pouvant contribuer à vos travaux.
     Si une évolution de la composition présente du groupe vous apparaissait nécessaire, vous voudrez bien nous la soumettre en temps opportun.
     Nous vous prions d'agréer, Madame, I'expression de nos salutations les meilleures.


     La Ministre de l'Aménagement Le Secrétaire d'État à la Santé
     du Territoire et de l'Environnement
     Paris, le 27 NOV. 1997
     Objet : Groupe radioécologie Nord-Cotentin.
     P.J.: I

Madame la Directrice,
     Dans votre lettre du 1er octobre, vous nous faites part de la méthode de travail que vous avez choisie afin de mener à bien la mission que nous avons confiée au groupe Radioécologie Nord-Cotentin dont `vous assurez la présidence. De plus. vous soumettez à notre attention une proposition d'élargissement de la composition du groupe.
     Cette ouverture nous semble en effet souhaitable tout en veillant à maintenir la capacité du groupe à travailler de manière productive.
     Nous approuvons la proposition d'élargissement telle que vous la formulez (cf. Annexe 1). Elle nous apparaît donner également satisfaction à la demande que nous avons reçue de Monsieur CAZENEUVE, Président de la Commission Spéciale et Permanente d'lnformation de La Hague. Nous notons aussi la présence de trois experts étrangers parmi les membres du groupe plénier, ce qui répond bien à notre souci d'ouverture sur la communauté scientifique européenne.
     Nous vous rappelons enfin que Ies résultats de vos travaux devront être disponibles en temps utile pour être pris en compte dans les procédures de révision des textes régissant le fonctionnement de l'usine COGEMA de La Hague en 1998.
     Nous vous prions de croire, Madame la Directrice, à l'assurance de notre considération.
lPSN - - 1.12.97 - O6720

ANNEXE III
     Estimation du nombre de cas de leucémie au niveau national et dans le canton de Beaumont-Hague
     1. L'enregistrement national des leucémies de l'enfant en France n'existe que depuis 1994, c'est donc à partir de registres locaux (environ 10 départements en France) que le réseau FRANCIM a estimé l'incidence nationale des leucémies à 2,5 cas pour 100.000 jeunes de 0 à 24 ans en 1995. Cette valeur est une estimation moyenne qui recouvre une variabilité géographique et temporelle. Compte tenu du nombre de jeunes de 0 à 24 ans, cela se traduit par environ 500 cas par an.
     2. S'agissant du département de la Manche dans lequel se trouve le canton de Beaumont-Hague, le registre qui a servi de référence à l'étude de J.F. Viel est celui du Calvados. Dans l'étude complémentaire du professeur Spira et du docteur Guizard, le taux de référence est estimé à partir de plusieurs registres départementaux.
     Depuis lors, FRANCIM a publié des estimations d'incidence nationale des leucémies pour chaque année. Ainsi, le taux pour l'année 1995 est rappelé plus haut. C'est cette source de données qui a été utilisée dans le travail du groupe Radioécologie Nord-Cotentin.
     Selon la méthode classique en épidémiologie, ces taux ont été appliqués à la cohorte reconstituée de 6656 enfants de Beaumont-Hague, soit, en cumulant les années de présence de chacun des enfants sur la période 1978-1996, un total de l'ordre de 70.000 personnes.années. Ce qui conduit à un nombre attendu de 1,9 cas.
     Ce nombre correspond en fait à la moyenne d'une distribution statistique de cas ayant une probabilité plus ou moins grande d'être observés (figure 1).
     Le nombre de cas réellement observé étant de 4, cela conduit à un excès calculé de l'ordre de 2 cas (4 / 1,9).
     On notera cependant (figure 1) que l'observation d'un nombre de cas supérieur au chiffre 1,9 attendu n'est pas impossible même si plus ce nombre est élevé plus la probabilité de survenue est faible. Ainsi la probabilité d'observer 4 cas ou plus est de 12%. Cette probabilité est supérieure au seuil de significativité de 5%. On ne peut donc pas rejeter l'hypothèse que l'observation de 4 cas puisse correspondre à l'aléa statistique, ce qui a conduit les épidémiologistes à considérer que l'excès calculé pour le canton de Beaumont-Hague n'était pas significatif.
     Néanmoins, même si elle n'est pas statistiquement significative, l'incidence des leucémies sur la période 1978-1996 dans le canton de Beaumont-Hague reste élevée par rapport à celle attendue d'après les taux de référence. Cette incidence a été l'un des éléments qui ont justifié la prolongation du suivi de l'incidence des leucémies dans la région d'une part, et la mise en place du Groupe Radioécologie Nord-Cotentin d'autre part.

ANNEXE IV
Commentaires des experts de mouvements associatifs
Pierre BARBEY
Conseiller scientifique de l'ACRO
Membre du Comité Radioécologie Nord-Cotentin
Travaux du Comité Radioécologie Nord Cotentin
Réserves et remarques de l'ACRO

Version 1
(1er juillet 1999)
     1 - Le comité Radioécologie Nord Cotentin a travaillé pendant 2 ans pour tenter de reconstituer, de façon rétrospective, les doses de radiations reçues par la population de La Hague du fait des installations nucléaires du Nord Cotentin. Une de ses missions (exposées en détail dans la note de synthèse) a conduit le Comité à calculer le risque de leucémie pour les jeunes de 0 à 24 ans durant la période de 1978 à 1996.
     2 - Deux éléments méritent d'être soulignés car ils soulignent l'aspect novateur de la démarche souhaitée à l'origine par les Ministres de tutelle et la Présidente du Comité:
     - cette étude serait menée de façon approfondie en recherchant sans cesse l'exhaustivité,
     - malgré des réticences initiales, des représentants associatifs seraient associés à ce travail.
     3 - La présence du mouvement associatif ne doit pas masquer l'important déséquilibre qui existe entre les différents groupes d'acteurs en terme de moyens matériels, de potentiel humain (le bénévolat et ses limites), d'outils d'évaluation et même d'expérience dans un domaine traditionnellement réservé aux opérateurs et aux milieux institutionnels. C'est là une des raisons de l'attitude de réserve que le milieu associatif doit conserver.

Réserves sur le calcul du risque:
     4 - Les résultats auxquels le Comité aboutit peuvent être de façon très réduite résumés en deux points:
     - pour l'approche "cohorte", le risque calculé de leucémie dû aux installations nucléaires est de 0,0021 (risque absolu) à 0,0025 (risque relatif);
     - pour l'approche " scénarios particuliers", certaines situations traitées ont pu conduire à des niveaux de dose engagée de quelques centaines de µSv voir de l'ordre du mSv.
     5 - Notre principale réserve porte sur la démarche "réaliste" retenue par le Comité pour la reconstitution des doses reçues par la cohorte et le risque qui en découle. Nous continuons à penser qu'en matière de radioprotection, toute évaluation d'impact sanitaire doit être menée de façon conservatrice car en l'absence de la mesure précise de l'incertitude liée au calcul "réaliste", seul la démarche "enveloppe" garantit qu'elle contient la vraie valeur de l'impact.
     6 - Il est vraisemblable qu'il y a eu sur-interprétation de la Directive Européenne. Comme cela est apparu à maintes reprises dans les discussions au sein du Comité, le "réalisme" doit-il être compris comme le "plausible" ou le "prouvé"? Cette divergence essentielle peut être illustrée par un exemple concret. Le Comité a choisi de retenir que toute la consommation de mollusques des habitants de La Hague (pointe Nord-Ouest) provient de Saint Vaast La Hougue (côte Est). Pourquoi? Parce que l'on a pas la preuve que la production de mollusques dans la région de La Hague puisse satisfaire les besoins de la consommation. Adieu brelins noirs, brelins coques (buccins), patelles que l'on pêche à pied; exit les bancs d'ormeaux et de coquilles saint Jacques (cf. annexe 1) exploités par les pêcheurs locaux ainsi que les bulots et les seiches. Ces pratiques existent pourtant bel et bien et, d'un point de vue rétrospectif, elles ont joué un rôle non seulement comme loisir prisé dans la région mais aussi comme complément bien utile pour des revenus modestes. Il ne s'agit pas d'un simple détail compte tenu de la contribution de la voie "ingestion marine" à la dose.
     Au passage, et pour cette même raison, il convient de souligner que la ration "mollusques" de la classe d'âge 15 ans est nettement sous-estimée (7 fois inférieure à celle de l'adulte!).
     7 - La comparaison effectuée par le GT3 entre les modèles environnementaux et les moyennes annuelles de mesures dans l'environnement a permis d'avoir une certaine confiance dans la modélisation du devenir des rejets marins, à l'exception notable de quelques radionucléides, pourtant importants en terme de dose (C14 par ex.), et du champ proche. En revanche, pour les rejets atmosphériques, les mesures de Kr85 ont permis de préciser les limites de validité des modèles généralement utilisés, mais n'ont pas permis de proposer une alternative totalement validée en dehors des limites de validité du modèle. Les valeurs issues de la littérature étant parfois très dispersées, les choix du groupe sont souvent arbitraires. L'ACRO se déclare donc incompétente pour juger des modèles aériens et pense que ceux utilisés par le Comité ne peuvent en l'état devenir des références.
     Enfin, il convient de noter que pour ce qui concerne la contamination des nappes phréatiques, les modèles d'écoulement n'ont pas pu être étudiés.
     8 - En définitive, plusieurs éléments soulignés ci-après justifient notre principale interrogation, objet de nos réserves:
     8.1. Il apparaît clairement qu'un grand nombre de paramètres interviennent pour le calcul de la dose et du risque associé et que pour la plupart d'entre eux existe une marge d'incertitude.
     8.2. Cette marge d'incertitude peut être importante (un facteur 10 et parfois plus), notamment pour des paramètres qui ont des conséquences directes en terme de dose.
     8.3. Malgré un important travail réalisé pour modéliser la voie d'exposition aux rejets atmosphériques, le Comité est conscient des lacunes qui existent pour calculer l'impact en milieu terrestre.
     8.4. L'exposition in utero, à travers la dose délivrée au foetus, pourrait contribué de façon significative au risque. Mais là encore la modélisation est entachée d'une forte incertitude: entre les premières estimations (calcul enveloppe) et les corrections "réalistes" actuelles, il y a un facteur 100
     8.5. Au-delà de ces incertitudes, il y a des manques connus ou inconnus. Ainsi, l'impact des embruns est intégré pour la voie ingestion mais pas pour la voie inhalation par défaut de modèle. La dose reçue in utero du fait des accidents n'a pas été calculée. Par ailleurs, le Comité, dans le souci très positif de rechercher l'exhaustivité, a ajouté près de 40 radionucléides à ceux établis par les exploitants; rien cependant ne permet d'écarter l'hypothèse que l'on passe à côté d'autres radionucléides non identifiés qui pourraient contribuer à la dose. Enfin, concernant les réacteurs, le terme source a été considéré égal à 0 pour certains radionucléides parce que "inférieur à la limite de détection". Cependant, compte tenu du débit de rejet, il est vraisemblable qu'en valeur cumulée annuelle, on écarte du bilan une activité réelle mais non quantifiée en raison du mode de contrôle actuel.
     L'incertitude globale qui accompagne le calcul de dose et de risque associé est vraisemblablement grande (surtout dans la démarche d'une approche "réaliste") mais n'a pu être calculée; aussi, quels arguments fiables avons-nous pour affirmer que l'on ne peut se tromper d'un facteur 30, c'est-à-dire que la marge supérieure de l'incertitude est inférieure à ce facteur? A partir de ce facteur, compte tenu d'un risque de 2,5.10-3 (relatif), la probabilité d'expliquer 1 cas de leucémie par l'exposition aux installations nucléaires devient supérieure à 5% et cesse d'être liée au seul fait du hasard.

Réserves sur les scénarios
     9 - Pour la constitution de scénarios particuliers, si la démarche est ici plus enveloppe, elle n'en garde pas moins un caractère minorant eu égard aux données de temps d'exposition ou de quantités consommées retenues; il appartiendra à chacun de retenir les valeurs qui lui semblent plus adaptées [ cf. temps d'exposition à la canalisation ou à proximité du site ANDRA ou quantité de crustacés pêchés en champ proche].
     10 - Néanmoins, pour ce qui est de l'état de l'environnement au Nord du CSM, là encore l'option "réalisme" a conduit à écarter la consommation d'eau contaminée et l'arrosage de jardins par cette même eau. D'un point de vue rétrospectif, des calculs sont effectués sur différentes années jusqu'en 1979. Dès lors que des points d'eau chez des particuliers (puits, lavoir, abreuvoir) apparaissent encore marqués 20 ans après, comment peut-on écarter avec tant d'assurance ces voies d'exposition que l'exploitant lui-même prenait en compte dans l'approche réglementaire de ses dossiers?

Réserves/Remarques particulières
     11 - La présentation des résultats devrait clairement indiquer les limites de nos investigations. Tout d'abord, le Comité n'avait pas pour mission de traiter de l'ensemble des cancers (ce qui pourrait être une demande ou une interrogation des populations locales). Ensuite, le calcul de risque pour les leucémies ne porte que sur une période de vie donnée et sur une population donnée (terme de la mission suite aux travaux de J.F. Viel). En ce sens, cette évaluation limitée ne peut traduire à elle seule l'impact sanitaire des installations nucléaires du Nord Cotentin.
     12 - Pour ce qui est des seules leucémies, le risque est déduit du calcul de la dose collective pour les jeunes du canton de Beaumont-Hague. Il importe de souligner qu'il s'agit d'une dose collective partielle au regard de l'influence globale des installations (pour répondre à l'approche "cohorte"). Afin de déterminer la dose collective globale (dans un but certes différent), il conviendrait de prendre en compte la fraction de la radioactivité consommée par d'autres populations, que celle étudiée pour le canton de Beaumont-Hague, pour arriver à une estimation plus complète de l'impact sanitaire.
     13 - Bien qu'il ne relevait pas de la compétence du Comité de traiter de l'élaboration des modèles de risque, il convient là encore de souligner quelques points qui incitent toujours à un jugement pour le moins nuancé:
     La relation dose / effet est largement déduite des études sur les survivants d'H-N pour lesquels le mode d'exposition est relativement différent de celui des expositions environnementales (dose forte aiguë vs dose faible chronique..); Pour le calcul du risque, on ne prend pas en compte d'autres facteurs de risque pouvant agir en synergie; pourtant aujourd'hui l'approche multifactorielle est un point fort de la compréhension de l'émergence des cancers.
     14 - La représentation en % de l'ensemble des sources d'exposition aux radiations souligne l'importance du naturel et du médical par rapport aux installations nucléaires. Cette représentation est discutable compte tenu de l'incertitude qui existe sur l'exposition médicale (4 fois plus importante ici que dans l'étude anglaise). En l'absence d'étude précise, le Comité a retenu l'estimation actuelle de la moyenne nationale. La transposition sur une population plus rurale mais aussi ne concernant que les jeunes (tendance à moins solliciter les structures médicales) et surtout dans une optique rétrospective (absence d'examens contribuant fortement à la dose tels le scanner) tend vraisemblablement à majorer cette fois les doses reçues par les examens diagnostiques.
     15 - En conclusion, il nous semble important de souligner, par ces réserves, les incertitudes qui existent sur le calcul du risque et les limites de l'exercice afin d'éviter toute conclusion tranchée et sans appel. La difficulté qui existe à établir une relation de cause à effet ne constitue pas pour autant la preuve de l'absence de cette relation causale. Ce regard critique (autocritique) ne doit pas pour autant masquer l'importance du travail réalisé au cours de ces deux années et sa dimension novatrice (sur ces points, nous partageons totalement les commentaires exprimés par la Présidente du Comité). Enfin, il peut être admis qu'un réel débat s'est instauré entre les différents acteurs et que certaines des propositions que nous avons formulées ont pu être prises en compte soit dans l'approche cohorte, soit dans l'approche scénarios.

Annexe 1
     Bien que des bancs de coquilles St Jacques existent en bordures des côtes de La Hague, très peu de mesures ont été réalisées sur ces indicateurs dans le milieu des années 80. Pour la catégorie des mollusques, la plupart des laboratoires contrôlent des patelles. Cependant, dans les résultats du SPR Cogema, on trouve une analyse de coquilles St Jacques pêchées à Auderville en 1984. Le tableau ci-dessous (dernière colonne) permet d'observer le décalage qui existe entre cette activité réelle à Auderville et l'activité calculée à Barfleur, choix retenu par le Comité comme lieu de prélèvements.

Bibliographie
     - La documentation Française - Alfred Spira, Odile Bouton
     - Rpport d'avancement n°1 (Novembre 1997) n°2 (Mai 1998), note méthodologique (juillet 1998)
     - Rayonnements ionisants et société (1998) - Documentation française - Alfred Spira et Odile Boutou.
     - La fosse des Casquets, où ont été immergés des déchets radioactifs dans les années 1950-1960, n'a pas fait l'objet d'une étude particulière. Il s'agit d'un terme-source potentiel dont le marquage sur l'environnement marin n'a pas été mis en évidence depuis qu'existent des mesures de surveillance (milieu des années 1960).
     - Le terme "indicateur" est utilisé ici au sens d'un type d'échantillon (eau de mer, sédiment, un animal, un végétal...) pour lequel un mesurage de radioactivité a été effectué.
     - L'évaluation de ce nombre à partir de l'inventaire est approximatif. Il est sous-estimé en particulier pour les analyses par spectrométrie gamma qui englobent un grand nombre de radionucléides identifiés mais pas forcement pris en compte dans le présent inventaire comme par exemple ceux intervenant dans les séries naturelles de désintégration radioactive.
     - L'application du modèle de risque sans seuil au cas des expositions environnementales peut être discutée. En effet, les données qui ont servi à ajuster ce modèle sont celles de l'étude épidémiologique des survivants d'Hiroshima et de Nagasaki. D'une part dans ce cas la dose a été délivrée en une petite fraction de seconde ("débit de dose élevé"), d'autre part l'augmentation statistiquement significative des cancers observés n'apparaît qu'à partir d'une gamme de dose de 50 à 200 millisieverts (mSv) pour les différents cancers radio-induits. En dessous de ces gammes de dose il n'a pas été mis en évidence de risque radio-induit. Cependant, pour ce qui est de l'estimation du risque dû aux expositions in utero, les modèles utilisés sont issus d'études épidémiologiques ayant montré un risque radio-induit de leucémie associé à des doses au foetus à partir de 10 mSv.


     - Réseau des registres français du cancer (FRANCIM)
     - Chiffres extraits du rapport GT4 (version 7).
     - Ce choix explique, pour l'essentiel, la différence entre les résultats présentés ici (10 µSv) et ceux présentés par le Comité SOULEAU (75 µSv).
     - Voir le débat que nous avons eu sur les bancs de mollusques, dont nous avons souligné l'existence locale, mais qui n'ont pas été retenus dans les rations alimentaires car cette production serait censée être exportée


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