Voici pour les lecteurs de la
Gazette
un texte (plus long car donnant plus d'explications) paru dans le Nouvel
Economiste du 5 décembre 2003.
En fait de soleil, c'est plutôt le miroir aux alouettes, ce bluff des nucléocrates s'appuyant sur le programme Atom for Peace et la prophétie d'Eisenhower faite à Genève dans les années 50, "l'énergie nucléaire va fournir à l'humanité de l'énergie gratuite en quantité illimitée". Il s'agissait à l'époque de l'énergie de fission. Pour faciliter la compréhension des problèmes, faisons un peu de technique. La fusion consiste, à l'inverse de la fission (casser des "gros noyaux") à rapprocher suffisamment deux atomes légers pour qu'ils en donnent un plus gros (la somme des masses des produits finaux de la réaction étant plus faible que la somme des masses des produits initiaux, la différence est convertie en énergie). Pour que cette opération de rapprochement présente un intérêt, il faut des conditions très particulières : envoi d'un grand nombre d'atomes (la densité) l'un contre l'autre, avec la plus grande vitesse possible (la température) et pendant le plus long temps possible (le temps de confinement). Avec ces trois paramètres a été défini un critère, le critère de Lawson, qui doit indiquer à partir de quand le système est censé fonctionner. Depuis longtemps les physiciens nucléaires savent faire "à l'unité" ces réactions (deutérium + tritium), mais comment arriver à la fusion "entretenue" productrice d'énergie? Comment parvenir à utiliser ce fameux tritium sans tout contaminer? Donc que signifie fonctionner? Qu'appelle-t-on énergie produite? L'énergie libérée par réaction multipliée par le nombre de réactions ou l'énergie envoyée sur la ligne électrique, déduction faite de la consommation de la machine, sans oublier la cafetière électrique de l'ingénieur de sûreté – radioprotection d'astreinte? À ce niveau apparaissent deux petits "détails" permettant de faire comprendre les principaux mensonges concernant la fusion : elle utiliserait un combustible quasi illimité qui se trouve dans l'eau de mer et elle serait propre au point de vue radioactif.: (suite)
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• Le premier, et non le moindre, est qu'il faut non seulement du deutérium, l'isotope de masse 2 de l'hydrogène mais aussi du tritium, l'isotope de masse 3 de l'hydrogène, radioactif. S'il est possible d'extraire le deutérium de l'eau de mer (à quel coût énergétique? (*)), par contre le tritium, isotope radioactif de l'hydrogène de courte période (12,26 ans) se trouve en très faible quantité dans la nature, d'où la nécessité d'en fabriquer, en grandes quantités en faisant réagir les neutrons avec le fluide caloporteur, du lithium en l'occurrence. Puis il faudra l'extraire, le stocker avant de l'injecter dans l'enceinte en fonction des besoins. Pour un réacteur de 1000 MW, 15 à 20 kg de tritium seront nécessaires pour 2 à 3000 heures de fonctionnement (20 kg de tritium représentent une activité de 200 millions de curies soit 7,4.1018 Bq, - des milliards de milliards de Bq). L'installation va donc être contaminée par le tritium, car ce radioélément, tout comme l'hydrogène dont il a les mêmes propriétés physico-chimiques, diffuse facilement à travers les métaux et n'est pas du tout inoffensif pour la santé contrairement aux discours traditionnels. • Le second est que les neutrons doivent traverser la structure de la chambre de combustion si on veut espérer récupérer de l'énergie. Ces neutrons vont activer les matériaux, créant de très importantes quantités de radioéléments de période plus ou moins longue. Sur le plan de la radioactivité, ces réacteurs, si un jour ils fonctionnent, n'auront rien à envier aux réacteurs à fission. De plus, chaque année une portion de l'enceinte, circuits magnétiques compris devra être changée en raison l'usure très rapide (environ 5 cm par an,) de sa paroi intérieure et constituera un volume important de déchets de très haute activité, de durée de vie plus ou moins longue. En résumé, ce type de réacteur, présenté par ses promoteurs comme écologique (!), sans déchets radioactifs (pas de "cendres" contenant des produits de fission) va produire une nuisance radioactive au moins égale, si ce n'est plus importante, que les réacteurs actuels. p.3
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Comprenons bien qu'il s'agit de
la description futuriste d'un réacteur.
En effet, pour le moment les machines (JET, TORE SUPRA et même ITER) ne sont pas des réacteurs et l'on n'a jamais employé de tritium dans ces appareils de recherche sauf dans le JET, au dernier moment juste avant de l'arrêter définitivement. La raison en est la radioactivité. Il est en effet impossible de changer les paramètres et de faire des recherches avec un appareil où du tritium aurait été injecté. Sa radioactivité et l'activation des matériaux de structure par les neutrons produits interdisent les accès pour manipulations et ce sont des robots qui feraient la maintenance. Or, ITER comme ses prédécesseurs est un outil de recherche, pas un réacteur destiné à fournir de l'électricité. Maintenant où en sont les recherches ? Régulièrement, par le plus grand des hasards, au moment où vont se décider les lignes budgétaires, la presse fait écho à l'annonce de percées technologiques sur un paramètre essentiel. Mais les chercheurs oublient de préciser que ce record a été obtenu au détriment des autres paramètres. (Serait-ce un sujet de recherche, … essentiellement de recherche de crédits !!!) Aujourd'hui les responsables du projet au Commissariat à l'Énergie Atomique, assurent que la plupart des briques technologiques ont été validées sur diverses petites machines, estimant que les risques technologiques se limitent à l'intégration de toutes ces briques. Leur enthousiasme aurait dû être modéré par la lecture d'un rapport présenté devant l'Académie des Sciences fin 2001 par leur ancien Haut Commissaire Robert DAUTRAY (1). Il explique que la fission a pu se développer grâce à "la linéarité des phénomènes" car "tous les problèmes scientifiques et techniques sont découplés par la linéarité et peuvent être étudiés à part et simultanément dans des installations modestes". Par contre "la fusion thermonucléaire, au contraire, est un phénomène fondamentalement non-linéaire, et ceci vis-à-vis de toutes les fonctions physiques en jeu …Il faut donc explorer les uns après les autres tous les niveaux de puissance, y découvrir de nouveaux phénomènes…". Sa conclusion est "…pour le moment la fusion thermonucléaire ne peut pas encore être comptée avec certitude parmi les sources industrielles d'énergie … n'est-ce pas plutôt un sujet d'étude de physique important auquel il faut assurer un soutien constant, persévérant et à long terme, comme on le fait dans bien d'autres domaines de la physique dans le cadre général des recherches". Il est clair que pour un physicien c'est un sujet de recherche passionnant, mais il faut raison garder. Ce n'est pas demain que ce processus physique va contribuer au bilan énergétique de l'humanité. De fait il y contribue déjà par le soleil, mais il s'agit là d'un confinement gravitationnel, et à moins de construire une machine de la taille du soleil … Ce qui n'est pas honnête c'est de faire croire, par média interposés, qu'il suffit de construire "la nouvelle" machine pour aboutir. Nous avons eu droit aux mêmes discours avant le lancement du JET (Joint European Torus, à Culham - UK), puis de TORE-SUPRA (Cadarache). Aujourd'hui il s'agit d'ITER. En 1980, le directeur adjoint du JET, Paul Rebut écrivait (2) : "Le but du JET est d'obtenir un plasma proche de l'ignition … la puissance produite par la réaction D-T devrait être alors voisine de 100MW. Atteindre cet objectif indiquerait que les problèmes de base de la physique d'un réacteur thermonucléaire ont été surmontés.". (suite)
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Aujourd'hui, en 2003, on annonce que le JET a produit 16 MW en 1997. 16 MW atteint pour un objectif de 100 MW, est-ce à dire que les problèmes de base n'ont pas été totalement surmontés ? Et de toute façon ces 16 MW ne sont que l'énergie stockée dans le plasma, pas un KW d'énergie n'a été récupéré, et nul part on ne donne la quantité d'énergie dépensée pour obtenir ce résultat. Puis nous pouvions lire dans la Revue Générale Nucléaire (janvier-février) en 1991, sous la plume du Directeur des Sciences de la Matière au C.E.A. "Des progrès substantiels ont été réalisés dans les problèmes clés de la physique de la fusion que sont le confinement et le contrôle des impuretés qui régissent les divers processus de perte d'énergie …". "L'objectif à moyen terme est la réalisation d'un dispositif nouveau …. Cet appareil aura nécessairement une taille importante, sa puissance de fusion pourra dépasser 1000MW. Malgré son coût élevé, sa réalisation est indispensable pour apporter la preuve scientifique et technique de la disponibilité de la fusion. C'est l'aboutissement des recherches des 30 dernières années qui sans cela perdraient leur justification." Aujourd'hui, dans son rapport annuel 2002 (3), le CEA claironne à propos de TORE SUPRA : "en juillet 2002, le record mondial a ainsi été atteint, avec 4 mn de durée de décharge, ce qui correspond à une énergie extraite de 750 MégaJoules.", Depuis TORE SUPRA a même atteint 6mn de décharge ce qui correspond à 1000 Mégajoules. De quel paramètre parle-t-on? De quelle énergie? Pour le béotien, 750 Mégajoules pendant 4 mn, c'est environ 3MW (et 1000 Mégajoules pendant 6 mn c'est encore environ 3MW), donc pas de quoi pavoiser au vu des déclarations précédentes. En particulier au plan énergétique car ces quelques MW ont demandé l'apport d'environ 10 fois plus d'énergie (entre 45 et 70 MW) Et pour en finir avec le sujet, le CEA écrit dans ce même rapport : "Toutefois, apporter la démonstration de la faisabilité scientifique de la production d'énergie par la fusion, nécessite la construction d'une installation plus grande … c'est le projet ITER…." Les arguments n'ont pas changé, est-ce dans un soucis d'économies …? En matière de fusion thermonucléaire il n'y a pas urgence sauf celle de faire un réel bilan des recherches menées depuis plus de 40 ans. En tout état de choses, il serait beaucoup plus approprié d'investir massivement dans un programme d'économies d'énergie par la mise en œuvre de procédés industriels moins "énergivores" et d'utilisations rationnelles et pertinentes de toutes les sources actuellement disponibles. (1) "L'énergie nucléaire civile dans le cadre temporel
des changements climatiques". Rapport à l'Académie des Sciences.
Robert Dautray. décembre 2001
(*) Dans un texte du CEA j'ai lu récemment que la quantité de deutérium contenue dans un litre d'eau de mer "donnait autant d'énergie que 300 litres de pétrole". Il faut combien de litres de pétrole pour extraire le deutérium contenu dans ce litre d'eau de mer : électrolyse puis séparation isotopique (ou vis versa), et il aura fallu combien de litres de pétrole pour produire un égal nombre d'atomes de tritium ? p.4
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