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G@zette N°261
FUKUSHIMA: la catastrophe toujours présente

A propos de la contamination tritium de Saint Maur des Fossés (94)


 
Lettre ouverte du Comité Scientifique de l'ANCCLI
Dunkerque le 9 mars 2011

     Comme tous les Français, les membres du Comité Scientifique de l’ANCCLI et les responsables de l’ANCCLI ont pris connaissance par la presse de l’incident de radioactivité niveau 2 survenu en région parisienne à Bondoufle (Essonne) et à Saint Maur des Fossés (Val-de-Marne), incident déclaré en novembre 2010 et dont l’origine se situe au centre CEA de Valduc (Côte d’Or). Comme la plupart des citoyens, ils ont été interpellés par la  survenue d’un tel évènement. 
     Faisons tout d’abord un rapide retour sur les faits. 
     Le CEA de Valduc, voulant améliorer les performances d’un appareil (optimisation en inactif du procédé de détritiation), s’est adressé à la société sous-traitante 2M-Process et lui a confié à cet effet un tamis moléculaire (un filtre). Ce tamis avait été classé neuf en 1996 suite à une erreur d’inventaire. Or il contenait de l’eau tritiée résiduelle (environ 0,01g soit 2 milliards de Bq de tritium en 2010) et se trouvait pour cette raison sur le site de Valduc entreposé en zone contrôlée. Quelque soit le mode de classement du matériel (par étiquette ou informatique), cette classification suppose une vérification avant sortie, non seulement de la zone mais du site lui-même. Or le tamis est sorti du site de Valduc sans contrôle et sans que la société 2M-Process, qui n’est pas classée comme travaillant dans le domaine nucléaire, soit informée de sa contamination. Le tritium a contaminé les locaux de la société sous-traitante à Bondoufle et à Saint Maur des Fossés, ainsi que les sites d’entreprises clientes. 
     C’est tout à fait fortuitement que la présence de tritium a été découverte: un salarié de 2M- Process intervenant sur le site du CEA Valduc a été contrôlé positif au tritium à sa sortie de Valduc le 29 octobre 2010. La présence de tritium au sein de l’entreprise a été confirmée et a fait l’objet d’une information des autorités de sûreté les 3 et 4 novembre 2010. Néanmoins, cette contamination perdurait depuis octobre 2009 (date du prêt de l’appareil) à Bondoufle et avril 2010 à Saint Maur des Fossés. 
     Cet évènement, classé par les autorités de sûreté civile et militaire au niveau 2 de l’échelle INES, témoigne de graves lacunes dans la gestion d’un matériel contaminé et soulève de nombreuses interrogations. 
     En conséquence, l’ANCCLI, et son Comité Scientifique demandent:
     - à être précisément informés des causes et circonstances de l’évènement, ainsi que des procédures ayant permis la sortie d’un matériel entreposé en zone rouge, sans vérification de sa contamination éventuelle, 
     - à être tenu informés des suites données à cette affaire, tant au plan réglementaire (procédures de sortie, marquage des appareils, suivi des prêts de matériels, contrôle du respect des STE) que sanitaire (recherche d’éventuelles contaminations, évaluation des doses engagées et de leur impact sanitaire, suivi médical éventuel des salariés et des populations riveraines) 
     -  à être précisément informés de l’ensemble des mesures prises pour aider la société 2M- Process sur ses sites de Bondoufle et de Saint Maur des Fossés ainsi que les autres entreprises concernées (reprise d’activité, indemnisation des entreprises,...). 
     L’ANCCLI et son Comité Scientifique, conscients des responsabilités qui leur incombent en matière d’information et de conseil des CLI, souhaitent que réponses soient apportées sur l’ensemble de ces points, conformément à la loi sur la Transparence et la Sécurité en matière Nucléaire.

suite:
REPONSE ASN à la Lettre ouverte du comité scientifique de l'ANCCLI

     Monsieur le Président, Madame la Présidente, 
Par la lettre en date du 23 juin, l'ANCCLI, demande à être tenue informée 
     1- des causes et circonstances de l'évènement, ainsi que des procédures ayant permis la sortie d'un matériel entreposé en zone rouge, sans vérification de sa contamination éventuelle: ce point fera l'objet d'une réponse par l'Autorité de sûreté nucléaire de Défense (ASND). En effet, l'ASND est en charge du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection des installations intéressant la défense. Le CEA Valduc dont provenait le matériel à l'origine de l'incident, fait partie de ces installations. 
     2- des suites données à cette affaire, tant au plan réglementaire (procédures de sortie, marquage des appareils, suivi des prêts de matériels, contrôle du respect des STE (spécifications techniques d'exploitation) que sanitaire (recherche d'éventuelles contaminations, évaluation des doses engagées et de leur impact sanitaire, suivi médical éventuel des salariés et des populations riveraines):
     Là encore, s'agissant d'un matériel en provenance du centre CEA de Valduc, les premiers points de cette interrogation sont du ressort de l'ASND. 
     Ces dispositions s'appliquent cependant à tout le CEA et sont contrôlées par l'ASN en ce qui concerne les installations civiles.
         Dans le cadre de sa mission de contrôle, l’ASN a demandé au CEA les mesures qu’il avait prises pour tirer les enseignements de cet incident pour l’ensemble de ses installations, civiles et secrètes. Le CEA nous a indiqué qu’une mission avait été menée en fin d’année 2010 afin d’identifier les causes à l’origine de l’incident et l’avait amené à formuler des recommandations, pour renforcer les contrôles avant qu’un équipement ne sorte d’une zone réglementée de tout site nucléaire. L’ASN sera donc attentive dans le cadre des inspections menées sur les installations nucléaires dont elle assure le contrôle, aux mesures effectivement mises en œuvre pour éviter le renouvellement d’un tel incident.
     En ce qui concerne les suites données au plan sanitaire (recherche d'éventuelles contaminations, évaluation des doses engagées et de leur impact sanitaire, suivi médical éventuel des salariés et des populations riveraines), vous trouverez ci-dessous des éléments de réponse.

     Évaluations dosimétriques 
     L'Autorité de sûreté Nucléaire (ASN) a demandé à l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) que soient menées des analyses radiotoxicologiques sur les salaries ayant travaillé sur le TGTM: (Très Grand Tamis Moléculaire) ainsi qu'une évaluation dosimétrique de l'exposition au tritium des salariés et visiteurs de l'entreprise de 2M Process sur les sites de Saint-Maur-des-Fossés et de Bondoufle, et enfin de riverains. La majorité de ces analyses menées par l'IRSN ont été réalisées entre novembre 2010 et février 2011.
     Les doses efficaces engagées le plus significatives ont été relevées pour les salariés de l'entreprise de 2M Process: les doses efficaces pour les 6 salariés de l'entreprise 2M Process sont comprises entre 0,49 et 4,8 mSv dont quatre dépassant le seuil de 1 mSv/an. Les doses efficaces engagées pour les travailleurs du site de Bondoufle sont comprises entre 0.5 et 0.8 mSv (pour six salariés sur quatorze, les prélèvements étaient sous la limite de détection). Enfin, pour les visiteurs sur le site de Saint-Maur-des-Fossés pour lesquels les analyses urinaires en tritium se sont révélées positives (soit sept visiteurs sur neuf), les doses efficaces engagées sont comprises entre 0,0027 mSv et 0,51 mSv.

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     Le personnel des deux sociétés abritées par le même bâtiment que 2M Process ont fait l'objet d'un suivi radiologique. Il a été récemment confirmé au personnel de ces sociétés que les niveaux de dose relevés dans leurs urines sont extrêmement faibles et sans conséquences significatives sur leur santé: entre 0,002 et 0,010 mSv pour la société de M. Simony (3 personnes) et 0,001 et 0,009 mSv pour AFVM Sarl (2 personnes). 
     Quatre sociétés adjacentes aux locaux de la société 2M Process ont également fait l'objet de mesures de contamination. Les résultats ont montré que seul le personnel de la société LFI nécessitait une reconstitution dosimétrique et des opérations complémentaires d'optimisation. Les analyses dosimétriques ont révélé des niveaux de dose extrêmement faibles et sans conséquence sur la santé du personnel de cette société: 20 salariés avec des doses comprises entre 0,001 et 0.008 mSv à la fin janvier 2011. 
     Des actions ont été entreprises afin de réduire les voies de transfert du tritium entre les locaux de 2M Process et ceux de LFI. Les résultats d'une seconde campagne de prélèvement urinaires menée début avril 2011 sur 11 salariés ayant souhaités renouveler les analyses en tritium montraient une baisse de l'activité urinaire pour le personnel analysé en avril, par rapport à celle mesurée en janvier dernier, mais indiquaient la présence d'une exposition résiduelle chronique. Lors de la dernière campagne de prélèvements urinaires, menée le 20 juin aucune contamination résiduelle n'a été mise en évidence. 
     Lors de son intervention sur le site 2M Process début novembre, l'IRSN a également mesuré le tritium dans les urines de huit riverains immédiats du bâtiment de 2M Process. Les résultats obtenus indiquent des traces de tritium pour cinq d'entre eux et les évaluations effectuées par l'IRSN à partir de ces résultats conduisent à des estimations dosimétriques extrêmement faibles, sans conséquence pour la santé de ces personnes: doses efficaces comprises entre 0,001 et 0,004 mSv. 
     Par la suite, l'IRSN a également réalisé une campagne d'analyses radiotoxicologiques en vue de rechercher la présence éventuelle de tritium dans les urines des personnes ayant sollicité une telle analyse auprès de la Mairie de Saint-Maur-des-Fossés. Les personnes ayant exprimé le souhait de procéder à des analyses radiotoxicologiques sont des riverains, des élèves du Collège Pissaro et des membres de leur famille et des professeurs du collège Camille Pissaro. À l’issue de cette campagne, les analyses des 53 échantillons urinaires prélevés indiquent des résultats inférieurs à la limite de détection de la technique de mesure. Aucune trace de tritium n'a pu être détecté dans l'ensemble de ces échantillons urinaires.

     Suivi de la qualité de l'eau potable 
     Deux prélèvements d'eau potable sur la commune ont été effectués par l'IRSN le 24 novembre 2010, l'un au niveau du réservoir de l'usine de traitement d'eau de Saint-Maur, l'autre en sortie de robinet dans la zone des 50 mètres autour de 2M Process. Ces prélèvements ont été soumis à des analyses visant à rechercher du tritium selon la méthode habituellement utilisée pour les contrôles réglementaires d'eaux potables. Les résultats n'ont pas mis en évidence de présence de tritium. 

suite:
     Par ailleurs, dans le cadre des contrôles périodiques de la qualité radiologique des eaux destinées à la consommation humaine prescrits par le code de la santé publique, une mesure de tritium a été réalisée le 25 août 2010 sur un échantillon d'eau potable de Saint-Maur. À cette date, la contamination du tamis moléculaire présent dans les locaux de 2M Process n'avait pas encore été découverte. Le résultat de cette mesure, publié sur le site internet du ministère de la Santé, n'indique aucune présence de tritium (limite de détection de 6 Bq/l).

     Suivi environnemental 
     Parallèlement à ce suivi sanitaire, un suivi environnemental a été mis en place par l'IRSN à la demande de l'ASN dès novembre 2010 afin d'évaluer les variations des activités de tritium dans l'air, 1'eau et les végétaux dans un rayon de 200 mètres autour des locaux de 2M Process. Ce suivi a par la suite été réduit dans la mesure où, eu égard aux limites de détection des appareils de mesure, aucune activité n'était détectée à 200 mètres. 
     Ce suivi a fait l'objet d'un arrêté préfectoral imposant au CEA de poursuivre ce plan de surveillance environnemental en lien étroit avec l'IRSN, ce dernier étant chargé de la synthèse des mesures réalisées. 
     L'ensemble de ces résultats confirment un marquage environnemental décroissant provoqué par les rejets de tritium du bâtiment de 2M Process. Ces résultats ne sont pas de nature à remettre en cause l'évaluation déjà menée des doses reçues par les riverains les plus proches du bâtiment. 
     Cette surveillance est actuellement maintenue à un rythme bimensuel pour suivre la baisse de l'activité du tritium dans l'environnement de Saint-Maur. Les résultats de cette surveillance environnementale sont publiés sur le site internet de l'IRSN. 
     3- de l'ensemble des mesures prises pour aider la société 2M-Process sur ses sites de Bondoufle et de Saint Maur des Fossés ainsi que les autres entreprises concernées (reprise d'activité, indemnisation des entreprises,...). 
     L'objectif de l'ASN est la décontamination la plus efficace possible des locaux concernés. 
     Dans le cadre des opérations de dépollution, certains locaux professionnels (essentiellement ceux de 2M-Process), un certain nombre de matériels professionnels et d'effets personnels ont été pris en charge par le CEA.
     Par ailleurs, outre les demandes émanant de l'ASN dans le cadre du contrôle des opérations de dépollution, des règlements à l'amiable ou des actions juridiques ont eu lieu ou sont en cours entre le CEA et les intéressés. Ces actions aborderont sans doute le volet indemnitaire. 
     L'ASN, fortement mobilisée sur cette affaire, souhaite la plus grande transparence, notamment par la publication de la lettre de suite de l'inspection réalisée du 8 au 11 novembre 2010 lors de I'intervention des équipes du centre de Valduc de la Direction des Applications Militaires du CEA dans les locaux de la société de 2M Process, par la publication également de plusieurs notes d'information sur son site Internet et la tenue de plusieurs réunions publiques à Saint-Maur-des-Fossés. L'ASN reste à votre disposition pour compléter, le cas échéant, votre information. 
     Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, Madame la Présidente, l'assurance de ma considération distinguée. 
     Pour le Président de l'ASN et par délégation le directeur général

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Documents associatifs: CRIIRAD, Sortir du Nucléaire

REPONSE A LA LETTRE OUVERTE du CS DE L’ANCCLI à propos du tamis contaminé de Valduc
MINISTERE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
MINISTERE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Paris, le 13 juillet 2011

DSND/2011-00617 
     Votre lettre du 23 juin dernier a retenu toute mon attention; elle me fait part de votre lettre ouverte traitant de l'évènement d'octobre 2010, survenu à Bondoufle et à Saint-Maur des Fosses.
     L'événement qui fait l'objet de votre lettre a trouvé son origine dans l'INBS de Valduc, installation relevant de mon autorité; je me suis assuré, en son temps, que les circonstances de cet événement avaient donné lieu à l'information la plus précise du public, notamment par la commission d'information placée auprès de cette INBS. Vous en rappelez l'essentiel dans votre lettre ouverte.
     Pour ce qui concerne le traitement lui-même de l'évènement, j'ai contrôlé et validé les dispositions correctives immédiates prises par l'exploitant pour éviter son renouvellement.

     Par ailleurs, j'ai diligenté une inspection, qui a été menée par mes services, pour identifier et analyser précisément les faits initiateurs. Cette inspection m'a conduit à formuler des demandes, qui ont été prises en compte par l'exploitant, pour revenir à des dispositions satisfaisantes pour le futur. Elle a conduit au renforcement des procédures de suivi et de contrôle, tant administratif que technique, des matériels appelés à sortir de zone réglementée. Elle m'a également permis de m'assurer que cet évènement était unique.
     Enfin, comme vous le savez, mon autorité s'exerce dans le périmètre des installations et activités nucléaires intéressant la défense: le traitement de l'événement dans le domaine public, et en particulier pour ce qui concerne ses conséquences pour les personnes et les biens, a été mené par l'ASN, avec le concours de l'IRSN, en toute cohérence avec les actions mentionnées ci-dessus. 
     Restant à votre disposition, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de mes sentiments les plus distingués.
Bernard Dupraz (DSND)
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