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N°281, septembre 2016

SE SOUVENIR DES DÉBUTS DU NUCLÉAIRE:
HIROSHIMA ET NAGASAKI

Ces cinq points noirs qui menacent le nucléaire français
Ludovic DUPIN
Publié le 3/5/2016

 
    La révélation de possibles falsifications dans l’usine du Creusot est un nouveau coup de boutoir pour une filière nucléaire française déjà déstabilisée. Depuis le début de l’année 2016, chaque mois apporte son nouveau lot de problèmes à régler. Il est urgent de stopper cette spirale infernale.
    Qui aurait cru que le patron de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), Pierre Franck Chevet, serait si prophétique lors de ses vœux à la presse? «Le contexte de la sûreté et de la radioprotection est particulièrement préoccupant. Nous entrons dans une phase sans précédent et les industriels, qui portent les enjeux de sûreté, sont en difficulté», martelait-il en janvier. Depuis, pas une semaine sans qu’une annonce ne vienne ébranler la filière nucléaire française.
    Si depuis 2011 avec l’accident de Fukushima, le nucléaire tricolore peine, l’année 2016 marque une véritable crise aiguë avec l’apparition de dossiers qui, s’ils virent au scandale, pourraient détruire toute la réputation de la filière française. Cinq dossiers clés sont à régler en urgence pour relever le troisième secteur industriel français, qui a déjà un genou à terre.

    1. Des documents (peut-être) falsifiés à la forge du Creusot
    C’est la dernière affaire en date. Quelques heures après la visite du ministre de l’Economie Emmanuel Macron sur le site de l’Usine du Creusot (Saône-et- Loire), les premiers résultats de l’audit mené par AREVA ont révélé des anomalies graves dans cette forge qui fournit des équipements lourds pour les îlots nucléaires.
    Sur les 10.000 équipements construits en 50 ans, environ 400 dossiers de fabrication présenteraient des incohérences. L'audit qualité (...) a permis à ce stade de mettre en évidence des anomalies, en cours de caractérisation, dans le suivi des fabrications", a expliqué Areva  dans un communiqué.
    Dans les Echos, le directeur général Philippe Knoche va plus loin: On a des procès-verbaux contradictoires. Soit il y a eu des essais complémentaires qui ne sont pas tracés, et il faut qu’on ait la conviction qu’ils existent. Sinon, il faudra en tirer les conséquences".
    La falsification de dossiers sur certaines pièces produites, si elle est avérée, pourrait remettre en cause leur sûreté. Si tel est le cas, la crédibilité de la filière nucléaire pourrait être lourdement impactée. Ces anomalies auraient disparu depuis 2010, rapporte l’audit, dont l’intégralité sera révélée le 31 mai prochain.

    2. L’utilisation de la cuve de l’EPR remise en cause
    L’audit sur l’outil de production d’Areva a été lancé en 2015 après la découverte d’une anomalie sérieuse sur la cuve de l’EPR de Flamanville (Seine-Maritime). Des concentrations excessives de carbone ont été mesurées dans le couvercle et le fond de la cuve posant des questions sur la résistance de cette pièce qui abritera la réaction de fission nucléaire.
    En conséquence de quoi, Areva et EDF ont lancé une procédure de tests pour prouver que cette pièce peut être utilisée. Mais mi-avril, les deux groupes révélaient que les anomalies étaient plus importantes qu’attendues et que le programme de tests devait être étendus.
    Si EDF se dit extrêmement confiante sur la capacité à utiliser la cuve, le timing s’avère très serré. La remise des résultats se fera à la fin 2016 et il faudra ensuite un important temps d’instruction de l’ASN. Or le chantier de l’EPR de Flamanville a déjà pris six ans de retard et doit s’achever fin 2018 pour un coût de 10,5 milliards €. L’impossibilité d’utiliser la cuve déjà forgée remettrait en cause le calendrier et le budget.

    3. Les EPR Hinkley Point divisent EDF
    La construction de deux réacteurs nucléaires EPR en Angleterre à Hinkley Point par EDF devait être le premier grand projet nucléaire lancé en Occident depuis l’accident de Fukushima. Ainsi que le chantier qui donnerait ses lettres de noblesse aux réacteurs de troisième génération français. Mais avant même que les premières opérations de terrassement aient été lancées, le projet divise... jusque chez EDF.
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    Alors que la direction du groupe (à l’exception du directeur financier démissionnaire Thomas Piquemal) et le gouvernement sont très favorables à ces projets, les partenaires sociaux lancent l’alerte sur ce chantier de 24 milliards €, dont 16 milliards sont portés par EDF.
    Lors de sa visite au Creusot, Emmanuel Macron n’hésitait pas à faire planer la menace du chômage: "Le projet Hinkley Point est un projet essentiel pour cette usine et je suis aussi venu redire l'attachement du gouvernement à ce projet sans lequel il y aurait sinon des centaines de licenciements sur le site du Creusot".
    Mais dans une récente lettre ouverte au Président de la République, les syndicats de l’énergie écrivaient que «l’équation financière et l'organisation du travail plus que dégradées d’EDF ne permettent pas d’envisager sereinement la construction de deux EPR en Grande-Bretagne".

    4. Une autorité en manque de moyen
    Ce n’est pas le dossier le plus médiatique, mais il est pourtant préoccupant. À plusieurs reprises et en particulier devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, Pierre-Franck Chevet a fait état d’un manque de moyens de ses services. L’ASN, en termes de contrôles, est dans une période délicate, faute d’avoir les moyens nécessaires" déclarait-il.
    L’Autorité a obtenu la création d’une trentaine de postes, un effort que Pierre-Franck Chevet apprécie au regard des contraintes budgétaires de la Nation.
    Mais "les enjeux (actuels) nécessitent des moyens supplémentaires", ajoute-t-il. Alors qu'EDF va investir 50 à 100 milliards € dans son parc de réacteurs dans les 10 à 15 ans à venir, il est impératif que l’ASN dispose de moyens suffisants pour contrôler ces chantiers.
    En l’absence de ces moyens supplémentaires, Pierre-Franck Chevet assure être "obligé de choisir des priorités. Et ma priorité, ce sont les réacteurs existants (...) On fera le maximum sur le reste, mais cela sera en priorité numéro 2 (...) Je ne suis pas satisfait de cette situation, cela ne peut pas durer".
    Si l’ASN priorise les réacteurs existants, cela signifie que les projets en cours de développement, comme l’EPR de Flamanville (Manche) ou le réacteur de recherche Jules Horowitz pour le CEA, déjà très en retard, pourraient être encore ralentis par les procédures d’inspection et d’autorisation.

    5. Un EPR finlandais à terminer en urgence
    Pendant longtemps, l’EPR en construction d’Olkiluo par Areva a été le mouton noir de la filière nucléaire française. Lancé en 2004 sur la base d’un contrat intenable, le chantier est allé de mal en pis, affichant désormais neuf ans de retard et un triplement de son coût. Il a forcé Areva à passer 5,5 milliards € de provisions, ce qui a largement contribué à faire plonger l’entreprise dans le rouge.
    Aujourd’hui, le chantier semble avancer un peu mieux. Le futur opérateur de la centrale, TVO, vient de demander la licence pour passer en phase de tests. Mais, il ne faut pas oublier que les deux groupes se sont portés devant les tribunaux. Leur contentieux est soumis à l'arbitrage de la Chambre de commerce internationale. Le consortium Areva-Siemens réclame 3,4 milliards € à son client finlandais. TVO demande, quant à lui, 2,6 milliards €. Une négociation pour s’entendre à l’amiable a été initiée à la demande de Paris et Helsinki.

    L’Etat réorganise la filière
    Face à ces multiples difficultés, le gouvernement a fait le choix de réorganiser la filière nucléaire française. La principale action sera, d’ici la fin de l’année, la reprise d’Areva NP, branche en charge de la construction et la maintenance des réacteurs chez Areva, par EDF pour 2,5 milliards €. En parallèle, Areva et EDF vont bénéficier d’augmentation de capital, respectivement de 3 et 5 milliards €. Espérons que ces mesures permettront à la filière, - à défaut de retrouver de la croissance -, de stopper l’hémorragie qui remet en cause la crédibilité du nucléaire tricolore... Une crédibilité indispensable à l’heure où la conquête de nouveaux marchés est de plus en plus concurrentielle.
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