Première partie
Liminaire… littéraire
Loin de moi ambitionner un texte sur l'énigme de la violence ou de la mort, sorte d'écriture du désastre (Maurice Blanchot). Longtemps, on s'en est tenu à la phrase de T.W. Adorno, selon laquelle aucun lyrisme n'était possible après Auschwitz. Albert Camus – entre autres - dans le Mythe de Sisyphe a démenti ce propos dans un questionnement infini.
Dans cette première partie sur la violence, vous sera soumise une courte analyse d’un remarquable et pourtant méconnu texte de R. Barjavel où l'on retrouve ce questionnement-ci et cette énigme-là. La disparition, pour reprendre le titre d'une œuvre de Georges Perec, hantera toujours le langage et la mémoire de l'homme…
De la violence
Dans la chronique du précédent Graviton, il avait été tenté de cerner certaines habitudes inacceptables de notre approvisionnement énergétique, voire certains mythes. Dans ce cadre, il n'avait été fait état de politique que sous l'aspect économique; on avait pu comprendre que les politiques se fondant sur le concept de «croissance durable» étaient irréalistes, voire dangereuses, car le savoir scientifique étant de plus en plus soumis au vouloir/pouvoir de grandes entreprises, l'évolution des technologies s'était montrée incapable de neutraliser ses effets pervers (Je ne résiste pas, à cette occasion, de citer une déclaration d'une personnalité du CERN: «Les innovations techniques ne peuvent pas résoudre à elles seules les problèmes globaux»[1]. Le développementdurable – sujet de la prochaine chronique - est ainsi de plus en plus reconnu plutôt comme garantie de plus de croissance économique et équivalant à «abondance durable» (alors qu'avoir un téléviseur au lieu de deux, voire trois, n'est pas un sacrifice!), voire assimilé à une nouvelle réminiscence (du racisme) de l'Occident [2], forme particulière mais ô combien coutumière de la violence.
Il y a un devoir de résister à ce qu'on
nous impose, aussi bien au présent qu'au futur. Pour le présent
(mais cela changera-t-il au futur?!), il est difficilement contestable
que toutes les formes de médias regorgent de violence et
il y a inéluctablement un prix à payer pour cela: au cinéma
par exemple, a-t-on vraiment besoin de voir des corps éclater sur
les écrans, grands ou petits, de voir des gens se transformer en
monstres, à travers des effets spéciaux de plus en plus raffinés.
Jadis le styliste Raymond Loewy avait dit "la laideur se vend mal". Aujourd'hui
on devrait écrire "le monstrueux se vend bien". Ce qu'oublient les
gens c'est que le produit façonne le client et le feed back est
redoutable, illimité. En ce qui concerne le passé, les
exemples suivants sont peu connus mais leur influence inconsciente est
sans nul doute encore plus pernicieuse parce qu'avec l’aval du “fait scientifique”:
- le nom d'un costume de bain a pu être affublé
d'un lieu où a été expérimentée une
arme nucléaire: Bikini
- un ingénieur Français a pu intituler
un livre où il raconte l'histoire de l'armement nucléaire
dans notre pays: "Auprès de ma bombe"
- Edward Teller a pu familièrement surnommer
la bombe H: "My baby"
- des scientifiques ont pu donner à des projets
nucléaires militaires des noms empruntés à des discours
religieux: le premier montage " H " avait été intitulé
" la Kaaba " (bien avant que les musulmans n'aient été perçus
par les Américains comme un ennemi potentiel...)
- et alors que les USA sont une nation en principe
chrétienne, le nom de code de la première explosion nucléaire
avait été "Trinity", etc.[3]
Revenons un dernier instant au… futur, thème de la seconde partie. Une société qui vit toujours "pour le pain et les jeux" ne sait plus qu'elle est guerrière: du fait que sa course au bien-être matériel et même culturel s'opère au détriment de ce qu'on appelle le tiers et le quart monde, elle est guerrière, elle prépare la guerre d'une manière ou d'une autre (sans parler de la problématique des ventes d'armes!). Comment donc croire que, soit disant soucieux de développement durable, nous soyions capables d'envisager une autre globalisation que celle de la… violence? La Mondialisation et par suite le développement durable, sont plutôt des idées de riches, conçues dans l'intérêt de ceux-ci et non dans l'intérêt de la planète. Une multitude de guerres y sont déclarées sous une multitude de formes, particulièrement économiques - et par voie de conséquence environnementales. Toutes les économies sont fragiles, y compris les plus riches (et le pétrole reste un tendon d'Achille, voir justement ma précédente chronique). Comment donc éviter les désordres sociaux qui accompagneraient immanquablement les récessions économiques, les décuplements du chômage, les migrations, les catastrophes… pas toujours naturelles, etc.?).
Avant de… développer cela dans le prochain Graviton, je fais appel à une expression largement véhiculée et entretenue: «BESTIAL!»... Selon un célèbre proverbe latin "homo homini lupus", l'homme serait un loup pour l'homme: si seulement l'homme n'était qu'un loup pour l'homme... Hélas, il est un homme pour l'homme! Un homme va jusqu'au meurtre pour dépouiller son semblable et la guerre n'en est que le paroxysme, entraînant les peuples dans son tourbillon, il n'y a qu'à regarder ce qui se passe à deux, voire une heure d'avion de chez nous...
Par contre, l'observation de nos "amis" les animaux nous enseigne que si, au sein d'une même espèce, ils se battent aussi parfois pour leur terrain de chasse ou de pâture, cela ne va qu'exceptionnellement jusqu'à la mort. La rivalité et donc l'agressivité existe, mais réglée par un rituel qui désigne le plus faible qui se soumet et s'éloigne pour réintégrer son territoire ou sa catégorie hiérarchique: la survie de l'espèce est ainsi assurée[4]. C'est donc d'une injustice et une illusion profondes que de (faire) croire que les animaux sont, à l'égal de l'homme, violents; cela résulte en grande partie d'un amalgame, d'une confusion entre violence et agressivité ou force, mais cela nous mènerait trop loin et la langue française ne nous aide pas beaucoup dans ce sens: on utilise par exemple le concept "force" dans des contextes aussi différents que "force de caractère", "rapport de force" ou "épreuve de force". Ne la trouve t'on d'ailleurs pas aussi comme l'une des quatre vertus cardinales?
Pour en revenir aux animaux, les prédateurs tueront cerf, serpent, chenille, selon l'espèce, pour se nourrir: il s'établit entre les différentes espèces animales de véritables chaînes alimentaires allant des espèces microscopiques aux animaux supérieurs. Un équilibre s'installe ainsi qui implique certes la mort d'individus, même nombreux, mais selon les conditions de leur environnement et de leur prolifération. A moins donc d'une situation extrême et/ou locale (densité exagérée par exemple), une espèce n'en élimine pas une autre dont elle dépend pour la survie: ce serait suicidaire (voir plus loin).
Une question se pose alors inévitablement, avec sa réponse «instinctive»: Pourquoi y a-t-il des guerres? Pour réguler notre population? Non! Démographiquement elles sont «parfaitement» inefficaces comparées aux hécatombes liées à des épidémies. Les guerres ne sont que le moyen d'imposer une idéologie, d'exercer un pouvoir, une domination, de mettre la main sur des richesses, de s'emparer de territoires. Et «tout au long de l'histoire l'humanité, "princes" mais aussi religions sacralisent la célébration de son souvenir, pour lui donner forme d'exorcisme; or aucun sacrifice ne peut exorciser fondamentalement la violence» (J-B. Fellay).
Alors comment ne pas évoquer l'histoire des
lemmings ou des bobacs? Je vous invite à lire, de René Barjavel,
son inoubliable livre La faim du tigre auquel
j'emprunte l'anecdote qui suit, en la résumant mais en lui faisant
de longs emprunts, je vous en demande excuses:
Ces charmantes petites bêtes, vivant dans
les montagnes de Scandinavie pour les unes et en Sibérie pour les
autres, lorsque leur population atteint une certaine densité, se
mettent en route pour des jours et des nuits (des semaines pour les bobacs)
en direction de la mer où ils se jettent et se noient. On sait moins
que cette singulière façon d'agir est relativement récente:
depuis 1920 environ pour les premiers et 1880 pour les seconds. Il n'y
a maintenant plus de doute possible qu'il s'agit d'une conséquences
de la guerre intensive menée par les hommes contre les rapaces et
autres prédateurs. Protégés contre ceux moins bien
armés, ils se sont mis à proliférer jusqu'au niveau
de rupture. Mais on a surtout remarqué que la troupe destinée
à se suicider est fort joyeuse. Giono a également rappelé
cette histoire en 1964, au moment où les télévisions
montraient une rétrospective de la guerre de 1914: LE PARALLELISME
DES DEUX TABLEAUX EST STUPEFIANT: sur le petit écran, des populations
entières partaient vers les gares dans un délire de joie...
Nos petits animaux, traversant les fleuves y sont aussi à l'aise que des loutres ou des poissons, mais arrivés à la mer Baltique ou l'océan Glacial Arctique, ils s'y noient tous. Il est clair qu'ils ne savent pas où ils vont ni pourquoi ils y vont, comme pourquoi ils s'accouplent. Car ils s'accouplent et mettent bas pendant le voyage, mais en abandonnant leurs petits, ne devant pas s'arrêter. Peut-être aussi, l'instant où ils entrent dans la mer et se donnent la mort est-il un instant de plaisir indicible, comme l'instant où se transmet la vie: pendant les guerres des hommes, les permissionnaires aussi vont semer des enfants puis repartir vers la mort en abandonnant le "terrain et les récoltes"... L'homme ne va plus à la guerre avec joie. Il sait maintenant quel est le but du voyage. Mais malgré sa peur de la mort, indicible, peur première, peur totale et... dernière, il continue d’aller à la guerre et continuera.
Et René Barjavel de conclure: "Le bobac ignore qu'il va mourir; l'homme ignore pourquoi il meurt; le bobac croit aller vers une nouvelle joie alors qu'il va vers la dernière; l'homme croit mourir pour sa liberté, ses enfants, ses idées, alors qu'il meurt simplement parce qu'il est de trop. A moins que... A moins que le bobac sache qu'il va mourir et qu'il soit joyeux parce qu'il sait ce qu'est la mort. Dans ce cas, nous devrions regretter de n'être pas bobacs".
Ma conclusion vous laissera face à une nouvelle interrogation qui sera le sujet de la prochaine chronique: devrons-nous regretter d'être nés dans des pays (dits) développés?
Etre ou ne pas être… développé,
telle est la question!
A suivre…