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Tchernobyl hante toujours la France
Source Le Courrier (Genève), avril 2006


    Vingt ans après, un rapport d'experts confirme que la France a bien été contaminée par le nuage radioactif. Une première étape pour les victimes présumées qui attendent toujours de la justice qu'elle fasse toute la lumière sur l'attitude des autorités de l'époque.
     Nombre de téléspectateurs français ont encore en mémoire cette fameuse carte météorologique du 30 avril 1986 où figurait en toutes lettres un «stop» sur la frontière franco-allemande. Une iconographie inédite diffusée par la télévision publique et qui a grandement contribué au mythe selon lequel un anticyclone avait protégé la France du nuage radioactif de Tchernobyl.
     Vingt ans après, un rapport d'experts mandatés par la justice vient confirmer le mal fondé de cette théorie, redonnant espoir aux 471 personnes qui, en 2001, ont déposé plainte contre X auprès du Tribunal de grande instance de Paris. Rendus à la fin de l'année dernière, les travaux des professeurs Genty et Mouthon se révéleraient particulièrement critiques à l'égard de la gestion de la crise par les autorités françaises. C'est en tout cas ce qu'affirme l'Association française des malades de la thyroïde (AFMT) et la Commission de recherche et d'information indépendante sur la radioactivité (CRIIRAD), également plaignants dans cette affaire. «Les experts ont démontré que les retombées radioactives étaient bien plus élevées que ce qui avait été affirmé à l'époque par le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI)», observe Roland Desbordes, président de la Criirad. Selon lui, les résultats ont été systématiquement minimisés et revus à la baisse. «Concernant le seul césium 137 (le radioélément qui disparaît le plus lentement, ndlr), les premières cartes communiquées indiquaient une moyenne nationale de 8,5 becquerels[1] par mètre carré, alors que c'était au minimum 2.000 à 3.000 becquerels par mètre carré. Dans les zones les plus touchées, on est monté entre 50.000 et 60.000. A partir de septembre 1986, les chiffres ont bien été revus à la hausse mais de manière insuffisante

Tchernobyl est toujours l'objet de polémiques
     Cette thèse, la Criirad la défend depuis de nombreuses années. En 2001, elle publiait un atlas des contaminations radioactives. Sur la base de plus de 3.000 mesures réalisées aux quatre coins du pays, cet ouvrage met en évidence une contamination accrue pour tout l'est du pays. Si, selon Roland Desbordes, ces résultats n'ont jamais pu être rigoureusement démentis, la polémique sur la contamination en France du nuage de Tchernobyl n'a, elle, jamais vraiment cessé. Et le récent rapport des professeurs Genty et Mouthon ne devrait pas manquer de mettre à nouveau en ébullition la communauté scientifique. Contacté, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), l'autorité qui a succédé au SCPRI, se refuse pour l'instant à tout commentaire, arguant ne pas être en possession d'un document lié à une instruction judiciaire en cours. Reste que depuis un an, plusieurs publications parues sous l'égide de l'Académie de médecine et de l'Académie des Sciences viennent apporter leur soutien aux anciens responsables du SCPRI. La Criirad y voit là une volonté de désinformer.

«Les professeurs Genty et Mouthon eux-mêmes ont exprimé une certaine curiosité devant la multiplication de ces publications au fur et à mesure que leurs recherches avançaient. La France, regrette Roland Desbordes, est malheureusement le seul pays où l'on doit encore se battre pour que la vérité sur Tchernobyl éclate
     Au sein d'une nation dont le nucléaire constitue l'une des premières sources d'énergie, l'action de la justice est donc particulièrement scrutée. Alors que des premières mises en examen pourraient intervenir très rapidement, la justice devra confirmer s'il y a eu négligence des autorités de l'Etat, ou pis, une volonté délibérée d'avoir voulu minimiser l'impact de Tchernobyl sur le sol français.
     Même si elle avance, la procédure s'annonce encore longue pour les victimes présumées. Car l'instruction devra établir un lien de causalité entre les retombées du nuage et les cancers et maladies constatés. Cet aspect du dossier demeure sans doute le plus complexe. Des expertises complémentaires devraient être demandées. Mais on peut d'ores et déjà supposer que les personnes mises en cause contesteront ce lien.

Entrefilet
     Sandrine Barcelo, elle, attend qu'on vienne lui prouver que son cancer n'est pas dû à Tchernobyl. Le 26 avril 1986, le jour où le réacteur de la centrale ukrainienne a explosé, elle avait 16 ans. Elle vivait alors à Chambéry, en Savoie. «Je me souviens, on en parlait à l'école, et puis il y avait eu cette fameuse carte météorologique nous indiquant que le nuage n'avait pas franchi la frontière. On a été stupide de ne pas se méfier...» Ce n'est que quinze ans plus tard que Sandrine Barcelo a commencé à s'interroger. En 2001, elle apprend qu'elle est atteinte d'un cancer de la tyroïde. «C'était la première fois que j'entendais parler de cette maladie. Ce qui me surprenait c'est que cette pathologie demeure assez héréditaire, et qu'elle n'avait touché personne dans ma famille. On m'a traitée à l'iode radioactive, manière de soigner le mal par le mal... Et puis le médecin qui me suivait m'a dit qu'il s'agissait d'un cancer radio induit. Cet ensemble de facteurs m'a conduite à faire le lien avec Tchernobyl.» Si ma vie a fini par reprendre son cours, la maladie, elle, est toujours présente. Rarement mortel, le cancer de la tyroïde impose une ablation et un traitement permanent. De la justice, Sandrine Barcelo attend qu'elle contraigne l'Etat français à reconnaître ses torts. Comme d'autres, elle s'interroge sur l'absence de mesures de prévention à l'époque de la catastrophe. Dans d'autres pays européens, des distributions d'iode avaient été organisées auprès des populations, accompagnées de l'interdiction de consommer du lait, des légumes et des fruits frais. En France, rien de tout cela. «Si cela devait se reproduire aujourd'hui, explique Sandrine Barcelo, je crains malheureusement que les autorités n'agissent de la même façon

[1] Le becquerel est l'unité légale de mesure internationale utilisée en radioactivité. Un échantillon radioactif se caractérise par son activité, qui est le nombre de désintégrations de noyaux radioactifs par seconde qui se produisent en son sein. Le becquerel se définit comme le nombre de désintégrations radioactives par seconde au sein d'une certaine quantité de matière.