2011-04-25 | Actu-Environnement.com
Le bilan de la catastrophe de
Tchernobyl reste l'enjeu d'un vif affrontement entre pro- et anti-nucléaires.
En cause, des difficultés méthodologiques et des hypothèses
variées qui entraînent de grands écarts entre les études.
Le 26 avril 1986, lors d'un test, le quatrième
réacteur de la centrale nucléaire proche de Tchernobyl s'emballe,
entre en fusion et s'enflamme dégageant de très importantes
quantités de produits radioactifs dans l'atmosphère. Le déversement
par hélicoptère de milliers de tonnes de sable, de bore et
de plomb permet de stopper la fusion le 14 mai. Un sarcophage est ensuite
construit afin d'isoler le réacteur. Les travaux s'achèvent
fin 1988.
L'accident, classé au plus haut de
l'échelle internationale des événements nucléaires
(Ines), justifie l'évacuation de 116.000
habitants et la création d'une zone strictement contrôlée
qui abrite 260.000 habitants. Au total, 5 millions de personnes vivent
dans une zone moins contaminée s'étalant sur 200.000 km²
à cheval sur la Biélorussie, la Russie et l'Ukraine.
Quel bilan dresser de la catastrophe de Tchernobyl?
Mikhaïl Gorbatchev, président
de l'URSS au moment de la catastrophe, estimait en mars 2011 que "nous
n'avons pas encore pris toute la mesure de cette tragédie qui nous
rappelle de manière choquante la réalité de la menace
nucléaire." Les évaluations actuelles donnent raison
à l'ancien dirigeant soviétique et il semble qu'un bilan
consensuel soit encore hors de portée.
Les limites des études épidémiologiques
En effet, l'évaluation des impacts
de l'accident dépend de facteurs complexes et notamment de l'intensité
et de la durée d'exposition aux éléments radioactifs.
Les études de l'exposition de larges populations aux éléments
radioactifs peuvent impliquer de grandes variations des résultats
pour de légères modifications des hypothèses.
Par ailleurs, les études épidémiologiques
peinent à déterminer le rôle joué par différents
facteurs dans la survenue de certaines maladies.
Un rapport sur la mesure des expositions à
la radioactivité et surveillance des effets sur la santé,
rédigé en 1999 pour le ministère de l'environnement
et le secrétariat à la santé pointe les difficultés
de l'exercice. "D'un point de vue scientifique, [l'analyse des effets
sur la santé de l'exposition aux rayonnements ionisants] pose
des problèmes nouveaux qui concernent l'extrapolation aux faibles
doses, la mise en évidence d'effets de faible ou très faible
ampleur, les conséquences des expositions rares et hétérogènes
dans la population pour des maladies rares" concluent les rapporteurs
précisant que "les méthodes dont nous disposons actuellement
n'ont pas été élaborées pour aborder de telles
situations." Un problème commun à "la plupart des expositions
environnementales" car "nous atteignons là les limites mêmes
de ces méthodes." Des difficultés qui expliquent les écarts
particulièrement importants entre les divers bilans de la catastrophe.
De quelques milliers de morts à près
d'un million
De 2003 à 2005, l'Agence internationale
à l'énergie atomique (AIEA) a réalisé une étude
sur l'accident. Il ressort que les personnes les plus touchées sont
tout d'abord les travailleurs qui sont intervenus durant la catastrophe,
environ un millier, et ceux qui ont travaillé à sécuriser
le site au cours des années suivantes, jusqu'à 600.000 "liquidateurs".
Parmi le millier d'hommes fortement contaminés, l'AIEA a dénombré
près d'une trentaine de décès directs.
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Quant aux liquidateurs, ils ont été exposés à
des doses relativement faibles que l'AIEA décrit comme "pas
beaucoup plus élevées que le niveau naturel de radiation."
S'agissant des 5 millions d'habitants qui
ont été exposés à de faibles doses, l'impact
le plus important est indiscutablement le nombre extrêmement élevé
des cancers de la tyroïde chez les enfants. L'AIEA
évalue à 4.000 les cancers directement imputables à
la catastrophe.
Au-delà de ce constat, l'Agence reste
prudente et estime qu'"il n'y a pas de hausse clairement démontrée
de l'incidence du nombre de cancers et de leucémies dus aux radiations
dans la population la plus affectée." Néanmoins, elle
juge que parmi les liquidateurs, les habitants de la zone évacuée
et les résidents de la zone la plus touchée, la mortalité
liée aux cancers pourrait s'accroître de quelques pourcents
et entraîner "plusieurs milliers" de décès.
Ce bilan officiel est cependant fortement
contesté par certains chercheurs. En 2010, l'Académie des
sciences de New York a publié un dossier sur le sujet à partir
de travaux publiés par des chercheurs de la région de Tchernobyl.
Ils critiquent notamment le caractère conservateur de l'étude
de l'AIEA, aussi bien s'agissant du nombre de personnes affectées
que de l'importance des retombées radioactives. Ainsi,
il y aurait eu en réalité 830.000 liquidateurs et 125.000
d'entre eux seraient morts. Quant aux décès attribués
à la tragédie, le total irait de 600.000 à 900.000
et, étant donnée la dispersion des éléments
radioactifs, il pourrait atteindre au niveau mondial près d'un million
de morts au cours des 20 ans ayant suivi la catastrophe.
Toujours à l'occasion des 20 ans de
la catastrophe, Greenpeace a elle aussi publié un rapport
réalisé par 60 scientifiques de Biélorussie, d'Ukraine
et de Russie. Le document précise que "les données
les plus récentes indiquent qu'en Biélorussie, en Russie
et en Ukraine l'accident a causé une surmortalité estimée
à 200 000 décès entre 1990 et 2004."
Bilan environnemental
Sur le plan environnemental, là encore
les études restent partagées. Pour l'AIEA, la radioactivité
a maintenant très largement décru et la grande majorité
des territoires touchés sont sains et peuvent accueillir des populations.
Seules quelques précautions relatives à l'usage des sols
sont préconisées.
Mais là aussi, les opposants sont nombreux
et ils estiment que l'impact environnemental est bien plus important. Certains
éléments radioactifs relâchés dans l'atmosphère
ont des durées de vie allant jusqu'à 200.000 années.
Par ailleurs, ils se seraient répandus sur l'ensemble du Globe.
En l'état des connaissances, il semble que des traces de ces éléments
aient été retrouvées en Europe du Nord, en Amérique
du Nord et en Afrique.
Finalement, un aspect de la catastrophe environnementale
est partagé par l'ensemble des analyses : de nombreux déchets
radioactifs sont encore présents sur le site de la centrale et le
sarcophage recouvrant le réacteur est en mauvais état. Dans
ce contexte, rappelant qu'un nouveau sarcophage doit être construit,
l'AIEA reconnaissait en 2006 qu'"aucune opération de démantèlement
et de décontamination n'est pour l'instant prévue." L'Agence
recommande donc à l'Ukraine d'améliorer la gestion du site
et des déchets.
Une conférence s'est tenue à
la veille du 25ème anniversaire afin de réunir les fonds
nécessaires à la construction d'un deuxième sarcophage
sensé résister 100 ans, reculant vraisemblablement la décontamination
du site.
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