AFP/SERGEI SUPINSKY
Pour Corinne Castanier,
directrice de la Criirad, un laboratoire indépendant qui, dès
1986, avait entrepris ses propres mesures de radioactivité, on peut
y voir au choix la marque de "l'incompétence du SCPRI, ou celle
d'un mensonge délibéré". La Criirad, partie civile
dans une plainte contre X pour "défaut de protection des populations
contre les retombées radioactives de l'accident de Tchernobyl" déposée
en 2001, conjointement avec l'Association française des malades
de la thyroïde (AFMT), penche pour la seconde hypothèse. Elle
entend démontrer que les autorités ont minimisé les
retombées et n'ont pas pris les mesures sanitaires préventives
qui s'imposaient - et que plusieurs pays voisins ont appliquées,
comme la restriction de consommation de certains aliments. En décembre
2005, un rapport transmis à la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy,
chargée de l'instruction de l'enquête sur le passage du nuage
de Tchernobyl au-dessus de la France, affirmait que des mesures radioactives
ont été "occultées" par les autorités de contrôle
de l'époque. Selon ce rapport, le SCPRI aurait restitué de
façon incomplète les données en sa possession.
Depuis 1986, de nombreuses cartes ont été constituées. En 1997, l'Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN), successeur du SCPRI, en a produit une en se fondant sur les mesures de contamination des végétaux et du lait. En 2003, une nouvelle carte est proposée, mettant en relation les dépôts et les précipitations. Certaines données de la Criirad y sont intégrées. L'ensemble dévoile des niveaux de contamination bien plus élevés que précédemment. Mais ce résultat est contesté, notamment par le professeur Aurengo. Spécialiste de médecine nucléaire, il se déclare, dans un courrier au gouvernement qui l'a chargé d'animer un groupe de travail sur le sujet, "consterné" par les résultats de l'IPSN. Il les qualifie de "méthodologiquement contestables et très probablement faux (...), diffusés sans aucune validation scientifique". Pour tenir compte de ses remarques, l'IPSN inclut des mesures atmosphériques dans sa reconstitution. Une nouvelle carte est produite en 2005: "Le résultat restait très proche de celui de 2003 et collait bien, à l'échelle de la France, avec les données de la Criirad", résume Didier Champion, directeur de l'environnement et de l'intervention à l'IRSN. Dernier épisode, le 27 mars, le conseil scientifique de l'IRSN (qui a succédé à l'IPSN) confirme la validité des travaux de l'Institut concernant les retombées de Tchernobyl en France. D'une certaine manière, il s'agit aussi d'un hommage rendu au travail de la Criirad, l'IRSN ayant puisé dans les données de l'association - sans que celle-ci soit d'ailleurs associée aux travaux en question. |
Reste à expliquer le
rapport de 1 à 1 000 entre les cartes de 1986 et celles d'aujourd'hui.
"La première carte du 7 mai 1986 était très fruste.
Les chiffres avancés ressemblent beaucoup à ceux des dépôts
secs de particules radioactives, beaucoup moins concentrés que les
dépôts humides, dus aux précipitations", avance
Didier Champion. Malheureusement, note-t-il, plus personne à l'IRSN
n'a la mémoire de la façon dont le SCPRI a procédé:
"C'est un peu un puzzle pour nous." Un puzzle d'autant plus difficile
à reconstituer qu'une information judiciaire est en cours, et que
chaque acteur campe sur ses positions.
Pour Jacques Repussard, directeur général de l'IRSN, les premières cartes de 1986 ont été constituées à partir d'un réseau qui manquait de densité, ce qui s'est traduit par un "effet lampadaire", de grandes zones restant dans l'ombre: "Ils ont fait des moyennes avec ce qu'ils avaient sous la main." Vingt ans après, note-t-il, il n'est pas certain que, face à une situation d'urgence, le réseau d'alerte soit suffisant pour nourrir de façon satisfaisante les modèles de prévision d'impact qui ont été développés. Hervé Morin
Quel impact sur le cancer de la thyroïde?
Les cartes des dépôts radioactifs au sol n'indiquent pas les doses reçues par la population. Les rares reconstitutions individuelles - notamment sur un enfant en Corse - ont montré une dose à la thyroïde allant de 15 à 30 millisieverts. Aujourd'hui, la limite de dose pour le public, corps entier, est fixée à 1 mSv/an. En 2000, l'Institut de veille sanitaire avait estimé de 7 à 55 le nombre de cas de cancers de la thyroïde additionnels attribuables à Tchernobyl, sur une population de 2,3 millions d'enfants, pour la période 1991-2015. Or, sur les 900 cas de cancers spontanés (hors Tchernobyl) attendus dans cette population, la marge d'erreurs est de plus ou moins 60 cas. De plus, comme le nombre de cas de cancers de la thyroïde croît depuis les années 1970, il sera difficile, voire impossible, de discerner un "effet Tchernobyl", estiment nombre d'épidémiologistes. La Corse, où on a mesuré des niveaux élevés de césium 137, espère échapper à ces difficultés méthodologiques. L'assemblée de Corse a voté à l'unanimité, le 11 avril, une motion décidant "de faire réaliser une enquête épidémiologique (...) sur les retombées en Corse de la catastrophe de Tchernobyl". Une expertise est déjà en cours sur 13 villages particulièrement exposés. |