Surfant sur la vague porteuse déclenchée
par la crise pétrolière et la réalité désormais
incontestable des changements climatiques, des voix de plus en plus nombreuses
s'élèvent pour vanter les attraits et atouts du nucléaire.
Ainsi, après Tony Blair et une brochette de politiques belges, c'est
Jacques Chirac qui, lors de ses voeux de Nouvel An, en a fait un remède
aux maux de la planète. Face à ces plaidoyers sans nuances
alimentant la confusion sur le caractère «propre» de
l'énergie atomique, il importe de rappeler que celle-ci ne saurait
en aucun cas faire partie des réponses aux problèmes climatiques.
L'opinion publique se montrant de plus en plus sensible aux enjeux environnementaux, les lobbies industriels n'ont pas manqué de placer le caractère prétendument «propre» du nucléaire au centre de leur stratégie de communication pro-atome. Il est à cet égard piquant de constater que ceux-là mêmes qui, il n'y a pas si longtemps, affichaient leur scepticisme quant à la réalité des changements climatiques et mettaient tout en oeuvre pour empêcher des engagements chiffrés dans la lutte contre le phénomène se servent aujourd'hui de cet argument pour vendre leur marchandise... N'en déplaise toutefois à ses promoteurs, les 189 pays signataires de la Convention des Nations unies sur les changements climatiques ont implicitement acté que le nucléaire ne saurait constituer un moyen de lutte contre le réchauffement global: l'article 2 du Protocole refuse effectivement de citer le recours à l'énergie atomique parmi les «politiques et mesures» de réduction d'émissions de gaz à effet de serre. Et cette absence ne doit rien au hasard: outre que la technologie ne pourrait être déployée à une échelle et dans un laps de temps suffisants pour jouer un rôle significatif dans les réductions d'émissions, elle pose de fait davantage de problèmes qu'elle n'en résout. Rappelons avant tout quelques réalités recadrant les enjeux. Tout d'abord, les changements climatiques constituent un phénomène planétaire et il convient dès lors de les appréhender à cette échelle et non à un niveau exclusivement national comme c'est le cas lorsqu'on promeut le nucléaire. Ensuite, si nous consommons de l'énergie pour nous déplacer, nous chauffer, produire, le nucléaire n'intervient - à hauteur de 17% - que pour la production d'électricité, laquelle constitue 16% de la demande mondiale d'énergie. A la lumière de ces éléments, si l'on considère sa part actuelle (marginale: 3%!) dans le «mix énergétique» mondial et celle (très limitée) qu'il est susceptible d'y prendre, il apparaît évident que, loin d'être la panacée que l'on proclame, l'investissement dans l'atome ne pourrait constituer, au mieux, qu'une contribution très partielle à la résolution du problème. Mais même dans cette approche minimaliste, la «solution» nucléaire ne résiste pas à l'analyse. Selon les experts, pour que la technologie nucléaire puisse contribuer tant soit peu aux réductions d'émissions de dioxyde de carbone (CO2), principal gaz à effet de serre, il faudrait multiplier au minimum par dix les 440 réacteurs actuellement en fonction.La décision serait-elle prise que la concrétisation d'un tel déploiement se heurterait à des contraintes la rendant caduque. La mise en place d'un nouveau parc de centrales prendrait ainsi énormément de temps, sept à dix ans étant nécessaires à la construction d'un réacteur. L'industrie se trouverait ensuite confrontée à des ressources d'uranium limitées que l'Agence internationale de l'énergie atomique évalue à 4 millions de tonnes, soit environ 65 ans au rythme de consommation actuel (lequel serait évidemment accéléré par les nouvelles installations). Par ailleurs, le recours accru à l'énergie atomique poserait également de nombreux problèmes en matière de sécurité. Les risques d'accidents seraient multipliés. La lutte contre le détournement de la technologie à des fins militaires, déjà ardue (en témoigne la situation tendue en Iran), se complexifierait davantage encore. Et la gestion des déchets radioactifs deviendrait plus préoccupante que jamais. (Rappelons qu'en dépit de décennies de recherche et de dépenses colossales, aucune solution n'a encore été trouvée à cette problématique...) |
Sur le plan purement économique, contrairement à ce qu'avancent
ses partisans, le nucléaire est une source d'énergie extrêmement
chère. Cette technologie ne doit en effet son développement
dans les pays industrialisés qu'à des aides directes et indirectes
faramineuses, un soutien (à charge du contribuable et du consommateur...)
ayant englouti des sommes considérables qui auraient pu être
investies de manière plus efficace et plus propre. (Il y a quelques
années, une étude estimait qu'un dollar investi dans l'efficacité
énergétique - moindre consommation d'énergie pour
un même service rendu - était aussi efficace en matière
de protection du climat que 7 dollars investis dans le nucléaire...)
D'autre part, la production d'électricité au moyen de l'énergie atomique étant très peu flexible, elle incite à la consommation, la demande devant absorber l'offre abondante... ce qui est difficilement compatible avec une politique ambitieuse de maîtrise de ladite demande. A l'heure où tout le monde s'accorde sur la nécessité d'une société plus sobre en énergie, le nucléaire va à contre-courant et nous empêche de remettre en cause nos modes de consommation. Il importe enfin de démystifier l'idée reçue selon laquelle le nucléaire n'émettrait pas de gaz à effet de serre. Nos centrales nucléaires émettent, il est vrai, des quantités négligeables de CO2. Mais pour évaluer correctement les gaz à effet de serre émis pour la production d'électricité, il faut considérer l'entièreté de la filière. Dans le cas du nucléaire, cela revient à prendre en compte l'exploitation, le raffinage et l'enrichissement du combustible (uranium 235); la fabrication des assemblages combustibles; la construction, le fonctionnement et le démantèlement des centrales; le conditionnement des déchets et leur stockage durant des centaines - voire des milliers - d'années. L'énergie nécessaire à ces opérations est en grande partie d'origine fossile et source d'émissions de gaz à effet de serre... appelées à augmenter dans l'avenir: les minerais les plus riches en uranium étant actuellement exploités, on s'achemine vers l'utilisation d'une matière de plus en plus pauvre dont l'extraction et le traitement, particulièrement énergivores, exigeront une quantité d'énergie sans cesse croissante. Certains vont jusqu'à estimer qu'à moyen terme, soit dans un laps de temps inférieur à la durée de vie des centrales, l'énergie consommée tout au long de la filière sera supérieure à celle produite par les réacteurs! C'est donc un fait avéré: le nucléaire ne nous permettra pas de réduire efficacement nos émissions de gaz à effet de serre. Et les nouvelles générations de réacteurs (EPR et réacteurs de 4e génération) évoquées par Messieurs Blair et Chirac pour vanter une énergie «propre, abondante, sûre et bon marché» (les mêmes arguments que l'on nous servait déjà il y a quarante ans et qui se sont avérés mensongers...) ne changeront pas sensiblement la donne. Ce constat opéré et intégré, il convient donc de chercher ailleurs la solution au réchauffement global (et à notre dépendance énergétique). L'utilisation rationnelle de l'énergie associée à l'efficacité énergétique, à une exploitation optimale des sources d'énergie renouvelables et au développement de la cogénération de qualité apparaissent ainsi comme les seuls véritables moyens de répondre rapidement au défi des changements climatiques tout en évoluant vers un système énergétique durable. L'Allemagne, le Danemark et d'autres l'ont compris et ont fait des choix stratégiques en conséquence. En décidant de sortir du nucléaire, notre pays s'est engagé dans la bonne direction. Il ne faudrait donc pas qu'il fasse demi-tour pour se précipiter dans ce qui n'est rien d'autre qu'un cul-de-sac. |