CONTROVERSES ENER...ETHIQUES
et NUCLEAIRES

Documents importants

Cinq arguments contre le retour au nucléaire
http://www.lesoir.be/
Source ADIT, octobre 2006
     Jeremy Rifkin Président de la Foundation on Economic Trends, professeur à Wharton a notamment publié «L'économie hydrogène» (Editions la Découverte et Syros: 2002).
 
     Brusquement, l'énergie nucléaire est revenue à la mode. Au sommet récent du G8 à Saint-Pétersbourg, en Russie, le président des Etats-Unis George W. Bush et le président russe Vladimir Poutine ont annoncé un accord de coopération pour «l'extension rapide de l'énergie nucléaire à travers le monde» et invité d'autres pays à les rejoindre. Cette déclaration est la dernière d'une série d'initiatives au sommet menées par la Maison Blanche pour promouvoir l'énergie nucléaire. Une technologie qui, des années durant, s'est retrouvée au purgatoire scientifique a ainsi été ressuscitée. Ses vertus ont été vantées par des personnalités: le Premier ministre du Royaume-Uni, Tony Blair, le scientifique de renommée internationale Sir James Lovelock, voire par quelques activistes de l'environnement en rupture de fidélité.
     L'accident nucléaire à Three Mile Island en Pennsylvanie en 1979, et l'horrible drame de Tchernobyl, dans l'ancienne Union soviétique, en 1986, sont devenus de lointains souvenirs. A présent, face à la hausse du coût du pétrole sur les marchés mondiaux et le réchauffement global en temps réel, le voile qui pesait sur l'énergie nucléaire a été levé. La technologie a subi un ravalement de façade virtuel et est présentée, par certains, comme l'énergie de choix dans une ère post-pétrole.
     Avant de laisser libre cours à notre enthousiasme, il est néanmoins nécessaire d'étudier sobrement les conséquences de la renucléarisation du monde.

     Premièrement, l'énergie nucléaire est inabordable. Avec une facture de deux milliards de dollars, la nouvelle génération de centrales nucléaires reste 50% plus chère que la mise en place de centrales au charbon, et nettement plus chère que la construction de centrales au gaz. Le coût d'un doublement de la part de l'énergie nucléaire dans la production d'énergie aux Etats-Unis - l'énergie nucléaire représente actuellement 20% de l'électricité du pays - pourrait dépasser les 500 milliards de dollars. Où ira-t-on chercher l'argent nécessaire à la construction d'une nouvelle génération de centrales nucléaires? Tous les pays qui doivent faire face à des restrictions financières similaires à celles qui sont de mise aux Etats-Unis, devront d'ailleurs se poser cette même question pénible. Si les leaders politiques à travers le monde envisagent sérieusement l'énergie nucléaire, ils vont devoir avouer à l'opinion publique que le consommateur paiera le prix sous forme de factures mensuelles d'électricité plus salées et de taxes augmentées pour soutenir les subsides du gouvernement.

     Deuxièmement, cela fait soixante ans que nous sommes dans l'ère nucléaire et nos scientifiques et ingénieurs ne savent toujours pas comment transporter, se débarrasser et entreposer sans risque les déchets. Le résultat est que dans le monde entier, des déchets s'entassent dans des entrepôts nucléaires. Aux Etats-Unis, le gouvernement fédéral a dépensé plus de huit milliards de dollars et mis vingt ans à ériger ce qui était supposé être une tombe souterraine au fin fond de la Yucca Mountain, au Nevada, pour contenir le matériau radioactif. Le caveau était conçu pour éviter les fuites pendant 10.000 ans, soit la moitié de la vie du matériau en question. Malheureusement, l'«Environmental Protection Agency» (EPA) reconnaît désormais que l'installation souterraine de stockage comportera des fuites.
     Troisièmement, d'après une étude menée par l'«International Atomic Energy Agency» (IEA) en 2001 sur la disponibilité de l'uranium, les réserves connues d'uranium pourraient ne plus satisfaire les besoins dès 2026, dans le cas d'une augmentation de la demande, et dès 2035 dans le cas d'un maintien de la demande actuelle.

Bien sûr, il est possible que de nouvelles explorations mènent à la découverte de nouveaux gisements et que de nouvelles percées technologiques puissent réduire les besoins d'uranium, mais pour l'instant ces possibilités restent purement spéculatives.

     Quatrièmement, la perspective de construire des centaines, même des milliers de centrales dans une ère de propagation du terrorisme islamique paraît complètement fou. Avons-nous perdu tout sens des réalités? D'une part, les Etats-Unis, l'Union européenne et une grande partie du monde sont effrayés par la simple possibilité qu'un seul pays, l'Iran, puisse mettre la main sur de l'uranium enrichi du fait de son programme de construction de centrales nucléaires, et utiliser ce matériau pour construire une bombe nucléaire. D'autre part, un grand nombre de ces mêmes gouvernements sont désireux d'étendre les centrales nucléaires dans le monde et de les disposer aux quatre coins de la planète. Cela implique de l'uranium et des déchets nucléaires en transit partout et s'entassant souvent à proximité de zones urbaines très peuplées. Les centrales nucléaires sont des cibles de choix pour les attaques terroristes. Le 8 novembre 2005, le gouvernement australien a arrêté dix-huit terroristes islamiques qui voulaient faire exploser l'unique centrale nucléaire d'Australie. S'ils avaient réussi, l'Australie aurait fait l'expérience de sa propre version dévastatrice des attaques catastrophiques du 11 Septembre qui ont ébranlé New York City. Tous, nous devrions nourrir les plus vives inquiétudes. Aux Etats-Unis, une étude du «Nuclear Regulatory Commission» a mis en lumière que plus de la moitié des centrales nucléaires américaines n'étaient pas état de résister à une attaque de leurs installations.

     Enfin, l'énergie nucléaire représente le genre de technologie hautement centralisée et maladroite d'une époque dépassée. A un âge de technologies distributives, qui sapent les hiérarchies, décentralisent le pouvoir, et engendrent des réseaux et des «open source economic models», l'énergie nucléaire semble étrangement vieux jeu et obsolète. L'énergie nucléaire était en grande partie une création de la guerre froide. Elle représentait la concentration massive d'énergie et reflétait la géopolitique de l'ère postérieure à la Seconde Guerre mondiale. Désormais, la géopolitique du XXe siècle a été balayée par l'émergence des politiques « biosphériques » du XXe siècle. Le monde s'uniformise. Partout, de nouvelles technologies offrent aux gens les outils dont ils ont besoin pour devenir des participants actifs dans un monde interconnecté. L'énergie nucléaire, par contraste, est une énergie d'élite contrôlée par une minorité. A l'âge où le slogan «le pouvoir au peuple» est devenu un leitmotiv parmi les pauvres et les sans-droits du monde entier, l'énergie nucléaire est une relique. Sa résurrection nous fait régresser dans le temps. Nous devrions plutôt faire une tentative agressive pour mettre en place l'ensemble des technologies décentralisées et renouvelables - énergie solaire, éolienne, géothermique et biomasse - et établir une infrastructure de stockage d'hydrogène pour assurer une distribution régulière et ininterrompue d'énergie pour nos besoins d'électricité et de transports. Notre futur énergétique commun dépend du soleil, pas de l'uranium.