L'évaluation du démantèlement
ne rassure pas les autorités
La facture indigeste de l'après-nucléaire
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Deux rapports confidentiels jugent que le
coût de démantèlement des sept réacteurs est
sous-estimé de 19%.
La facture de l'après-nucléaire
est-elle trop légère? En d'autres termes, les projections
formulées par Synatom, l'opérateur industriel chargé
de la gestion du combustible et de provisionner le démantèlement
des centrales, sont-elles à la hauteur des investissements colossaux
qui seront requis au moment de déboulonner le premier des sept réacteurs
belges?
«Affirmatif!», répondent
en choeur deux rapports confidentiels dont Le Soir a pris connaissance.
Dans un premier document daté du 17 janvier 2007, l'Ondraf (Organisme
national de gestion des matières radioactives et fissiles enrichies)
constate dans ses conclusions que «le coût du démantèlement
est évalué d'après un scénario conservateur
au plan du provisionnement ». (NDLR: traduction de la version
flamande en notre possession). En clair: les obligations imposées
à Synatom ne pourraient être rencontrées lorsque la
mise à la casse débutera d'ici une vingtaine d'années,
si la loi sur la sortie du nucléaire, à partir de 2015, est
appliquée.
Pourquoi? «Le coût établi
pour ces provisions tient compte d'une réduction liée au
démantèlement en série des centrales d'un même
site, explique le rapport. Or, rien n'autorise à affirmer au stade
actuel des études que cette réduction évaluée
à 19% pourra être concrétisée...»
Questionné par Le Soir sur ce
point, le directeur de l'Ondraf a refusé de se livrer au moindre
commentaire: «C'est de la vieille histoire!», s'est-il
borné à nous répondre.
«Vieille histoire»? Pas tant que
cela. Dans un autre rapport confidentiel daté du 16 mars 2007, le
«comité de suivi» chargé de vérifier le
bon déroulement du provisionnement pour le démantèlement
des centrales a repris les conclusions de l'Ondraf à son compte.
L'avis de ce comité composé des représentants de plusieurs
instances fédérales fait force de loi auprès de Synatom.
Outre le différentiel estimé
à 20% entre le coût estimé du démantèlement
et le coût effectif à terme, les conclusions du comité
d'avis s'inquiètent également de la «marge d'incertitude»
des calculs de provisionnement. Celle-ci a été réduite
de 15 à 13% et devrait justement servir à compenser les surcoûts
qui seront rencontrés, constate le comité de suivi. «La
réduction due au démantèlement des centrales en série
n'est pas assez étayée et les inventaires pas assez précis
pour approuver une telle marge, pointe le comité de suivi qui recommande
une fourchette de 15 à 25%, admise au niveau international, pour
un plan de démantèlement...»
Tout en suivant les recommandations et questions
de l'Ondraf, le «comité de suivi» note que les obligations
de la société de provisionnement seraient plus claires si
les autorités publiques (NDLR: le gouvernement fédéral)
prenaient diverses décisions: «1. Concernant l'option
de traitement ou non des matières fissiles irradiées; 2.
Concernant l'enfouissement des déchets de moyenne et de haute
activité, du combustible irradié et des matières plutonifères
dans les couches géologiques profondes.» Or, aucune décision
ne devrait intervenir avant une dizaine d'années sur l'enfouissement
des déchets.
Alors que Synatom défend sa méthode
d'évaluation du démantèlement, le comité de
suivi estime que l'acteur nucléaire fait preuve de trop d'imprécisions
qui conduisent à des incertitudes pour l'avenir. C'est la raison
pour laquelle il a donné 60 jours à Synatom pour lui remettre
un plan qui réponde aux différentes questions posées.
Ce plan, selon la direction de Synatom, vient d'être rendu et promet
de rectifier le tir pour 2010, date du prochain rapport de suivi du démantèlement
(voir ci-dessous).
Pour l'heure, sortons les calculettes: les
provisions engrangées par Synatom se chiffrent à 4,6 milliards
€. Près de 3 milliards concernent la gestion actuelle et future
des déchets irradiés tandis que 1,6 milliard sera consacré
au démantèlement proprement dit. À terme, le coût
global de la sortie du nucléaire est estimé à 12 milliards
€.
D'ici là, il y a gros à parier
que l'extinction des feux nucléaires, prévue en 2015, aura
été postposée par le prochain gouvernement. Divulgué
la semaine dernière, le rapport final de la «Commission 2030»
propose en effet de prolonger la durée de vie des centrales afin
de lutter contre le réchauffement (les centrales produisent très
peu de CO2) et d'éviter l'explosion future des coûts
de l'électricité.
Selon le rapport de la «Commission 2030»,
composée «d'experts qui savent» (sic),
les montants affectés pour le moment au démantèlement
des centrales suffiront amplement. Mais étrangement, cette Commission
«qui sait» ne semble pas avoir pris en compte des réserves
formulées par l'Ondraf et le comité de suivi. Sans doute
parce qu'elles étaient confidentielles?
Des fissures dans l'unanimisme
nucléaire
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Le débat sur la prolongation de la durée
de vie de nos centrales nucléaires n'est pas clos. Une semaine après
le feu vert délivré à l'atome par la commission d'experts
dite «2030», les rapports confidentiels que révèle
Le Soir témoignent que cette question nucléaire résiste
mal aux plaidoyers caricaturaux.
Certes, la fission de l'atome n'émet
pas de gaz à effet de serre (NDLR: à l'utilisation, certes,
mais c'est faire l'impasse sur l'ensemble de la
chaîne, la construction des centrales - leur destruction...
- et surtout toute l'infrastructure du retraitement et des déchets!...).
À cet égard, la lutte contre le réchauffement planétaire
constitue le plus bel argument de marketing pour un secteur qui s'est moqué
des questions environnementales pendant plusieurs décennies. Et
il est vrai qu'il sera difficile de rencontrer les objectifs européens
de réduction des émissions de carbone, sur un strict plan
intérieur, sans le recours momentané à cette technologie
controversée.
Au nom de cette verte licence, le prochain
gouvernement devra mesurer la totalité des implications de son éventuelle
décision de surseoir, pour un temps donné, à la fermeture
des centrales.
Outre l'imposition d'une taxe au secteur susceptible
de financer des projets renouvelables, la future coalition devra mettre
dans sa balance comptable le coût vérité d'une éventuelle
prolongation. Or, la facture du démantèlement, qui interviendra
tôt ou tard, paraît avoir été sous-évaluée
par l'opérateur industriel. Et cette question ne manque pas d'inquiéter
quand les montants se chiffrent en milliards €.
C'est dire si ces incertitudes fissurent le
blanc-seing donné par les «experts» à la prolongation
de la durée de vie des centrales belges après 2015.
La divulgation de ces rapports rappelle en
outre que le secteur n'a jamais été un modèle de transparence.
Quoi que s'en prévalent les autorités responsables de la
gestion des déchets et du démantèlement futur, il
est anormal que des informations essentielles pour éclairer les
choix futurs restent secrètes. Comme il est anormal que l'évolution
de milliers de fûts radioactifs défectueux ne soit pas portée
à la connaissance du public.
Car on l'avait presque oublié: aucune
solution acceptable n'existe afin de «gérer» ces poisons
millénaires. Et l'histoire des «colis endommagés»
nous rappelle que, par-delà l'impératif climatique, la fission
nucléaire demeure une impasse.
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suite:
Des réponses complètes en 2010
ENTRETIEN
Filiale d'Electrabel, Synatom est l'opérateur
chargé de la gestion globale du cycle du combustible. Administrateur
délégué de Synatom, Robert Leclère a accepté
de réagir aux recommandations de l'Ondraf et du comité de
suivi à propos de «l'insuffisance» du provisionnement.
Vous aviez 60 jours pour remettre un plan...
Nous avons répondu à chacune
des recommandations du comité de suivi et cela a fait l'objet d'une
réunion la semaine dernière. Un planning d'activité
a été déposé pour répondre aux recommandations
point par point, d'ici le prochain rapport en 2010. Un inventaire complet
des matières qui doivent être démantelées sera
réalisé avec une estimation de l'activité de ces matières.
C'est déjà réalisé pour Doel 1 et 2 et Tihange
1. Suivront ensuite Tihange 2 et Doel 3 en 2010 et Doel 4 et Tihange 3
en 2013.
Les rapports évoquent une sous-évaluation de près
de 20%?
Nous estimons nos évaluations correctes.
Et nous présenterons en 2010 une approche intégrée
par site. Nous ne souhaitons pas avoir un site où une unité
serait en démantèlement et où deux autres unités
seraient en fonctionnement. Dans l'hypothèse où la loi de
sortie du nucléaire est confirmée, les unités seront
progressivement arrêtées mais on ne commencerait pas le démantèlement
avant que tous les réacteurs du site soient à l'arrêt.
Donc, vous estimez que vos évaluations sont correctes...
Oui, car il y a un effet d'échelle
important si on démantèle un site de façon intégrée.
Les rapports considèrent que les marges en cas de pépin
imprévu sont très faibles...
Il y a le coût estimé d'après
la connaissance de l'art aujourd'hui. Et puis il y a des paramètres
qui vont varier. Ce sont des opérations qui vont nous mener jusqu'en
2040. Ces marges, on va les calculer poste par poste et montrer dans le
prochain rapport qu'elles sont correctes.
Comment avez-vous procédé pour établir ces
calculs?
On a fait appel au bureau d'études
allemand NIS, qui fait de la modélisation du démantèlement.
Le problème, c'est que nous n'avons pas donné le détail
à l'Ondraf pour cet exercice.
Tout va donc pour le mieux?
Je n'ai pas de raison de croire qu'il y a
un problème aujourd'hui. 4,6 milliards d'euros sont provisionnés
pour le démantèlement et la gestion des déchets.
Sera-ce suffisant si la sortie du nucléaire est confirmée?
Tout est provisionné pour le démantèlement.
L'argent produit des intérêts et est prêté jusqu'à
75% à Electrabel. Pour ce qui est du combustible, la provision continue
à se constituer au fur et à mesure de l'activité des
centrales.
Une série de fûts radioactifs défectueux pose
problème. Aucune solution n'existe pour le moment pour les traiter.
Cela risque-t-il de grever les budgets?
Même si je sais combien ce sujet est
délicat, ces fûts défectueux, c'est peu de choses par
rapport au coût total de la gestion des déchets radioactifs.
A peine l'épaisseur d'un trait!
Une cascade de nouveaux fûts radioactifs
défectueux
Ne dites pas fûts radioactifs défectueux,
mais «colis non conformes»! Cette délicieuse subtilité
de langage administratif nous rappelle que l'organisme national des déchets
radioactifs (Ondraf) n'est pas sorti de l'auberge dans l'inventaire des
fûts radioactifs endommagés découverts en 2003. Et
pour cause: près de 1.500 «colis» problématiques
sont désormais recensés à Dessel, en Flandre. Et la
contagion s'est étendue à d'autres bâtiments...
Lors du dernier inventaire relaté dans
nos colonnes, en 2004, il apparaissait que 433 fûts faiblement radioactifs,
voire moyennement radioactifs, avaient mal résisté à
l'usure du temps. Le dernier rapport de l'Ondraf sur la question a atterri
dans les locaux du Soir. Ce document confidentiel révèle
toute l'ampleur du problème: «29.772
colis ont été inspectés au 12 mai 2007, note cette
synthèse de deux pages. 1.414 ont été jugés
non conformes aux critères d'inspection visuelle.»
Entreposés dans les locaux de Belgoprocess,
ces fûts de 400 litres sont victimes de phénomènes
de corrosion, de gonflements, de dilatation ou de problèmes de fermeture.
Ils proviennent en grande partie de quatre bâtiments où sont
stockés près de 30.000 fûts.
Mais ce savant inventaire n'est pas clos puisque
les inspecteurs nucléaires ont découvert de nouveaux cas
problématiques dans le bâtiment 127 dit «Eurostorage»,
qui dénombre 16.321 fûts moyennement radioactifs.
«Un cas d'école»
«Après une première
inspection globale de l'extérieur des piles, 65 colis non conformes
ont été notés, expose le rapport. Ils présentent
des dégradations similaires à celles constatées dans
les bâtiments d'entreposage des déchets faiblement radioactifs
(gonflement, débordement des colis possédant une matrice
en bitume, corrosion de la soudure...).»
Le rapport de l'Ondraf se veut rassurant:
«Comme pour les colis non conformes des déchets faiblement
radioactifs conditionnés, les mesures ont montré qu'il n'y
a pas de danger pour la santé des travailleurs de Belgoprocess ni
pour les riverains, puisque les substances radioactives restent confinées
dans leur matrice et sont localisées dans des bâtiments sécurisés
et totalement fermés.»
Le rapport de l'Ondraf n'exclut toutefois
pas de nouvelles découvertes au fur et à mesure de l'inventaire:
«Pour mieux comprendre l'ampleur des dégradations constatées,
l'Ondraf et Belgoprocess ont lancé deux actions, pointe le rapport.
D'une part la poursuite accélérée du programme d'inspection
et d'autre part la réalisation d'une étude scientifique des
mécanismes à la base des dégradations constatées.»
Les rapports précédents évaluaient
à trois années l'inventaire et la mise au point du reconditionnement
de ces fûts. Un délai qui est déjà largement
dépassé :
«L'Ondraf est devant un cas d'école,
concède cet expert en énergie. C'est sans doute la première
fois qu'il faut procéder au reconditionnement de tels fûts
radioactifs destinés à la base à être lâchés
en mer. Cela prendra encore des années. Et coûtera beaucoup
plus d'argent qu'on ne le prétend...»
Synatom
La société belge de combustible
est une filiale d'Electrabel chargée de l'approvisionnement des
centrales en uranium ainsi que de la gestion du combustible irradié
jusqu'au transfert définitif à l'Ondraf (Organisme de gestion
des déchets radioactifs).
Les déchets nucléaires. Faiblement,
moyennement ou hautement radioactifs, les déchets nucléaires
sont classés en trois catégories (A, B et C). Les déchets
A et B représentent 95% du volume total des déchets entreposés
en Belgique.
La gestion des déchets. Sous la houlette
de l'Ondraf, un site d'entreposage définitif a été
retenu à Dessel pour les déchets faiblement radioactifs.
Aucune solution n'a été arrêtée pour les déchets
hautement radioactifs, dont la durée de vie se compte en milliers
d'années. L'hypothèse d'un enfouissement dans des couches
d'argile en profondeur est retenue.
Les risques des déchets défectueux.
Enrobés de ciment ou de bitume, les déchets contenus dans
1.500 fûts endommagés sont issus du passif nucléaire.
Ils ne présenteraient pas de risques. |