CONTROVERSES NUCLEAIRES !
Documents importants
Belgique: 1) L'évaluation du démantèlement ne rassure pas les autorités2) La facture indigeste de l'après-nucléaire3) Des fissures dans l'unanimisme nucléaire 4) Une cascade de nouveaux fûts radioactifs défectueux
ADIT, http://www.lesoir.be/, juillet 2007

L'évaluation du démantèlement ne rassure pas les autorités
La facture indigeste de l'après-nucléaire
http://www.lesoir.be/

     Deux rapports confidentiels jugent que le coût de démantèlement des sept réacteurs est sous-estimé de 19%.
      La facture de l'après-nucléaire est-elle trop légère? En d'autres termes, les projections formulées par Synatom, l'opérateur industriel chargé de la gestion du combustible et de provisionner le démantèlement des centrales, sont-elles à la hauteur des investissements colossaux qui seront requis au moment de déboulonner le premier des sept réacteurs belges?
     «Affirmatif!», répondent en choeur deux rapports confidentiels dont Le Soir a pris connaissance. Dans un premier document daté du 17 janvier 2007, l'Ondraf (Organisme national de gestion des matières radioactives et fissiles enrichies) constate dans ses conclusions que «le coût du démantèlement est évalué d'après un scénario conservateur au plan du provisionnement ». (NDLR: traduction de la version flamande en notre possession). En clair: les obligations imposées à Synatom ne pourraient être rencontrées lorsque la mise à la casse débutera d'ici une vingtaine d'années, si la loi sur la sortie du nucléaire, à partir de 2015, est appliquée.
     Pourquoi? «Le coût établi pour ces provisions tient compte d'une réduction liée au démantèlement en série des centrales d'un même site, explique le rapport. Or, rien n'autorise à affirmer au stade actuel des études que cette réduction évaluée à 19% pourra être concrétisée...»
     Questionné par Le Soir sur ce point, le directeur de l'Ondraf a refusé de se livrer au moindre commentaire: «C'est de la vieille histoire!», s'est-il borné à nous répondre.
     «Vieille histoire»? Pas tant que cela. Dans un autre rapport confidentiel daté du 16 mars 2007, le «comité de suivi» chargé de vérifier le bon déroulement du provisionnement pour le démantèlement des centrales a repris les conclusions de l'Ondraf à son compte. L'avis de ce comité composé des représentants de plusieurs instances fédérales fait force de loi auprès de Synatom.
     Outre le différentiel estimé à 20% entre le coût estimé du démantèlement et le coût effectif à terme, les conclusions du comité d'avis s'inquiètent également de la «marge d'incertitude» des calculs de provisionnement. Celle-ci a été réduite de 15 à 13% et devrait justement servir à compenser les surcoûts qui seront rencontrés, constate le comité de suivi. «La réduction due au démantèlement des centrales en série n'est pas assez étayée et les inventaires pas assez précis pour approuver une telle marge, pointe le comité de suivi qui recommande une fourchette de 15 à 25%, admise au niveau international, pour un plan de démantèlement...»
     Tout en suivant les recommandations et questions de l'Ondraf, le «comité de suivi» note que les obligations de la société de provisionnement seraient plus claires si les autorités publiques (NDLR: le gouvernement fédéral) prenaient diverses décisions: «1. Concernant l'option de traitement ou non des matières fissiles irradiées; 2. Concernant l'enfouissement des déchets de moyenne et de haute activité, du combustible irradié et des matières plutonifères dans les couches géologiques profondes.» Or, aucune décision ne devrait intervenir avant une dizaine d'années sur l'enfouissement des déchets.
     Alors que Synatom défend sa méthode d'évaluation du démantèlement, le comité de suivi estime que l'acteur nucléaire fait preuve de trop d'imprécisions qui conduisent à des incertitudes pour l'avenir. C'est la raison pour laquelle il a donné 60 jours à Synatom pour lui remettre un plan qui réponde aux différentes questions posées. Ce plan, selon la direction de Synatom, vient d'être rendu et promet de rectifier le tir pour 2010, date du prochain rapport de suivi du démantèlement (voir ci-dessous).
     Pour l'heure, sortons les calculettes: les provisions engrangées par Synatom se chiffrent à 4,6 milliards €. Près de 3 milliards concernent la gestion actuelle et future des déchets irradiés tandis que 1,6 milliard sera consacré au démantèlement proprement dit. À terme, le coût global de la sortie du nucléaire est estimé à 12 milliards €.
     D'ici là, il y a gros à parier que l'extinction des feux nucléaires, prévue en 2015, aura été postposée par le prochain gouvernement. Divulgué la semaine dernière, le rapport final de la «Commission 2030» propose en effet de prolonger la durée de vie des centrales afin de lutter contre le réchauffement (les centrales produisent très peu de CO2) et d'éviter l'explosion future des coûts de l'électricité.
     Selon le rapport de la «Commission 2030», composée «d'experts qui savent» (sic), les montants affectés pour le moment au démantèlement des centrales suffiront amplement. Mais étrangement, cette Commission «qui sait» ne semble pas avoir pris en compte des réserves formulées par l'Ondraf et le comité de suivi. Sans doute parce qu'elles étaient confidentielles?


Des fissures dans l'unanimisme nucléaire
http://www.lesoir.be/

     Le débat sur la prolongation de la durée de vie de nos centrales nucléaires n'est pas clos. Une semaine après le feu vert délivré à l'atome par la commission d'experts dite «2030», les rapports confidentiels que révèle Le Soir témoignent que cette question nucléaire résiste mal aux plaidoyers caricaturaux.
     Certes, la fission de l'atome n'émet pas de gaz à effet de serre (NDLR: à l'utilisation, certes, mais c'est faire l'impasse sur l'ensemble de la chaîne, la construction des centrales - leur destruction... - et surtout toute l'infrastructure du retraitement et des déchets!...). À cet égard, la lutte contre le réchauffement planétaire constitue le plus bel argument de marketing pour un secteur qui s'est moqué des questions environnementales pendant plusieurs décennies. Et il est vrai qu'il sera difficile de rencontrer les objectifs européens de réduction des émissions de carbone, sur un strict plan intérieur, sans le recours momentané à cette technologie controversée.
     Au nom de cette verte licence, le prochain gouvernement devra mesurer la totalité des implications de son éventuelle décision de surseoir, pour un temps donné, à la fermeture des centrales.
     Outre l'imposition d'une taxe au secteur susceptible de financer des projets renouvelables, la future coalition devra mettre dans sa balance comptable le coût vérité d'une éventuelle prolongation. Or, la facture du démantèlement, qui interviendra tôt ou tard, paraît avoir été sous-évaluée par l'opérateur industriel. Et cette question ne manque pas d'inquiéter quand les montants se chiffrent en milliards €.
     C'est dire si ces incertitudes fissurent le blanc-seing donné par les «experts» à la prolongation de la durée de vie des centrales belges après 2015.
     La divulgation de ces rapports rappelle en outre que le secteur n'a jamais été un modèle de transparence. Quoi que s'en prévalent les autorités responsables de la gestion des déchets et du démantèlement futur, il est anormal que des informations essentielles pour éclairer les choix futurs restent secrètes. Comme il est anormal que l'évolution de milliers de fûts radioactifs défectueux ne soit pas portée à la connaissance du public.
     Car on l'avait presque oublié: aucune solution acceptable n'existe afin de «gérer» ces poisons millénaires. Et l'histoire des «colis endommagés» nous rappelle que, par-delà l'impératif climatique, la fission nucléaire demeure une impasse.

suite:
Des réponses complètes en 2010

ENTRETIEN
     Filiale d'Electrabel, Synatom est l'opérateur chargé de la gestion globale du cycle du combustible. Administrateur délégué de Synatom, Robert Leclère a accepté de réagir aux recommandations de l'Ondraf et du comité de suivi à propos de «l'insuffisance» du provisionnement.

Vous aviez 60 jours pour remettre un plan...
     Nous avons répondu à chacune des recommandations du comité de suivi et cela a fait l'objet d'une réunion la semaine dernière. Un planning d'activité a été déposé pour répondre aux recommandations point par point, d'ici le prochain rapport en 2010. Un inventaire complet des matières qui doivent être démantelées sera réalisé avec une estimation de l'activité de ces matières. C'est déjà réalisé pour Doel 1 et 2 et Tihange 1. Suivront ensuite Tihange 2 et Doel 3 en 2010 et Doel 4 et Tihange 3 en 2013.
Les rapports évoquent une sous-évaluation de près de 20%?
     Nous estimons nos évaluations correctes. Et nous présenterons en 2010 une approche intégrée par site. Nous ne souhaitons pas avoir un site où une unité serait en démantèlement et où deux autres unités seraient en fonctionnement. Dans l'hypothèse où la loi de sortie du nucléaire est confirmée, les unités seront progressivement arrêtées mais on ne commencerait pas le démantèlement avant que tous les réacteurs du site soient à l'arrêt.
Donc, vous estimez que vos évaluations sont correctes...
     Oui, car il y a un effet d'échelle important si on démantèle un site de façon intégrée.
Les rapports considèrent que les marges en cas de pépin imprévu sont très faibles...
     Il y a le coût estimé d'après la connaissance de l'art aujourd'hui. Et puis il y a des paramètres qui vont varier. Ce sont des opérations qui vont nous mener jusqu'en 2040. Ces marges, on va les calculer poste par poste et montrer dans le prochain rapport qu'elles sont correctes.
Comment avez-vous procédé pour établir ces calculs?
     On a fait appel au bureau d'études allemand NIS, qui fait de la modélisation du démantèlement. Le problème, c'est que nous n'avons pas donné le détail à l'Ondraf pour cet exercice.
Tout va donc pour le mieux?
     Je n'ai pas de raison de croire qu'il y a un problème aujourd'hui. 4,6 milliards d'euros sont provisionnés pour le démantèlement et la gestion des déchets.
Sera-ce suffisant si la sortie du nucléaire est confirmée?
     Tout est provisionné pour le démantèlement. L'argent produit des intérêts et est prêté jusqu'à 75% à Electrabel. Pour ce qui est du combustible, la provision continue à se constituer au fur et à mesure de l'activité des centrales.
Une série de fûts radioactifs défectueux pose problème. Aucune solution n'existe pour le moment pour les traiter. Cela risque-t-il de grever les budgets?
     Même si je sais combien ce sujet est délicat, ces fûts défectueux, c'est peu de choses par rapport au coût total de la gestion des déchets radioactifs. A peine l'épaisseur d'un trait!


Une cascade de nouveaux fûts radioactifs défectueux

     Ne dites pas fûts radioactifs défectueux, mais «colis non conformes»! Cette délicieuse subtilité de langage administratif nous rappelle que l'organisme national des déchets radioactifs (Ondraf) n'est pas sorti de l'auberge dans l'inventaire des fûts radioactifs endommagés découverts en 2003. Et pour cause: près de 1.500 «colis» problématiques sont désormais recensés à Dessel, en Flandre. Et la contagion s'est étendue à d'autres bâtiments...
     Lors du dernier inventaire relaté dans nos colonnes, en 2004, il apparaissait que 433 fûts faiblement radioactifs, voire moyennement radioactifs, avaient mal résisté à l'usure du temps. Le dernier rapport de l'Ondraf sur la question a atterri dans les locaux du Soir. Ce document confidentiel révèle toute l'ampleur du problème: «29.772 colis ont été inspectés au 12 mai 2007, note cette synthèse de deux pages. 1.414 ont été jugés non conformes aux critères d'inspection visuelle
     Entreposés dans les locaux de Belgoprocess, ces fûts de 400 litres sont victimes de phénomènes de corrosion, de gonflements, de dilatation ou de problèmes de fermeture. Ils proviennent en grande partie de quatre bâtiments où sont stockés près de 30.000 fûts.
     Mais ce savant inventaire n'est pas clos puisque les inspecteurs nucléaires ont découvert de nouveaux cas problématiques dans le bâtiment 127 dit «Eurostorage», qui dénombre 16.321 fûts moyennement radioactifs.
«Un cas d'école»
     «Après une première inspection globale de l'extérieur des piles, 65 colis non conformes ont été notés, expose le rapport. Ils présentent des dégradations similaires à celles constatées dans les bâtiments d'entreposage des déchets faiblement radioactifs (gonflement, débordement des colis possédant une matrice en bitume, corrosion de la soudure...).»
     Le rapport de l'Ondraf se veut rassurant: «Comme pour les colis non conformes des déchets faiblement radioactifs conditionnés, les mesures ont montré qu'il n'y a pas de danger pour la santé des travailleurs de Belgoprocess ni pour les riverains, puisque les substances radioactives restent confinées dans leur matrice et sont localisées dans des bâtiments sécurisés et totalement fermés
     Le rapport de l'Ondraf n'exclut toutefois pas de nouvelles découvertes au fur et à mesure de l'inventaire: «Pour mieux comprendre l'ampleur des dégradations constatées, l'Ondraf et Belgoprocess ont lancé deux actions, pointe le rapport. D'une part la poursuite accélérée du programme d'inspection et d'autre part la réalisation d'une étude scientifique des mécanismes à la base des dégradations constatées
     Les rapports précédents évaluaient à trois années l'inventaire et la mise au point du reconditionnement de ces fûts. Un délai qui est déjà largement dépassé :
     «L'Ondraf est devant un cas d'école, concède cet expert en énergie. C'est sans doute la première fois qu'il faut procéder au reconditionnement de tels fûts radioactifs destinés à la base à être lâchés en mer. Cela prendra encore des années. Et coûtera beaucoup plus d'argent qu'on ne le prétend...»


Synatom
     La société belge de combustible est une filiale d'Electrabel chargée de l'approvisionnement des centrales en uranium ainsi que de la gestion du combustible irradié jusqu'au transfert définitif à l'Ondraf (Organisme de gestion des déchets radioactifs).
     Les déchets nucléaires. Faiblement, moyennement ou hautement radioactifs, les déchets nucléaires sont classés en trois catégories (A, B et C). Les déchets A et B représentent 95% du volume total des déchets entreposés en Belgique.
     La gestion des déchets. Sous la houlette de l'Ondraf, un site d'entreposage définitif a été retenu à Dessel pour les déchets faiblement radioactifs. Aucune solution n'a été arrêtée pour les déchets hautement radioactifs, dont la durée de vie se compte en milliers d'années. L'hypothèse d'un enfouissement dans des couches d'argile en profondeur est retenue.
     Les risques des déchets défectueux. Enrobés de ciment ou de bitume, les déchets contenus dans 1.500 fûts endommagés sont issus du passif nucléaire. Ils ne présenteraient pas de risques.