CONTROVERSES NUCLEAIRES !
ESSAIS NUCLEAIRES ET SANTE

Les essais nucléaires français au Sahara: Ouvrons le dossier
ADIT, IEER, mars 2007
     Nous vous livrons l'introduction et la conclusion de cette étude passionnante (dont l'intégralité est disponible ci-dessus)...
Par Bruno Barrillot[1]

     Quelques semaines après les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki, le général de Gaulle crée en France, le 18 octobre 1945, le Commissariat à l'Energie Atomique qui aura pour objectif – secret jusqu'en 1958 – de doter la France de l'arme nucléaire. Dès la fin de la Seconde guerre mondiale, de Gaulle avait compris que la France, ruinée par la défaite de 1940 et par la guerre, ne retrouverait sa place parmi les grandes nations de la planète qu'avec le développement de l'arme et de l'énergie nucléaires. L'arme nucléaire allait redonner à la France son statut de puissance internationale tandis que l'industrie nucléaire allait devenir le moteur de son renouveau industriel.
     De 1945 à 1958, la mission officielle et publique du CEA fut de mettre en place la recherche fondamentale et les procédés d'utilisations civiles de l'énergie nucléaire. Ceci fut réalisé sans que le Parlement en ait connaissance et sur financements secrets versés directement par la Présidence du Conseil. Toutes les installations nécessaires à la fabrication de la bombe ont été créées avant 1958, depuis la production du plutonium dans les réacteurs à uranium naturel de Marcoule, jusqu'à la mise au point du procédé de la diffusion gazeuse pour l'enrichissement de l'uranium au Centre de recherche du CEA de Saclay, situé dans la banlieue sud-ouest de Paris.
     Cette volonté de la France de se doter de l'arme nucléaire s'est accompagnée de recherches pour un site d'expérimentation. Les études historiques de M. Jean-Marc Regnault révèlent que la prospection de sites adéquats a été lancée par les autorités militaires dès le milieu des années 1950. La recherche d'un site souterrain en France - dans les Alpes du Sud et en Corse – fut rapidement abandonnée. En 1958, huit sites (sept dans les Alpes et un en Corse) furent envisagés puis rejetés. Pour six des sites alpins les raisons données furent d'ordre technique: soit le terrain était très fissuré, soit il y avait risque de contamination des eaux souterraines, ou encore un confinement insuffisant. Pour le septième site, il n'y avait pas d'objection particulière quoiqu'il s'avérait qu'il faudrait un temps beaucoup trop long pour le préparer. Le site corse fut écarté par crainte d'une opposition locale à cette époque où le tourisme commençait à se développer. La prospection s'est donc portée dans l'empire colonial de la France, notamment au Sahara, dans l'archipel des Tuamotu en Polynésie française, aux Iles Kerguelen dans le sud austral de l'Océan Indien et même en Nouvelle-Calédonie.

Le choix du Sahara
     Les recherches de Jean-Marc Regnault dans les archives militaires antérieures à 1960 montrent que, dès la fin des années 1950, les autorités militaires françaises avaient choisi de faire les expériences nucléaires au Sahara et en Polynésie française pour des raisons techniques et politiques. Cependant, les archipels polynésiens ne disposaient pas encore d'infrastructures portuaires ou aéroportuaires suffisantes pour une entreprise d'une telle ampleur. De grands travaux devaient donc être réalisés avant d'installer un site d'essais, ce qui nécessiterait des moyens financiers importants en raison de l'éloignement considérable de la France. Dès le début de 1957, les archipels polynésiens ayant une faible densité de population furent choisis par la France pour ses essais thermonucléaires qui, en raison de leur puissance et des retombées radioactives potentielles très étendues, ne pourraient pas être effectués au Sahara. Mais les infrastructures nécessaires pour l'installation d'un aussi grand projet ne pourraient pas être prêtes avant le milieu des années 1960.
     Malgré les imminentes négociations pour l'indépendance – objectifs de la guerre de libération algérienne - les travaux de construction de la base d'essais de Reggane, en plein Sahara central, commencèrent dès octobre 1957. La direction bicéphale des essais – CEA et Armées – fut dotée en moyens financiers et en personnels considérables pour mettre en place une « ville » en plein désert et les infrastructures expérimentales à 50 km plus au sud à Hammoudia qui devaient servir de polygone de tirs aériens.7 Dès le 11 avril 1958, le Président du Conseil Félix Gaillard annonçait la première explosion de bombe atomique de la France pour début 1960. D'ici là, les réacteurs plutonigènes de Marcoule auraient produit assez de plutonium pour la première bombe à fission.
     Mais cette annonce anticipée de l'entrée de la France dans le club des puissances nucléaires se situait dans un contexte politique où, sous la pression de la communauté scientifique internationale, les trois puissances nucléaires — Etats-Unis, URSS et Royaume-Uni — négociaient un moratoire sur les essais atmosphériques qui devait débuter en novembre 1958. La France qui, techniquement, ne pouvait se passer des expériences aériennes pour la mise au point de sa bombe se devait donc d'annoncer au monde son intention d'accéder au rang de puissance nucléaire avant que le droit international ne se dresse devant elle. C'est le point de départ du discours officiel français, initié par le Général de Gaulle sur «l'indépendance de la France», signifiant ainsi que la France aurait sa propre position au niveau mondial comme puissance indépendante de l'influence des Etats-Unis et de l'Union soviétique. Au cours des décennies suivantes, la France ne signera aucun des traités nucléaires, comme le traité de non-prolifération ou le traité d'interdiction des essais dans l'atmosphère, qu'elle considère comme des obstacles à ses ambitions nucléaires. (Finalement, la France ratifia le TNP en 1992 et le traité d'interdiction complète des essais nucléaires en 1996).

Les essais aériens français d'Hammoudia

Les essais souterrains d'In Eker

L'accident de tir du 1er mai 1962

suite:
Etat des lieux de l'accident

Autres dégâts environnementaux

Le secret

Une nécessité : nettoyage et surveillance

Conséquences sanitaires
     L'incidence des essais nucléaires sur la santé est aujourd'hui bien documentée. Aux Etats-Unis, par exemple, une législation de 1990 attribue des compensations à des personnes qui ont contracté des cancers radio induits et qui ont vécu ou travaillé dans le champ des retombées radioactives du site d'essais du Nevada au cours de la période des essais aériens. Certains insulaires des Iles Marshall ont aussi reçu des compensations en réparation aux dommages causés à leur santé et à leurs propriétés par les essais américains. Les vétérans qui ont participé aux essais et qui ont contracté des cancers radio induits ont également droit à des compensations.
     En France, même si l'Etat est jusqu'à aujourd'hui réticent pour reconnaître les effets sur la santé, la pression des associations de vétérans, des médias et des parlementaires est telle que le gouvernement devra probablement adopter une législation calquée sur le modèle américain.
     Pourtant, l'évaluation de l'impact des essais sur la santé des petites populations vivant à proximité des sites d'essais restera difficile à réaliser. En Algérie, l'état civil des habitants du Sahara n'a été mis en place qu'en 1969: il sera donc bien difficile de faire des études épidémiologiques crédibles. Des témoignages effrayants ont été recueillis auprès des populations Touaregs et des communautés sédentaires des oasis, mais, selon les autorités algériennes, aucun recensement des maladies et aucune étude épidémiologique n'ont été effectués auprès de ces populations. Selon un rapport de mai 2007 du Comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français, la carence des données sanitaires et le relatif petit nombre de personnes potentiellement affectées rendraient difficile, sinon impossible, l'obtention de résultats convaincants.
     Il faudra donc trouver une autre voie pour compenser le préjudice sanitaire et environnemental causé à ces petites populations par les essais nucléaires. En février 2007, le colloque organisé par le gouvernement algérien sur les conséquences des essais nucléaires ne s'est pas attardé sur des revendications politiques en termes de «reconnaissance de responsabilités sur les méfaits du colonialisme». Les recommandations s'appuient sur une exigence de vérité et de transparence à l'adresse de «la partie française», avec des objectifs concrets:
    * ouverture des archives,
    * cartographie des sites d'essais avec localisation des lieux à risques radiologiques, et,
    * contribution au financement de la mise en place d'un système de surveillance.
     Ces demandes ne commencent même pas par des reproches sur les préjudices. Le gouvernement algérien fait montre de détermination pour engager un processus de coopération avec la France pour «réparer» les dommages causés par les essais français au Sahara.

IEER – Postscript
     La revue «Science for Democratic Action» a contribué à apporter une masse d'informations et des analyses sur les dommages causés par la production et les essais d'armes nucléaires américaines sur la population des Etats-Unis elle-même. Ce n'est pas seulement parce que l'IEER est basé aux Etats-Unis. C'est aussi parce que les Etats-Unis sont, de loin, parmi les puissances nucléaires, les plus transparents. Les dommages causés aux habitants des Iles Marshall en raison des essais nucléaires ont été reconnus par les Etats-Unis à la fin des années 1970 et les dangers encourus par les personnels des forces armées américaines et les populations se trouvant dans le champ des retombées radioactives ont commencé peu après à être largement connus du public. Par ses essais nucléaires, la France, elle aussi, a mis en danger le personnel de ses forces armées et des populations dans deux de ses colonies, l'Algérie et la Polynésie. Un grand débat public sur les conséquences désastreuses des essais nucléaires vient seulement de commencer. Nous proposons cet article de Bruno Barrillot sur les essais nucléaires français en Algérie parce qu'il est un chercheur sur les armes nucléaires françaises et un militant de paix. Il a réalisé un grand travail qui a contribué à exposer au grand jour, tant en France qu'en Algérie, les dommages causés par les essais nucléaires français. Je tiens à le remercier pour la recherche minutieuse qu'il a faite pour cet article. Comme toujours, chaque fois que l'IEER publie un article d'un invité, l'analyse, l'opinion et les recommandations appartiennent à l'auteur et peuvent – ou ne peuvent pas – être partagées par l'IEER. Quand on lit les dénégations officielles françaises sur les risques encourus, il suffit de se rappeler que ces mêmes dénégations étaient courantes aux Etats-Unis il y a un quart de siècle. Cela a changé grâce aux témoignages des vétérans atomiques, à la recherche indépendante, aux reportages des médias, aux enquêtes du Congrès qui ont orienté la réflexion dans la direction contraire à ce qui avait cours dans les années 1980.

Arjun Makhijani
[1] Bruno Barrillot est directeur du Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits (CRDPC). Il a publié de nombreux livres sur les questions nucléaires françaises, notamment militaires.