PARIS/Mathieu Van Berchem
Publié le 05 août 2006
Une étude
confirme le lien entre essais nucléaires et cancers.
Des associations de vétérans attaquent l'Etat en justice.
C'est une première dans l'histoire opaque des essais nucléaires français et de leurs conséquences sanitaires. Dans une étude publiée prochainement par le très officiel Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l'épidémiologiste Florent de Vathaire affirme qu'il existe bel et bien un «lien» entre les explosions et le développement de cancers de la thyroïde. On s'en doutait un peu. Les longues campagnes de tirs en Algérie puis dans le Pacifique pouvaient difficilement laisser parfaitement intactes les populations locales, comme les militaires présents sur place. L'Etat s'en est pourtant toujours tenu à la vieille position gaulliste: les essais français sont propres. Après des années de silence, les langues se délient. En Polynésie, des associations se créent pour réclamer des indemnisations. Des militaires à la retraite se replongent dans un passé lointain pour tenter d'expliquer leurs problèmes osseux ou cardio-vasculaires. Des veuves attaquent l'Etat en justice. Témoignages: Une soupe radioactive
«Nous quittions l'atoll pendant l'explosion, mais le lendemain, voire le soir même, nous revenions préparer l'essai suivant. Nous étions jeunes et inconscients des dangers. La radioactivité, ça ne pique pas!» Michel Cariou assiste à 31 tirs, puis rentre en France en 1972. Atteint bien après d'une pathologie des os, il s'interroge, puis interpelle l'armée. «Pour mes problèmes osseux, l'armée m'a accordé une pension.» Pour son cancer de la thyroïde, Michel Cariou se verra opposer toujours la même réponse: «Prouvez que son origine est d'ordre nucléaire!» Impossible. |
«Un petit poste tranquille»
«En short et en sandales.» «On m'avait parlé d'un petit poste tranquille dans le désert. Je suis parti.» Début 1960, le soldat Michel Verger fait ses valises pour le sud algérien. «Je pensais que les essais nucléaires n'étaient pas de vraies bombes. J'ai vite compris mon erreur.» Le jeune appelé assiste aux premiers pas de la bombe française, grande fierté nationale. A 40 km à peine du point zéro. «Nous étions en short et en sandales. Il y avait une paire de lunettes pour 40 personnes», se souvient Michel Verger, qui filera au bout d'un an. En 2001, atteint de nombreux problèmes de santé, il fondera avec d'autres l'Association des vétérans des essais nucléaires (AVEN). «Aux Etats-Unis, une loi datant de 1988 permet d'indemniser les personnes souffrant de pathologies et qui se trouvaient dans un rayon de 700 km autour du point zéro. La France, elle, s'obstine à ne pas reconnaître la nocivité de ses expériences.» «C'était le paradis» «Mon mari est revenu enthousiaste de son séjour en Polynésie. C'était le paradis.» Le job d'Elie Tardieu, pendant les cinq premiers essais dans le Pacifique? Ramasser des plantes, dépecer des poissons, avant et après les essais nucléaires. Puis envoyer ses prises au labo, où sont analysées les doses de radioactivité. Le tout sans gants ni protection, bien entendu. «Des vents violents et la pluie rendaient certains essais aériens très contaminants», estime aujourd'hui Anne Tardieu. Son époux est décédé d'une tumeur au cerveau. La justice vient de reconnaître que son mal «pouvait être imputable» à son exposition au danger radioactif. Le Parquet a fait appel. «L'Etat refuse systématiquement d'admettre ses fautes», regrette Mme Tardieu. Au sein de l'AVEN, elle s'occupe d'assister les veuves, de plus en plus nombreuses. «Péniblement, elles prennent conscience de ce qui s'est passé, il y a vingt ou trente ans.» |