CONTROVERSES ENER...ETHIQUES
et NUCLEAIRES
Jean-Paul Schapira - réflexions
sur le nucléaire
Science & Vie, interview de Leïla Haddad
No 974-NOVEMBRE 1998 p.185
Présentation: (...) Esprit indépendant, il porte un regard
critique sur une énergie dont il ne fait pas une panacée.
J-P. Schapira: (...) Etant donné
le faible développement du nucléaire, nous
n'avons pas de problèmes de ressources (...)
(...)
S&V: Comment éliminer leur radioactivité (des
déchets radioactifs)?
J.-P. S.: (...) En les soumettant à un bombardement de neutrons,
de manière à provoquer des réactions nucléaires
qui modifient ces novaux. Soit ils "fissionnent", soit ils capturent des
neutrons et se transforment en de nouveaux produits.
S & V: Pourquoi cette solution n'est-elle pas déjà
appliquée?
J-P. S.: Elle se heurte à de nombreuses difficultés industrielles.
Le processus de transmutation est très long. Les déchets
ne se détruisent pas en un jour, mais en plusieurs dizaines d'années.
S & V C'est tout de même plus court que leur durée
de vie...
J-P. S.: Certes, mais il faudrait concevoir des systèmes industriels
capables de fonctionner pendant au moins cent ans. De plus, ces incinérateurs
produisent aussi des déchets, du même type que ceux qu'ils
sont chargés de détruire...
S & V: Quelle serait la solution?
J-P. S.: Insérer ces actinides dans un combustible nouveau qui
ne les reproduit pas. Un combustible à base de thorium, par exemple,
qui ne donne pas le même genre de corps à vie longue que l'uranium.
Cela nécessite des réacteurs très spécialisés,
probablement des svstèmes appelés "sous-critiques" qui permettraient,
en principe, d'accommoder des combustibles sans régénérer
les produits que l'on voudrait détruire. C'est un système
hybride, qui couple un accelérateur de particules et un réacteur.
Cette voie excite l'intérêt des laboratoires à travers
le monde. Mais, attention, si nous tendons vers ce type de réacteurs
en tant thème de recherche, il n'est pas du tout à
l'ordre du jour de les promouvoir industriellement. Pour résumer,
ces réacteurs sont destinés à brûler les déchets
en en produisant le moins possible.
S&V: Pourraient-ils produire de l'énergie et remplacer
les réacteurs à uranium?
J-P. S.: Ce n'est pas leur objectif, puisqu'ils consomment de l'électricité
à cause de l'accélérateur.Certains scénarios
prévoient des parcs où les réacteurs de puissance
de la filière à eau cohabiteraient avec des réacteurs-incinérateurs
de déchets. Ces derniers peuvent cependant être conçus
de sorte que, malgré tout, ils produisent plus d'énergie
qu'ils n'en consomment.
S & V: Les centrales nucléaires classiques ne vont donc
pas disparaître du jour au lendemain...
J-P. S.: La situation est plutôt morose... L'essentiel du développement
nucléaire des vingt prochaines années se fera dans les pays
du Sud-Est asiatique. Les Américains n'ont pas commandé de
réacteurs depuis vingt ans. La situation n'est pas très favorable
en Europe: il n'est pas question de commander une nouvelle centrale en
France avant 2010, et l'avenir du nouveau réacteur franco-allemand
est incertain. Le point le plus épineux, c'est l'acceptation du
public. Cette énergie a très rnauvaise réputation,
et tout le monde s'inquiète du problème des déchets.
Il n'y a pas assez (?!) d'information (NdlR: en effet, il s'agit
plus de "bourrage de crâne"...). Les industriels du nucléaire
pratiquent souvent la politique du secret . C'est moins la technologie
qui est en cause, que, souvent, les pratiques des opérateurs du
nucléaire.
S & V: Les mentalités peuvent évoluer...
J-P. S. : Il faudrait trouver des gens qui ont de bonnes idées.
Aujourd'hui, le nucléaire
n'attire plus grand monde: il est perçu comme une filière
ringarde, qui appartient au passé. Plusieurs enquêtes dans
les universités ont souligné cette perte d'intérêt.
Les étudiants préfèrent s'orienter vers l'astrophysique
ou la biologie moléculaire, qui sont bien plus à la mode.
Il n'y a pas beaucoup de débouchés, et la recherche manque
de sang neuf. Ce n'est plus un créneau porteur. Rares sont les polytechniciens,
par exemple, qui s'engagent dans cette voie. Le nucléaire, aujourd'hui,
c'est un peu la machine à vapeur...