Article paru dans l'édition du 02.08.11
Cette connivence entrave le débat sur le nucléaire
nippon, après la catastrophe de Fukushima
Alors que la crise à la centrale nucléaire
de Fukushima est loin d'être résolue et que plus de 70% des
Japonais sont désormais favorables à la sortie du nucléaire,
l'avenir de cette énergie peine à s'imposer dans le débat
politique. Le premier ministre, Naoto Kan, s'est prononcé, le 14
juillet, en faveur de la «réalisation d'une société
fonctionnant sans le nucléaire» en raison de l'impossibilité
d'«assurer pleinement la sécurité». Il
a proposé une loi pour le développement des énergies
renouvelables.
Mais ses propositions se heurtent à
de violentes critiques, parfois même de sa propre formation, le Parti
démocrate du Japon (PDJ), qui l'ont contraint à affirmer
que ses déclarations sur la sortie du nucléaire n'étaient
que le reflet d'une «réflexion personnelle».
Sa popularité en berne explique en
partie sa difficulté à imposer un débat sur le sujet.
Mais une autre explication tient à la proximité financière
très forte entre les compagnies d'électricité et le
monde politique. Une connivence parfois à la limite de la légalité,
dont la mise en évidence a fait réagir, le 27 juillet, le
secrétaire général du Parti libéral-démocrate
(PLD, opposition), Nobuteru Ishihara. Il a appelé sa formation -
au pouvoir presque sans interruption de 1955 à 2009 - à «dissiper
les malentendus qui font penser que nous avons fait peu de cas du public
et beaucoup pour les compagnies d'électricité».
M. Ishihara réagissait aux informations
révélées, le 23 juillet, par l'agence de presse Kyodo
selon lesquelles 72,5% des 64,85 millions de yens (587.000 €) de dons
accordés au PLD par des particuliers émanaient, en 2009,
de 141 des 153 dirigeants des neuf compagnies d'électricité
propriétaires d'installations nucléaires.
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La plus grosse part des dons (30,3%) venait de dirigeants de la plus
importante, la Compagnie d'électricité de Tokyo (Tepco),
opérateur de la centrale de Fukushima.
Depuis 1976
La pratique remonterait à 1976. Elle
aurait permis de compenser l'arrêt, en 1974 - déjà
en raison de vives critiques sur les connivences entre monde des affaires
et monde politique -, du système de dons directs des entreprises
aux partis. Elle se serait vite systématisée. Les versements
évoluaient entre 100.000 et 360.000 yens par donateur.
Selon l'agence Kyodo, le PDJ n'en aurait pas
bénéficié. Ce qui n'est pas le cas de certains de
ses élus. Comme l'explique l'hebdomadaire Aera, des hommes politiques
de tout bord profiteraient de soutiens plus ou moins discrets des compagnies
d'électricité. L'une des méthodes utilisées
serait le don lors des fêtes organisées, en fin d'année,
par les hommes politiques pour lever des fonds. La loi imposant de se faire
connaître pour un don supérieur à 200.000 yens (1.800
€), les compagnies d'électricité feraient intervenir
des sous-traitants pour augmenter anonymement leur contribution.
Des élus du PDJ auraient également
reçu des enveloppes d'organisations pro-nucléaire, comme
la Fédération des syndicats de travailleurs du secteur de
l'électricité (Denryoku Soren), dont fait partie le syndicat
maison de Tepco. La Denryoku Soren est l'une des puissantes branches de
la Rengo, la grande confédération syndicale japonaise qui
soutient le PDJ, dont sont issus certains élus comme le sénateur
Masao Kobayashi.
Philippe Mesmer
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