Par Fabrice Nodé-Langlois, Yves Miserey
L'accident de la centrale japonaise
va amener le gendarme du nucléaire à renforcer la sûreté
des installations dans l'Hexagone.
Sans attendre le très long «retour
d'expérience», comme on dit dans le jargon nucléaire,
l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) va devoir
rapidement tirer les leçons de Fukushima dans le cadre de l'audit
des 58 réacteurs d'EDF ordonné la semaine dernière
par le premier ministre, point par point. Lors de la présentation
mercredi aux parlementaires du rapport annuel de la sûreté
nucléaire en France, André-Claude Lacoste, le président
de l'ASN, a reconnu que le «cumul» de catastrophes naturelles
est un «sujet que jusqu'à présent on n'a pas pris
en compte».
* Le risque sismique
«Une réflexion est en cours
sur la réévaluation du risque sismique», a annoncé
mercredi André-Claude Lacoste. C'est le cas pour Fessenheim, notamment,
avec la participation d'experts belges. André-Claude Lacoste a évoqué
les «querelles de chapelle» des sismologues qui «se
battent de façon sanglante» entre prise en compte «probabiliste»
ou «déterministe» du risque. L'ASN s'appuie depuis
toujours sur les recherches des sismologues de l'Institut de radioprotection
et de sûreté nucléaire (IRSN). En 2003, ils ont publié
un inventaire des indices de rupture affectant le quaternaire (de 2 millions
d'années à nos jours). À ce jour, la banque de données
SisFrance a recensé près de 6.000 séismes survenus
au cours du dernier millier d'années dont 1.700 d'intensité
supérieure ou égale au degré 4 sur l'échelle
MSK, qui en compte 12. Une centrale est conçue
pour résister en théorie à cinq fois la puissance
du plus puissant séisme historique. (?!) André-Claude
Lacoste a rappelé la décision de fermer l'atelier de plutonium
(ATPU) à Cadarache (Bouches-du-Rhône), qui n'était
pas jugé assez résistant malgré des travaux.
Moyenne d'âge des réacteurs français
* Le danger d'un tsunami
Le
tsunami qui a ravagé la côte est du Japon montre la fragilité
des installations au risque d'inondation. Après la tempête
de décembre 1999, où l'eau était entrée à
l'intérieur de la centrale du Blayais (Gironde) et avait failli
provoquer un accident majeur, l'ASN avait réévalué
les protections contre des raz de marée plus puissants que ceux
envisagées dans les années 1970. C'est ainsi que la centrale
de Gravelines avec ses six réacteurs est dotée d'«ouvrages
de protection permettant de respecter une cote de sécurité
légèrement supérieure à 9 mètres»,
comme l'indique François Godin, responsable de la division de Douai
de l'ASN. Cette marge de sécurité va-t-elle de nouveau être
révisée et sur quels critères alors qu'aucune recherche
sur les tsunamis qui ont pu frapper les côtes atlantiques dans le
passé n'a encore été menée en France, contrairement
à ce qui a été fait en Grande-Bretagne? Quel impact
pourrait avoir une grosse vague en fonction du plateau continental et de
la montée annoncée du niveau de la mer?
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«Le réchauffement climatique change la donne, reconnaît
le président de l'ASN. Des événements extrêmes
qui se produisaient tous les mille ans le long des côtes reviennent
maintenant tous les cents ans.» À défaut de se
prémunir contre un tsunami, l'ASN se cale plutôt par rapport
à un cumul d'événements extrêmes comme une forte
marée, une tempête et de forts coups de vent.
* Le vieillissement des centrales
L'ASN a donné fin 2010 pour la première
fois son feu vert pour prolonger la vie d'un réacteur trentenaire
de dix ans supplémentaires. Il s'agissait de Tricastin 1. La décision
pour Fessenheim 1 est attendue dans les prochaines semaines. Pour autant,
ce feu vert n'est pas un chèque en blanc, a prévenu mercredi
André-Claude Lacoste. Si des enseignements tirés du Japon
l'exigeaient, les décisions qui s'imposent - fermeture d'un réacteur
- seraient prises. Les experts ont décelé depuis plusieurs
années que certains organes, l'âge aidant, montrent des signes
de corrosion. C'est le cas des générateurs de vapeur. Or,
une nouvelle fois, EDF s'est fait taper sur les doigts pour avoir tardé
à changer cette pièce majeure à la centrale du Bugey.
* La gestion d'un accident
Après l'accident de Fukushima, le gouvernement
japonais a décidé l'évacuation des populations dans
un rayon de 20 kilomètres autour de la centrale. Depuis le début,
l'ASN répète que c'était la bonne mesure à
prendre. «Je ne suis pas sûr» qu'en France une
telle évacuation serait menée dans les mêmes conditions
qu'au Japon, a confessé André-Claude Lacoste. Depuis cinq
ans, le Codirpa (Comité directeur pour la gestion de la phase post-accidentelle
d'un accident nucléaire) planche sur la gestion d'un accident nucléaire.
«On s'est aperçu qu'en cas d'accident il pouvait y avoir
des rejets de longue durée et que, dans ce cas-là, le confinement
des populations ne cadrait pas. Il faut mieux envisager une évacuation
immédiate» , explique Jean-Luc Lachaume, directeur adjoint
de l'ASN, qui souligne néanmoins que les décisions pourraient
être prises au cas par cas. Ce n'est pas la même chose de faire
évacuer les rares habitants demeurant autour de la centrale du Blayais
que ceux de l'agglomération dunkerquoise. Des discussions sont en
cours avec le ministère de l'Intérieur qui pourraient aboutir
à une modification des plans particuliers d'intervention (PPI).
* Le confinement des piscines
Les piscines de combustibles usés qui
jouxtent les réacteurs sont elles aussi potentiellement très
dangereuses. Fukushima l'a rappelé. Si l'eau n'est plus refroidie
comme cela a été le cas la semaine dernière au Japon,
les assemblages peuvent se trouver hors d'eau, être attaqués
et relâcher de la radioactivité directement dans l'atmosphère
car les piscines, contrairement aux réacteurs, ne sont pas confinées.
«Nous n'avons pas attendu Fukushima pour nous pencher sur cette
question», admettait la semaine dernière Thomas Houdré,
de l'ASN. À la différence des réacteurs japonais,
les piscines d'EDF sont dans des bâtiments séparés,
résistants aux séismes mais pas confinés. La piscine
de l'EPR, en chantier à Flamanville, est la seule à être
protégée par une enceinte. À défaut de demander
le confinement des piscines des 58 réacteurs d'EDF, l'ASN va regarder
de près si leur système de refroidissement peut être
garanti, même en cas de dommages aussi graves que ce qu'a subi Fukushima.
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