CONTROVERSES NUCLEAIRES !
SEISMES ET ENERGIE NUCLEAIRE

JAPON Fukushima Dai-Ichi (11 mars 2011)
SUIVI 2011
22 mars
Libre opinion - Un accident nucléaire majeur
ADIT, http://www.ledevoir.com/
Julie Lemieux - Chercheuse et auteure d'Avez-vous peur du nucléaire? (MultiMondes, 2009) 

     Plus de dix jours après un séisme record suivi d'un tsunami dévastateur, les opérateurs de la centrale Fukushima Daiichi n'ont toujours pas réussi à reprendre le contrôle de leurs installations nucléaires. Comment est-ce possible dans un pays aussi développé, un pays à la fine pointe de la technologie?
     On a soigneusement évité de le dire depuis Tchernobyl, mais l'énergie nucléaire est très dangereuse. Elle nécessite différents systèmes de sécurité en cas de défaillances techniques, et c'est le plus important de ces systèmes qui a fait défaut au Japon: le système de refroidissement d'urgence qui nécessite un approvisionnement en eau très abondant.
     À ce propos, il est intéressant de noter que le système de refroidissement de la centrale Gentilly-2 utilise 2.600 millions de litres par jour en fonctionnement normal, une quantité d'eau immense. Cela représente 1,8 million de litres à la minute, pour un seul réacteur. Imaginez maintenant la situation au Japon avec plusieurs réacteurs en difficulté et au moins deux piscines de combustibles qui surchauffent.
     D'abord, les combustibles contenus dans les réacteurs n'ont rien à voir avec de la «braise», une comparaison absurde entendue ces derniers jours. Les physiciens nucléaires utilisent le mot «combustibles» uniquement par analogie, pour se faire comprendre.
     Les barres d'uranium qui séjournent ou ont séjourné dans un réacteur ne se transforment pas en cendres, loin de là. C'est à peine si elles perdent du volume au bout d'un peu plus d'un an de bombardements neutroniques. Ces combustibles usés dégagent une chaleur intense, et cette chaleur provient de leur décomposition radioactive, un processus impossible à stopper. En cas de panne de système de refroidissement, ce qu'on observe au Japon, la chaleur augmente et conduit à une fusion du combustible, ce qui accroît les échappements de produits radioactifs toxiques en plus de comporter des risques d'explosion.
     On parle ici de températures qui dépassent 1.000 °C. Après l'explosion nucléaire de Tchernobyl, on a déversé des tonnes de sable, de plomb et de toutes sortes d'autres matériaux durant plusieurs jours pour étouffer le feu qui couvait dans le réacteur éventré. Le plomb s'est d'abord liquéfié puis il s'est envolé sous forme gazeuse, ce qui en dit long sur le niveau de chaleur à cet endroit.

suite:
     Lorsqu'on parle du problème non résolu de la gestion à long terme des déchets hautement radioactifs, c'est justement de ces combustibles usés qu'il est question. Les experts prévoient les isoler de la biosphère et de l'eau durant des milliers d'années, ce qui témoigne du danger très particulier de cette matière.
          Le stockage temporaire dans des piscines constitue la première étape de ce long processus. Une fois extraits du réacteur, les combustibles usés sont installés dans une piscine durant quelques années, sous une épaisse couche d'eau qui absorbe leur chaleur tout en stoppant leurs rayons gamma. Et, détail important, chaque piscine contient beaucoup plus de matières hautement radioactives que ce qu'on retrouve dans un seul réacteur. Dans le cas de Gentilly-2, la piscine de déchets contient dix fois plus de radioactivité (en becquerels) que le réacteur lui-même.
     Ces piscines deviennent extrêmement dangereuses quand on manque d'eau. On l'a vu au Japon, les mesures radioactives les plus intenses provenaient de piscines qui n'avaient plus de couche d'eau pour stopper les rayons gamma de leurs combustibles usés. La radioactivité ambiante a alors atteint un niveau effroyable.
     J'ai entendu une autre comparaison étonnante durant les derniers jours: la radioactivité, c'est un peu comme le soleil, il ne faut pas s'y exposer trop longtemps. De hauts niveaux de rayons gamma peuvent en effet «cuire» notre épiderme. C'est ce qu'on appelle un bronzage nucléaire et ce n'est pas beau à voir. Mais il y a aussi tous les produits radioactifs artificiels qui s'échappent des installations nucléaires sous forme gazeuse et qui contaminent l'environnement et la chaîne alimentaire. Une fois qu'ils sont relâchés, il est impossible de les nettoyer.
     Arrêtons donc de comparer la radioactivité artificielle à la radioactivité naturelle, ce qui camoufle le danger de la première. Toutes les centrales nucléaires relâchent de petites quantités d'isotopes radioactifs artificiels, des produits qui n'existaient pas sur Terre avant 1945.
     C'est ce type de produits qu'on a commencé à détecter dans l'eau de Tokyo, à plus de 200 km de la centrale en difficulté, ainsi que dans du lait, des épinards et des fèves provenant de quatre préfectures aux alentours de Fukushima Daiichi. Une fois que ces contaminants radioactifs sont dans l'air, dans l'eau, dans le sol et les aliments, on en absorbe sans même s'en apercevoir. [...]
     Plusieurs réacteurs sont encore en difficulté à l'heure actuelle. Ce n'est que dans les années suivantes qu'on pourra faire l'inventaire de toutes les atteintes biologiques de cet accident majeur. Fukushima Daiichi figurera parmi les pires accidents nucléaires jusqu'ici.