Julie Lemieux - Chercheuse et auteure d'Avez-vous peur
du nucléaire? (MultiMondes, 2009)
Plus de dix jours après un séisme
record suivi d'un tsunami dévastateur, les opérateurs de
la centrale Fukushima Daiichi n'ont toujours pas réussi à
reprendre le contrôle de leurs installations nucléaires. Comment
est-ce possible dans un pays aussi développé, un pays à
la fine pointe de la technologie?
(suite)
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suite:
Lorsqu'on parle du problème non résolu de la gestion à long terme des déchets hautement radioactifs, c'est justement de ces combustibles usés qu'il est question. Les experts prévoient les isoler de la biosphère et de l'eau durant des milliers d'années, ce qui témoigne du danger très particulier de cette matière. Le stockage temporaire dans des piscines constitue la première étape de ce long processus. Une fois extraits du réacteur, les combustibles usés sont installés dans une piscine durant quelques années, sous une épaisse couche d'eau qui absorbe leur chaleur tout en stoppant leurs rayons gamma. Et, détail important, chaque piscine contient beaucoup plus de matières hautement radioactives que ce qu'on retrouve dans un seul réacteur. Dans le cas de Gentilly-2, la piscine de déchets contient dix fois plus de radioactivité (en becquerels) que le réacteur lui-même. Ces piscines deviennent extrêmement dangereuses quand on manque d'eau. On l'a vu au Japon, les mesures radioactives les plus intenses provenaient de piscines qui n'avaient plus de couche d'eau pour stopper les rayons gamma de leurs combustibles usés. La radioactivité ambiante a alors atteint un niveau effroyable. J'ai entendu une autre comparaison étonnante durant les derniers jours: la radioactivité, c'est un peu comme le soleil, il ne faut pas s'y exposer trop longtemps. De hauts niveaux de rayons gamma peuvent en effet «cuire» notre épiderme. C'est ce qu'on appelle un bronzage nucléaire et ce n'est pas beau à voir. Mais il y a aussi tous les produits radioactifs artificiels qui s'échappent des installations nucléaires sous forme gazeuse et qui contaminent l'environnement et la chaîne alimentaire. Une fois qu'ils sont relâchés, il est impossible de les nettoyer. Arrêtons donc de comparer la radioactivité artificielle à la radioactivité naturelle, ce qui camoufle le danger de la première. Toutes les centrales nucléaires relâchent de petites quantités d'isotopes radioactifs artificiels, des produits qui n'existaient pas sur Terre avant 1945. C'est ce type de produits qu'on a commencé à détecter dans l'eau de Tokyo, à plus de 200 km de la centrale en difficulté, ainsi que dans du lait, des épinards et des fèves provenant de quatre préfectures aux alentours de Fukushima Daiichi. Une fois que ces contaminants radioactifs sont dans l'air, dans l'eau, dans le sol et les aliments, on en absorbe sans même s'en apercevoir. [...] Plusieurs réacteurs sont encore en difficulté à l'heure actuelle. Ce n'est que dans les années suivantes qu'on pourra faire l'inventaire de toutes les atteintes biologiques de cet accident majeur. Fukushima Daiichi figurera parmi les pires accidents nucléaires jusqu'ici. |