Depuis l'accident de Fukushima
et le débat sur le nucléaire qui s'en est suivi, la France
n'a cessé de réaffirmer son engagement dans l'atome. Une
fidélité à rebours du mouvement mondial amorcé
avant même la catastrophe selon un rapport du Worldwatch institute
et alors même que le pays semble devoir encore travailler sur sa
gestion d'un éventuel accident nucléaire.
Renoncer au nucléaire, ce serait
«se couper un bras». Pour défendre le mode
d'énergie français qu'il soutient vigoureusement depuis le
début de l'accident japonais, le Président de la République
ne mâche pas ses mots. Lors d’un déplacement à la centrale
de Gravelines -la plus importante d’Europe-, Nicolas Sarkozy a réaffirmé
toute sa confiance dans la filière nucléaire et la sécurité
du parc français. «Parce qu’il y a eu un tsunami au Japon,
il faudrait que l’on remette en cause ce qui a fait la force de la France,
ce qui fait sa fierté et son indépendance? Ce serait un choix
irréfléchi et déraisonnable. (...) Je n’ai pas été
élu pour remettre [le nucléaire] en cause. Il ne sera
donc pas remis en cause», a-t-il déclaré après
avoir fustigé le «manque de sang froid d’observateurs qui
ne connaissent rien au nucléaire, font des amalgames, et disent
des choses qui ne sont pas respectueuses de nos ingénieurs et techniciens».
Quel prix pour le nucléaire?
Une position de cavalier solitaire, si l’on
en croit le rapport
du World Watch Institute «Nuclear power in a post Fukushima world»
(85 p. pdf), publié fin avril. Car même avant l’accident japonais,
le nucléaire n’était pas en aussi bonne forme que l’on voulait
bien le dire, expliquent les auteurs, rappelant que si la décennie
avait été présentée comme celle du nucléaire,
«l’AIEA recense actuellement 64 réacteurs en construction
dans 14 pays. Par comparaison, au moment du pic de l’industrie nucléaire
en 1979, il y en avait 233». En
2010, sur 30 pays nucléarisés, 9 ont réduit la part
énergétique issue de l’atome, dont la France (74,1% de l’électricité
contre 78,5% en 2005). «Fukushima semble donc
introduire le chapitre final», estime l’expert Mycle Schneider,
l’un des auteurs du rapport.
Pour motiver sa fidélité à
l’atome, Nicolas Sarkozy, lui, évoque principalement l’argument
économique: arrêter le nucléaire «coûterait
45 milliards €» et multiplierait le prix de l’électricité
pour les particuliers par quatre. Un argument jugé «fallacieux»
par l’association France Nature Environnement (FNE) qui estime qu’il faudra
de toutes façons un investissement du même ordre pour entretenir
un parc vieillissant (26 ans en moyenne) ce qui le rendra de moins en moins
compétitif par rapport aux autres énergies dont les renouvelables.
Le coût des centrales de la prochaine génération, l’EPR,
avoisine les 5 milliards € (pour Flamanville) et son développement
est déjà considéré comme un fiasco en Finlande
où la construction de l’EPR d’Olkiluoto est sans cesse retardée
et a d’ores et déjà vu son budget exploser de plus de 50%,
souligne le rapport du Worldwatch institute. Il pointe aussi les difficultés
des opérateurs EDF et Areva dont l’avenir stratégique semble
laisser songeur les experts financiers tels Standard and Poors qui, dès
décembre 2010, avait dégradé la note d’Areva de BBB+
à BBB- ou un analyste de Citigroup cité dans le rapport
et qui estime que «si le régulateur publie un plan de mise
à niveau pour les centrales nucléaires d’ici la fin juin,
nous sommes sceptiques quant au fait qu’EDF soit en mesure de présenter
un plan crédible de moyen terme avant qu’il ne connaisse et évalue
ces détails».Quant à l’indépendance
énergétique procurée par l’atome, elle relève
tout simplement du «mythe» selon Greenpeace qui
rappelle que 100% de notre uranium est importé, essentiellement
du Niger.
(suite)
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suite:
Les différentes
propositions gouvernementales - les stress-tests qui devraient concerner
toutes les installations nucléaires (et pas seulement les centrales),
l’audit de la Cour des comptes sur le coût réel du parc électro-nucléaire
et l’organisation d’une sorte d’acte II du Grenelle sur la sobriété
énergétique- permettront-elles de calmer le jeu? Rien n’est
moins sûr. Si l’audit financier est bien accueilli, plusieurs ONG
regroupées au sein du Réseau Action climat Greenpeace, les
Amis de la Terre, le CLER, Sortir du nucléaire, etc.) ont d’ores
et déjà annoncé qu’elles ne participeraient pas à
l’éventuelle initiative «grenellienne». Nombreux sont
ceux qui regrettent l’absence d’inclusion des hypothèses d’erreurs
humaines ou d’actes terroristes dans les critères des stress tests.
Cette omission est difficilement compréhensible alors que l’audition
des principaux acteurs de la gestion post-accidentelle du nucléaire
(CODIRPA) réunis pour une audition parlementaire le 5 mai 2011,
ont insisté sur la nécessité de se préparer
à «l’inimaginable».
Quelle préparation aux accidents?
«Il est assez peu vraisemblable qu’un
accident standard ait lieu en France car les agents nucléaires sont
très bien préparés. Mais il faut accepter de se préparer
à des situations inimaginables qui prennent en compte un effet domino
(avec des installations industrielles situées à proximité,
ndlr), des actes de malveillance ou des catastrophes climatiques»,
le tout en prenant les bonnes décisions très rapidement,
dans un environnement extrêmement complexe et incertain, a alors
expliqué Jacques Repussard, le directeur général de
l’IRSN.
Y sommes-nous prêts? EDF insiste sur
les précautions prises en amont pour éviter la fusion des
réacteurs (pompes et générateurs de secours, filtres
à sable, etc). Chaque opérateur dispose
d’une liste nominative de volontaires prêts à intervenir en
cas d’accident majeur. Mais «la question n’est pas de prévoir
l’imprévisible, c’est de s’entraîner à y faire face»,
estime de son côté, l’administrateur général
adjoint du CEA. Or, si des exercices ont bien lieu régulièrement
-12 à 15 chaque année chez Areva, une dizaine au niveau national
et environ 300 au total chez EDF, 19 pour le CEA- peu impliquent la population
(4 tout au plus). Et ils se contentent souvent de la gestion de la phase
accidentelle, c'est-à-dire du rétablissement du fonctionnement
normal de la centrale alors qu’il faut aussi envisager l’information des
population, la contamination des aliments et des déchets, le suivi
sanitaire, le relogement puis les indemnisations... Alors que deux mois
après le tremblement de terre, l’accident de Fukushima est loin
d’être réglé (voir encadré), les exercices sont
généralement très courts (36h étant considéré
comme une longue durée chez Areva).
Pour Jean-Claude Delalonde, président
de l’ANCCLI (regroupement des Commissions locales d’information et de surveillance
qui sont chargées de travailler sur l’information des risques nucléaires
des populations et parties prenantes), qui déplore encore le manque
de transparence de la part des acteurs du nucléaire et de moyens
pour les CLIS, le verdict est sévère: «Il
faut faire le constat de notre impréparation à l’échelle
du territoire français», tranche-t-il. Cette
échelle doit d’ailleurs être élargie comme nous l’ont
enseigné les accidents de Tchernobyl et Fukushima. «Il
existe une demande énorme d’information, et ce de manière
immédiate, de la part des différents pays qui veulent protéger
leur population au Japon et sur leur territoire. Il faut donc que
l’informations circule en anglais et que les pays se coordonnent sur leurs
recommandations», explique en substance Edward Lazo, de l’agence
de l’énergie nucléaire de l’OCDE.
En place depuis 5 ans, le CODIRPA devrait
publier au cours de l’année 2011 un guide de sortie de la phase
d’urgence après un accident nucléaire. L’initiative, qui
reste assez unique au monde, était prévue depuis longtemps
mais l’accident de Fukushima, s’il est lourd d’expérience, semble
aussi avoir bousculé toutes les certitudes.
Béatrice Héraud
Mis en ligne le 09/05/2011
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