Vue générale du site de la centrale nucléaire
de Creys-Malville, en mai 2001.
AFP/JEAN-PIERRE CLATOT
Le 31 juillet 1977, plusieurs dizaines de milliers
d'antinucléaires convergeaient sous la pluie, au milieu des champs
de maïs, vers le site de Malville, en Isère. Ils voulaient
s'opposer à la construction, commencée l'année précédente,
de ce qui devait être le fleuron de la technologie électronucléaire
française: le surgénérateur Superphénix. Au
cours des affrontements avec les forces de l'ordre, un manifestant, Vital
Michalon, était blessé mortellement par l'explosion d'une
grenade offensive et deux autres étaient blessés. Pour commémorer
ce drame, un rassemblement, auquel appelle le réseau Sortir du nucléaire,
doit avoir lieu, mardi 31 juillet à 15 heures, dans la commune voisine
de Faverges.
Trente ans après, l'ombre de Superphénix
plane toujours sur le nucléaire français. Couplé au
réseau électrique en janvier 1986, le réacteur prototype
à neutrons rapides, victime d'incidents à répétition,
n'aura été en service qu'un peu plus de dix mois en neuf
ans, avant de finir par fonctionner de façon à peu près
satisfaisante en 1996. L'année suivante, le gouvernement de Lionel
Jospin - dont Dominique Voynet était ministre de l'aménagement
du territoire et de l'environnement - décidait de mettre fin à
l'expérience.
Depuis le décret de mise à l'arrêt,
le site de Creys-Malville s'est transformé en chantier pilote de
démantèlement. Car, par rapport aux réacteurs nucléaires
classiques, dont huit sont également en cours de déconstruction
(à Bugey, Brennilis, Chinon, Chooz et Saint-Laurent), celle d'un
surgénérateur pose des problèmes particuliers,
liés à la nature du combustible, contenant du plutonium,
et à celle du liquide de refroidissement, constitué de sodium.
Dans un premier temps, les éléments
combustibles, soit 364 assemblages fissiles comportant 4,8 tonnes de plutonium
et 233 assemblages fertiles d'uranium, ainsi que diverses pièces
de protection et barres de commande, ont été retirés
du réacteur. Ils ont été mis à "refroidir"
en piscine, sur le site, dans un Atelier pour l'évacuation du combustible
(APEC) qu'EDF a été autorisée à exploiter pour
trente ans. Y est également entreposé un deuxième
coeur tout neuf, non brûlé, qui avait été commandé
avant la fermeture.
La destination finale de ces combustibles
n'est pas encore arrêtée, indique Serge Klaeylé, directeur
du Centre d'ingénierie, déconstruction et environnement d'EDF.
Il avait été envisagé de les retraiter dans les usines
de la Hague (Manche) d'Areva. Mais EDF considère aujourd'hui ces
éléments non comme des déchets, mais comme "des réserves
de combustible susceptibles d'être valorisées", soit dans
les filières MOX (mélange d'uranium et de plutonium), soit
dans les futures centrales. |
Ne subsistent dans la cuve du réacteur
que des éléments ne présentant pas de risque de "criticité",
c'est-à-dire de déclenchement de réaction nucléaire.
Ils sont eux aussi en cours d'extraction et rejoindront la piscine. Dans
le même temps, la salle des machines a été vidée
de ses turbines et de ses pompes, soit 150.000 tonnes de déchets
non radioactifs.
Reste l'épineux problème
du sodium fondu, dont le circuit primaire de refroidissement, les boucles
secondaires et diverses installations recelaient 5.500 tonnes. La difficulté
vient de ce que ce matériau s'enflamme à l'air et détone
au contact de l'eau. Une unité spéciale de traitement, composé
de deux réacteurs chimiques, est en cours d'installation sur le
site et devrait démarrer en 2008.
Le principe, expérimenté sur
la centrale de Dounreay, en Ecosse, et validé par les ingénieurs
du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), consiste à
faire tomber au goutte-à-goutte le sodium liquide dans de l'eau,
dans un environnement neutre d'azote. Le produit de cette réaction
est de la soude, qui sera incorporée à du béton. Quatre
à cinq années seront nécessaires pour neutraliser
la totalité du sodium et il faudra attendre vingt ans pour que les
70.000 tonnes de béton accumulés sur le site, dont la radioactivité
"sera comparable à celle du granit", précise Serge
Klaeylé.
Entre 2013 et 2023 devrait alors être
réalisée la dernière partie de la déconstruction:
la démolition du bâtiment réacteur, où la cuve
et certaines structures métalliques, chargées en cobalt 60,
restent très irradiantes. EDF, dont le scénario de démantèlement
prévoyait au départ de laisser la radioactivité décroître
pendant un demi-siècle, a finalement décidé, pour
toutes ses centrales fermées, de les raser au plus vite, afin de
rendre le site "à l'herbe".
Alors seulement, à l'issue de un milliard
€ de travaux, sera tournée la page de ce qui demeurera dans
les mémoires comme l'un des épisodes les moins glorieux de
l'aventure nucléaire nationale.
Les réacteurs du futur seront, eux aussi, des surgénérateurs
L'EPR (European Pressurised Reactor), réacteur
de 3e génération qui doit succéder aux centrales actuelles,
n'est jamais qu'une version améliorée de ces dernières.
Les installations de 4e génération, dont l'exploitation est
prévue à partir de 2040, marqueront en revanche une rupture,
en reprenant la technologie de la surgénération expérimentée
avec Superphénix. Le CEA concentre ses recherches actuelles sur
deux filières à neutrons rapides, refroidies par du sodium
ou par du gaz.
L'intérêt de la surgénération
est de brûler non seulement l'uranium 235 (fissile), mais aussi l'uranium
238, dont est composé à 99,3% le minerai naturel. Ce qui,
avec les réserves mondiales connues à ce jour, assurerait
plusieurs milliers d'années de fonctionnement du parc, contre 250
années avec les centrales actuelles. Autre avantage: ces réacteurs,
à cycle fermé, sont conçus pour brûler une partie
de leurs propres déchets: les actinides mineurs, très radiotoxiques,
sont recyclés, les résidus ultimes se limitant aux produits
de fission.
Le CEA assure que ces nouvelles centrales
bénéficieront, par rapport à Superphénix, de
"progrès déterminants". |