CONTROVERSES NUCLEAIRES ! 
Un peu de technique "en vrac"
DOCUMENTS DE BASE
 
Publications CNRS
1°) La radioactivité, le phénomène physique (cours au CNRS, octobre 2007) accès webmaistre
2°) La radioactivité, les pionniers (cours au CNRS, janvier 2008) accès webmaistre
3°) En préparation

Sommaire
   1. La radioactivité, le phénomène physique
   2. Les noyaux
   3. Energie de liaison
   4. Instabilité et radioactivité
   5. D'où viennent les noyaux?
   6. Les effets dans la matière
   7. Dans le vivant
   8. La radioactivité autour de nous
1. La radioactivité, le phénomène physique
     La radioactivité  est le plus souvent abordée sous l'angle de ses risques. Elle l'est plus rarement sous l'angle de ses nombreuses applications, et presque jamais (hors des publications spécialisées) sous l'angle du phénomène physique lui-même. Quant à sa riche histoire, elle est parfois réduite à ses aspects anecdotiques (ah, le « hangar » des Curie !). Il a donc paru utile de rassembler un dossier en 3 parties qui traitent du phénomène physique de la radioactivité, de l'histoire de la compréhension de ce phénomène et de sa perception par la société, et enfin de ses multiples applications contemporaines.

Le phénomène physique
     La radioactivité est un phénomène physique naturel au cours duquel un noyau atomique se transforme spontanément en un autre noyau, en émettant au passage une (ou plusieurs) particules.

     Par exemple, du potassium se transforme en calcium en émettant un électron (et un antineutrino). On parle souvent de désintégration, mais le mot est trompeur car le noyau est plus solidement lié après la transmutation qu'avant.
     La radioactivité serait resté une simple curiosité de laboratoire si les particules émises au cours de ce phénomène ne possédaient pas une énergie considérable: cette énergie peut être maîtrisée, mais elle peut également provoquer des ravages. Elle est présente depuis des milliards d'années autour de nous: la radioactivité vient pour 2/3 du sol et de l'air ambiant et pour 1/3 des utilisations médicales en imagerie et en radiothérapie.
     La radioactivité est une conséquence de réarrangements dans les noyaux. Ceux-ci sont formés de protons et de neutrons, mais il n'est pas possible d'associer n'importe quel nombre de protons et de neutrons pour former un noyau. À la différence des molécules qui peuvent rassembler un nombre immense d'atomes (pensons aux polymères ou aux macromolécules) il n'existe qu'un nombre restreint de noyaux possibles, quelques milliers tout au plus, et la plupart sont instables. Tout est une question d'énergie et nous allons consacrer un peu de temps à comprendre comment se répartit cette énergie, avant de passer aux différentes formes de transmutations et à leurs effets dans la matière et dans les corps vivants.
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2. Les noyaux
     La matière est constituée d'atomes, le plus souvent assemblés en molécules ou en cristaux. Ces atomes sont très petits, de l'ordre du dix milliardième de mètre, et ils sont très nombreux : 6x1023 atomes par gramme d'hydrogène par exemple. Ils sont eux-mêmes formés d'un nuage d'électrons au sein duquel est enfoui un noyau cent mille fois plus petit: si le nuage électronique avait la taille de la place de la Concorde, le noyau  aurait la taille d'un petit pois.

La place de la Concorde

     La taille du noyau est donc de l'ordre du femtomètre (un millionième de milliardième de mètre) que les physiciens ont rebaptisé fermi (fm) en l'honneur d'Enrico Fermi. À cette échelle, les énergies se mesurent en MeV (millions d'électron-volts), unité mieux adaptée que le joule. 1 MeV ne représente que 160 millionièmes de milliardièmes de joule, mais les atomes (et donc leurs noyaux) sont nombreux: si tous les noyaux d'un gramme d'hydrogène possèdent chacun une énergie de 1 MeV, ce gramme possède une énergie de 100 milliards de joules, soit 30 MWh, l'énergie de 2 tonnes de pétrole ou de 25 tonnes de TNT. On voit ainsi apparaître l'immense quantité d'énergie stockée dans les noyaux.
     Le noyau est un assemblage de deux types de particules, les neutrons et les protons. Comme leur nom l'indique, les neutrons sont électriquement neutres et ils ont une masse de 939.6 MeV. Les protons sont un peu plus légers (938.3 MeV) et possèdent une charge électrique positive (égale à celle de l'électron mais de signe opposé). Le nombre d'électrons détermine les propriétés chimiques de l'atome: 6 électrons, c'est du carbone, 7 c'est de l'azote. L'atome est neutre, et son noyau possède donc le même nombre Z de protons qu'il a d'électrons. Ce nombre Z définit l'identité chimique du noyau, c'est son numéro atomique : Z=6 pour le carbone, Z=7 pour l'azote. Changer le nombre N de neutrons ne modifie pas les propriétés chimiques du corps, mais cela change ses propriétés physiques, et en particulier sa masse. Avec 8 neutrons le carbone est plus lourd qu'avec 6, et en plus il est instable et se transmute en azote. Des noyaux ayant le même nombre Z de protons mais un nombre de neutrons N différent sont appelés des isotopes.

     Formant les noyaux, protons et neutrons sont appelés des nucléons, et le nombre total A = Z+N de nucléons est le nombre de masse du noyau. On parle alors de carbone 12 (Z=6, N=6) noté 12C, de carbone 14 (Z=6, N=8) noté 14C ou d'uranium 238 (Z=92, N=146) noté 238U. On donne le nom d'isobares aux noyaux de même nombre de masse mais de numéro atomique différent comme l'argon 40, le potassium 40 et le calcium 40.
     Les protons du noyau ayant tous la même charge électrique se repoussent, il doit donc y avoir une «colle» pour assurer la cohésion des noyaux. Avec beaucoup d'imagination, on l'a appelée la force nucléaire forte (ou interaction forte). Elle possède des caractéristiques étonnantes, outre son intensité : sa portée se limite à quelques fermis, elle est attractive au-delà de 1 fm, mais répulsive en deçà.

Représentation (très schématique) de la forme du potentiel nucléaire: répulsion intense à très courte distance, puis attraction diminuant exponentiellement avec la distance.

     Les nucléons se collent ainsi les uns aux autres mais en gardant leurs distances: il y a saturation de la force nucléaire. Le volume du noyau est ainsi proportionnel au nombre de nucléons, et son rayon est voisin de 1.2 A1/3 fm: les noyaux ont tous des tailles comparables (4 fm pour le calcium, 7 fm pour le plomb). Leur bord est cependant diffus et ils ressemblent plus des sacs où se promènent des boules de coton qu'à un empilement de boules de billard.


Rayons de quelques noyaux

     La «colle» nucléaire assure la cohésion du noyau, ce qui signifie qu'il faut faire un effort pour séparer les nucléons et donc apporter de l'énergie au noyau. Inversement de l'énergie est libérée quand les nucléons se collent les uns aux autres. Cette énergie est l'énergie de liaison. La relation d'Einstein E=mc2 implique que la masse du noyau est inférieure, de 1% environ, à la somme des masses de ses nucléons: ce défaut de masse a été mesuré pour les noyaux les plus stables par Francis Aston à partir de 1920.


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3. Energie de liaison
     Puisque de l'énergie est libérée par l'assemblage des nucléons, pourquoi tous les nucléons de l'univers ne se rassemblent-ils pas en un noyau gigantesque?  Pour le comprendre, et pour comprendre ce qui se passe dans un noyau, Aston a tracé la courbe mesurant l'énergie de liaison des noyaux en fonction de leur (nombre de) masse A, ou plus exactement l'énergie de liaison par nucléon E/A.


Courbe d'Aston © NASA-GSFC

     Cette courbe est très riche d'enseignements: qu'y voit-on en effet? D'abord E/A est à peu près constante, de l'ordre de 8 MeV pour la plupart des noyaux. C'est trop peu pour augmenter le nombre total de nucléons (il faut 940 MeV pour créer un nucléon), mais assez pour transformer un proton en neutron, et inversement. Ensuite on note que E/A augmente jusqu'à A ~ 50 (la position du fer et du nickel) avant de diminuer ensuite peu à peu. Enfin on remarque quelques à-coups, certains noyaux apparaissant plus liés que la « normale », en particulier l'hélium et certains noyaux ayant à la fois un nombre pair de protons et un nombre pair de neutrons comme le carbone 12 ou l'oxygène 16.
     La forme de la courbe d'Aston s'explique à peu près bien, comme Bethe et Weizsäcker l'ont montré en 1935, en additionnant plusieurs contributions simples. Tout d'abord, chaque fois qu'un nucléon se colle aux autres, une quinzaine de MeV d'énergie de liaison sont libérés, d'où une première contribution aV ~ 15  MeV.


Les différentes contributions à la courbe d'Aston

     Mais bien sûr, les nucléons sont moins liés quand ils sont proches de la surface que lorsqu'ils sont enfouis à l'intérieur, puisqu'ils ont moins de voisins. L'énergie de liaison par nucléon est diminuée d'un terme –aSA2/3, proportionnel à la surface. Le coefficient aS est aussi de l'ordre de 15 MeV, l'effet est donc important pour les petits noyaux.
     Une deuxième complication vient de la mécanique quantique. Comme les électrons dans l'atome, les nucléons du noyau ne peuvent posséder que des énergies définies (c'est la quantification) formant une suite de niveaux d'énergie croissante, les couches. Les protons comme les neutrons sont des fermions, et deux fermions ne peuvent pas occuper le même état quantique (principe d'exclusion de Pauli). Les niveaux de plus basse énergie sont occupés les premiers, mais après il faut bien occuper les niveaux plus élevés. Heureusement, protons et neutrons sont différents, et ils ont chacun leurs propres niveaux d'énergie, et il est donc énergétiquement préférable de remplir en parallèle les deux séries, et donc d'avoir à peu près autant de protons que de neutrons. Ceci se traduit par une « pénalité » –aA(N-Z)2/A avec un coefficient aA ~ 20 MeV: un excès de protons ou de neutrons entraîne donc une lourde pénalité, à tel point qu'il vient vite un moment où les protons ou neutrons «en trop» ne sont pas liés, et ils sont immédiatement perdus par le noyau.

     Une troisième complication vient de la charge électrique des protons: leur répulsion électrique induit une pénalité coulombienne –aCZ2/A1/3  proportionnelle au carré de la charge électrique Z. Le coefficient aC ~ 0.6 MeV semble petit, mais il finit par dominer pour Z>50. Il est possible d'alléger cette pénalité en augmentant le nombre de neutrons, qui apportent plus de colle sans créer de répulsion.  Mais ce n'est qu'un palliatif temporaire puisque l'attraction est proportionnelle au nombre A de nucléons alors que la répulsion augmente comme le carré de la charge Z et finit par l'emporter.
     Il y a une quatrième complication, d'origine quantique elle aussi: protons (et neutrons) minimisent leur énergie en s'appariant (par paires de spins inverses) et les noyaux pairs-pairs sont donc plus stables que les pairs-impairs et que les impairs-impairs. Cela se paramétrise par un bonus ou une pénalité d'appariement ±ð(A,Z). On a remarqué également que les noyaux étaient particulièrement stables quand ils possédaient certains nombres, dits « magiques », de protons ou de neutrons: 8, 20, 28, 50, 82, 126, 184,nombres  dont l'origine est à peu près, mais pas complètement, comprise.
     En recollant les morceaux, nous avons l'équation de Bethe et Weizsäcker pour l'énergie de liaison par nucléon : E/A = aV –aSA2/3 –aA(N-Z)2/A –aCZ2/A /3  ±ð(A,Z).
     Mais nous avons maintenant bien plus qu'une explication de la courbe E(A) d'Aston, nous avons une estimation de l'énergie de liaison de n'importe quel noyau, quelle que soit son nombre Z de protons et N de neutrons. Nous pouvons alors tracer la carte des noyaux possibles en portant cette énergie de liaison en fonction de Z et de N. Cela nous donne une sorte de paysage dont le relief représente cette énergie de liaison, les creux correspondant aux noyaux les plus liés, les pics aux noyaux les moins liés. Minimiser l'énergie correspond à rechercher les creux les plus profonds de ce paysage. Nous avons déjà remarqué qu'il ne peut pas y avoir d'excès considérable de protons ou de neutrons, et qu'il ne peut pas non plus y avoir de noyau très lourd en raison de la répulsion électrique. Les 3.000 à 5.000 noyaux possibles s'alignent donc le long d'une courbe qui suit N=Z au début avant de s'infléchir peu à peu.
     La formule de Bethe et Weizsäcker indique ensuite que l'énergie de liaison, pour un nombre de masse A donné, est quadratique en Z : cela implique que cette énergie est minimale pour une valeur précise de Z et qu'elle augmente si Z s'écarte, en plus ou un moins, de chaque côté. Dans notre paysage, nous avons donc une vallée parabolique dont le fond suit la valeur optimale de Z pour A (et donc N=A-Z) donné. On l'appelle la vallée de stabilité.


Le début de la vallée de stabilité © V. Métivier CNRS-Subatech

     Mais non seulement le nombre de noyaux possibles est limité, la plupart d'entre eux disparaissent en quelques secondes: ils sont instables, radioactifs. Mais pourquoi?


Carte des noyaux connus, la couleur indiquant leur durée de vie © Nubase


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4. Instabilité et radioactivité
     C'est un principe général de physique que tout système tend à minimiser son énergie. A priori, il n'est donc pas très surprenant de voir la transmutation d'un noyau en un autre si cela conduit à minimiser l'énergie totale. Mais alors pourquoi ne sont-ils pas tous radioactifs, pourquoi l'univers n'est-il pas seulement composé de fer? Parce qu'il ne suffit pas que les niveaux d'énergie soient dans le bon sens pour permettre une transition spontanée, encore faut-il qu'il n'y ait pas de barrière infranchissable entre les deux niveaux, et que le temps nécessaire à la transition ne soit pas trop long !
     Prenons par exemple un noyau lourd comme l'uranium 238 (Z=92). La courbe d'Aston indique que l'énergie de liaison par nucléon diminue au delà du fer, essentiellement en raison de la répulsion électrostatique grandissante. Il devient donc peu à peu énergétiquement favorable d'avoir deux noyaux au lieu d'un, par exemple un noyau de baryum (Z=56) et un de krypton (Z=36).
     C'est une fission spontanée du noyau. Mais cela exige que le noyau plus ou moins sphérique d'uranium (forme qui assure qu'un maximum de nucléons soit à l'intérieur plutôt qu'en surface) se déforme d'abord en une sorte de haltère avant de se scinder en deux.


Fission spontanée d'un noyau lourd en deux noyaux légers © Kenjiro Takada, Kyushu university

     Mais la surface augmente alors fortement, ce qui implique que l'énergie est plus grande dans l'étape intermédiaire. Autrement dit, il y a une barrière énergétique qui s'oppose à cette fission spontanée, barrière que l'on peut franchir en apportant de l'énergie au noyau initial, par exemple en le bombardant de neutrons. Cette fission induite est utilisée dans les réacteurs nucléaires (l'énergie libérée par la fission est supérieure à celle des neutrons).
     La mécanique quantique autorise une autre échappatoire, l'effet tunnel. Il est possible à une particule de franchir une barrière d'énergie entre deux états, mais la probabilité de la franchir diminue exponentiellement avec la hauteur et l'épaisseur de la barrière. L'uranium 238 peut donc spontanément fissionner, mais avec une probabilité extrêmement faible.


Représentation schématique de l'effet tunnel © F. Krausz (Max-Planck Institut für Quantenoptik)

     Il est rare qu'un noyau lourd se scinde spontanément en deux noyaux de taille comparable, il est bien plus « intéressant » d'exploiter la cohésion très forte du noyau d'hélium (souvenons-nous du pic sur la courbe d'Aston) en scindant le noyau lourd en un noyau juste un peu plus léger et un noyau d'hélium. La barrière est moins infranchissable et donc le processus plus probable.
     C'est précisément ce que Becquerel a découvert en 1896, sans bien sûr comprendre ce dont il s'agissait: l'uranium émet spontanément un rayonnement, baptisé alpha en 1899 par Rutherford qui démontra en 1908 qu'il s'agissait de noyaux d'hélium. La conservation de l'énergie implique que l'alpha emporte une énergie cinétique bien précise, caractéristique de la transmutation. Plus cette énergie est grande, plus son émission (évasion) est probable.


Carte des noyaux connus, la couleur indiquant leur type de radioactivité © Nubase

     Cette carte des modes de transmutation des noyaux indique en vert clair les noyaux susceptibles de fission spontanée et en jaune ceux qui émettent plutôt des alphas (les deux modes peuvent bien sûr être simultanément possibles, comme pour l'uranium 238). Ces deux modes ne concernent que les noyaux les plus lourds, la plupart des autres transmutations impliquent des transitions bêta (vocable aussi dû à Rutherford). De quoi s'agit-il?
     La vallée de stabilité a une forme parabolique: pour un nombre donné A de nucléons, il existe une valeur optimale du nombre Z de protons (et donc N=A-Z de neutrons) qui minimise l'énergie du noyau. Les noyaux qui ont un excédent de neutrons par rapport à cette valeur optimale ont donc «intérêt» à convertir un neutron en proton pour se rapprocher du fond de la vallée. Cette conversion est presque toujours moins coûteuse en énergie que l'expulsion pure et simple d'un neutron, qui coûterait la dizaine de MeV de son énergie de liaison. Mais la conservation de la charge électrique implique de compenser la charge positive du proton créé par une charge négative égale. Il n'y a pas le choix : il faut qu'un électron soit créé en même temps que le proton. Cela coûte d'entrée les 0.511 MeV de sa masse, mais le proton est heureusement plus léger de 1.3 MeV que le neutron. De plus l'électron ne peut pas être créé sans création simultanée d'un antineutrino (de masse négligeable). Mais surtout la transformation d'un neutron en proton n'est possible ni par interaction nucléaire forte (elle colle les nucléons entre eux, mais ne les modifie pas) ni par interaction électromagnétique.
     Il faut donc supposer l'existence d'une nouvelle interaction, dite interaction faible (les physiciens nucléaires ne manquent pas d'imagination). Enrico Fermi en a donné dès 1934 un première formulation, remaniée ensuite sous la forme de l'émission d'un boson W par le neutron (qui devient alors un proton), le W se transformant ensuite en un électron et un antineutrino. L'important ici est que cette interaction est faible, ce qui signifie en pratique que la transmutation d'un neutron en proton est un événement très rare. Les noyaux riches en neutrons sont donc susceptibles de se transmuter en émettant des antineutrinos et des électrons (ce sont ces derniers qui constituent le rayonnement ß- (bêta moins, moins parce que l'électron possède une charge négative). Ces noyaux sont en bleu sur la carte. C'est par exemple le cas du potassium 40 (1 noyau de potassium sur 8.000 dans la nature) qui devient du calcium 40 en émettant un électron dont l'énergie varie de 0.52 MeV (si l'antineutrino n'emporte pas d'énergie) à zéro (si l'antineutrino emporte toute l'énergie)?
     Les noyaux riches en protons disposent, eux, du processus inverse dans lequel un proton se transforme en neutron, en émettant un positron (l'anti-électron) et un neutrino. Le proton étant plus léger que le neutron, il faut disposer de plus d'énergie pour compenser cette différence de masse, à laquelle s'ajoutent les 0.511 MeV de la masse du positron. La transition ß+ est donc plus exigeante en énergie. Quand elle est impossible, le noyau dispose encore de la faculté de capturer un des électrons du nuage qui l'entoure. Encore faut-il pour cela que cet électron passe assez près du noyau, ce qui est rare (le noyau a une taille de quelques fermis, alors que le nuage électronique a une taille de plusieurs centaines de milliers de fermis). La capture électronique est donc également un processus très rare.  Les noyaux susceptibles de se transmuter soit par transition ß+ soit par capture électronique sont en orange sur la carte. Ces différents modes peuvent d'ailleurs coexister: le potassium 40 se transmute 89 fois sur 100 en calcium 40 par transition ß- et 11 fois sur 100 en argon 40 par capture électronique.
     Dans certains cas enfin, il arrive que l'expulsion d'un neutron ou d'un proton soit la solution la plus économique. Cela concerne quelques noyaux légers, en mauve et en rouge sur la carte.
     Il existe enfin un autre type de transition qui ne change pas l'identité du noyau, la transition gamma. Après une des transitions précédentes, le noyau final n'est pas nécessairement en équilibre, il se trouve même fréquemment dans un état excité où l'un des nucléons a plus d'énergie qu'il ne devrait. Il retombe alors vers un niveau plus stable en émettant son excès d'énergie sous la forme d'un photon. 

     Le mécanisme est similaire à celui de l'émission de photons par les atomes, à ceci près que le photon a beaucoup plus d'énergie et donc une longueur d'onde beaucoup plus courte que la lumière visible ou les rayons X : ce sont les rayons gammas. Le noyau peut d'ailleurs émettre plusieurs photons gammas en cascade dans ce processus de désexcitation. Par exemple, le cobalt 60 se transmute par ß- en nickel 60 excité, qui se désexcite immédiatement en émettant en cascade deux photons gamma de 1.17 MeV et 1.33 MeV. Sauf cas très exceptionnels, la transition gamma est beaucoup plus rapide que les transitions alpha ou bêta, et est instantanée à l'échelle humaine.


Transmutation radioactive bêta du cobalt 60 en nickel 60, suivie de deux désexcitations gamma du nickel 60 vers son niveau fondamental  © Wikipedia

     Le noyau résultant d'une transmutation peut fort bien être radioactif lui aussi. Il se constitue ainsi des chaînes radioactives, des suites de noyaux se transmutant en cascade. À un instant donné, le noyau «père» coexiste avec toute la chaîne de ses descendants (équilibre radioactif). Les plus connues sont les chaînes de désintégration alpha des noyaux lourds, par exemple celle qui conduit de l'uranium 238 au plomb 206, en passant par le radium 226, le radon 222, ou le polonium 210.


Chaîne radioactive de l'uranium 238 © Société Française de Radioprotection

     Chaque désintégration alpha diminue de 2 le nombre de protons et de 2 le nombre de neutrons. Les noyaux successifs deviennent de plus en plus excédentaires en protons, et l'équilibre se rétablit en entrecoupant les transitions alpha par des transitions ß+.
     Les différents mécanismes permettant la transmutation de noyaux ont plusieurs points communs. Tout d'abord ils ont leur origine à l'intérieur du noyau et les énergies mises en jeu sont considérablement plus élevées que celles des liaisons chimiques des atomes. Cela explique qu'ils soient totalement insensibles aux combinaisons chimiques dans lesquelles les atomes sont associés: la radioactivité de l'uranium est la même qu'il soit sous forme métallique, sous forme d'oxyde ou sous forme d'hexafluorure. Elle ne dépend pas non plus de la température (tant qu'elle ne dépasse pas quelques centaines de milliers de degrés) ou de la pression. Il ne suffit pas de chauffer du plomb sur un fourneau pour obtenir de l'or.
     Ensuite, les processus de transmutation sont peu probables, ce qui signifie qu'un noyau attend très longtemps avant une transmutation. Très longtemps s'entend ici comparé à l'échelle de temps du noyau, 10-21 s. Cela peut être très court (ou très long) à l'échelle humaine!
     Mais surtout le processus de transmutation est quantique, qu'il s'agisse de l'effet tunnel pour les fissions spontanées ou les transitions alpha, de l'émission d'un boson W pour les transitions bêta, d'une capture électronique, ou de l'émission d'un photon gamma. L'origine quantique de ces processus en fait un phénomène aléatoire: il est impossible de savoir quand un noyau donné va se transmuter. Par contre il possède une probabilité p bien définie de se transmuter par unité de temps, la même pour tous les noyaux d'un type donné, et indépendante du temps ou de l'environnement chimique ou thermique du noyau. Cela implique que sur "racine carrée"* de N noyaux, Np se transmutent en moyenne chaque seconde. C'est un processus de Poisson, à chaque seconde le nombre effectif de noyaux muté peut être un peu plus grand ou plus petit que Np avec une dispersion Np autour de la valeur moyenne. (* pas trouvé le caractère...)
     On définit l'activité d'un échantillon comme le nombre de transmutations par seconde dans cet échantillon. L'unité est le becquerel (1 Bq = une transmutation par seconde). Comme le nombre N(t)p de noyaux transmutés chaque seconde est proportionnel au nombre N(t) de noyaux radioactifs à cet instant, ce nombre diminue exponentiellement avec le temps: N(t)=N(0) exp{-t/?} avec une échelle de temps de décroissance ?=1/p caractéristique du noyau radioactif. Au bout d'un temps t1/2= ?ln2, le nombre de noyaux radioactifs est divisé par deux, aussi appelle-t-on cette durée t1/2 la demi-vie ou période radioactive. C'est plus souvent t1/2 que ? que l'on trouve dans les tables.

     Le tableau suivant donne quelques périodes de noyaux d'usage courant. Remarquons l'énorme éventail de périodes (de la picoseconde à plusieurs milliards d'années), et notons que l'éventail est aussi large pour les transitions alpha que pour les transitions bêta.

Noyau
Période
Mode
U238
 4,47 Ma
 Alpha
K40
 1,28 Ma
 Bêta
I129
 15,7 ma
 
Pu239
 24.000 ans
 Alpha
C14
 5.730 ans
 Bêta
Ra226
 1.602 ans
 Alpha
Cs137
 30 ans
 Bêta puis gamma
St90
 28 ans
 Bêta
Co60
 5.26 ans
 Bêta puis gamma
Po210
 138 j.
 Alpha
I131
 8 j.
 Bêta
I130
 12 h.
 Bêta
I132
 2,3h
 Bêta
Po216
 158 ms
 Alpha
Po212
 0.3 ms
 Alpha
Ma = milliard années, ma = million années

     Il y a bien évidemment une corrélation inverse entre période et activité: un gramme d'une substance de nombre de masse A et de période t1/2 a une activité de 1.3x1016x(1 an/t1/2)/A becquerels. Cela semble colossal, parce que le becquerel est une unité minuscule. Si la radioactivité d'un gramme de radium est de 37 milliards de becquerels (c'était l'ancienne unité d'activité, la curie), celle d'un gramme d'uranium n'est de 12.000 becquerels. Les objets courants de notre environnement sont toujours un peu radioactifs : 13 Bq pour un litre d'eau de mer, 1.000 Bq pour un kg de granit, 7.000 Bq pour un corps humain (4.500 dus au potassium 40, 2.500 dus au carbone 14). Ces radioactivités, aussi faibles soient-elles, sont facilement détectables et mesurables.
     Si l'on revient à la carte des périodes des noyaux en fonction du nombre de neutrons et de protons, on remarque que la vallée de stabilité est en fait formé de deux régions séparées par une zone d'instabilité intense, entre le bismuth (Z=83, N=126) et le radium (Z=88, N=138), où les périodes ne dépassent pas quelques secondes. Les théoriciens pensent qu'il devrait exister une troisième région de la vallée pour des masses encore plus hautes, au-delà de Z=114 et N=184, où les périodes pourraient dépasser plusieurs jours. Quelques noyaux de l'élément 114, provisoirement appelé ununquadium (un-un-quatre), ont été synthétisés en 1999 en Russie, à Doubna (qui a donné son nom à l'élément Z=105, le dubnium), avec une période de quelques secondes. Des éléments plus stables pourraient donc bien exister dans cet «îlot de stabilité».
     Mais justement, comment tous ces noyaux se sont-ils formés?


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5. D'où viennent les noyaux?
     La question de l'origine des noyaux s'écarte un peu de la radioactivité  au sens strict, mais elle permet de mieux comprendre les relations entre les divers noyaux. La courbe d'Aston montre que les éléments plus légers que le fer  sont moins liés que ce dernier, et qu'il en est de même des éléments situés au delà de lui. En d'autres termes, de l'énergie est libérée en assemblant des éléments légers, en les fusionnant, et de l'énergie est libérée en dissociant des éléments lourds, en les fissionnant.
     Fusionner des noyaux n'est pas si simple : avant que la force nucléaire ne colle ensemble tous les nucléons (en libérant l'énergie de liaison correspondante), il faut que les noyaux s'approchent à quelques fermis l'un de l'autre. Mais les noyaux possèdent tous des charges électriques positives et se repoussent violemment au delà de ces quelques fermis. Il est indispensable qu'ils soient projetés violemment les uns contre les autres pour vaincre cette répulsion, et donc qu'ils possèdent une grande énergie cinétique. Sauf à disposer d'un accélérateur, la seule possibilité est que le milieu soit très chaud, à des températures dépassant 10 millions de degrés comme on n'en trouve qu'au cœur des étoiles, et pendant les premières minutes du big bang. C'est pourquoi on parle de fusion thermonucléaire.
     Si l'on considère maintenant l'abondance dans l'univers des différents noyaux, on constate que le noyau le plus léger l'hydrogène, est de très loin le plus abondant et représente 90% des noyaux. Il est suivi d'assez loin par le second plus léger, l'hélium qui en représente 9%. Tous les autres arrivent à peine à 1% du total, d'où l'échelle logarithmique utilisée sur le graphique qui montre une décroissante régulière avec la masse. A quelques zig-zags près, dont les pics correspondent au carbone, à l'oxygène… et au fer, 100 fois plus abondant qu'il ne « devrait ». Tous ces pics correspondent aux noyaux particulièrement stables, leur présente n'est donc pas si étonnante et montre un lien entre énergie de liaison et abondance des noyaux.


Abondance dans l'univers des différents noyaux dans la photosphère du Soleil et dans les météorites, en échelle logarithmique (d'après Asplund et al. 2004)

     Gamow a réalisé dès 1940 que l'on devait précisément s'attendre à pareille distribution si les noyaux les plus légers s'agglutinent les uns aux autres pour former successivement des noyaux de plus en plus lourds au cours d'un processus dynamique encore à l'œuvre. Dans le cadre de la théorie cosmologique du big bang, l'univers a traversé une période si chaude dans le passé qu'aucun noyau n'aurait pu y résister : à la sortie de cette phase, l'univers n'était formé que de protons et de neutrons libres. Le calcul indique qu'il devait y avoir 6 protons pour chaque neutron (en raison de la masse plus légère du proton). Associer chaque paire de neutrons avec une paire de protons pour former un noyau d'hélium conduit à laisser 10 protons seuls pour chaque noyau d'hélium formé. On retrouve bien les abondances relatives de l'hydrogène et de l'hélium. Un mécanisme analogue est d'ailleurs à l'œuvre dans le Soleil où 4 protons fusionnent en un noyau d'hélium (plus 2 positrons et deux neutrinos), en libérant l'énergie qui permet au Soleil de briller.
     Mais le processus imaginé par Gamow ne permet pas de former, au cours des 3 minutes où l'univers est assez chaud, autre chose que l'hélium, le lithium, le béryllium et le bore (les 4 éléments les plus légers après l'hydrogène). Il est impossible de former du carbone (Z=6) et a fortiori les éléments suivants. Le carbone s'obtient en fait en assemblant simultanément trois noyaux d'hélium, mais ceci n'est possible que dans les étoiles. Les étoiles plus lourdes que le Soleil effectuent des synthèses successives, de l'hydrogène en hélium, de l'hélium en carbone, puis en azote et en oxygène, de ceux-ci en néon, puis en silicium avant d'arriver au fer dans les étoiles les plus lourdes. En explosant en supernovae, les étoiles disséminent dans l'espace ces éléments, qui finissent par former de nouvelles étoiles, ou des planètes.


Abondance des éléments dans l'univers et mode de formation

     Mais cela n'explique pas l'origine des éléments plus lourds que le fer, dont la formation nécessite un apport d'énergie. Dans des étoiles très lourdes et très chaudes, une partie de l'énergie produite par les fusions peut être employée à cette fin. En présence d'un flux intense de neutrons, les noyaux  peuvent en capturer et progresser ainsi en remontant la vallée de stabilité. 

     Mais à capturer des neutrons, le noyau devient de plus en plus instable, et il retrouve une meilleure stabilité par une transition bêta moins. Si le noyau se transmute avant de capturer un autre neutron, la synthèse suit à peu près le fond de la vallée de stabilité jusqu'au bismuth 209. Il faut pour cela un environnement stable, comme dans les étoiles géantes rouges pendant le flash de l'hélium. On parle alors de processus s (pour slow, lent). Le noyau peut au contraire capturer un autre neutron avant de subir une transition bêta, et la synthèse ne suit plus le fond de la vallée. Ce processus r (pour rapid) est uniquement possible au cours d'une phase explosive, dans les supernovae.


Cliquez sur l'image pour voir l'animation
Animation montrant la succession des noyaux formés par le processus r au cours de l'explosion d'une supernova © S. Wanajo et al Université de Tokyo

     Un processus similaire, le processus rp agit de l'autre côté de la vallée, dans les environnements très chauds et riches en protons (comme les novae, ou les bouffées X). Les noyaux s'enrichissent ainsi en protons. Enfin, les rayons cosmiques fabriquent également des noyaux, mais plutôt en brisant des noyaux plus lourds (processus de spallation).

     Tout ceci peut se résumer dans ce tableau périodique des éléments, où la couleur correspond au mécanisme principal de formation:

     Avant de clore ce chapitre, disons un mot de la fission. En effet, les noyaux lourds une fois formés peuvent encore évoluer en se brisant en deux plus légers. La fission spontanée est rare, mais la fission provoquée par la collision d'un projectile (le plus souvent un neutron) sur une cible, un noyau lourd, est bien plus facile en comparaison. De plus, la fragmentation produit en général des neutrons secondaires : une réaction en chaîne est alors possible si ces neutrons vont percuter d'autres noyaux lourds, qui fissionnent à leur tour en produisant à nouveau d'autres neutrons qui à leur tour…


© radioactivite2.free.fr

     ême si cela peut arriver spontanément comme à Oklo, au Niger, où un réacteur naturel a fonctionné pendant 400.000 ans dans un gisement d'uranium, il y a deux milliards d'années, il n'est pas si simple de provoquer une réaction en chaîne. En effet, les neutrons doivent trouver une cible minuscule, les noyaux, qui ne mesurent que 7 fermis et se trouvent à 350.000 fermis les uns des autres. Si la quantité de matériau fissile est trop faible, les neutrons s'en échappent avant de provoquer une nouvelle fission. Pour entretenir une réaction en chaîne, il est donc indispensable d'en rassembler une quantité minimale, la masse critique, de l'ordre de 50 kg pour l'uranium 235, ou 10 kg pour le plutonium 239. C'est pour cela qu'on ne peut pas construire de tout petits réacteurs nucléaires.
     De plus, les neutrons doivent passer assez lentement à proximité de leur cible pour être capturés, et on utilise pour cela un modérateur auquel la matière fissile est mélangée. Le modérateur est formé de noyaux assez légers pour que les collisions des neutrons avec le modérateur leur fasse perdre assez d'énergie pour induire des fissions. On utilise essentiellement l'hydrogène, sous forme d'eau (légère ou lourde), ou le carbone sous forme de graphite. L'eau légère est le plus efficace, mais beaucoup de neutrons sont perdus et son emploi exige d'utiliser de l'uranium enrichi en uranium 235, plus fissile. L'eau lourde (où l'hydrogène est remplacé par son isotope le deutérium) est un modérateur moins efficace, mais elle permet d'employer de l'uranium naturel, sans enrichissement. Pour stopper la réaction en chaîne, on peut soit réduire la quantité de matériau fissile en dessous de la masse critique, soit plus aisément introduire des matériaux qui absorbent facilement des neutrons comme le bore ou le cadmium.


Schéma de principe d'un réacteur nucléaire © Wikimedia Commons


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6. Les effets dans la matière
     Revenons à la radioactivité proprement dite, et à ses effets dans la matière. 
     Lors d'une transmutation, les particules émises par les noyaux radioactifs possèdent des énergies de l'ordre du MeV, très supérieures par conséquent aux énergies (chimiques) des liaisons atomiques et moléculaires des milieux traversés qui sont plutôt de l'ordre de l'électron-volt (eV), un million de fois plus faibles. Même en n'y déposant qu'une fraction de leur énergie, ces particules perturbent considérablement les milieux traversés : rupture de liaisons moléculaires, création de radicaux libres, amorçage de réactions chimiques ou physiques (comme l'apparition de bulles dans les liquides), créations de défauts dans les cristaux, et bien sûr chaleur (ce qui est exploité dans les centrales nucléaires). Les dégâts dépendent de la nature du projectile, de son énergie, et du milieu traversé (gaz, cristal, cellule vivante).
     Les particules électriquement chargées comme les alpha et les bêta arrachent des électrons aux atomes (qui deviennent des ions) qu'elles rencontrent le long de leur trajet. Elles perdent ainsi progressivement leur énergie et ralentissent. C'est en fin de parcours, quand la particule a beaucoup ralenti, que l'ionisation est la plus importante: en effet une particule lente passe plus de temps dans un atome et  a plus de chances d'interagir avec lui.
     Les particules alpha sont beaucoup plus lourdes que les électrons et sont peu déviées : elles ont tout de l'éléphant dans un magasin de porcelaine. Elles perdent très rapidement leur énergie et sont donc vite immobilisées (une feuille de carton arrête une particule alpha de quelques MeV). Elles agissent donc pratiquement par contact : les alphas du radium ont brûlé la peau des doigts des Curie. La situation est similaire pour d'autres particules chargées et lourdes comme les protons ou les ions de carbone (utilisés en protonthérapie) qui interagissent d'autant plus fortement qu'elles sont ralenties : l'ionisation augmente fortement juste avant l'arrêt, c'est le pic de Bragg.


Pénétration de divers rayonnements: absorption rapide des électrons, plus lente des photons gamma et pic de Bragg du carbone © CNRS-IPN Lyon

Les électrons (particules bêta), plus légers, perdent moins d'énergie en interagissant avec les électrons atomiques ou les noyaux, mais sont plus fortement déviés à chaque fois : leur parcours est donc plus long et plus sinueux, évoquant plus le chat que l'éléphant dans le magasin de porcelaine. Leur pénétration est plus profonde avec un dépôt d'énergie plus progressif que les alphas. Pour arrêter des électrons de quelques MeV, il faut donc une épaisseur de blindage plus importante : plusieurs mètres d'air, plusieurs centimètres de tissu vivant, ou plusieurs millimètres d'aluminium. Les positrons (bêta plus) interagissent comme des électrons, à ceci près qu'ils finissent par s'annihiler avec un électron atomique en donnant 2 gammas de 0.511 MeV chacun. Cette signature caractéristique est utilisée dans la tomographie par émission de positrons (ou TEP).
     Les particules neutres comme les gammas ou les neutrons ne sont pas directement ionisantes, mais elles peuvent mettre en mouvement une particule chargée qui, elle, sera ionisante.

     Les photons gamma peuvent entrer en collision avec un électron atomique et lui communiquer une part importante de leur énergie : c'est la diffusion Compton. L'électron diffusé ionise ensuite son environnement. Le gamma interagit rarement, d'où une moins grande nocivité que les alphas et bêtas, et une pénétration profonde. Pour augmenter la probabilité d'interaction, il vaut mieux employer des matériaux denses (ayant beaucoup d'électrons dans un volume donné) comme le plomb : pour arrêter 99.9% des gammas de 1 MeV, il faut 10 cm de plomb, 60 cm de béton ou un mètre de terre.


Diffusion Compton © Ph. Bruyant Université Lyon I

     Les neutrons n'interagissent qu'avec un noyau, et celui-ci occupe un très petit volume dans l'atome : les collisions sont donc rares, et un flux de neutrons est donc extrêmement pénétrant. Le neutron perd plus facilement son énergie (et est donc arrêté) quand il entre en collision avec une cible de masse comparable à la sienne. Un blindage contre les neutrons emploie donc un matériau riche en noyaux légers comme l'eau, le graphite ou la paraffine. Lors d'une collision, le neutron rebondit en général, mais il peut être capturé par un noyau. Le noyau ainsi formé a toutes chances d'être instable (en capturant un neutron, l'uranium 238 devient de l'uranium 239 dont la période n'est que de 23 mn). C'est pour cela que les matériaux irradiés dans une centrale deviennent radioactifs. Et nous avons vu que le choc d'un neutron brise parfois le noyau (fission nucléaire).
     Absorption  de différents rayonnements par une feuille de carton, une plaque d'aluminium ou une épaisseur de béton © CEA
     Les effets physiques des rayonnements produits par la radioactivité viennent plus de la quantité d'énergie qu'ils déposent dans un volume donné de matière que du nombre de rayons qui traversent ce volume. Ce n'est donc pas le becquerel qui est l'unité de mesure la plus pertinente pour évaluer les effets physiques de ces rayonnements, mais la quantité d'énergie déposée par unité de masse de la matière, que l'on mesure donc en joules par kilogramme, unité à laquelle on a donné le nom de gray (Gy) d'après le radiobiologiste britannique Louis Gray.  Passer des becquerels aux grays n'est pas simple car cela dépend de la nature du rayonnement, de son énergie initiale, et bien sûr aussi du milieu traversé.
     Le gray a remplacé l'ancienne unité, le rad (Radiation Absorbed Dose, défini à l'origine comme la quantité de rayons X capable de tuer une souris) qui vaut 0.01 Gy. En pratique, on utilise plutôt des quantités de l'ordre du milligray (mGy) : une radiographie pulmonaire délivre une dose d'environ 1 mGy, un scan abdominal 10 mGy, une scintigraphie 200 mGy. En radiothérapie, les doses sont plus importantes, pouvant atteindre une dizaine de grays dans une tumeur. Il est important de se souvenir que le gray est une énergie absorbée par unité de masse de l'absorbant : 5 grays absorbés dans une thyroïde de 10 g représentent 1/7000 de l'énergie de 5 grays absorbés par un corps de 70 kg tout entier (dose létale à 50%). Mais les effets biologiques des rayonnements ne dépendent pas seulement de l'énergie absorbée, mais de la manière dont elle est absorbée et plus encore de l'endroit où elle est absorbée.


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7. Dans le vivant
     Les effets des rayonnements  ionisants sur le vivant ont été très vite connus: les rayons X endommageaient la peau des premiers radiologues, et le radium a été très vite utilisé pour soigner des cancers. Les effets se révèlent très variables selon le type de rayonnement, selon les cellules touchées, selon la dose reçue et selon la durée pendant laquelle a été reçue cette dose. Ce n'est pas très surprenant puisque la même énergie est répartie sur quelques cellules pour les alphas, quelques milliers de cellules pour les bêtas et plus encore pour les gammas.


Dommages infligés à l'ADN par des rayonnements © UCAR University of Michigan

     Les rayonnements ionisants modifient les molécules essentielles au fonctionnement cellulaire en brisant des liaisons chimiques. Ils peuvent créer des radicaux libres, dont la réactivité chimique est très forte et qui sont capables d'oxyder des protéines, ou les lipides des membranes cellulaires. Ils peuvent aussi briser l'un des brins de la double hélice de l'ADN, voire les deux, ou les liaisons entre les deux brins. Tous ces effets sont semblables à ceux d'autres « agressions » des cellules comme une élévation de température, une déshydratation, la présence de substances toxiques, ou l'activité des radicaux libres dus à la respiration cellulaire. Ces agressions sont très fréquentes (on estime que l'ADN subit constamment un millier de lésions par heure et par cellule) et elles sont sans doute à l'origine du vieillissement cellulaire. Les cellules disposent fort heureusement de mécanismes de réparation très efficaces. Ainsi, lorsqu'un seul brin de l'ADN est brisé, la réparation prend le brin intact comme modèle. Lorsque les deux brins sont brisés, la recopie n'est plus possible, et la cellule déclenche une sorte de « suicide cellulaire » appelé apoptose.


Cassures double brin (en orange) par irradiation alpha de l'ADN (en vert) de kératinocytes © CNRS-CENBG

     La réparation cellulaire parvient à compenser les effets d'une faible dose de radiation, surtout si elle est étalée dans le temps, mais elle est saturée en cas de dose importante délivrée pendant un court laps de temps. Les cellules qui ne parviennent pas à être réparées meurent et les tissus se nécrosent. Si la nécrose n'est pas trop étendue, l'organisme parvient à l'éliminer, et à remplacer les cellules mortes, sinon une lésion inflammatoire apparaît, comme lors d'une brûlure, et des pathologies apparaissent.
     Parfois la réparation est incomplète mais la cellule survit quand même, avec des modifications. Quand ces modifications touchent l'ADN, elles se transmettent lors de la division cellulaire. Il y a eu une mutation. Cela survient lors d'une irradiation intense : le système de réparation est saturé mais il ne peut pas « tuer » trop de cellules au risque de mettre en danger la survie de l'organisme. Il laisse alors survivre des cellules mutées qui peuvent conduire à un cancer quand le contrôle de leur division est altéré. C'est l'origine des cancers radio-induits. En fait, les cellules interagissent de façon très complexes les unes avec les autres. Dans certains cas, les cellules saines peuvent bloquer le développement des cellules cancéreuses, mais l'inverse est également possible. L'effet des rayonnements est donc beaucoup plus complexe qu'un simple effet balistique de brisure d'un brin d'ADN par un rayon alpha ou bêta, puisqu'il met aussi en jeu tout un réseau d'interactions subtiles avec le reste de la cellule et avec les cellules voisines.
     Les mécanismes provoquant les cancers à la suite d'une irradiation étant identiques à ceux qui provoquent des cancers à la suite d'agressions chimiques ou traumatiques, ce n'est qu'au terme d'études statistiques que l'on peut déceler l'influence d'irradiations, en détectant un excès de cancers d'un type donné pour certaines populations. Mais il est impossible de déterminer l'origine d'un cancer donné. La complexité de l'enchaînement des mécanismes qui relie l'irradiation au cancer fait que l'étude de l'impact des rayonnements sur tel ou tel organe a surtout été menée au travers de ces études statistiques, en particulier auprès des radiologues du début du XXe siècle, des travailleurs du nucléaire et surtout des survivants d'Hiroshima et Nagasaki.
     Les tissus les plus sensibles aux rayonnements sont les tissus où le renouvellement cellulaire est rapide : c'est le cas des embryons, des cellules génitrices, ou de celles de la moelle osseuse. Les enfants présentent aussi une sensibilité plus grande à l'irradiation. Inversement, les cellules qui ne se divisent peu et lentement ont une plus grande résistance à l'irradiation. Mais l'accumulation de doses relativement faibles sur une longue durée peut avoir des effets tardifs sur ces tissus, comme les fibroses de la peau des radiologues ou l'opacification du cristallin dont souffrit Marie Curie. Inversement, c'est parce que les cellules cancéreuses se multiplient rapidement qu'elles sont particulièrement sensibles aux rayonnements (bêta et gamma surtout), ce qui est à la base de la radiothérapie.

     L'existence de pathologies non cancéreuses induites par les rayonnements a aussi été repérée au travers d'études statistiques: les survivants d'Hiroshima ont en effet montré des pathologies cardiaques, respiratoires ou digestives un peu plus fréquentes que dans des populations équivalentes. Ces pathologies sont probablement dues à un vieillissement cellulaire induit par l'irradiation brutale reçue lors de l'explosion.
     Il est clair que l'utilisation des grays n'est pas bien adaptée à l'évaluation des effets biologiques, et des risques encourus par une irradiation. La Commission internationale de protection radiologique (CIPR en anglais) a donc proposé de pondérer la dose reçue (mesurée en grays) par des coefficients qui tiennent compte de la nature du rayonnement et de la cible touchée. C'est ainsi qu'a été défini le sievert (Sv), ainsi nommé en l'honneur de Rolf Sievert, pionnier de la radioprotection: la dose reçue, mesurée en grays, est multipliée par un coefficient de pondération Q propre à chaque rayonnement et par un coefficient de pondération N propre à chaque organe humain. Ces coefficients de pondération sont empiriques, ils ont été estimés par la fréquence des cancers des survivants d'Hiroshima, et ils évoluent au fil des recherches. Le sievert a remplacé le rem qui vaut 0.01 Sv.


Rolf Sievert © Karolinska Institutet Stockholm

Le coefficient Q vaut 1 pour des bêtas, pour des rayons X et pour des gammas. Q varie de 5 à 20 pour des neutrons selon leur énergie, et Q est égal à 20 pour des alphas, dont l'énergie est déposée dans un volume plus petit. Le coefficient N, lui, est fixé à 0.20 pour les organes reproducteurs, à 0.12 pour la moelle osseuse, le côlon, le poumon, l'estomac, à 0.05 pour la vessie, le sein, le foie, l'œsophage, la thyroïde, et à 0.01 pour peau et les os. On peut également estimer empiriquement des coefficients N pour d'autres organismes : les insectes sont 10 à 100 fois plus résistants que les humains aux rayonnements ionisants, d'où l'idée qu'après une guerre nucléaire généralisée, il ne restera sur Terre que les blattes et les fourmis.
     Il faut aussi tenir compte de la durée au cours de laquelle une dose est reçue : une dose de 1 Sv reçue en quelques heures peut entraîner (temporairement) des nausées, une baisse des globules blancs mais rarement la mort, et tout finit par revenir à la normale. Les dommages sont plus sérieux au-delà de 2 Sv, ils deviennent irréversibles, et le risque de mortalité augmente avec la dose :  5 Sv entraînent la mort en quelques semaines dans 50% des cas (dose létale 50). La même dose reçue sur plusieurs années n'entraîne pas de manifestation clinique immédiate (mais cela n'exclue pas un risque à plus long terme). Enfin 10 Sv reçus en quelques heures conduisent à des dommages immédiats très sévères entraînant la mort en quelques semaines.
     Le sievert est surtout utilisé en radioprotection pour fixer les seuils autorisés car il permet d'additionner les doses reçues au cours du temps et d'estimer le risque d'apparition de cancers dans la population touchée. Le nombre de cancers supplémentaires dans une population semble en effet à peu près proportionnel au nombre de sieverts, et il est de l'ordre de 5% par sievert reçu par an. Autrement dit, parmi 1000 personnes exposées à une dose de 1 Sv, on estime qu'il apparaîtrait, à terme, 50 cancers supplémentaires (à comparer aux quelque 280 cancers attendus sans cette irradiation). La relation linéaire entre irradiation et augmentation du nombre de cancers semble bien vérifiée au-delà de 100 mSv, mais aucune étude épidémiologique n'indique d'augmentation significative du nombre de cancers dans les populations recevant moins de 50 mSv par an (qui est d'ailleurs la radioactivité naturelle dans certains villes sur Terre). Savoir s'il est légitime de l'extrapoler pour des doses beaucoup plus faibles ou s'il existe un seuil en dessous duquel elle perd sa valeur est l'objet de discussions parfois violentes. Certains défendent l'idée qu'une faible dose d'irradiation serait même bénéfique (hormesis)


Relation linéaire sans seuil entre l'irradiation reçue et l'augmentation de la fréquence des cancers © ASN

La complexité des mécanismes conduisant d'une irradiation à une carcinogenèse rendent la question difficile, et les études épidémiologiques ne sont pas utilisables. La relation linéaire sans seuil extrapolée aux faibles doses implique par exemple qu'il y aura aussi bien 50 cancers supplémentaires parmi mille personnes recevant 1 Sv, que parmi un million recevant 1 mSv. Mais ces 50 cancers sont repérables parmi 280, mais pas du tout parmi 280 000. Malgré de nombreuses réticences, la relation linéaire sans seuil est utilisée par la plupart des organismes nationaux et internationaux en application du « principe de précaution ». Depuis 1990, la norme administrative a  réduit de 5 à 1 mSv/an le seuil autorisé de dose dépassant la radioactivité naturelle et médicale (et de 50 à 20 mSv/an pour les professionnels). C'est le millième de la dose qui augmente de 5% le risque de cancer chez l'adulte.
     Pour fixer les idées, précisons que la radioactivité ambiante que nous absorbons chaque année se situe entre 3 et 4 mSv en France (avec d'importantes variations individuelles). Le tiers de cette dose vient des applications médicales, une radiographie pulmonaire délivrant de 0.02 à 0.1 mSv, un scanner du crâne de 1 à 10 mSv.


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8. La radioactivité autour de nous
     Il est peut-être utile de revenir sur les différentes unités employées au sujet de la radioactivité  : le becquerel correspond à une transmutation par seconde dans un échantillon, le gray à un joule d'énergie absorbée par kilogramme d'absorbeur, et le sievert est égal à un gray pondéré par des coefficients qui tiennent compte de l'impact  de cette énergie sur tel ou tel organe humain.


Représentation imagées des unités de la radioactivité © CEA

     On utilise souvent la métaphore des pommes: si deux enfants se lancent des pommes, les becquerels représentent le nombre de pommes lancées, les grays l'énergie d'impact des pommes reçues, et les sieverts différencient les pommes recueillies dans la main de celles qui frappent les bras, voire l'œil!
     Le becquerel est une toute petite unité pour la vie courante: un litre d'eau de mer a une activité de 13 Bq, un litre de lait de 80 Bq (en raison du potassium 40 qu'il contient), un kilo de charbon de 2000 Bq, et un homme de 70 kg possède une activité de 7000 Bq environ (dont 4500 dus au potassium 40 et le reste est essentiellement dû au carbone 14). Les grays sont au contraire une grosse unité pour les applications courantes, et on utilise plutôt des micrograys ou des milligrays pour les applications usuelles de sources radioactives en ingénierie ou en imagerie, les grays relevant plutôt de la radiothérapie où on emploie des doses importantes mais sur de tout petits volumes.
     Enfin les sieverts, ou plutôt les millisieverts, sont l'unité adaptée aux questions de radioprotection humaine. Passer des becquerels aux sieverts n'a rien d'immédiat : 1 sievert correspond en effet à 55 milliards de becquerels de tritium ou  3.5 millions de becquerels de radium 226.
     La première question que l'on se pose est le plus souvent: «Combien de millisieverts est-ce que j'absorbe jour après jour?». La réponse est: 3 ou 4 mSv par an en moyenne en France, de sources très variées, et variables selon la localisation géographique et selon l'âge.


Sources de radioactivité © A.M. Noureddine CNRS-IRES Strasbourg


Origine
Dose moy.
(mSv/an)
%
Radon
1.30
36
Sol
0.50
14
Rayons cosmiques
0.30
8
Interne
0.25
7
Total naturel
2.35
65
Médecine
1.20
33
Ind. non
nucléaire
0.04
1
Essais militaires
0.01
0.3
Ind. nucléaire
0.004
0.1
Total
3.6
100

     Selon les sources (Direction de la protection et de la sécurité nucléaire du CEA, Autorité de Sûreté Nucléaire, Ministère de la Santé, Conseil scientifique des Nations Unies, etc.), les valeurs précises varient quelque peu et donnent des valeurs plus ou moins élevées pour le radon ou pour la radioactivité du sol, plus faibles ou plus importantes pour les applications médicales. Ce n'est pas très surprenant dans la mesure où la radioactivité ambiante varie fortement selon le lieu, selon l'altitude et même selon la météo, et la notion de dose moyenne d'origine médicale n'a pas non plus grand sens: une personne subissant de nombreux examens ou une radiothérapie reçoit bien évidemment une dose de rayonnements très supérieure à celle reçue par une personne ne passant qu'une radiographie dentaire.

     La principale source d'irradiation naturelle est le radon, gaz provenant de la transmutation du radium (lui même descendant de l'uranium) qui se trouve à très faibles doses dans beaucoup de minéraux du sol, en particulier les granits. Le radon est un émetteur alpha, il agit donc par contact, lui ou ses descendants, essentiellement par inhalation, au niveau de la muqueuse des bronches et des poumons. On estime qu'il est la seconde cause de cancers du poumon, loin après le tabac.
     Le radon est un gaz lourd, radioactif (avec une période de 3.8 jours), qui diffuse à travers la roche selon sa porosité. Plus lourd que l'air il a tendance à s'accumuler dans les endroits fermés comme les caves des maisons, ou bien sûr dans les mines d'uranium. Son accumulation varie avec l'heure de la journée (parce que les portes sont surtout fermées la nuit !) et avec la météo : les jours de grand vent, le radon est plus vite dispersé et dilué.


Infiltration du radon dans les maisons © A.M. Noureddine CNRS-IRES Strasbourg

     Les teneurs en radon sont donc très variables, la moyenne en France étant de l'ordre de 30 000 atomes de radon 222 par litre d'air (qui contient 1022 molécules d'oxygène). Cela induit une radioactivité de 63 Bq/m3, conduisant à une dose absorbée de 1.3 mSv par an. Mais ces doses varient beaucoup d'une région à une autre, les régions à sol granitique pouvant la voir doubler ou tripler. Au delà de 400 Bq/m3 dans un logement, il est recommandé d'entreprendre des actions correctrices, essentiellement une meilleure ventilation.


Carte de France du radon dans les habitations ©IRSN

     Le sol est lui-même naturellement radioactif et contribue en moyenne à hauteur de 0.5 mSv par an à la radioactivité absorbée : cela vient pour 1/3 de l'uranium 238, pour 1/3 du thorium 232 (tous deux émetteurs alpha) et pour 1/3 du potassium 40 (émetteur bêta). La radioactivité du sol est extrêmement variable selon les minéraux qu'il contient : une tonne de sol sédimentaire contient à peu près 3 g d'uranium (et aussi 5 g de potassium 40 et 10 g de thorium), mais une tonne de sol granitique contient 20 g d'uranium. Certaines régions comme le Limousin ou la Corse en France sont de ce fait bien plus radioactives que les plaines du Nord. Il y a des régions aux sols beaucoup plus radioactifs : dans l'état du Kerala, en Inde, la radioactivité naturelle est de 17 mSv/an (avec des pics à 150) et dans la ville de Ramsar en Iran sur les bords de la Caspienne la radioactivité naturelle atteint 260 mSv/an.


Radioactivité moyenne du sol selon les régions ©CEA/IRSN

     La radioactivité du sol est, à l'échelle de la Terre, aussi responsable (pour moitié) de la chaleur qui y règne en profondeur et qui conduit en particulier à la liquéfaction des roches du manteau. Cela permet les mouvements convectifs responsables de la tectonique des plaques. La radioactivité a donc joué là, indirectement, un rôle essentiel à l'évolution de la vie sur Terre.
     Les rayons cosmiques sont une autre source importante de radioactivité: ils sont essentiellement formés de protons et de noyaux d'hélium qui frappent les noyaux de la haute atmosphère et provoquent des transmutations: une très faible fraction de l'azote 14 est ainsi converti à haute altitude en carbone 14, qui parvient en quelques mois au niveau du sol et se mêle au cycle du carbone. Il se forme aussi du sodium 22 et du tritium (isotope de l'hydrogène). 

     Une grande partie des rayons cosmiques est absorbée par l'atmosphère, mais cela signifie que cet effet d'écran diminue en montagne, ou en avion, et chaque fois que l'on va en altitude: la radioactivité due aux rayons cosmiques double à peu près tous les 1.500 m (0.3 mSv/an au niveau de la mer, 0.6 à 1.500 m, 1.2 à 3.000 m). Un vol Paris-New York communique à l'équipage et aux passagers une dose de 0.06 mSv (c'était le double en Concorde qui volait plus haut qu'un Airbus). Le site Internet http://www.sievert-system.org permet à chacun de calculer la dose reçue lors d'un vol  quelconque. Si les passagers ne risquent pas grand chose, les équipages doivent être un peu plus prudents. Habiter en permanence en altitude augmente sensiblement la dose de rayonnement : si l'on reçoit 0.3 mSv/an à Paris, on en reçoit 1.7 mSv/an à La Paz en Bolivie (qui se trouve à 3900 m d'altitude). Un simple séjour d'un mois à 2000 m d'altitude communique une dose de 0.05 mSv (soit 1% d'irradiation supplémentaire).
     Notre corps est lui-même radioactif: nous nous irradions nous-mêmes à hauteur de 0.25 mSv/an, essentiellement en raison des aliments que nous avons absorbés et qui nous ont apporté du potassium 40 (présent sur Terre depuis des milliards d'années) et du carbone 14 (cosmogénique lui, et sans cesse renouvelé). Georges Charpak a suggéré que les 0.25 mSv de cette dose annuelle due aux radiations internes (DARI) fourniraient une unité de radioactivité beaucoup plus parlante que les sieverts


Panoramique dentaire: 1 jour d'irradiation naturelle © SFRP

     L'irradiation d'origine médicale est en moyenne de 1.2 mSv/an mais elle varie bien entendu très fortement d'une personne à une autre. De plus cette irradiation est le plus souvent délivrée sur une durée très brève, le débit de dose est donc nettement plus important que lors de l'irradiation continuelle provenant de l'environnement. Pour la plupart des gens, l'imagerie en est la source principale : rayons X des radiographies et des tomodensitographes (scanners), rayons bêtas et gammas de l'iode 131 et gammas du technétium 99 en scintigraphie, gammas d'annihilation des positrons dans la TEP (tomographie d'émission de positrons)


Scintigraphie thyroïdienne: 1 mois d'irradiation naturelle © SFRP


Scanner de l'abdomen: 5 ans d'irradiation naturelle © SFRP

     Les doses sont bien entendu beaucoup plus élevées en radiothérapie puisqu'il s'agit là de tuer les cellules (cancéreuses), et des doses de 10 à 100 sieverts sont courantes, mais il s'agit là des doses délivrées dans la tumeur (rappelons que le sievert est une dose par unité de masse).


Distribution de glucose marqué au fluor 18 mesurée par TEP: 5 ans d'irradiation naturelle © Wikimedia Commons

     Ces doses sont fractionnées en plusieurs séances pour faciliter la récupération des cellules saines entre deux séances.


«Bombe» au cobalt utilisé en radiothérapie © CEA-DPSN

     Une autre source de rayonnements ionisants, beaucoup plus faible que les précédentes (0.04 mSv/an, soit 1% du total), vient de l'utilisation de sources radioactives dans de multiples secteurs industriels. Certaines d'entre elles sont scellées, c'est-à-dire que le matériau radioactif est isolé dans une enceinte (seuls les rayonnements s'en échappent). En mesurant l'absorption de ces rayonnements, on estime la densité du milieu traversé et on peut contrôler la qualité de l'air, ou la quantité de sédiments dans un fleuve. Des détecteurs de fumée existent sur ce principe. Des jauges radioactives permettent aussi de mesurer l'épaisseur, la densité, ou le niveau d'un fluide dans un réservoir ou une conduite fermées ou peu accessibles.


Principe d'une jauge de niveau avec une source radioactive © CEA-DPSN

     Des sources radioactives émettrices de rayons gamma (cobalt 60, césium) permettent de stériliser du matériel médical ou des aliments en détruisant les micro-organismes dangereux. On en utilise également dans les musées pour préserver des objets anciens (la momie de Ramsès II a été soumise à ce traitement pour la débarrasser de champignons parasites). D'autres sources radioactives ne sont pas confinées, parce qu'elles servent justement de traceurs : c'est leur déplacement qui est suivi. En marquant un polluant avec un radio-isotope, on peut le suivre son déplacement et en tenir compte pour tracer des routes ou construire des bâtiments. On peut aussi contrôler l'étanchéité de sites de stockage, ou étudier en géologie le déplacement de masses d'air ou de masses d'eau.


Jauge radioactive sur une conduite de pétrole © CEA-DPSN

     Les explosions nucléaires, depuis les bombes d'Hiroshima et de Nagasaki jusqu'à la fin des essais aériens, ont contaminé l'atmosphère avec des éléments radioactifs dont certains ont une durée de vie longue comme les 30 ans du césium 137. On mesure nettement la diminution de cette radioactivité depuis l'arrêt des essais atmosphériques, ainsi que le sursaut causé par l'accident de Tchernobyl en 1986. Cette contamination nucléaire représente à peu près 0.02 mSv/an.


Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Evolution du césium 137 ©IRSN

     Enfin la contribution qui suscite le plus de réactions, parfois violentes, est celle des centrales nucléaires, bien qu'à 0.004 mSv/an en moyenne, elle soit de loin la plus faible. Bien sûr, une moyenne très faible n'interdit pas l'existence de valeurs localement beaucoup plus élevées, mais on n'a jamais relevé de hauts niveaux de radioactivité dans l'environnement des centrales. La principale source de radioactivité vient en fait des déchets nucléaires, qu'il s'agisse de combustibles devenus inutilisables ou d'éléments de structure devenus radioactifs. Cela correspond en France à 1 kg de déchets à faible et moyenne activité et à 10 grammes de déchets de forte radioactivité par habitant et par an, bien moins que les déchets toxiques ou polluants (acides, solvants, métaux lourds, déchets médicaux par exemple) qui sont aussi plus difficiles à repérer. Le risque d'un accident nucléaire plane toujours, mais la fusion du cœur du réacteur de Three Mile Island en 1979 aux USA n'a causé aucun mort.
     Pour diverses raisons techniques et humaines, Tchernobyl a eu des conséquences plus graves et dispersé dans l'atmosphère de grandes quantités d'iode 131 et de césium 137, en particulier.


La surveillance de la radioactivité en France est du ressort de l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire © IRSN


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