CONTROVERSES NUCLEAIRES ! 
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PROLIFERATION...
   L'AIEA cherche de nouveaux outils contre la prolifération nucléaire
LE MONDE | 11.10.2006

KARLSRUHE (ALLEMAGNE) ENVOYÉ SPÉCIAL
    Le récent essai souterrain d'une bombe atomique en Corée du Nord et le refus de l'Iran d'interrompre sa production d'uranium enrichi mettent à mal le traité de non-prolifération nucléaire (TNP, 1968) visant à limiter le développement de l'arme nucléaire. L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), chargée du respect du traité, est impuissante sur ces deux terrains, dont ses inspecteurs ont été bannis. Si la Corée du Nord et l'Iran font des émules, sa mission pourrait encore se compliquer.
     "Notre système de vérification est mis sous pression en permanence", constate Olli Heinonen, chef du département chargé de l'application du TNP. Les 250 inspecteurs de l'AIEA, qui effectuent quelque 10.000 visites par an dans 900 installations de 71 pays, doivent constamment renouveler leur expertise, par des formations proposées par les Etats nucléaires.
     M. Heinonen ne cache pas qu'il verrait d'un bon oeil une hausse du budget de l'Agence. "Nous devons rénover notre laboratoire propre, vieux de trente ans, et le renouvellement de notre parc informatique, en cours, a déjà été repoussé", déplore-t-il.
     L'AIEA ne fait pas de recherche et développement en propre et dépend donc des efforts conduits dans ce domaine par 19 de ses Etats membres, Union européenne comprise. Celle-ci et l'AIEA viennent de célébrer vingt-cinq ans de collaboration dans ce domaine, dans l'un des laboratoires de la Commission européenne, à Karlsruhe.
     Entouré de barbelés et de barrières électrifiées, l'Institut des transuraniens (ITU) abrite des détectives en blouse blanche. Depuis les années 1990, ceux-ci ont été sollicités, avec leurs microscopes électroniques, leurs caissons blindés, leurs spectromètres et leurs outils de séparation des radionucléides, pour élucider des cas de trafic de matière nucléaire qui se sont produits en Allemagne, mais aussi dans le reste de l'Europe.

20 PAYS N'ONT PAS SIGNÉ LE PROTOCOLE
     L'affaire la plus célèbre qui lui a été soumise date de 1994, lorsqu'une mallette contenant du plutonium avait été saisie à l'aéroport de Munich. La même année, l'institut eut à analyser plusieurs "pastilles" de combustible nucléaire et un petit cylindre de plutonium pur à 99,7%, saisi lors d'une descente de police contre de supposés... faux-monnayeurs.
     Depuis lors, une trentaine d'"affaires" ont été traitées par l'ITU. On lui confie aussi de simples "frottis" sur des pièces de coton: les particules piégées par le chiffon permettent de retracer l'historique des activités de l'installation.
     Dans ses divers laboratoires, la Commission européenne travaille aussi, dans le cadre du traité Euratom, à la mise au point de moyens de surveillance des usines de retraitement du combustible nucléaire, comme celles de La Hague ou Sellafield (Grande-Bretagne), afin de s'assurer que la comptabilité du plutonium issu de ce processus est respectée.
     A l'usine japonaise de Rokkasho Mura, un complexe immense de 38 bâtiments et de 1.700 kilomètres de tuyauteries, un système laser permettant de fournir un modèle en trois dimensions de chaque pièce est en développement.

     En effectuant des scanners à intervalles réguliers, il sera possible de repérer automatiquement la moindre modification dans l'installation. Par ailleurs, les flux de solutions radioactives - dont huit tonnes de plutonium par an - pourront être suivis en continu.
     Avec les trafics qui ont suivi l'effondrement du régime soviétique, la découverte d'activité illicite en Irak et le démantèlement de filières impliquant des industriels européens, la lutte contre la prolifération nucléaire a changé de nature: alors que l'AIEA s'était longtemps contentée de vérifier les activités déclarées par les Etats signataires du TNP, elle s'applique désormais, comme l'y autorise le protocole additionnel (1997), à traquer les installations non déclarées et les activités suspectes.
     En 2005, l'agence a lancé un appel à idées. Elle a reçu 60 propositions de sept de ses Etats membres, telles que l'échantillonnage à distance des gaz atmosphériques, ou l'amélioration des contrôles non destructifs.
     L'analyse des images satellites et l'automatisation du traitement de données "publiques" présentes sur Internet constituent des pistes suivies avec intérêt. Tout comme l'analyse de la circulation des containers de port en port, qui révèle déjà des fraudes douanières classiques de manière très efficace.
     Reste qu'une vingtaine de pays ayant des activités nucléaires n'ont pas signé le protocole additionnel. "Nous ne pouvons intervenir que là où nous en avons le mandat, rappelle M. Heinonen. Il faut donc faire jouer la pression internationale pour que le protocole soit universellement adopté."
    En attendant, insiste-t-il, il faut développer de nouveaux outils, car en matière nucléaire, "tout peut arriver".
Hervé Morin

 

CHRONOLOGIE
     L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a enregistré une quinzaine d'affaires - on parle pudiquement d'incidents - portant sur la vente d'échantillons ou de quantités plus substantielles d'uranium hautement enrichi (UHE) ou de plutonium (Pu) entrant dans la composition des armes :
1993:  150 g d'UHE, Vilnius (Lituanie).
1994: 2,9 kg d'UHE, Saint-Pétersbourg (Russie) ; 6,2 g de Pu, à Tengen, 363 g de Pu à Munich (Allemagne) ; 2,7 kg d'UHE à Prague (République Tchèque).
1995: 1,7 kg d'UHE, à Moscou (Russie).
1999: 10 g d'UHE, à Rousse (Bulgarie).
2000: 0,001 g de Pu, à Karlsruhe (Allemagne).
2001: 0,5 g d'UHE, à Paris.
2003: 170 g d'UHE à Sadahlo (Géorgie).
2005: 3,3 g d'UHE, perdus dans le New Jersey (Etats-Unis) et 0,0017 g à Fukui (Japon).