CHANGEMENT DE CAP dans la politique
de gestion des déchets. La ministre de l'aménagement du territoire
et de l'environnement, Dominique Voynet, vient de faire parvenir aux préfets
une circulaire relatve à la mise en place des plans départementaux
des déchets ménagers (PDED), qui annonce une réorientation
radicale. « La mise en oeuvre de la loi Royal du 13juillet 1992 sur
les déchets et les directives des ministères qui l'ont appliquée
ont été trop favorables à l'incinération. L'objectif
de cette circulaire est d'arriver rapidement à un rééquilibrage
des plans vers le tri et. le recyclage », explique Denis Baupin,
conseilier au cabinet de la ministre. Tant par son ton - très volontariste
- que par sa forme - une longue circulaire plutôt qu'un décret
ou un arrêté, afin d'agir plus rapidement - le texte place
la diminution des déchets à la source et le développement
du recyclage au coeur du dispositif de traitement et d'élimination.
Premier changement: la priorité au recyclage.
La ministre « demande [aux préfets] d'engager une réorientation
» qui doit se traduire par « un aménagement des objectifs
antérieurement définis » en intégrant dans les
plans davantage de recyclage et en « limitant le recours à
l'incinération et au stockage aux seuls besoins ». Ces orientations
visent à « redonner à la politique de prévention
et de valorisation la place qu'il convient » en portant l'accent
sur la prévention et la réduction de la production de déchets,
la valorisation de ces déchets par réemploi ou recyclage,
ou encore par leur transformation en source d'énergie. La ministre
enfonce le clou en fixant un objectif national pour le recyclage des déchets
relevant de la responsabilité des collectivités locales à
50% alors que le précédent plan était plutôt:
C'est là une vraie révolution de la vie
quotidienne, car si le geste citoyen de «jeter utile » semble
plébiscité par les Français dans les municipalités
qui ont fait le choix du tri sélectif, celles-ci restent très
minoritaires.
FINIE « LA » POUBELLE
Selon une étude de l'Agence de l'environnement
et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) réalitée
en 1997 sur 47 plans départementaux, seuls 27% des déchets
étaient recyclés. La nouvelle orientation va donc changer
les habitudes des consommateurs. L'image des cuisines où ne trônera
plus « la » poubelle mais plusieurs conteneurs - comme à
Dunkerque - va être généralisée.
Deuxième changement: la part des incinérateurs
et des décharges est réduite. Jusqu'à présent,
la loi Royal n'autorisait la mise en décharge à partir de
2002 que des seuls déchets dits « ultimes », définis
alors par les services du ministère comme les résidus de
l'incinération. Paniquées à l'idée de manquer
de débouchés pour des quantités d'ordures ménagères
toujours en augmentation, les collectivités locales s'étaient
lancées dans la course à l'équipement en incinérateurs.
Avec, souvent, des projets surdimensionnés, très coûteux,
et à l'impact incertain sur la santé publique. Le traitement
des déchets était ainsi orienté à hauteur de
70% vers l'élimination par incinération.
Pour couper court à ce travers, Dominique
Voynet a opté pour une définition plus souple du déchet
ultime. Seront admis dans les décharges - une seule par département,
soumise à des normes de sécurité écologique
sévères, les décharges « brutes » (accueillant
le tout-venant) ayant disparu - les déchets ménagers dont
on a retiré, par recyclage, compostage ou métha nisation,
toutes les matières valorisables; en clair, la partie non récupérable
des ordures. De plus, pour le ministère, si l'incinération
avec récupération d'énergie « a sa place dans
une approche multifilière » de l'élimination, le choix
de ces équipements lourds ne doit être fait qu'après
réorganisation des filières de récupération.
Enfin, la circulaire met fin au plan départemental
uniforme. Il n'est plus question d'appliquer partout le même
schéma, que l'on soit en milieu urbain, pérlurbain ou rural.
les plans devront prendre en compte la réalité démographique
des territoires où ils s'appliquent.
VOLONTE POLITIQUE ET PÉDAGOGIE
Les premiers plans élaborés l'avaient
quelque peu oublié et on avait vu des départements ruraux
de moins de 300 000 habitants opter pour des incinérateurs alors
que leur production de déchets ne pouvait les alimenter suffisamment
La définition du déchet ultime et par conséquent la
possibilité de mise en décharge seront aussi fonction des
conditions économiques et techniques locales. « Dans les département
à faible densité, il vaut mieux prévoir un petit centre
de stockage aux normes et contrôlé accueillant les résidus
du recyclage, qu'un gros incinerateur situé à des kilomètres
des centres de production de déchets entraînant un va-et-vient
de camions», résume un responsable du ministère.
Le ministère affiche sa volonté de
voir cette réorientation appliquée rapidement « Ce
sont des directives impératives qui sont données aux préfet
», explique la direction de la prévention des pollutions et
des risques. Dans les prochains jours, chaque préfet recevra une
lettre personnalisée détaillant son plan départemental
et des instructions particulières. Le 14 mai, le ministère
doit réunir les représentants des préfectures en charge
de ce domaine pour une explication «pédagogique » de
la politique engagée. Enfin, une communication de Dominique Voynet
au conseil des ministres est prévue pour le 27 mai. Les associations
environnementales qui commençaient à s'impatienter seront
probablement satisfaites. France Nature Environnement juge déjà
la circulaire « très positive »: « les objectifs
de valorisation sont ceux que l'on demandait». L'engagement figurait
également dans l'accord électoral passé entre les
Verts et le Parti socialiste.
Syhia Zappri
COUP D'ARRET A L'INCINERATION
Selon l'inventaire publié le 3 avril par
le ministère de l'environnemt, la plupart des usines d'incinération
dépasse la norme européenne d'émission de dioxines
de 0,1 nanogramme par mètre cube (Le Monde du 6 avril). Sur soixante
et onze incinérateurs d'une capacité supérieure à
six tonnes par heure, seuls six respectent la norme. La découverte,
le 31 mars, de la présence de dioxines dans le lait de vache à
proximité des incinérateurs de Halluin, Wasquehal et Séquedin
(Nord), entraînant l'interdiction de la commercialisation du lait
de seize exploitations agricoles, avait déjà sonné
l'alarme.
Voilà des années pourtant que les
associations environnementales et les unions de consommateurs n'ont de
cesse de dénoncer ce qui leur paraît une pratique dangereuse
niant, au moins, le principe de précaution. Diverses études
scientifiques ont pointé la toxicité des dioxines pour la
santé. Le Conseil supérieur d'hygiène publique de
France a ainsi estimé que l'exposition à une dose de dioxines
tolérable de 1 picogramme par kilo et par jour entrainait une surmortalité
par cancer de l'ordre de 1800 à 2000 cas en France. Les élus
locaux s'étaient eux aussi émus de la multiplication des
incinérateurs dans les plans départementaux de gestion des
déchets ménagers. |
PLUS CHÈRE EN 1999
Depuis quatre ans, à mesure que se profilait
de manière plus précise l'échéance de 2002
fixée par la loi de la fermeture des décharges classiques,
les préfets chargés de l'élaboration des plans départementaux
de gestion des déchets ont fait la part belle à l'incinération.
Les usines d'incinération représentent
plus de 78 % des investissements prévus. Or, si la tonne incinérée
semblait la plus rentable lors du vote de la loi, les normes européennes
antipollution prévues pour s'appliquer en 1999 devraient faire doubler
son prix. La surcapacité est aujourd'hui estimée à
20% des unités d'incinération à l'horizon 2020.
S.Z.
Au total, les déchets des ménages français représentent
22 millions de tonnes par an. Chaque Français produit deux fois
moins de déchets qu'un Américain, mais dix fois plus qu'un
Africain .
Marseille fait le pari du civisme écologique
de notre correspondant
Le projet marseillais d'élimination des déchets
ménagers vient enfin d'être adopté, après six
ans de valse-hésitation. Jean-Claude Gaudin, maire UDF de Marseille,
a annoncé lundi 4 mai les modalités d'élimination
des 400 000 tonnes d'ordures que la cité phocéenne produit
chaque année: l'urgence est là puisque la loi du 13juillet
1992 contraint à la fermeture, d'ici au ler juillet 2002, des décharges
brutes, dont celle de la Crau, à proximité d'Entressen (Bouches-du-Rhône),
la plus grande d'Europe.
Entre l'étang de Berre et la Camargue, à
une cinquantaine de kllomètres du Vieux Port, ce site accueille
depuis 1912 toutes les ordures marseillaises. Chaque matin, un train de
soixante-dix wagons quitte la gare du Prado, escorté de milliers
de goélands. Sur 80 hectares se sont ainsi empilés 30 mètres
de détritus. Sous cette épaisseur, la nappe phréatique
d'une largeur de six kilomètres s'apparente à un cloaque
qui se déverse sans retraitement dans la Méditerranée.
Propriétaire de ce terrain, la ville de Marseille investira 120
à 150 millions de francs pour réhabiliter le site avant sa
fermeture: étanchéisation de la nappe phréatique,
installation d'une station d'épuration et récupération
puis brûlage des biogaz.
Depuis 1992, la municipalité réfléchissait
à une nouvelle filière de traitement des déchets.
L'ancien maire, Robert Vigouroux, avait alors opté pour la mise
en service de deux usines d'incinération pouvant brûler 600
000 tonnes par an, soit le volume de déchets ménagers produit
par Marseille et vingt-deux communes du département associées
au projet.
APPRENDRE LE TRI
Deux groupes - l'un associant la Générale
des Eaux et la Lyonnaise des Eaux, l'autre regroupant EDF et la Caisse
des dépôts et consignations - avaient été sélectionnés
pour la construction et l'exploitation de ces deux incinérateurs
que les Marseillais avaient déjà baptisé les «
Chaudrons ». Mais en juin 1995 la nouvelle équipe municipale
dirigée par Jean-Claude Gaudin remettait ce projet à plat
et, en janvier1997, le conseil municipal annulait les procédures
d'appel d'offres. Les deux sociétés précédemment
retenues réclament chacune 15 millions de francs pour prix de leurs
études.
Dans un premier temps, la nouvelle municipalité
choisissait de conserver deux incinérateurs, mais en réduisant
leur capacité (65 % des ordures) au profit d'opérations de
recyclage par tri sélectif et compostage. Ce plan etait jugé
trop timoré par les associations écologistes et l'opposition
municipale comme faisant toujours la part trop belle à l'incinération.
La municipalité a donc revu sa copie: ce sera finalement 50 % de
recyclage, 50 % d'incinérarion.
« Un pari ambitieux », selon Jean-Claude
Gaudin, dans une ville longtemps réputée sale et peu soudeuse
d'écologie; aujourd'hui, 5 % seulement des déchets ménagers
marseillais sont recyclés. «Je propose aux Marseillais de
relever le défi de l'environnement, lance Robert Assante, adjoint
au maire, délégué à l'environnement. Et si,
dans vingt ans, la construction d'un deuxième incinérateur
apparaît indispensable, c'est que les Marseillais n'auront pas joué
le jeu. »
Les habitants de la deuxième ville de France
devront donc apprendre le tri sélectif. Des expériences,
encadrées par de jeunes «éco-ambassadeurs »,
sont en cours depuis un an auprès du millier d'habitants de deux
quartiers de la ville. Dans les cinq prochaines années, une «
deuxième poubelle » sera distribuée à 500 000
Marsellais. Le nombre des déchetteries et des points d'apport volontaire
(conteneurs pour le papier et pour le verre) sera doublé.
POLÉMIQUE SUR LE CHOIX DU SITE
Ce nouveau schéma « correspond parfaitement
aux orientations données par le ministère de l'environnement»,
assure Jean-Claude Gaudin, qui, le 7 avril, a présenté le
plan marseillais à Dominique Voynet. La part faite au recyclage
a permis à la municipalité d'opter pour un seul incinérateur
d'une capacité de 300000 tonnes implanté dans les quartiers
nord.
C'est sur le site choisi que la controverse se focalise
maintenant: le crassier Alusuisse, une friche industrieliedu 5ème
arrondissement. La municipalité tient à ce que cette "usine"
soit érigée sur le territoire de la commune afin que les
dividendes de la taxe professionnelle ne lui échappent pas Elle
justifie cette localisation pas la proximité d'un réseau
de chaleur qui pourrait être alimenté par la vapeur de l'incinérateur;
les riverains protestent, redoutant l'émission de dioxines et un
ballet incessant de camions. « Les nouvelles technologies de dépollution,
rétorque Robert Assante, permettent de filtrer 99,5 % des fumées
rejetées dans l'atmosphère. »
Mals la colère monte dans ce quartier défavorisé:
« Nous avons déjà tous les maux de la terre. Nous faut-il
encore devenir la poubelle de la ville ? », s'emporte un président
de comité d'intérêt de quartier. Les riverains ont
reçu le soutien de Guy Rermier (maire PC du secteur), qui redoute
« une nouvelle fracture sociale dans ces quartiers privés
de tous facteurs de développement » et les élus communistes
des 15 et 16èmes arrondissements appellent à « mettre
en échec la décision de la municipalité ».
Luc Leroux
|