Mais les scientifiques et les ingénieurs du monde entier sont malgré tout fascinés par un fait d'une simplicité déroutante: des installations solaires placées sur 0,1% des terres disponibles et dotées d'un rendement de 10% suffiraient à produire suffisamment d'énergie pour satisfaire aux besoins énergétiques de toute l'humanité. L'énergie solaire est disponible sans limites car elle n'appartient ni à une personne, ni à un gouvernement particulier et son utilisation serait plus que favorable à l'environnement. Il existe donc bien assez de bonnes raisons pour décider de tirer profit de l'énergie solaire à grande échelle mais voilà, il y a également quelques désavantages importants: le rayonnement solaire parvenant sur la terre est fortement dilué (seulement 1 kW par mètre carré), il n'est pas constamment disponible (seulement le jour) et en outre, il est distribué de manière inégale (principalement dans la région de l'équateur). Les scientifiques se demandent donc comment stocker le rayonnement solaire afin de le transporter des régions ensoleillées mais faiblement peuplées dans la ceinture équatoriale vers les centres industrialisés et très peuplés qui consomment la plus grande quantité d'énergie.
Cette question motive les chercheurs à trouver des recettes permettant de transformer la lumière du soleil et l'eau en combustibles qui permettraient non seulement de propulser nos voitures mais aussi de relancer l'ensemble de l'économie mondiale. En d'autres termes, ces scientifiques sont à la recherche de processus (et de réacteurs solaires dans lesquels ces processus ont lieu) qui transforment le rayonnement solaire disponible en des lieux et à des moments inadéquats en combustibles qui peuvent être transportés vers les principaux centres de peuplement sur notre planète. Les voitures propulsées par de tels combustibles rouleraient effectivement avec de l'énergie solaire. Les scientifiques voient l'énergie solaire véritablement en mouvement. Ces scientifiques voient même les spectateurs de la pièce de théâtre Macbeth arriver au Théâtre Shakespeare de Londres sur un rayon de soleil - et ceci par un soir d'automne triste et gris.
La base de la recette
Les outils grâce auxquels il est possible
de transformer la lumière du soleil en combustibles du 21e siècle
ont déjà été décrits par deux grands
scientifiques du 19e siècle, Carnot et Gibbs. Ils faisaient partie
des principaux fondateurs de la théorie de la thermodynamique qui
est une science décrivant comment l'énergie peut être
transformée d'une forme donnée en une autre, par exemple
l'énergie solaire en énergie chimique. En simplifiant quelque
peu, la thermodynamique nous apprend que plus la température de
l'énergie solaire que nous intégrons à notre processus
est élevée, plus le produit final de ce même processus
sera utile. Considérons par exemple un capteur solaire à
eau chaude conventionnel qui nous permet de chauffer de l'eau pour la douche
ou le chauffage d'un maison. Bien qu'une telle installation soit tout à
fait utile pour des applications locales, elle ne permet malheureusement
pas de transporter au Japon de l'énergie solaire captée en
Australie. Mais si de l'énergie solaire est intégrée
à des températures très élevées (près
de 2300oC) à un réacteur chimique, d'intéressantes
perspectives s'ouvrent soudain à nous: l'énergie solaire
stockée en Australie permettrait de chauffer des maisons ou de propulser
des voitures à Tokyo.
Les bases
Le principe de base est présenté sur
la figure 1: en concentrant sur une petite surface la lumière
solaire arrivant sur terre sous forme diluée au moyen d'un miroir
parabolique et en captant cette énergie de rayonnement au moyen
d'un capteur adéquat, il est possible de procéder à
des transformations chimiques grâce à cette chaleur très
intense et de produire ainsi des combustibles pouvant à la fois
être stockés et transportés. Quel que soit le type
de combustible dont il s'agisse, le rendement maximal d'un tel processus
de transformation d'énergie est limité par le rendement dit
de Carnot d'un moteur thermique équivalent: si la surface du soleil
est un réservoir de chaleur à 5500oC et la terre
une serre, il serait théoriquement possible de transformer 95% de
l'énergie solaire en énergie chimique sous forme de combustibles.
Notre tâche est justement de mettre au point une technologie nous
permettant de nous approcher le plus possible de cette limite.
De l'hydrogène à base d'eau
La réduction de l'oxyde ferrique est l'exemple d'un processus à grande consommation d'énergie qui se déroule par des températures très élevées et peut se faire avec de l'énergie solaire concentrée. De nombreux autres oxydes métalliques pourraient également faire l'objet d'une réduction thermique au moyen de la chaleur solaire. Les produits qui en découlent sont soit des métaux qui fournissent des chaleurs élevées lorsqu'ils sont utilisés comme combustibles ou qui produisent du courant dans des cellules électrochimiques, respectivement des batteries; d'autre part, ces métaux réagissent au contact de l'eau et peuvent également servir à la production d'hydrogène et d'autres combustibles. Le zinc est un tel métal à utilisations multiples. De nos jours, du zinc métallique est avant tout utilisé comme matière première dans l'industrie galvanoplastique pour la protection du fer et de l'acier contre la corrosion. Le zinc convient toutefois également en tant que combustible solide étant donné que sa manipulation à l'air libre ne pose aucune problème. Le zinc est facile à transporter et peut produire de manière économique soit de l'hydrogène dans un réacteur à dissociation à eau (l'hydrogène pouvant ensuite être transformé en courant électrique), soit du courant dans une batterie zinc/air.
Etablir des liens
Si nous analysons les caractéristiques des
autres métaux qui entrent en ligne de compte en tant que combustibles
chimiques solaires, il n'est pas étonnant que les plus attrayants
d'entre eux nécessitent le plus d'énergie et de chaleur pour
l'obtention des combustibles souhaités. C'est la raison pour laquelle
l'industrie métallique est l'une des plus importantes (si ce n'est
la plus importante) consommatrices de chaleur pour des processus industriels
et produit dès lors les plus importantes quantités de gaz
à effet de serre et autres émissions nocives qui résultent
de la combustion des énergies fossiles aux fins de production de
chaleur et de courant. Or, ces émissions pourraient être réduites
considérablement si la chaleur de ces processus à températures
élevées pouvait être produite avec une source d'énergie
alternative, par exemple avec de l'énergie solaire concentrée.
Un petit aperçu des degrés de rentabilité démontre
toutefois qu'en raison des coûts d'investissement élevés
des centrales solaires, l'énergie solaire concentrée n'est
pas concurrentielle au niveau actuel des prix des énergies fossiles.
La comparaison n'est toutefois pas équitable: les prix du pétrole
et du charbon ne comprennent aucune contribution à la réduction
des émissions nocives. Mais si nous tenons compte des coûts
externes de la combustion et de l'extraction des combustibles fossiles,
l'énergie solaire devient concurrentielle. Nous ne devrions toutefois
pas attendre trop longtemps avant de réagir. En effet, lorsque les
dommages causés à l'environnement par la quantité
croissante de gaz à effet de serre auront atteint un point où
ils provoqueront la montée du niveau des océans qui détruira
des quartiers entiers de Hambourg, de Tokyo ou de New York, il sera trop
tard pour prendre des contre-mesures.
Bien que nous travaillions de manière intensive
sur des processus permettant de produire des combustibles solaires à
base d'énergie solaire et d'eau, nous sommes conscients qu'il faudra
encore un certain temps avant que cette nouvelle technologie puisse servir
à des applications commerciales à grande échelle.
Il est toutefois certain qu'il nous faut mettre au point maintenant les
technologies chimico-solaires de demain si nous voulons qu'elles soient
prêtes dans environ 30 ans. Nous ne pouvons pas nous permettre des
programmes d'urgence erronés et très chers. Ceux-ci ne peuvent
être évités que si un programme de recherche, de développement
et de démonstration de l'énergie solaire est soutenu de manière
permanente. Un passage en douceur de la technologie fossile actuelle à
la technologie chimico-sotaire de demain est possible pour autant que nous
réussissions à mettre au point des processus utilisant à
la fois de l'énergie fossile et de l'énergie solaire. Un
tel mélange des énergies pourrait permettre de créer
un lien entre les technologies d'aujourd'hui et de demain et d'établir
des liens entre les systèmes énergétiques actuel et
futur. La figure 3 décrit un tel processus.
Gaz de synthèse et zinc
Sur cette figure, l'on voit que de l'énergie
solaire, de l'eau et du gaz naturel sont intégrés au processus.
Le gaz naturel n'est toutefois pas brûlé pour produire de
la chaleur de processus; cette tâche étant réservée
à l'énergie solaire. Bien au contraire, le gaz naturel n'est
utilisé que comme instrument de réduction de l'oxyde de zinc
d'une part et comme réservoir de gaz de synthèse d'autre
part. Du gaz de synthèse est principalement constitué d'hydrogène
et d'oxyde de carbone et s'utilise fréquemment en chimie organique,
par exemple pour la production de méthanol, une substance considérée
comme un ersatz prometteur de la benzine en tant que combustible pour véhicules.
Le zinc sert de combustible recyclable qui stocke l'énergie solaire
et se transporte aisément. Le méthanol et l'hydrogène
sont les produits chimiques du processus global; ils sont améliorés
surie plan énergétique avec de l'énergie solaire et
sont donc moins polluants que les combustibles fossiles d'origine. Si l'on
regarde la valeur calorifique du gaz naturel pour la production de courant,
ce processus solaire émet une quantité de C02 réduite
de moitié. La principale réaction de ce processus, c'est-à-dire
la réduction combinée de l'oxyde de zinc et le traitement
du gaz naturel pour la fabrication de zinc et de gaz de synthèse,
a lieu dans le réacteur solaire:
Double, double, toil and trouble,Nous espérons que nous parviendrons à nous réchapper de ce chaudron de sorcière en quittant le 20e siècle sur un rayon de soleil.
Fire burn and cauldron bubble.
De plus amples informations:
Aldo Steinfeld, Anton Meier et Robert Palumbo
Institut Paul Scherrer
CH-5232 Villigen PSI, Suisse
Tél.: +41-56-310-3124/2788/3504
Fax: +41-56-310-3160
E-mail: aldo.steinfeld@psi.ch
anton.meier@psi.ch
robert.palumbo@psi.ch