''Le solaire ne doit pas s'isoler!
Si la question de son intégration dans l'architecture et l'urbanisme
est à poser de façon globale, c'est-à-dire au-delà
du simple placage d'une installation sur les bâtiments, je ne pense
pas que ce soit la voie royale pour son développement! Le solaire
doit travailler avec les autres énergies renouvelables dans la mouvance
consistant à dépenser et à consommer peu d'énergie,
à la fois sous forme d'électricité et de chaleur dans
les bâtiments. À ce stade, il convient de s'interroger sur
la possibilité de parvenir à un changement qui serait guidé
par de nouveaux paradigmes d'exigence dans les performances des bâtiments
et du tissu urbain. Je crois que ces modèles existent mais qu'ils
posent la question des acteurs professionnels en mesure de conduire ce
changement et à un coût économique raisonnable.
D'un point de vue économique, je voudrais revenir sur l'aspect du foncier. En effet, certains plans d'urbanisme ne raisonnent plus en densité ou cœfficient d'occupation des sols (COS) mais en volume des constructions. Et pour financer le surcoût global lié à la volonté de concevoir les bâtiments et la ville autrement, ce nouveau mode de raisonnement fait appel à d'autres mécanismes économiques et donc, à de nouvelles solutions à envisager! Rappelons qu'à l'heure actuelle, en France comme ailleurs, le foncier occupe la moitié de la valeur des espaces construits, donc 50% du coût d'achat d'un logement existant, si ce n'est les deux tiers voire les trois-quarts dans les grandes villes. Donc, dans la démarche de solvabilisation des ménages engagée depuis près de 5 ans par le biais de la baisse des taux d'intérêt, la totalité du surplus investi dans les bâtiments existants, est revenue au foncier. Puisque le bâtiment n'a pas changé et que les prix ont augmenté, c'est bien le coût du foncier qui s'est accru. Autrement dit, rien n'a permis de faire progresser la problématique de l'effet de serre et de la consommation énergétique. D'une manière générale et dès lors qu'il s'agit d'intégration des énergies renouvelables et d'efficacité énergétique, la première des mesures consiste à trouver un mécanisme déviant une partie des hausses inévitables au profit de la valeur d'usage des bâtiments et de leur performance énergétique au sens du développement durable! Quant aux plans d'urbanisme encore soumis à la densité, rien n'empêche d'instaurer des COS différentiels entre les bâtiments performants et ceux qui ne le sont pas! Une partie du logement social n'est-elle pas financée par des subventions sur les charges foncières! Pourquoi ne pas pratiquer de même pour les bâtiments performants? Cette question économique du foncier s'avère primordiale. Paradoxalement, elle représente le trésor de guerre pour les professionnels du bâtiment! |
S'agissant de l'aspect architectural,
la préconisation du solaire photovoltaïque ou thermique au
niveau de la commande, risque de réduire ce choix à une simple
question d'esthétique. S'il n'est pas inintéressant de lancer
une mode des matériaux ou des couleurs de l'architecture solaire,
cette approche purement subjective ne constitue qu'une partie du problème.
L'architecture n'a de sens que si elle correspond à un enjeu de
société. Ainsi, des bâtiments très efficients
au regard du développement durable et répondant à
un problème de société, sont par définition
réussis d'un point de vue architectural! Dans ce contexte, les missions
assignées aux architectes des bâtiments de France (ABF) pour
la protection des paysages, y compris ceux qui revêtent un intérêt
moyen ou décalé dans l'urbanisme et l'habitat par rapport
aux préoccupations de la société, sont-elles toujours
appropriées? Ne vaut-il pas mieux se demander à quel endroit
faire attention et où se permettre des nouveautés? Produire
de l'énergie sur place au sens du projet de société,
voilà une vraie question à poser!
Comment s'y prendre? Techniquement, la solution des ENR représente l'intérêt général dans le bâtiment et l'urbanisme. En terme économique, nous disposons des moyens nécessaires à condition de nous organiser autrement. D'autant que les progrès de la R&D contribuent à réduire le coût des systèmes. En fait, la difficulté se situe au niveau de l'apprentissage de toute une filière. Au mieux, il faut compter de 15 à 20 ans dans notre domaine du BTP, soit un cœfficient de durée quasiment multiplié entre 5 et 10 par rapport à d'autres secteurs! La raison? Un nombre important d'acteurs, de centres de décision, et de compétences à changer tant chez les architectes et les ingénieurs qu'au sein des entreprises. Nous avons également besoin de composants complets, en particulier pour la façade et en toiture. Quant aux pouvoirs publics, ils prônent la division par 4 des émissions de gaz à effets de serre et des pourcentages d'énergie renouvelable à utiliser. Mais la vraie question ne concerne-t-elle pas avant tout la manière d'y parvenir? Pourquoi ne pas définir un compte à rebours à l'horizon 2015 par exemple, avec les mesures à prendre et les valeurs d'énergie à respecter? Pourquoi ne pas se demander comment surpayer le photovoltaïque aujourd'hui, le temps que la filière se mette en place? En outre, il nous faut un programme cohérent avec des étapes permettant aux acteurs du bâtiment de s'approprier les techniques et leurs mises en œuvre. |
En matière de R&D, un bon dosage des
appels d'offres s'avère nécessaire pour sélectionner
les acteurs et obtenir le meilleur rendement. De la même façon
que je plaide pour un programme coordonné d'apprentissage et de
formation de la filière, nous avons besoin d'un programme cohérent
de R&D inscrit dans le moyen et long terme, avec des acteurs qui ont
l'habitude de travailler ensemble. Dans notre secteur, la difficulté
tient au fait que le bâtiment forme un assemblage et qu'il n'y a
pas d'assembleur du tout, à l'instar des domaines de l'automobile
ou de l'aviation! Comme le maître d'ouvrage, nous sommes tous occasionnels
sur une opération. Une réflexion en plusieurs étapes
s'impose sur la manière d'assembler les composants d'aujourd'hui,
mais également les produits ou systèmes réalisables
dans dix ans, voire les futurs composants susceptibles d'arriver sur le
marché dans 25 à 30 ans et permettant des assemblages plus
ambitieux. Je suis partisan d'organiser la R&D de façon plus
autoritaire, avec un peu moins d'appels d'offres de hasard et un peu plus
d'équipes projet.
L'intégration urbaine et architecturale suppose ou impose aussi une intégration dans les modes de vie de l'usager ou du citoyen. Quelles que soient les inventions des sciences dures, les occupants ont des comportements d'usage ou leurs propres modes de vie. En clair, le bâtiment doit être au service des hommes et non l'inverse! Par rapport à l'enjeu des énergies renouvelables, il faut donc travailler également sur cette responsabilisation citoyenne des individus qui vont gérer les bâtiments. Cela suppose qu'eux-mêmes partagent le projet consistant à produire de l'énergie et à jouer le plus intelligemment possible des systèmes. Donc, que les usagers ne soient plus considérés comme des consommateurs passifs, dépendants de l'énergie fournie par les distributeurs dans les meilleures conditions. Et s'il était possible de s'approcher de bâtiments autonomes? Et si les individus dans les bâtiments coopéraient pour produire ensemble? Les rôles seraient inversés. Politiquement, il ne s'agit plus de la même société! En fait, si le monde du bâtiment ou de l'urbain pose cette question, c'est parce que la construction est au cœur de l'organisation sociale. C'est de cela dont nous ne cessons de parler! En somme, la problématique technique d'intégration du solaire dans le bâtiment, repose sur une approche économique et sur une organisation sociale dans laquelle nous serions tous coopératifs et donc plus solidaires.'' Propos recueillis par F.ASCHER
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