Il n'y aura pas de décision sur l'économie de l'hydrogène
avant une dizaine d'années.
Par Cheryl Pellerin
Rédactrice du «Washington File»
Les questions d'énergie
revêtent une importance cruciale pour l'environnement de la planète.
À l'occasion de la Journée de la Terre 2005 - le 22 avril
- le «Washington File» publie une série d'articles
sur les énergies renouvelables, facteurs de plus en plus prometteurs
dans les calculs énergétiques.
Washington - Le 35e anniversaire de la Journée de la Terre , le 22 avril, symbolise le renforcement de l'engagement mondial en faveur d'un environnement propre et du remplacement des réserves limitées de charbon, de pétrole et de gaz naturel par des sources d'énergie renouvelables. Une des plus difficiles à maîtriser mais potentiellement parmi les plus prometteuses est l'hydrogène. L'hydrogène est l'élément le plus simple et le plus abondant de l'univers. L'idée de l'utiliser comme source d'énergie remonte au moins à 1870 lorsque Jules Verne en a incorporé le concept dans son classique de la science-fiction, 20.000 Lieues sous les mers. L'hydrogène n'existe pas naturellement sous forme de gaz sur la terre - il est toujours combiné à d'autres éléments. L'eau, par exemple, combine l'hydrogène et l'oxygène (H2O). De nombreux autres composés organiques en contiennent aussi, y compris les hydrocarbures que sont les combustibles tels que l'essence, le gaz naturel, le méthanol et le propane. En tant que source d'énergie, l'hydrogène est extrêmement efficient et ne pollue pratiquement pas. En 2003, le président Bush a annoncé une initiative de combustible à l'hydrogène de 1,2 milliard de dollars, visant à inverser la dépendance croissante des États-Unis vis-à-vis des combustibles importés grâce à la mise au point d'une technologie commercialement viable de piles à hydrogène destinées à alimenter en électricité les automobiles, les camions, les maisons et les entreprises. Cette initiative comprenait 720 millions de dollars de nouveaux financements sur 5 ans, pour mettre en place les techniques et infrastructures requises pour produire, emmagasiner et distribuer l'hydrogène utilisé dans les automobiles à pile et pour produire de l'électricité. Au National Renewable Energy Laboratory (NREL) du ministère américain de l'énergie, Mme Sue Hock, directrice du Centre des systèmes et technologies pour l'électricité et l'hydrogène, précise que le travail de mise en valeur de l'hydrogène comme source d'énergie passe aussi par la sensibilisation et l'éducation du public et la préparation de codes et de normes couvrant tous les volets de la production et de la distribution de l'hydrogène. « Au NREL, ajoute-t-elle, nous essayons surtout de produire de l'hydrogène à partir de ressources renouvelables. Nous privilégions l'électrolyse qui utilise l'électricité (produite de sources renouvelables) pour décomposer l'eau en hydrogène et en oxygène ». Il est aussi possible de produire de l'hydrogène par un processus photo-électrochimique, en utilisant un semi-conducteur (comme le silicone) immergé dans un liquide conducteur d'électricité (un électrolyte) qui décompose directement l'eau. Les algues ou les bactéries qui produisent naturellement de l'hydrogène sont une autre source renouvelable d'hydrogène : elles seront génétiquement modifiées pour en produire de plus grandes quantités. Les piles à hydrogène - piles à membranes échangeuses de protons (PEMFC) - sont un autre grand domaine de la recherche. Les piles à hydrogène sont une électrolyse à rebours, explique Mme Hock : « vous mettez de l'hydrogène et de l'oxygène dans la pile où ils se combinent. La combinaison produit, entre autres, de l'électricité. » Dans une voiture, précise-t-elle, « vous avez un réservoir d'hydrogène que vous combinez avec l'oxygène de l'air et cela produit de l'électricité : vous avez alors un véhicule électrique et ce qui reste est de la vapeur d'eau ». Le ministère de l'énergie a identifié le stockage de l'hydrogène comme le grand problème technique à résoudre avant de pouvoir utiliser vraiment l'hydrogène comme source d'énergie. En 2004, dans une déposition devant la sous-commission budgétaire du Sénat chargée de l'eau et de l'énergie, M. David Garman, ministre adjoint de l'énergie chargé des questions de l'efficacité énergétique et des énergies renouvelables, a déclaré que « l'un des gros obstacles auxquels nous nous heurtons est celui du stockage d'une quantité suffisante d'hydrogène dans un véhicule pour lui donner une autonomie supérieure à 500 kilomètres ». « L'hydrogène n'est pas dense », dit Mme Hock. « C'est un gaz, alors pour le stocker, il faut le comprimer à de très fortes pressions ou il faut pouvoir le stocker de manière chimique ou encore le combiner avec un autre produit pour qu'il soit facilement accessible. » La norme actuelle est l'hydrogène comprimé : les véhicules de démonstration ont tous des réservoirs comprimés. Le ministère de l'énergie a identifié trois centres d'excellence qui étudient d'autres technologies, l'un d'entre eux est le NREL où les chercheurs étudient le stockage au carbone. Ils s'intéressent surtout aux nanotubes - cylindres d'atomes de carbone extrêmement fins, d'un diamètre 10.000 fois plus petit qu'un cheveu. Vu la structure moléculaire du carbone dans ces tubes, l'hydrogène se lie facilement à lui et de légers changements de la température ou de la pression le laissent se dégager. « Nous commençons à obtenir des résultats prometteurs » dit Mme Hock, « mais la technologie est encore controversée ». Pour prometteuses qu'elles soient, ces recherches et d'autres montrent que nous sommes loin d'une économie de l'hydrogène où nous produirions de l'hydrogène à partir de charbon, de gaz naturel, d'énergie nucléaire et d'énergies renouvelables ; où il serait transporté et stocké avant d'être utilisé ; et où des piles à hydrogène seraient utilisées pour faire rouler les automobiles et produire de l'électricité. |
Selon le rapport 2004 de l'Académie nationale
de l'ingénierie « The Hydrogen Economy, : Opportunities,
Costs, Barriers and R&D Needs », « la mise au point
des technologies requises pour une utilisation à si grande échelle
et la commercialisation de l'hydrogène se heurte encore à
de nombreux obstacles ».
Les problèmes, selon le rapport, « vont des besoins en recherche-développement fondamentale à la résolution des obstacles d'infrastructure en passant par l'acceptation sociale. » Néanmoins, selon le rapport, le passage à l'hydrogène comme source majeure de combustible dans les 50 ans qui viennent pourrait transformer complètement le système énergétique américain. La mise au point de piles, de moyens de stockage et de système de distribution est particulièrement cruciale pour le secteur des transports. « Lorsque l'on envisage les alternatives possibles pour les applications mobiles - les transports - il n'y a pas beaucoup d'options », précise Brice Logan, professeur d'ingénierie environnementale et directeur du Centre d'énergie à base d'énergie hydrogène à l'Université d'État de la Pennsylvanie. « S'il est possible d'utiliser l'énergie éolienne ou solaire ou la combustion de la biomasse pour produire de l'électricité » remarque-t-il, « il est très difficile de faire marcher un véhicule. On peut utiliser le gaz naturel (méthane), mais c'est aussi un combustible fossile. On peut produire du méthane biologiquement, comme une énergie renouvelable, mais on a toujours un problème avec les sous-produits de la combustion.» L'hydrogène est considéré comme la solution aux deux problèmes, dit-il : il fournit un carburant pour le transport et il résout le problème de la pollution car, dans une pile à combustible, tout ce qui reste de la réaction de l'hydrogène, c'est de l'eau. Pour encourager le développement de technologies utilisant l'hydrogène dans le secteur des transports, le ministère de l'énergie a annoncé, en 2003, le lancement d'un projet de démonstration et de validation d'un parc automobile de contrôle et d'une infrastructure d'approvisionnement en hydrogène ; les premiers partenariats ont été annoncés cette année. Parmi eux: - DaimlerChrysler investira plus de 70 millions de dollars pour continuer à mettre au point des voitures à pile aux États-Unis. Un partenariat de 5 ans lie DaimlerChrysler, BP Amoco PLC et d'autres sociétés qui vont sensibiliser le public aux véhicules à pile et à l'économie de l'hydrogène. - General Motors Corporation (GM) a signé un accord quinquennal de 88 millions de dollars en vue de la construction d'un parc de 40 voitures à pile et de la mise au point de la technologie appropriée. GM déploiera son parc de voitures de démonstration à Washington, à New York et dans les États de la Californie et du Michigan. Dans un accord séparé, Shell Hydrogen installera 5 stations de ravitaillement en hydrogène à Washington, dans la zone métropolitaine de New York, dans le couloir entre New York et Washington et en Californie. - ChevronTexaco Technology Ventures (CTTV) a ouvert une station Chevron d'énergie hydrogène en Californie en février dans le cadre d'un programme quinquennal de partage des coûts avec le ministère de l'énergie qui servira de vitrine aux technologies sûres et pratiques de l'hydrogène. CTTV collabore avec Hyundai Motor Company et d'autres partenaires. Au plan international, les États-Unis œuvrent avec le groupe de travail de l'hydrogène de l'Agence internationale de l'énergie et participent à des échanges d'information et à des projets de recherche avec de nombreux autres pays. Les États-Unis sont également membres du Partenariat international pour l'économie de l'hydrogène (IPHE), constitué en 2003 pour accélérer l'avènement de l'économie de l'hydrogène. Le partenariat compte 15 pays et la Commission européenne. L'IPHE aidera à organiser et à lancer des activités de recherche, de développement, de démonstration et d'utilisation commerciale permettant de hâter l'arriver d'une économie mondiale de l'hydrogène. Dans un premier temps, précise Mme Hock, la priorité est donnée à l'élaboration de codes et de normes, indispensables pour que l'hydrogène puisse être utilisé en toute sécurité. Le NREL a joué un rôle de premier plan dans la coordination de la mise au point de ces codes et normes, notamment dans le domaine des essais de sécurité et de l'analyse des systèmes de stockage en gros, du matériel de ravitaillement, du stockage à bord des voitures et des canalisations pour la distribution de l'hydrogène. À cet effet, le NREL travaille avec les organisations de normalisation et d'autres pays, dont certains pays européens, le Japon et le Canada. « Je pense que l'hydrogène constitue la solution idéale à nombre de nos problèmes d'énergie et d'environnement », dit encore Mme Hock, « mais il va falloir encore beaucoup de recherches avant que nous ne puissions passer à une économie de l'hydrogène ». Selon le Plan pluriannuel de recherche-développement et de démonstration du Programme de technologies d'infrastructure et de piles à combustible du ministère de l'énergie publié en février, un effort concerté va être fait pour mettre au point un véhicule à pile et l'infrastructure requise d'usines de fabrication, de réseaux de stockage et de distribution et de stations de ravitaillement en hydrogène. En 2015, les États-Unis décideront si la technologie - production, livraison et stockage d'hydrogène et piles à combustible - et les codes et normes connexes sont commercialisables. « Ces technologies sont très prometteuses et les recherches de base vont bon train », conclut Mme Hock, « mais nous ne savons pas vraiment si nous pourrons prendre la décision d'aller de l'avant avant 10 ans ». |