INFORMATIONS sur les suites de TCHERNOBYL
(Le Figaro - 12 juillet 2003)
sauvegarde du site
officiel
Un programme international se penche sur la situation sanitaire
des zones contaminées
Tchernobyl : les enfants biélorusses atteints par des maladies
de «vieux»
Dix-sept ans après la catastrophe de
Tchernobyl, le programme de coopération internationale pour la réhabilitation
des territoires contaminés de Biélorussie (Core
) devrait bientôt être lancé à l'initiative du
comité Tchernobyl de Biélorussie (Komchernobyl). La stratégie
de ce programme devrait être adoptée jeudi à Minsk
par les représentants de quatre districts concernés, le Programme
des Nations unies pour le développement (PNUD), l'Unesco, la Commission
européenne, plusieurs ambassades d'Europe occidentale dont la France,
ainsi que le comité Core. Il comprend un important volet sanitaire
alors même que les médecins locaux relèvent de nombreuses
pathologies chez les enfants, inhabituelles chez des personnes de cet âge.
«Les enfants ont des maladies de vieux», entend-on souvent
dire là-bas. C'est la première fois que des experts occidentaux,
avec notamment Médecins du monde, travailleront sur cette problématique,
en étroite collaboration avec les médecins biélorusses.
Ces études devraient permettre de connaître les maladies dont
ils souffrent et de savoir si elles sont dues à la contamination
radioactive chronique. Cette question fait aujourd'hui l'objet de multiples
controverses dans le milieu scientifique.
Yves Miserey
La Biélorussie est le pays qui a été
le plus contaminé par les retombées de l'explosion de la
centrale de Tchernoby, survenue le 26 avril 1986. Dans plus de 23 % des
terres (48 000 km², soit un peu plus que la superficie de la Suisse),
les dépôts de césium 137 sont en moyenne supérieurs
à 1 curie au kilomètre carré, soit dix fois ou vingt
fois plus que les retombées enregistrées en moyenne en France.
Près de 1,7 million de personnes vivent là-bas dans des conditions
extrêmement difficiles. Une partie de la population ayant préféré
déménager, la plupart des infrastructures ont été
désorganisées. L'activité économique est quasi
nulle en raison de la contamination et suite aussi à l'effondrement
de l'Union soviétique.
Les fonds alloués aux zones contaminées
n'ont pas cessé de diminuer. Le gouvernement biélorusse ne
consacre plus que 7 % du budget national aux territoires contaminés
au lieu de 20 % dans les années 1990. «L'essentiel de l'aide
internationale est consacré à la centrale de Tchernobyl et
pas aux populations», souligne aussi Gilles Hériard Dubreuil,
qui anime le comité européen de partenariat européen
de Core et qui fut coordinateur du projet européen Ethos conduit
dans un village biélorusse de 1996 à 2001.
Pour ne rien arranger, la situation politique freine
aussi l'engagement des ONG et des organismes internationaux. Les droits
de l'homme et les libertés fondamentales sont bafoués. Le
président Alexandre Loukachenko, héritier des méthodes
soviétiques, gouverne le pays d'une main de fer.
C'est ainsi par exemple que jeudi il a limogé
son premier ministre Guennadi Novitski ainsi que plusieurs autres responsables
gouvernementaux, en les accusant d'être responsables des difficultés
actuelles.
La situation sanitaire est préoccupante.
Les médecins des zones contaminées signalent que nombre d'enfants
ont des pathologies rares pour leur âge et autres que les cancers
normalement liés à la radioactivité: ulcères,
complications cardio-vasculaires, gastrites, problèmes thyroïdiens,
etc. Sur place, personne n'a encore réellement pris en charge ces
problèmes. Youri Bandajevsky, spécialiste de médecine
nucléaire, a été le premier à étudier
ces pathologies. Mais il n'a jamais publié les résultats
de ses recherches dans une grande revue (expériences sur les rats,
autopsies, etc.). Il a été condamné en juin 2001 par
un tribunal militaire à huit ans de prison pour détournement
de fond. En fait, il semble plutôt qu'il a eu la mauvaise idée
de dénoncer l'inefficacité et la corruption du pouvoir en
place. La France tout comme la plupart des grandes ONG militant pour la
défense des droits de l'homme n'ont eu de cesse de demander sa libération.
En vain.
Les pathologies observées dans les zones
contaminées sont-elles dues aux retombées de l'explosion
du réacteur de Tchernobyl ou à la situation catastrophique
qu'elle a entraînée? Les lobbies pro et antinucléaires
s'affrontent sur cette question sans réelles avancées depuis
plusieurs années. D'un côté, on trouve par exemple
l'Académie biélorusse de médecine qui minimise l'ampleur
des phénomènes observés ou l'Académie de médecine
de Paris qui explique ces pathologies par l'alcoolisme ou le tabagisme,
voire le suréquipement en appareils de mesure fournis par les firmes
occidentales au moment de l'accident. De l'autre, on trouve ceux qui attribuent
systématiquement ces maladies aux retombées de Tchernobyl.
«L'histoire se répète, analyse
Jacques Lochard, du comité Core. Pour Hiroshima et Nagasaki, il
aura fallu attendre vingt ans avant de se mobiliser. C'est la même
chose aujourd'hui pour Tchernobyl.» Le principe de précaution
commande que des études soient menées sur le terrain sur
cette problématique. «On ne peut pas préjuger de ce
qu'on va trouver mais il faut absolument étudier ce qui se passe»,
assure l'expert. «Ce n'est pas normal de vivre sur d'aussi longues
périodes à de tels niveaux de radioactivité.»
On ne sait rien encore sur l'impact de la contamination
chronique par le césium 137 chez l'homme. Jamais avant l'accident
de Tchernobyl autant de monde n'avait été confronté
à ce type d'intoxication. A Hiroshima et à Nagasaki, les
populations ont été exposées par irradiation externe
à de très fortes doses. Or, en buvant du lait ou en mangeant
des pommes de terre contaminées, il n'est pas rare qu'un enfant
puisse ingérer une dose de césium équivalente à
2 milliseverts par an. Le taux de contamination peut varier considérablement
d'un enfant à l'autre selon son alimentation et son genre de vie.
C'est pour cette raison d'ailleurs que l'action de Core table sur une prise
en charge de la radioprotection par les individus eux-mêmes.
Car, même si les doses restent relativement faibles dans de nombreux
cas, elles doivent être par principe limitées pour des êtres
en plein développement ou pour des femmes enceintes.
Dans le cadre du programme Core, un suivi sanitaire
des enfants va être mis en place dans un des districts les plus contaminés
et où on ne compte que 17 médecins pour 10 000 habitants.
Ce bilan sera comparé à celui qui sera réalisé
dans un district non contaminé. «Mais on ne va pas screener
les populations comme des animaux, assure Catherine Luccioni de l'Institut
de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Les
hôpitaux doivent pouvoir tirer bénéfice de nos travaux».
Les médecins locaux seront épaulés par des experts
une fois que les protocoles et les critères auront été
harmonisés.
L'association Médecins du monde a décidé
récemment de s'associer au programme Core, notamment en menant des
actions auprès des femmes enceintes. Cette collaboration est une
bouffée d'oxygène pour les partenaires du projet en butte
aux critiques des Verts. Ces derniers craignent en effet qu'il aboutisse
à une banalisation du risque nucléaire. Ils dénoncent
aussi le fait que certains partenaires sont financés par EDF et
la Cogema. «Est-ce que cela veut dire qu'il ne faut rien faire?»,
s'insurge Gilles Hériard Dubreuil. Le programme Core s'attaque aux
problèmes de façon globale. Les difficultés de la
Biélorussie ne sont pas seulement sanitaires et radiologiques. Elles
sont aussi économiques, agricoles et sociales.