Dans le secteur de l'énergie, des innovations sont actuellement nécessaires. Des progrès dans la technologie des forages profonds rendent maintenant possible, dans notre pays, l'exploitation de la chaleur de la terre à des températures élevées. L'état actuel de la recherche et de la technique peut conduire à la réalisation d'installations pilotes. Après des études préliminaires scientifiques et techniques importantes, le projet Deep Heat Mining (DHM) a été initié au début de 1996 par l'Office fédéral de l'énergie (Ofen). Dès le début du projet, le concept d'une centrale pilote pour la production conjointe d'électricité et de chaleur en Suisse a été élaboré, ceci sur la base des expériences réalisées à l'étranger depuis plus de 20 ans et de la connaissance des conditions régionales. Les résultats démontrent d'une manière séduisante la faisabilité et le potentiel économique de ce projet. Il a d'ailleurs déjà obtenu une certaine considération dans le milieu spécialisé international.
La géothermie haute énergie
dans le monde
La production d'électricité
à partir d'aquifères profonds dans des roches perméables
très chaudes a pris une place importante dans l'approvisionnement
énergétique de nombreuses régions du monde. L'utilisation
rentable de ce type de géothermie s'est déjà imposée
avec succès dans quelques 20 pays possédant des conditions
favorables, notamment aux Etats-Unis, aux Philippines, au Mexique, en Italie
et au Japon, pour les principaux d'entre eux. La puissance totale installée
de toutes les centrales géothermiques dépasse 5000 MW.
Dans de nombreuses régions
on trouve des températures élevées en profondeur,
mais les roches sont trop peu perméables pour obtenir des forages
suffisamment productifs. Depuis le début des années 1970,
plusieurs projets de recherche scientifique aux Etats-Unis en Grande-Bretagne,
en Allemagne et en France ont tenté de créer des réservoirs
fissurés artificiels dans des massifs rocheux granitiques imperméables
et très chauds, à l'intérieur desquels on fait circuler
un fluide: cette technologie a été appelée Hot Dry
Rock (HDR), roches chaudes sèches en français. Pendant toutes
ces années, une équipe de recherche suisse a collaboré
activement à plusieurs de ces programmes HDR. L'application d'une
technologie similaire, dans une zone où les roches sont peu perméables
et de température moins élevée, est soutenue par l'Union
Européenne pour les installations de Soultz-sous-Forêts au
nord de l'Alsace, France; d'autres projets font également l'objet
d'investigations plus ou moins avancées au Japon et en Australie.
La Suisse, pauvre en ressources
naturelles mais avec un important savoir-faire technologique dans le domaine
de la production et de la transformation de l'énergie, se doit également
de promouvoir de manière active le développement de ce système
énergétique du futur. Cela représentera aussi une
contribution significative envers les ressources énergétiques
indigènes, renouvelables, sans production de CO2 et dans
le sens d'une innovation visionnaire, la création d'un savoir-faire
exportable.
Principe du système Deep
Heat Mining (DHM)
Le principe du Deep Heat Mining
consiste à créer des connexions hydrauliques dans un massif
de roches fissurées, afin de faire circuler de l'eau pour la réchauffer.
Dans ce but, on injecte sous forte pression de l'eau froide dans un forage,
à
une profondeur où la roche atteint une température d'environ
200oC. En Suisse, cela correspond à des profondeurs de
l'ordre de 5000 m. Sous l'effet de la pression, l'eau élargit les
fissures existantes dans le massif rocheux: celles-ci restent ouvertes
et une circulation en continu peut alors être instaurée entre
le puits d'injection et le puits de production. Pendant son trajet souterrain,
l'eau injectée gagne de la chaleur et se transforme partiellement
en vapeur lors de sa remontée dans les forages de production situés
à une distance de quelques centaines de mètres. Ce fluide
caloporteur remonte donc en surface et transmet son énergie, par
le biais d'un échangeur de chaleur, à un deuxième
fluide dans un circuit fermé équipé d'une turbine
à vapeur couplée à un générateur (figure
1). L'eau du premier circuit fermé, ainsi refroidie, retourne dans
le massif rocheux par le forage d'injection et se réchauffe à
nouveau.
Concept de la centrale pilote
DHM
Le projet DHM prévoit la
réalisation en Suisse d'une centrale pilote pour la coproduction
d'électricité et de chaleur. Dans un premier temps, après
avoir sélectionné le site définitif de cette première
centrale pilote, un puits sera foré jusqu'à la profondeur
d'environ 5 km dans le massif rocheux. Au moyen de plusieurs opérations
d'injection d'eau, ce système fissuré naturel sera stimulé
et agrandi. L'éclatement et l'agrandissement des fractures dans
le réservoir rocheux engendre des signaux acoustiques extrêmement
ténus, qui peuvent être enregistrés par un réseau
de détecteurs très sensibles (géophones) placés
dans trois forages d'observation moins profonds (environ 2 km). A l'aide
de programmes de calcul performants, les sources des signaux acoustiques
peuvent être localisées dans l'espace et visualisées
en 3-D par un modèle informatique.
Grâce à la connaissance
résultant de ces expériences, un deuxième forage sera
exécuté dans la zone de plus grande densité de fissures,
afin de réaliser une circulation de fluide entre les forages. Pour
la phase pilote, seuls un forage d'injection et deux forages de production
sont prévus. La zone de forage sera conçue de manière
à pouvoir forer des puits supplémentaires à partir
du même site, lors de la phase d'agrandissement progressif de la
centrale. Pour la production d'électricité et l'utilisation
de la chaleur on aura recours aux technologies déjà éprouvées
dans les centrales géothermiques de nombreux pays.
La centrale pilote projetée
possèdera une puissance électrique nette de 3 MW et une puissance
thermique de 20 MW. Cette capacité sera atteinte avec un débit
de fluide de 75 l/s à la température de 170oC.
Le site de la centrale sera sélectionné à la fin de
1999. Un premier forage d'observation de 2 km sera réalisé
en 1999 également, et les premiers kilowatt-heures seront fournis
au réseau à partir de 2007.
Sélection d'un site favorable
Certains territoires du nord de la Suisse conviennent plus particulièrement
à la réalisation d'une centrale pilote, en raison de leur
gradient géothermique élevé. D'autre part, une
centrale qui ne produit pas que du courant électrique mais également
de la chaleur doit être implantée à proximité
d'un réseau de distribution de chaleur à distance, existant
ou planifié (Ndlr du SOLAR Club: et si les "nucléocrates"
lisaient cette phrase ?!...). Un autre avantage de la région
entre Bâle et Zurich est lié à l'abondance des données
géologiques de base, ce qui n'exclut d'ailleurs pas d'autres régions
de Suisse pour l'installation de telles centrales. Au total, une dizaine
de sites ont été sélectionnés sur la base des
données existantes du sous-sol et de la distribtition potentielle
de chaleur (figure 2). Ensuite, les trois sites les plus favorables ont
été retenus: la ville de Bâle, la basse vallée
de l'Aar (Argovie) et la vallée de la Glatt/Glattbrugg (Zurich).
D'autres sites en Suisse occidentale, tels que Genève et Eclépens
(Vaud), sont également soumis à des investigations détaillées.
Technologie de forage et ingéniérie de réservoir
L'exploration pétrolière de ces dernières années
a conduit à des progrès très significatifs dans le
domaine de la prospection géophysique et de la technique des forages
profonds. La représentation spatiale en trois dimensions des limites
entre les différents horizons géologiques à l'aide
des méthodes sismiques est maintenant une réalité.
De même, l'exécution de forages inclinés ou même
horizontaux dans des directions précises pour atteindre des réservoirs
à grande profondeur est du domaine de la routine. Ainsi, les principaux
outils pour la mise en valeur de la géothermie profonde sont aujourd'hui
disponibles. Des travaux de recherche sont en cours pour optimaliser la
stimulation des fractures des systèmes rocheux. Dans un réservoir
idéal, la résistance à l'écoulement de l'eau
(impédance) dans les roches fissurées ne doit pas être
excessive, pour éviter une pression d'injection trop élevée;
mais elle ne doit pas non plus être trop faible, afin de conserver
la meilleure capacite d'échange calorifique possible
entre la roche et l'eau. Pour ces conditions propres à chaque site,
l'industrie pétrolière a déjà développé
des techniques très avancées de fracturation: contrôle
de la pression et de l'ouverture de fissures dans les réservoirs
de pétrole et de gaz.
Economie énergétique
Le développement des énergies renouvelables est une exigence
politique actuelle. A court terme, un déficit d'énergie à
partir des ressources connues n'est pas prévisible, mais des scénarios
à long terme existent déjà, qui demandent une réduction
globale de la production de substances polluantes, en particulier du CO2.
Afin de s'assurer une position sur le marché dans le secteur
de l'énergie, il ne suffit pas de convaincre sur le seul plan écologique.
La capacité de concurrence sur le plan économique doit aussi
être garantie. Les énergies solaires et éoliennes sont
bien connues, mais toutes deux possèdent malheureusement une disponibilité
assez aléatoire. Le fonctionnement à pleine puissance d'une
installation solaire ou éolienne se situe généralement
autour de mille heures par an. De plus, il n'est pas possible d'influencer
sa répartition annuelle, et sa production ne représente que
les 12% d'une installation de géothermie. Finalement, le prix du
courant électrique produit par une installation solaire photovoltaïque
se situe autour de 1 fr. par kWh.
La chaleur de la terre se présente comme seule source d'énergie
disponible de manière ininterrompue sans production de C02, qui
soit modulable en fonction des besoins. Elle est disponible été
comme hiver, de jour comme de nuit, et ne nécessite aucun processus
de stockage. Elle peut être utilisée en fonction de la demande
pendant les 8760 heures de l'année. Il est possible d'atteindre
un coût concurrentiel de production de cette énergie. Pour
la seule production de courant, les coûts d'extraction d'une centrale
pilote se situent dans l'ordre dc grandeur de 30 ct./kWh, c'est-à-dire
moins de deux fois ceux d'une installation photovoltaïque comparable.
Si l'on vend également la chaleur produite à un réseau
de distribution à distance, le prix de production du courant s'abaissera
et atteindra un coût tout à fait concurrentiel. Le projet
de la centrale pilote en Suisse prévoit une pmduction annuelle d'
électricité de 20'000 MWh, ainsi qu'une production de chaleur
de 100'000 MWh.
Les avantages de la techno-logie Deep Heat Mining
Au moins dix bonnes raisons peuvent être énumérées
en faveur de la technologie Deep Heat Mining:
- couplage chaleur-force sans production de C02
- source d'énergie autonome par rapport aux cycles journaliers
et saisonniers
- potentiel de la ressource presque inépuisable
- installations asservies selon les besoins
- transport réduit des fluides géothermiques en surface
- incidence minimale sur l'environnement
- faible encombrement des installations de surface
- énergie purement indigène
- création d'un savoir-faire susceptible d'être exporté
- impulsion novatrice pour la Suisse
Travaux en cours
Débuté en 1996, le projet Deep Heat Mining se trouve
en 1999 dans sa phase de sélection définitive d'un site pour
la réalisation de la première centrale pilote de production
couplée d'électricité et de chaleur. Ces derniers
mois, les travaux techniques se sont concentrés sur le choix de
quelques sites potentiels dans la région bâloise. Dès
le mois de juin 1999, un premier forage de prospection d'environ 2 km sera
exécuté sur le site d'Otterbach à Bâle. Simultanément,
la réflexion est orientée vers la formation d'un organisme
de promotion dont le rôle revêtira une grande importance.
De son côté, la Confédération, par le biais
de l'Office fédéral de l'énergie (Ofen), a rempli
son rôle en décidant d'initier ce projet tourné vers
l'avenir. Depuis 1997, le Fonds pour projets et études de l'économie
électrique (Psel) participe au financement du projet DHM. Quant
à l'avenir, des moyens financiers sont recherchés auprès
des futurs exploitants de telles centrales de production pour le développement
et la réalisation de la première centrale pilote DKM en Suisse.
Encadrés
Basée sur le principe d'une centrale géothermique à fluide binaire (Organic Rankine Cycle), la centrale pilote DHM qui produira de l'électricité et de la cha-leur est relativement simple. Le fluide géothermique diphasique sous pression (170-180ºC) est produit par un ou plusieurs forages profonds: il est conduit dans un échangeur de chaleur (vaporisateur) et donne son énergie calorifique à un deuxième fluide organique à bas point de vaporisation. Celui-ci, sous forme de va-peur pressurisée, alimente une turbine, laquelle entraîne un générateur. A la sortie de la turbine, le fluide organique est refroidi par un échangeur de chaleur (condenseur) qui transmet à son tour son pouvoir calorifique à un réseau de distribution de chaleur pour dti chauffage à distance. Quant au fluide géo-thermique refroidi, il est intégralement repompé en profondeur par un forage d'injection.
Documentation
Géothermie. Exploitation de l'énergie géothermique.
Guide pour concepteurs, maîtres d'ouvrages, investisseurs et décideurs,
1998. Office fédéral de l'énergie, n 805.016f, OCFIM,
3000 Berne (existe aussi en allemand).
Sites Internet des programmes Rot Dry Rock:
Suisse: www.deep-heat-mining.unine.ch
- Europe (Soultz, Alsace): www.brgm.fr/socominelhdr-soultz.html
- USA: www.ees4.lanl.govlbdr
- Australie: www.petrol.unsw.edu.aulresearch/hdr.html
Equipe du projet
Deep Heat Mining
L'Office fédéral de
l'énergie (Ofen) a mandaté le groupe de travail Deep Heat
Miuiug (DHM), dirigé par les entreprises Häring Geo-Project
à Steinmaur, Polydynamics Engineering à Männedorf et
Foralith AG à Gossau, pour mener à bien la gestion de ce
projet. Une équipe de spécialistes de bureaux d'ingénieurs
réputés et de hautes écoles, notamment l'Ecole polytechnique
fédérale de Zurich et l'Université de Neuchâtel,
forme le comité de projet depuis le début. Cette collaboration
interdisciplinaire représente la base nécessaire pour pouvoir
répondre à l'ensemble des questions concernant les aspects
techniques, économiques, politiques et de l'environnement.