Tout générateur, que ce soit celui de Planté ou celui
de Leclanché, comporte toujours deux électrodes, une anode
(pôle positif) et une cathode (pôle négatif), plongées
en permanence dans un électrolyte. L'anode est constituée
d'un métal dont on « arrache » des électrons
(de charge négative), pour produire un courant électrique
dans le circuit d'utilisation extérieur. Quant aux charges positives
restantes (ions métalliques), elles rejoignent la cathode en traversant
l'électrolyte à l'intérieur de la batterie. C'est
entre ces deux pôles, par le circuit extérieur d'utilisation,
au coeur des câbles, des bobinages du démarreur, des ampoules
de phares, etc., que voyagent les électrons dont dispose la batterie
chargée. Au bout d'un temps plus ou moins long, celle-ci a délivré
tout son courant électrique, elle s'est déchargée.
Pour la recharger, il suffit de faire faire le trajet inverse, jusqu'à
l'anode, aux ions et aux électrons. Autrement dit, au lieu de tirer
de l'énergie de l'accumulateur, on lui en fournit, en le mettant
sous tension inverse.
En quête de systèmes de production d'énergie portables, c'est-à-dire moins volumineux, moins lourds, et plus puissants, les chimistes du solide et les électrochimistes ont cherché à multiplier la capacité d'accueil des ions et des électrons, c'est-à-dire la surface de contact des électrodes. Ils se sont avisés qu'une structure intercalaire permettant précisément d'augmenter la surface de contact pouvait être plus intéressante qu'une cathode massive classique. Que faut-il entendre par structure intercalaire? On a depuis longtemps observé et étudié certains solides qui se présentent sous forme de feuillets : dans la nature, les micas sont un bon exemple de telles structures organisées en couches homogènes et stables dans un plan, mais faiblement liées entre elles dans la direction perpendiculaire. Des mille-feuilles en quelque sorte. Or, on peut très bien concevoir qu'une espèce différente puisse venir s'insérer entre ces couches, quitte à les écarter un peu et créer ainsi une nouvelle structure. Si l'on arrive à combiner cette opération de nature mécanique avec une réaction électrochimique libérant des électrons, on s'approche d'une solution élégante pour réaliser des générateurs primaires, ou, encore mieux, secondaires si la réaction d'insertion se révèle réversible (on parlera alors d'intercalation) et peut être répétée sur un certain nombre de cycles. Dans le monde, plusieurs équipes de recherche travaillent sans relâche sur les applications de cette chimie d'intercalation. Parmi les pionniers dans ce domaine, le Pr Jean Rouxel a créé à Nantes un laboratoire de recherches de renommée mondiale. Quoique gagné de vitesse dans les années 1974-1975 par les laboratoires Bell aux Etats-Unis et par des industriels américains, le laboratoire du Pr Rouxel a pu se maintenir à la pointe et développer depuis 1977 d'étroites collaborations avec des industriels français, notamment le laboratoire de recherches de la CGE à Marcoussis. Comme souvent dans le domaine des hautes technologies, ce sont des contrats de recherche militaires qui ont permis de financer une grande partie des longues années de développement. Les applications militaires et spatiales sont évidemment friandes de sources d'énergie légères ; et, dans ce domaine, la chimie d'intercalation est très prometteuse ! En effet, les capacités théoriques de production d'énergie par unité de masse de ces batteries à composés d'intercalation couplés au lithium sont de trois à cinq fois supérieures aux systèmes déjà connus et commercialisés. Dans les accumulateurs à chimie d'intercalation, le métal qui constitue l'anode est le lithium (Li), intéressant à cause de la petite taille de ses atomes : les ions Li+, atomes qui ont perdu des électrons lors de la réaction chimique avec l'électrolyte, peuvent aller s'intercaler dans une cathode aux feuillets très serrés, d'où une miniaturisation plus poussée de l'accumulateur. Plus encore que cette anode au lithium, c'est la cathode, où intervient l'intercalation, qui passionne les chimistes du solide. Si l'image des feuillets plans parfaitement empilés est commode pour la représentation imagée, ces chercheurs ont également exploré d'autres types de structure-hôte. Celles-ci peuvent en effet posséder une structure d'organisation préférentielle dans une dimension unique (fibres), dans deux dimensions (feuillets) et même dans trois dimensions (structures cristallines). Les fibres présentent l'inconvénient des tunnels : qu'un accident se produise à l'intérieur, et toute circulation est immédiatement bloquée : il n'y a pas d'« itinéraire de délestage ». En fait, on recherche plutôt une grande mobilité des ions à l'intérieur de la cathode ; on remplit ainsi le plus grand nombre de sites d'accueil avec des ions Li+, et un plus grand nombre d'électrons (donc un plus fort courant) parcourent le circuit d'utilisation. Les structures bi ou tri-dimensionnelles sont, à cet égard, plus intéressantes, quoique plus complexes. On a, par exemple, beaucoup travaillé sur le disulfure de titane (TiS2), à Nantes et aux Etats-Unis, chez Exxon. Si l'on examine au microscope électronique l'arrangement des atomes de titane et de soufre, on voit apparaître des structures tri-dimensionnelles de base qui se répètent : dans le cas précis du TiS2, des octaèdres. Mais il suffit d'observer d'une autre manière et l'on s'aperçoit que ces octaèdres s'imbriquent de manière régulière, en sorte qu'apparaissent des feuillets ; chacun est en fait constitué d'une couche d'atomes de titane prise en sandwich entre deux couches d'atomes de soufre. Chaque espace inter-feuillet, espace de faible liaison atomique (en termes savants une «lacune de Van der Wals») est donc bordé par deux couches identiques d'atomes de soufre. Il est étonnant de constater que, malgré quelques imperfections pratiques dues à la présence d'atomes excédentaires dans la lacune de Van der Wals, on arrive à faire se mouvoir les ions Li+ dans certains composés lamellaires avec une mobilité comparable à celle qui est atteinte dans les liquides ! De même, il est surprenant d'imaginer, en théorie du moins, une batterie dont l'anode est entièrement consommée par la cathode, une fois que tous les ions Li+ ont rejoint la structure hôte. Mais si belle que puisse paraître la théorie, l'industrialisation n'en comporte pas moins quelques difficultés. Depuis quelques années, on sait fabriquer des piles au lithium au stade industriel ; elles concurrencent les piles boutons au mercure et les montres que nous portons à nos poignets sont peut-être déjà alimentées par une telle pile, dont la cathode est constituée d'un dioxyde de manganèse (MnO2). Mais, comme on peut le constater, ces montres ne peuvent pas être rechargées, cela parce que la réversibilité du processus est impossible. La condition de réversibilité au niveau de la cathode, bien évidemment nécessaire pour aboutir à un accumulateur qu'on espère recharger plusieurs centaines de fois, est loin d'être suffisante. Des problèmes sont également apparus du côté de l'anode sur laquelle, au bout de quelques cycles de recharge, des dendrites peuvent se former et entraîner des courts circuits fâcheux) ; ou bien encore, les tensions de fonctionnement requises par les utilisateurs ont imposé de rejeter dans les oubliettes des composés anode/cathode prometteurs... Les sulfures tels que TiS2, mentionné plus haut, ont fait l'objet d'études nombreuses. C'est ainsi que, dès 1979, Exxon a lancé sur le marché un accumulateur au TiS2 qui se révéla à l'usage fort décevant, car il ne pouvait supporter en moyenne que cinq cycles de recharge. Un industriel canadien, Moli Energy, a misé quant à lui sur un autre sulfure, le disulfure de molybdène (MoS2). Son accumulateur, apparu sur le marché en 1984, pouvait effectivement supporter jusqu'à 500 cycles, mais des problèmes de sensibilité à la température et de gains en énergie trop faibles par rapport à la concurrence des accumulateurs nickel-cadmium existants ont conduit Moli Energy au bord du gouffre financier... La mise en oeuvre de tels composés sulfurés est coûteuse et complexe, car potentiellement dangereuse : il est facile d'en fabriquer cent grammes au laboratoire, mais les risques d'explosion sont grands si l'on en désire un kilo ! On imagine les précautions à prendre au stade industriel ! De plus, outre ces difficultés de mise en oeuvre, la faiblesse relative de la force électromotrice disponible avec les sulfures (de 1,3 à 2,5 volts ; 2,1 volts pour TiS2) semble limiter leur développement commercial. Il est en effet impératif que chaque élément fournisse au minimum 3 volts, en particulier pour les associations en batteries de 12 ou 24 volts. Aussi est-ce maintenant la famille des oxydes métalliques qui a le vent en poupe et qui devrait pouvoir répondre aux besoins du marché. Les recherches les plus importantes ont porté sur le dioxyde de manganèse (MnO2) ; de faible coût, constitué d'un matériau non toxique, sa plage de travail en tension se situe aux alentours de 3 volts. Quoique les japonais Sony et Sanyo aient fait état d'importants travaux sur ce type de cathode, il semble prématuré de se prononcer sur son devenir commercial. En France, la société Saft, filiale de la CGE, a choisi de porter une grande partie de ses efforts sur un oxyde de vanadium (V205). La tension moyenne du couple Li/V205 est de 3,2 volts. La réversibilité est conservée si la décharge n'est pas trop profonde : en effet, à la différence des accumulateurs au plomb par exemple, ce type d'accumulateur à chimie d'intercalation ne tolère pas que la décharge soit complète (jusqu'à 0 volt). La structure-hôte en serait trop profondément modifiée et perdrait considérablement en « qualité de réversibilité ». Pour le couple Li/V205, le domaine de cyclage optimal se situe entre 2,8 V et 3,8 V. (suite)
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Mais si la tension est idéale, qu'en est-il de l'énergie réelle (produit de la tension par l'intensité) disponible ? La question est d'importance car l'avenir de ces accumulateurs dépend de leur capacité énergétique par rapport aux systèmes concurrents. On parlera de densité d'énergie en wattsheures, par kilogramme (Wh/kg) ou par dm3 (Wh/dm3). Les accumulateurs nickel-cadmium, qui ne font pas partie de la famille de l'intercalation, en sont dans l'état actuel de leur développement à environ 100 Wh/dm3, mais des couples nickel-hydrures (Ni-H2) se profilent déjà à l'horizon avec 150 Wh/dm3. Le couple Li-V205 développé par la SAFT a été mis en oeuvre sur un prototype de format cylindrique classique dans lequel les électrodes sont enroulées en spirale pour former un « bobino ». La densité d'énergie pratique annoncée est de 175 Wh/dm3, avec un nombre de cycles typique de 100. Si ce nombre de cycles satisfait certaines applications militaires, un long chemin reste certainement à parcourir avant de pouvoir envisager des applications de grande consommation. L'électrolyte utilisé est un sel de lithium solide, le LiAsF6, composé dans lequel le symbole As indique la présence d'arsenic ! Lorsqu'on connaît les problèmes posés par la toxicité des piles boutons au mercure, on peut imaginer ceux que pourraient poser de tels produits arsenicaux. Les industriels disposent malheureusement pour le moment de peu de solutions de rechange du côté de l'industrie chimique. Quant aux chercheurs en électrochimie, ils ne semblent pas passionnés par le problème. Selon Anne de Guibert, longtemps chargée de recherche à la CGE-Marcoussis, « les laboratoires se bousculaient pour travailler sur la cathode, mais il nous a fallu deux ans pour trouver une équipe de recherche sur l'électrolyte. Il serait sans doute dommage que l'électrolyte, ou plus exactement l'interface anode-électrolyte », soit le maillon faible d'une chaîne qui possède par ailleurs de tels ressorts de puissance ! Si l'on peut penser que la chimie d'intercalation a de beaux jours devant elle dans ses applications électrochimiques, la compétition n'en est pas moins rude. Tous les autres procédés utilisés pour produire de l'énergie portable améliorent leurs performances, depuis les accumulateurs au nickel jusqu'aux bons vieux accumulateurs au plomb. Bien sûr, les capacités en énergie massique des accumulateurs à intercalation font immédiatement penser aux applications du type « véhicules électriques ». Cependant, dans l'état actuel des connaissances, on peut affirmer que la voiture électrique de demain ne sera probablement pas équipée de batteries à chimie d'intercalation : d'abord, pour des raisons économiques - le lithium est un matériau cher, environ 400 F/kg ; puis pour des raisons techniques - les besoins se chiffrent, non pas en centaines, mais en milliers de cycles de recharge - et, enfin, pour des raisons de sécurité - très réactif, le lithium en masse importante comporte des dangers potentiels. En dehors des applications militaires et spatiales, pour lesquelles le prix n'est pas le premier critère, les accumulateurs à chimie d'intercalation devraient de toute façon profiter de la floraison des objets domestiques portables de grande consommation, téléphones, camescopes, etc. Les investissements importants des industriels japonais dans ce domaine de recherche sont révélateurs à cet égard. Les microordinateurs bénéficieront eux aussi de la chimie d'intercalation : ils comporteront probablement dans les années futures des micro-batteries, que cette nouvelle technologie permettra de réaliser... avec la taille d'un composant ! A notre insu, la chimie d'intercalation vient donc petit à petit prendre place au sein des objets de notre vie quotidienne : sous forme de batteries, bien sûr, mais aussi de systèmes d'affichage lumineux, de films obturateurs, réglables suivant le taux d'intercalation etc. Bref ! une branche prometteuse de la chimie. La classique batterie de voiture Elle fonctionne
selon le principe de l'accumulateur de Planté. Cet ancêtre
et modèle de base de nos accumulateurs comporte deux électrodes
plongées dans un électrolyte, l'acide sulfurique. L'anode,
électrode positive, est en plomb, et la cathode, l'électrode
négative, est aussi en plomb, mais recouverte d'une couche de dioxyde
de plomb. Lorsqu'on l'utilise, pour fournir un courant électrique
(allumer une ampoule, par exemple), voici ce qui se passe à l'intérieur
de l'accumulateur.
Le nouvel accumulateur à intercalation Il est constitué
selon le même principe que l'accumulateur de Planté : deux
électrodes au contact d'un électrolyte, mais les matériaux
utilisés et l'architecture de l'accumulateur sont différents.
Dans sa forme définitive les différents éléments
seront empilés en couches successives, l'ensemble étant ensuite
roulé, comme le gâteau du même nom. L'anode est constituée
de lithium pur, l'électrolyte est un composé solide fait
d'un sel de lithium (LiAsF6) ; la cathode, elle, est un «mille-feuille»
à base de pentoxyde de vanadium (V2O5).
Des «congères» qui gèlent l'intercalation Dans l'accumulateur
à intercalation, la couche de lithium initiale de l'anode est massive.
Au contact de l'électrolyte, elle se recouvre d'une pellicule très
dense, qui la rend passivante vis-à-vis de l'électrolyte
et empêche donc une corrosion inopinée. Lors des décharges
successives, la géométrie de la surface de la couche de lithium
se modifie. A la recharge, le courant n'étant plus, de ce fait,
homogène, les ions Li+ qui viennent rejoindre l'anode vont avoir
tendance à s'agréger et former ce qu'on appelle des dendrites,
qui, en grandissant au cours des cycles, vont atteindre la cathode : c'est
le court-circuit assuré et la mort de l'accumulateur !
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