HISTOIRE, histoires
LA PREMIÈRE
VOITURE ÉLECTRIQUE
CONSTRUITE EN SÉRIE
Il importe, lorsqu'on tente de réaliser une chose
pratiquement utile aux hommes, de comprendre d'abord les origines de l'énergie
pour essayer ensuite de l'utiliser aux moindres frais.
Chacun sait que l'énergie dont il nous est
possible de disposer a pour origine le soleil.
Le soleil dispense la chaleur qui a fait naître
la vie sur notre petit globe terrestre, et la vie n'est qu'une manifestation
d'énergie transformée.
Que cette énergie soit, voilà le mystère;
mais l'homme doit se contenter de constater que, pour lui, les choses sont
ce qu'elles sont et que ce qui se présente à ses yeux et
à son esprit doit mériter attention et examen.
Du point de vue métaphysique il est possible
de discuter sans trêve sur l'essence même de l'énergie,
sur ses origines et sur ses fins, mais du point de vue pratique le problème
consiste seulement à considérer l'homme en regard de la nature,
de ses lois, des nécessités qu'elle impose, de ses manifestations
générales et des possibilités qu'elle offre à
l'homme, tendu chaque jour vers l'amélioration de son sort terrestre.
A la réflexion, il saute aux yeux de ceux
qui veulent bien observer qu'une fraction importante de l'énergie
humaine est dépensée pour le transport des objets d'un point
à un autre.
Pour transporter chaque travailleur de son domicile
à son travail quotidien, une énergie considérable
est nécessaire.
Pour permettre à chacun de déjeuner
il a fallu mettre en oeuvre des moyens de transport véritablement
gigantesques, car le beurre, les oeufs, la viande, le lait, le pain doivent
être acheminés vers les centres de consommation.
Il résulte de ces simples constatations que
le problème des transports impose aux hommes une loi dure et que
celui qui veut tendre à améliorer leurs conditions de vie
doit, en particulier, travailler à améliorer les transports,
à diminuer leur prix.
Le problème, du point de vue pratique et
économique, se résume donc à trouver le moyen d'utiliser
l'énergie solaire dans les meilleures conditions pour assurer les
transports.
Si les chutes d'eau, bien canalisées, bien
employées, peuvent dispenser l'énergie pratiquement, les
pêches et les poires seront moins chères, car il aura fallu
pour les livrer à la consommation employer une énergie d'un
faible prix.
En partant de ces vérités d'évidence
on est amené à conclure que la logique impose l'accumulation
de l'énergie naturelle durant les heures où les hommes chôment
et ne l'utilisent point.
La pluie se répand sur le monde, crée
des lacs, des sources et des chutes d'eau qui, en ce qui concerne notre
pays, suffiraient à nous fournir l'énergie nécessaire
à tous nos transports, qui absorbent aujourd'hui près de
90 % du travail des hommes.
Malheureusement l'homme n'a point encore trouvé
le moyen d'émettre de l'énergie électrique dans l'atmosphère
et de la capter sans fil conducteur.
Force nous est donc de l'employer sur un conducteur
ou de l'emmagasiner d'une façon quelconque pour la restituer ensuite.
Jusqu'à ce jour l'accumulateur, que le courant
électrique charge en l'obligeant à subir une action chimique,
inverse durant la décharge, a permis de «mettre en bouteille»
l'extraordinaire fluide électrique.
Mais l'accumulateur est lourd. J'ai cependant pensé
que, malgré son poids, l'accumulateur était relevable d'une
utilisation pratique et j'ai entrepris de mesurer son rendement exact aux
différents régimes de décharge, sa durée véritable
et les moyens d'augmenter celle-ci. Techniquement, il est difficile de
réaliser des accumulateurs à base de plomb subissant des
décharges assez intenses en leur conservant un rendement acceptable
et la durée nécessaire, et mes premières études
sur ce sujet, en 1936, me prouvèrent que le travail exigé
des accumulateurs employés pour la traction demande que ceux-ci
soient d'une fabrication particulière. Des batteries spéciales
ont ainsi pu être mises au point et, après une longue expérimentation,
je suis en mesure de garantir dix-huit mois les batteries qui équiperont
mes voitures.
Après ce temps, si leur rendement diminue,
il suffira de faire changer les plaques positives pour leur donner une
nouvelle vie de dix-huit mois - et ce chiffre est un minimum.
C'est la seule dépense d'entretien de la
voiture électrique que je présente au public.
Je crois donc avoir fait progresser la question
des accumulateurs puisque, jusqu'à ce jour, une batterie «traction»
au cadmium-nickel pesant 25 % de plus que celle que j'utilise coûtait
deux fois plus cher.
Dans la conception et la construction de la voiture
électrique qui va dans quelques semaines sortir en série
j'ai tenté de faire simple et de donner à chacun des problèmes
de réalisation sa solution la plus économique.
C'est ainsi qu'au point de vue de la conduite de
la voiture une pédale disposée comme celle de l'accélérateur
des voitures ordinaires permet de démarrer et d'accélérer.
Cette seule pédale permet donc l'arrêt le démarrage
et la marche.
Il ne semble pas possible de faire plus simple.
En ce qui concerne la charge des accumulateurs, qui jusqu'à ce jour
s'effectuait grâce à des transformateurs-redresseurs d'un
grand prix et d'un poids considérable, j'ai fait en sorte que le
dispositif de redressement du courant alternatif soit très allégé
et puisse être placé dans la voiture même. C'est là,
je crois, un progrès important, tant du point de vue pratique -
puisqu'une simple prise de courant suffit pour charger les accus, que du
point de vue économique Ņ le transformateur-redresseur ayant été
réduit à l'extrême en prix et en poids.
Au point de vue social, j'estime qu'il était
indispensable de construire une voiture d'un prix aussi bas que possible.
Je n'ai pu atteindre ce que j'espérais il y a un an, car les matières
premières ont sensiblement augmenté. Néanmoins, lorsque
la vente à crédit aura pu être organisée dans
de bonnes conditions, chacun pourra disposer d'une voiture pour 500 ou
600 francs par mois de dépense totale.
Je crois que la sortie en série d'une voiture
électrique comme celle que j'ai mise au point rendra service à
mon pays et je crois le jour proche où nous aurons donné
à nos concitoyens la possibilité de se rendre à leur
travail à très bon compte.
J'ajouterai que le silence dont on pourra jouir
dans les villes, ainsi que l'absence de gaz brûlés rejetés
par les automobiles à essence ou au gasoil constitueront un progrès
immense car la vie de chacun sera rendue plus saine et moins fatigante.
P.F.
Autres photos de ce No de l'Illustration
Au sujet de la première photo: c'est le 1er mai
1899, près d'Achères, qu'une voiture construite en France
franchissait, pour la première fois dans l'histoire, le cap fatidique
des 100 km/h. Particularité, cette voiture, conçue par le
Belge Camille Jenatzy, était électrique. Et sa principale
concurrente, pilotée par le comte Chasseloup-Laubat (record : 94
km/h quelques mois auparavant) l'était également.