ENERGIES RENOUVELABLES
sol(ID)aires
CONFERENCES
Les
aspects philosophiques des énergies renouvelables: de l'utopie à
la réalité
Yves-Bruno Civel
(résumé de son intervention à
partir des Actes de la conférence)
Lorsqu'au mois de décembre dernier Roger
Rhyner m'a téléphoné pour me demander de participer
au séminaire d'aujourd'hui et de bien vouloir y traiter les aspects
philosophiques des énergies renouvelables, j 'ai été
très enthousiasmé.
A dire vrai, aujourd'hui, je fais beaucoup moins
le fier et j 'espère de tout coeur qu'il n' y a pas de philosophe
dans la salle: car voilà bientôt 30 ans que je ne potasse
plus assidûment mes cours de philo!
Et même si tout récemment je me suis
plongé avec délices dans le petit traité des grandes
vertus d'André Comte Sponville pour y lire ou relire quelques réjouissantes
définitions sur l'amour... vous savez, Eros ou Agape..., je ne me
souviens plus de grand chose.
Il reste alors les secours de l'étymologie
et du bon sens.
L'étymologie nous rappelle que la sagesse
devrait faire bon ménage avec le respect de l'environnement, donc
avec les énergies renouvelables...
Le bon sens, qu'il ne faut pas accommoder le beau
mot de philosophie à toutes les sauces...
Ainsi trouve-t-on aujourd'hui, "la philosophie de
l'entreprise" quand elle a, tout au plus, une "stratégie commerciale"
et que l'on pose désormais la question rituelle : " Pourquoi une
telle philosophie ?" à quelqu'un qui vient tout simplement... de
changer d'avis.
Il faut vous dire quíentre mon année
de philo et aujourdíhui, je suis devenu un lobbyiste des énergies
renouvelables...
Réflexions non enregistrées:
(Journaliste à Systèmes Solaires: les ER par 1'exemple
- des faits toujours des faits - La Californie, Faut-il être photovoltaïquement
correct ?
Directeur de l'Observatoire des ER: des études et des chiffres.
Co-fondateur de la Fondation Energies pour le Monde: des actions à
l'interface de l'environnement et du développement, de l'humanitaire
et de l'industrie...)
Regardons un instant ce qui se passe aujourd'hui
en France et en Europe, des infos qui, à mon sens, concernent la
Confédération helvétique de très près...
De fait, si l'Europe n'est pas encore celle des
philosophes, elle devient pourtant l'Europe des énergies renouvelables.
Force est de constater que - par effet de synergie - la somme des énergies
renouvelables de l'Union européenne est "supérieure" à
la simple addition des politiques "énergies renouvelables" des 15
pays membres.
De livre vert en livre blanc, l'Europe discute actuellement
de la directive sur "l'accès au réseau électrique
communautaire de l'électricité produite à partir des
énergies renouvelables". Annoncée par le commissaire européen
à l'énergie Christos Papoutsis pour la fin de l'année
1998, celle-ci n'a toujours pas été signée.
Les principaux points de ce texte sont les suivants:
- la directive imposerait à la France, comme
aux autres pays membres de l'Union européenne, de prendre des mesures
nécessaires pour que d'ici au 31 décembre 2005:
- quela production d'électricité à
partir des renouvelables - hors hydraulique supérieure à
10 MW et y compris les déchets - soit au moins équivalente
à 5 % de la consommation électrique intérieure.
- que la part de la production d'électricité
à partir des énergies renouvelables dans la consommation
électrique intérieure soit supérieure de 3 % au moins
à ce qu'elle était en 1996.
Les raisons du retard sont les intenses tractations
qui ont lieu entre les différents pays. Deux points sont particulièrement
discutés:
- l'exclusion de la grande hydraulique du champ
d'application de la directive. Cela ne favorise pas des pays comme la France,
la Finlande, l'Italie, l'Espagne et la Suède qui tirent respectivement
de la grande hydraulique 12 %, 15 %, 16%, 21 % et 41 % de leur production
totale d'électricité. (et 57 % soit 34,7 TWh pour la Confédération
!).
- la volonté de la Commission européenne
d'uniformiser les modalités de soutien aux renouvelables. En effet,
même si la Commission entend laisser à chaque Etat le soin
de choisir les filières à aider en priorité, elle
aimerait que le système de prix d'achat en vigueur soit abandonné
au profit d'appel à proposition avec mise en concurrence des projets.
En 1997 en France, il a été produit
environ 9,4 TWh d'électricité d'origine renouvelable, hors
grande hydraulique (supérieure à 10 MW installée).
Cette production se décompose de la manière suivante.
Micro-hydraulique 7 TWh
Biomasse/déchets 2,4 TWh
Eolien 0,02 TWh
Photovoltaïque 0,0075 TWh
Total 9,43 TWh
La grande hydraulique a produit en France en 1997,
61 TWh (soit 9 fois plus que la micro-hydraulique).
Il a été consommé en 1997 en
France 438,5 TWh d'électricité.
Ainsi l'électricité d'origine renouvelable
représente actuellement 2,15 % (sans la grande hydraulique)
de la consommation électrique intérieure. Si on ajoute la
production de la grande hydraulique, on arrive à 16 %.
Que représente, en électricité,
une part de 5 % de la consommation électrique intérieure
en 2005?
Si on part du chiffre de 1997 (438,5 TWh) auquel
on applique une hypothèse de croissance annuelle de 1,6 % pour les
huit prochaines années, on aboutit à une consommation de
498 TWh en 2005.
L'objectif de 5 % équivaudrait ainsi à
une production d'électricité d'origine renouvelable de 24,9
TWh en 2005.
Par rapport au 9,4 TWh produit en 1997, il faudrait
donc que la France améliore sa production de 16,6 TWh supplémentaires
à partir de la micro-hydraulique, de l'éolien, de la biomasse
et du photovoltaïque. Nous avons l'avenir devant nous...
Après ce bref exposé franco-européen,
traçons ensemble quelques lignes de réflexion.
1979 - 1999, c'est le temps qu'il a fallu pour passer du titre de ce
colloque qui aurait été
1979 : les énergies renouvelables une réalité,
point
d'interrogation.
à
1999 : les énergies renouvelables une réalité,
point
d'exclamation.
Quel parcours, je devrais même dire point
de jubilation, si ce dernier existait !
Parce qu'ici, dans cette enceinte, il convient bien
de dire que les énergies renouvelables ne sont plus de pures chimères
mais de solides réalités.
Pour cela il a fallu accepter de grandir et devenir un peu sérieux.
Pour cela il a fallu renoncer aux simplismes et aux manichéismes.
Pour cela il a fallu renoncer aux mythes fondateur.
Pour cela il a fallu accepter de passer de l'Utopie à la réalité...
Exemple de simplisme: il suffit de mettre une tôle
noire au soleil pour fabriquer son eau chaude. Non, il a fallu au contraire
se frotter avec la technologie, s'apercevoir qu'un capteur ça pouvait
geler, étudier la pathologie des systèmes et se rendre compte
que les faits, comme les plombiers, sont têtus et ont finalement
bien raison de l'être.
Autre exemple de simplisme: le solaire n'envoie
pas de facture. Ce slogan génial a été en fait ravageur.
Il a popularisé l'idée sympathique d'un soleil gratuit et
économiquement hors champ. Funeste approche!
Le solaire c'est cher parce que l'on achète
d'un seul coup un appareil de production et les kWh qui vont avec pendant
quinze ans.
Le solaire c'est cher parce que quand une filière
économique démarre, les premiers prototypes ne gagnent pas
immédiatement la course.
Le solaire c'est cher parce qu'il faut bien accepter
de payer plus cher ce qui est plus propre!
Dernier exemple de simplisme : le solaire contre le nucléaire.
Ce slogan a seulement pour lui le fait de savoir faire rimer solaire et
nucléaire. Ceux qui l'ont utilisé, ont joué contre
leur camp.
Le positionnement stratégique des énergies
renouvelables n'a pas à être contre. Il a à être
pour.
Quel que soit l'opinion que l'on se fait sur l'atome, il ne faut
pas instrumentaliser les énergies renouvelables pour en faire
un appareil de guerre contre les autres énergies. En d'autres termes,
on ne part avec une fronde à l'attaque d'un char d'assaut.
Il a donc fallu se positionner sereinement dans
la technologie, dans l'économie, dans la stratégie politique.
Sortir des péchés de jeunesse et du fantasme de la toute
puissance, entrer dans le dialogue pour avoir le droit de jouer dans
la cour des grands et... y être reconnu.
Il a fallu tordre le cou à la maison autonome,
rendre à Carnot ses principes et surtout s'affranchir d'un maximalisme
pervers au nom duquel seuls 100 % d'énergies renouvelables signeraient
le triomphe de la filière... et de nos idéaux.
(Exemple d'un acteur de l'éolien...)
Peut-être sommes nous là plutôt
dans la pédagogie, la psychologie ou la physique, mais après
tout comme vous le savez, la philosophie, comme le journalisme, mène
à tout!
Quels constats pouvons nous faire aujourd'hui?
- C'est que les éoliennes (9.615 MW installés fin 98)
sont une réalité qui viendra rivaliser à terme avec
les grandes énergies conventionnelles (100.000 MW en Europe d'ici
2020, soit 10% de la consommation électrique) et que leur succès
est le succès d'une énergie disponible sur le réseau.
- C'est que le sujet - plus que jamais à la mode avec l'ouverture
du grand marché européen de l'électricité -
est la tarification verte, le green pricing, dont les premiers enseignements
montrent que des citoyens "éco-responsables" acceptent de
payer plus cher les kWh qui leurs seront
contractuellement garantis propre ou renouvelable.
- C'est que l'énergie photovoltaïque qui n'existait que
pour les satellites au début des années 70, va rendre des
services épatants à deux milliards de ruraux pauvres
du monde en développement.
- c'est que l'or du méthane contemporain se fabrique - et se
récupère - dans nos poubelles.
- c'est que les gouvernements arrivent, bon an mal an et accord de
Kyoto aidant, à créer des taxes sur les produits polluants.
Seuls ou collectivement nous devons accepter de
payer plus cher une énergie plus propre ! Voilà paradoxalement
la seule utopie à laquelle nous ne voulions pas croire. (nous avons
pourtant fait la même chose avec l'eau, autrefois gratuite...)
Mais pourtant, que peut faire le citoyen qui sait,
lui, qu'un minimum de confort est nécessaire à la philosophie
: "primere vivere deinde philosophare", si ce n'est concrétiser,
via son porte-monnaie, le difficile concept de développement
durable?
Un développement durable pour lequel on pourrait
se risquer à donner quelques appellations moins hermétiques
: comme gestion patrimoniale des ressources de la planète
pour, qu'au moins les banquiers et les bons pères de famille, puissent
comprendre...
Cette transition vers le durable, vers le soutenable,
pour dire aussi combien les énergies renouvelables sont devenues
des technologies emblématiques de la réconciliation de l'environnement
et du développement.
Oui les énergies renouvelables, qui après
avoir été servies par la peur, fondée, du prix élevé
du baril de pétrole, sont aujourd'hui servies, par la crainte, fondée,
du réchauffement global du climat.
Prisonnière de l'effet de serre, encombrée
de déchets nucléaires, peuplée de femmes et d'hommes
toujours plus nombreux à consommer de l'énergie, notre
bonne planète va devoir laisser une place honorable aux énergies
renouvelables.
Des énergies renouvelables qu'il serait sot
de vouloir "durablement" extraire du marché" ordinaire " de l'énergie,
soit en ne faisant pas l'effort d'aller vers la compétitivité,
soit en proclamant naïvement qu'elles sont et doivent rester gratuites.
Des énergies renouvelables qui émargent
à un monde de la complexité et qui ne peuvent pas, au nom
de leur remarquable singularité, refuser les règles communes.
Par un triple mouvement, les énergies renouvelables
ont dans un premier temps:
- voulu faire plier la réalité à leur originalité.
(Souplesse, autonomie, gratuité... small is beautiflil...)
dans un second temps:
- c'est la réalité qui s'est imposée aux énergies
renouvelables. (retour à l'économie, à la technologie,
à la compétitivité...)
dans un troisième temps:
- les énergies renouvelables sont des énergies du
flux. Elles restent inépuisables et non polluantes.
En philo on appelle ça : la dialectique du
maître et de l'esclave...
Pour celles et ceux qu'un trop brutal retour à
la réalité peinerait vraiment, je veux dire que si la réalité
des énergies renouvelables est plus souriante que jamais, c'est
que justement les énergies renouvelables et ceux qui les promeuvent
sont dans la réalité.
Pour celles et ceux qui ne seraient pas du tout
convaincus par cet exposé et qui auraient encore du mal à
faire le deuil de l'utopie, je dirai, en forme d'antithèse, qu'ils
ont aussi raison, parce que l'utopie, il faut en avoir beaucoup... car
elle réduit à la cuisson!
En guise de pirouette prospective, je ne vous demanderai
pas de trouver quel sorte de point il conviendra de mettre au titre d'une
prochaine journée sur le sujet!
Mais si celle-ci devait avoir lieu, par exemple
en 2053 (j'aurai 100 ans...), je vous suggèrerai l'intitulé
suivant : Les Energies Renouvelables : une réalité et
un pléonasme.
Point final, Merci !