Le premier axe, de la
responsabilité du Département de la sécurité
et de l'environnement et de mon collègue Jean-Claude Mermoud, concerne
tout le domaine de l'énergie, son «extraction», sa transformation,
son utilisation. Et ce département a l'intention de développer
cette mission à l'avenir, notamment de manière à contribuer
aux engagements internationaux pris par la Suisse en matière d'émission
de gaz à effet de serre.
Le défi est considérable, puisque
nous sommes dans un pays - et un canton - qui importe plus de 80% de l'énergie
qu'il consomme, principalement sous forme de produits d'origine fossile.
Or à long terme, nous devront parvenir à
nous passer presque entièrement de ces sources d'énergie,
parce qu'elles sont fortement polluantes, au point de menacer les conditions
de vie sur notre planète, et parce que leur épuisement est
programmé dans un horizon relativement proche, 50 ans pour les pessimistes,
100 ans pour les optimistes.
N'oublions pas également que le pétrole
est une matière première indispensable pour fabriquer des
produits très utiles, notamment dans le domaine de la santé,
et qu'il représente, au même titre que l'hydroélectricité,
une source trop précieuse pour être simplement dégradée
en chaleur.
Le défi est considérable, disais-je,
mais il est tout à fait raisonnable. Que l'on songe simplement à
l'immense potentiel de substitution que représentent, en tout premier
lieu et avant les énergies renouvelables, les économies à
réaliser par rapport à notre consommation actuelle, proche
du gaspillage dans nombre des domaines. Il est par exemple estimé
en Allemagne que les appareils laissés en position de veille (stand
by) consomment actuellement l'équivalent d'au moins une centrale
nucléaire sur les vingt en exploitation.
Autre exemple impressionnant qui touche la consommation
énergétique des bâtiments:
Un bâtiment résidentiel moyen sur le
Plateau suisse consomme l'équivalent de 19 litres de mazout par
mètre carré de plancher, ce qui correspond à la consommation
d'une grosse voiture américaine.
Un bâtiment construit en 1990 avec une bonne
isolation consomme l'équivalent de 9,51 de mazout par mètre
carré, ce qui correspond à la consommation d'une voiture
européenne moyenne.
Un bâtiment qui se construira selon le standard
Minergie, c'est-à-dire bien isolé et utilisant au mieux les
gains solaires passifs, consommera l'équivalent de 5 litres de mazout
au mètre carré, ce qui correspond à la consommation
d'une voiture économique en carburant.
Nous sommes dons capables aujourd'hui de construire
des bâtiments qui consomment, pour le chauffage, l'éclairage,
l'eau chaude, etc. deux fois moins d'énergie qu'il y a vingt ans.
Et les vingt ans à venir devraient voir une nouvelle division par
deux, à condition que les progrès soient encouragés
ou, à tout le moins, qu'ils ne soient pas découragés.
Or, il faut bien líadmettre, le prix actuel
de l'énergie fossile est une aberration écologique; parce
qu'il est possible de puiser dans les réserves accumulées
sur des millions d'années, l'économie et les ménages
favorisent les énergies les plus polluantes et les utilisent souvent
sans retenue.
A défaut d'une forte hausse des prix de production
du mazout et du gaz, la réduction des besoins en énergies
et surtout le développement des énergies renouvelables devront
être concurrentiels pour s'imposer sur le marché. Cela ne
pourra se faire qu'à la condition d'appliquer le principe du pollueur-payeur,
d'une part en taxant les énergies non renouvelables et les consommateurs
qui gaspillent de l'énergie, d'autre part en faisant bénéficier
de tout ou partie de cette taxe ceux qui économisent l'énergie
ou utilisent les énergies renouvelables.
La confédération a des projets dans
ce sens, et le canton de Vaud aussi : j'ai le plaisir de présider
un groupe de travail sur la fiscalité écologique qui s'est
réuni pour la première fois il y a une semaine.
Ces mutations sont une chance économiques
pour la Suisse et pour le Canton de Vaud, à condition de ne pas
retarder les mesures incitatives que permet la nouvelle loi fédérale
sur l'énergie, contre l'avis de quelques représentants de
l'industrie qui refusent de regarder au-delà du profit immédiat
et considèrent le marché des énergies renouvelables
comme marginal et peu rentable.
Il appartient à l'Etat de mettre en place
les conditions cadres favorables pour que la Suisse figure parmi les pays
de pointe en la matière, avec ce que cela signifie en créations
d'emplois durables et de proximité.
L'exemple de la Finlande, pays de 5 millions d'habitants,
est à ce sujet révélateur. Les programmes de recherches
que ce pays a développés pour l'utilisation de la biomasse
comme ressource énergétique ont un impact économique
important puisque l'exportation de ces technologies représente en
1998 le double des importations de pétrole. Ce qui équivaut
à une valeur d'environ 3,4 milliards de francs.
La Finlande est leader européen en matière
de bois-énergie, qui représente les 17% de sa consommation
énergétique, contre 2,5% pour la Suisse.
Comme la Finlande, nous avons toutes les qualités
requises pour nous profiler dans le créneau des énergies
renouvelables : un réseau de compétences locales, une expérience
et une pratique. Notre approvisionnement énergétique relativement
diversifié est également un atout: nous comptons déjà
presque un cinquième de la consommation en énergies renouvelables,
principalement sous forme hydraulique, et de potentiels de développement
importants existent, avec d'autres sources d'énergies disponibles
sur place. Le bois et le solaire réunis pourraient fournir à
terme autant d'énergie utile que l'hydraulique aujourd'hui. Des
réserves non négligeables existent aussi avec le biogaz,
le vent et la géothermie.
Cette décentralisation des sources d'énergie
est une chance, car elle sécurise notre approvisionnement et diminue
considérablement les besoins en transports, avec tous les risques
d'accident et les atteintes qui sont liés à la distribution
d'énergie. Cette approche est d'ailleurs défendue par les
milieux écologistes qui voient depuis longtemps les dangers de mettre,
comme en France avec le nucléaire, tous ses oeufs dans le même
panier. Mais les électriciens traitaient, avec ce qu'il faut bien
appeler de l'arrogance, celles et ceux qui contestaient leur vision centralisatrice
basée sur la croissance des besoins et l'augmentation de l'offre
à n'importe quel risque.
J'ai parlé de deux axes dans la politique
de l'Etat en matière d'énergies renouvelables et j'en viens
maintenant au second : la possibilité de l'Etat
en tant que constructeur et propriétaire de bâtiments, domaine
qui est de ma responsabilité.
Cela fait plus de vingt ans que l'Etat expérimente
dans le domaine des énergies et des énergies renouvelables
pour ses propres bâtiments. Il a aussi installé plusieurs
chaudières à bois, des systèmes au biogaz, des pompes
à chaleur, des installations solaires actives et passives. Le prix
énergie 1986 de la SIA a d'ailleurs récompensé la
réalisation du bâtiment des archives cantonales en matière
de rénovations, notamment dans les cures, et a prouvé que
la préservation du patrimoine n'était pas incompatible avec,
par exemple, une installation solaire active.
Compte tenu des contraintes constructives et des
difficultés d'intégration, l'utilisation des énergies
renouvelables est cependant plus problématique dans les bâtiments
existants que dans les bâtiments nouveaux.
Je souhaite maintenant renforcer cette responsabilité
écologique de l'Etat, qui doit expérimenter et montrer l'exemple
en soutenant la création d'installations innovatrices.
L'action de l'Etat doit aussi s'exercer selon le
principe de la plus grande efficacité, et le travail du Service
des bâtiments s'organise dans ce sens : ce principe simple veut que
les économies d'énergie sont d'autant plus importantes que
l'on intervient en amont du processus de construction. Cela paraît
évident, mais n'est pas toujours simple à appliquer.
Intervenir en amont, c'est avoir le courage de remettre
en question le principe même de la construction. Car la plus grande
économie est souvent réalisée en se contentant d'une
utilisation plus judicieuse et d'une isolation plus performante de l'existant,
donc en renonçant à un nouveau bâtiment, même
la pointe en matière de concept énergétique.
Deuxième plus grande source d'économie
d'énergie, une bonne définition des besoins des utilisateurs:
les surfaces réclamées sont-elles judicieuses? Les normes
de référence ne sont-elles pas trop contraignantes? Les standards
d'aménagement sont-ils justifiés? Etc.
Il faut ensuite, et bien sûr, construire durable,
c'est-à-dire viser à maintenir la valeur d'utilisation des
bâtiments pendant un maximum de temps. Construire durable, c'est
consommer moins de matières premières et entraîner
une diminution proportionnelle de l'énergie grise, des rejets polluants
et des déchets résultant de la production, des transports
et de la démolition. C'est également mieux rentabiliser les
investissements consentis pour la réalisation et la maintenance.
Une fois le bâtiment construit, il convient de l'exploiter écologiquement,
ce qui suppose d'impliquer les utilisateurs si possible dès la conception,
pour qu'ils soient partie prenante des choix architecturaux et techniques
effectués.
On le voit, l'écologie du bâtiment
ne se réduit pas à fournir clés en mains des immeubles
à faible consommation énergétique; il faut que les
services constructeur et exploitant se donnent les moyens d'une réflexion
en amont du projet et d'un suivi dans la durée. Le service constructeur
ne peut donc pas se contenter de fonctionner comme une entreprise générale
de construction, même labellisée écologique, mais doit
se profiler comme un centre de compétences en matière d'écologie
du bâtiment, capable d'accompagner un projet "du berceau à
la tombe", depuis les premières définitions du besoin jusqu'à
sa démolition si celle-ci se révèle un jour une solution
écologiquement justifiée.
Je vous ai abondamment parlé des projets
et ambitions de l'Etat: or celui-ci ne peut remplir seul ses objectifs
en matière de développement durable. Il ne s'agit pas seulement
de réduire les émissions de gaz à effets de serre.
Le problème de fond est la crise énergétique qui éclatera
vraisemblablement dans 20 ans, lorsque la croissance démographique
et le développement du tiers-monde feront exploser la demande.
Ces 20 ans à venir nous donnent juste le temps pour développer les énergies renouvelables et notamment progresser dans le domaine de l'accumulation d'énergie, que ce soit le stockage de chaleur pour les bâtiments ou la capacité des batteries alimentant les moteurs électriques des véhicules urbains.
Cet objectif, qui vise à garantir les meilleures conditions de vie possibles sans hypothéquer celles des générations futures, nécessite la coopération de tous, que vous soyez maîtres d'ouvrages, fournisseurs, constructeurs ou consommateurs privés.
Vous êtes ici justement pour vous informer et en discuter. Je
ne vais donc pas retarder plus longtemps l'entrée dans le vif du
sujet et vous souhaite un séminaire agréable et écologiquement
constructif.