Résumé, commentaire et analyse
(Travail fait en accord avec l'auteur de la conférence)
Yves Renaud, CERN
(septembre 1999)
ANALYSE
La problématique énergétique est un problème aux dimensions non seulement techniques, économiques, politiques et environnementales mais aussi géographiques: localisation / production / consommation. Elle est donc encore plus un fait de société qu'un problème technique: ça ne devrait plus être seulement un "scénario" de le montrer, le monde devra pouvoir continuer à se développer au même rythme mais avec beaucoup moins d'énergie, en prêtant la plus grande attention aux besoins finaux de l'utilisation énergétique et en cherchant le meilleur usage possible des énergies. Ainsi, plutôt que de choisir entre les différents risques (par exemple le ressassé "risque nucléaire contre effet de serre"), «comment produire deux fois plus de bien-êtreavec deux fois moins de matières premières et d'énergie?» sera probablement l'une des grandes questions du prochain siècle.
Le défi demeure donc celui d'assurer une base énergétique moins centralisée, par le recours aux ER: soleil (et pas seulement par le "PV" !), marées (pas seulement la Rance !), le vent, la géothermie et bien sûr la biomasse, mais - nous en avons parlé - qui soit également moins vulnérable aux bouleversements naturels ou... politiques. A ce sujet, comment ne pas répéter qu'il faudra que ce soient d'abord les "politiques" qui, au-delà des moyens, précisent le SENS de notre société et de notre civilisation [162], et ensuite les "experts" qui indiquent les outils; il faut que ce soit les premiers qui fournissent aux seconds les perspectives ou les options de développement et NON LE CONTRAIRE: ne dirait-on pas que «ces derniers décident "sous experts officiels" (comme on agit "sous hypnose") de leurs intérêts, en veillant en outre à ce qu'ils ne dérangent en rien les chères habitudes du consommateur-électeur» [163]?
Mis à part l'allusion au «risque inquiétant du Golfe», serait-il donc faux et même, encore une fois, osé de faire de la prospective politique mondiale? Les "courbes de Marchetti" risquent ainsi de laisser penser qu'il y a un "Sens de l'histoire", comme une architecture mondiale qui serait synthétisée par la globalisation mais aussi par les guerres économique et... énergétique; le tout pouvant finalement passer par le refus de transformations pourtant inéluctables, celles du FMI, de la Banque Mondiale ou du Conseil de Sécurité [164].
Est-il permis une image inattendue mais ô combien parlante dans notre civilisation occidentale? Un développement durable de celle-ci peut-elle vraiment exister si líon continue à... "piocher" (une seconde fois dans tous les sens du mot!) dans notre "capital" que sont les ressources non renouvelables, à la place díutiliser nos "intérêts" (comparaison encore tellement plus vraie!) que sont les ER?
S'il ne peut être contesté que les premières sont physiquement limitées et qu'à long terme (une ou deux générations peuvent-elles qualifiées ainsi?) il ne sera plus possible d'éviter des tensions si l'on ne prend pas de mesures de substitution adéquates et... rapides. Une chose est sûre, le recours aux secondes n'a guère de sens - quête incontournable des temps à venir... - s'il ne s'accompagne pas d'un changement de comportement des humains: volume des habitations, déplacements individuels, vacances, consommation informationnelle et médiatique, nourriture (pourquoi exiger de manger des fraises ou des tomates à Noël, sans parler des surgelés?!). Une autre question est même de savoir si une source illimitée d'énergie («10'000 ans») serait vraiment un bienfait pour l'Homme et la Biosphère: n'entraînerait-elle pas au contraire un monde déstabilisé, dans la (dé!)mesure où toute action, même pacifique, ne connaîtrait plus de frein?...
La principale ressource d'économie d'énergie est sans doute d'ordre politique, mais elle est encore plus d'ordre culturel: il faut certes s'attaquer à de puissants "lobbies" (nucléocrates et automobiles) mais aussi à nos comportements individuels profondément ancrés. Au delà des solutions techniques (utilisation rationnelle, technologies "propres" [165], moyens de prévention et réparation des dommages), c'est dans ce sens qu'il convient d'aller: tout laisse à penser en effet que les solutions techniques, bien qu'indispensables, ne peuvent se suffire à elles-mêmes, d'autant que plus les innovations techniques sont lourdes pour devenir systématiques (dans le domaine du nucléaire elles mettent 15 à 20 ans!) et efficaces (relatif quand on pense une nouvelle fois au nucléaire!...), donc en retard sur l'explosion (projetée...) de la consommation énergétique.
Ainsi les choix de société prendront au moins autant d'importance et plus rapidement que les choix technologiques, ce qui permet de dire qu'on a moins besoin d'innovations techniques que d'innovations politiques (innovations dans les domaines de la réglementation, de la tarification, de la fiscalité et partant, des institutions). Les premières ne devront donc jamais remplacer les secondes, sans compter qu'elles ne font souvent que retarder celles peu coûteuses qui sont de plus, ne líoublions jamais, celles utilisables par les pays "pauvres". Ainsi, la maîtrise de l'énergie et l'efficacité énergétique pourront enfin devenir volontaristes et non plus n'être qu'un "supplément d'âme" (P. Radanne). Ce qui peut aussi se traduire ainsi: «Ecological economics, according to a definition proposed by Daly, Costanza and Norgaard, aims to provide a framework for the equitable distribution of resources and property rights within the present generation of humans, between current and future generations and between humans and other species» [166].
Maintenant, et nous y revenons une dernière fois, que le choix démocratique aujourd'hui ait besoin, sur nombre de questions, d'informations scientifiques ou de moyens techniques, rien de plus évident; mais que ces nécessaires expertises soient déterminantes, rien de moins certain. Car si la science maintenant pose plus de questions qu'elle n'en peut résoudre et élimine plus de fausses réponses qu'elle n'en peut donner de vraies (et cela est déjà beaucoup), si la recherche scientifique nous a alertés sur le trou d'ozone, l'effet de serre, l'hiver nucléaire, pour s'en tenir à notre propos et... aux gros titres des journaux, c'est elle aussi qui se révèle incapable de conclure rapidement et assurément à l'étendue, aux causes et aux remèdes de ces dangers. Constatons ses limitations au lieu d'en attendre des miracles puis de lui reprocher son impuissance. L'illusion de l'expertise ainsi dissipée éloigne la tentation de "l'expertocratie", forme moderne du despotisme (prétendument) éclairé.
Donc, même et surtout parce qu'on lui en fournit les moyens, la technique ne permet pas de faire n'importe quoi: elle reste soumise aux lois naturelles, elle demeure tributaire des ressources disponibles et est limitée à un certain rythme d'évolution (en serait-elle pour autant... renouvelable?); comme le disait tout récemment, au dernier congrès AAPG à San Diego, John Masters, le découvreur du plus grand champ de gaz du Canada: Elmworth: "Technology has its role and I don't mean to diminish it -but the world is changed by dreamers" [167] .
Enfin, il est plus que jamais nécessaire de réfléchir sur la rationalité et (ou) la pertinence des démarches scientifiques (ou supposées telles) et plus précisément de celles des "technosciences" et partant, de leur pouvoir [168]: l'homme sait maintenant qu'il est seul face au monde et surtout face au savoir qu'il en a [169].
Une sorte de "nouvelle alliance" est donc nécessaire, qui doit s'établir entre le scientifique et l'humaniste, le premier sachant qu'íil doit se montrer attentif à d'autres valeurs que les siennes. La certitude que le savoir [170] est avant tout humain nous aidera à affirmer que les retombées du pouvoir (technologique et... politique) se font sur l'homme et son milieu même: on réalisera ainsi qu'aujourd'hui, les dégâts et les risques liés à l'augmentation de la production et de la consommation d'énergie dépassent trop souvent les avantages qu'on en retire: par exemple, sommes-nous réellement conscients qu'en augmentant les moyens de production, nous augmentons proportionnellement le facteur risque (partant du principe qu'«on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs»)?. Nous voyons donc bien que la problématique de l'énergie n'est pas qu'un problème... d'énergies: «Sans énergies, pas d'énergie!» (Fondation Energies pour le Monde); cela montre aussi la nécessité de "l'irruption" de l'écologie, au sens le plus large, dans l'économie; en matière d'énergies alternatives bien sûr, mais également et même surtout en matière sociale: en termes de savoir-faire, d'emplois nouveaux [171], de pratiques nouvelles, du fait de la montée de l'éthique en "avant-scène"; étant créée par l'humain, toute dimension économique n'a-t-elle pas une dimension éthique?