RÉSEAU SOL(ID)AIRE DES ÉNERGIES !
CONFERENCES
LE DEFI DE L'ENERGIE AU 21ème SIECLE
Robert Klapisch
Conférence donnée au CERN
(9 février 1999)

Résumé, commentaire et analyse
(Travail fait en accord avec l'auteur de la conférence)
Yves Renaud, CERN
(septembre 1999)


XI / Conclusions du conférencier
«Droit à l'énergie à tous les humains du 21ème siècle: faire face à un accroissement considérable de la demande»
Le philosophe semble avoir répondu à cette affirmation en disant: «On peut tout demander aux hommes: c'est pourquoi il ne faut pas le faire» [148]; paraphrasons avec «on peut tout offrir aux hommes: ce n'est pas suffisant pour le leur donner». Et ce n'est pas sûrement pas leur rendre service, ainsi qu'aux générations futuresla puissance et même la civilisation des sociétés industrielles sont fondées sur les emplois de l'énergie, ne devraient-elles pas plutôt se mesurer plus par leur... "rayonnement" que par leurs abus et leurs capacités de destruction?! [149]
 
«Le discours consistant à dire: on n'a qu'à se priver, on va prendre le vélo, ne signifie rien parce que ceux qui tiennent ce discours sont des gens nantis; dire à la Chine, l'Inde, l'Indonésie de ne pas faire les mêmes bêtises que nous, de vivre sainement, boire de l'eau, etc., je crois que c'est un discours éthiquement condamnable»
Cette affirmation - semblant conférer une "note éthique" à la discussion -, permet en fait de nous dédouaner sans trop de douleur, pays les plus industrialisés, de nos capacités de consommation effrénées: mais cela permet aussi "d'enterrer" (quelle ironie quand on sait qu'elles viennent TOUTES du soleil!!) les ER, alors qu'elles sont les plus abondantes dans les pays non-industrialisés... Continuons donc "d'inonder les autres" de nos déchets, pollutions, violences, luxes et autres publicités?

Si on peut être étonné, dans un tel contexte global (besoins primordiaux et financiers, ressources énergétiques et humaines, pollutions, etc.) de l'absence totale de référence à une véritable aberration, je veux parler de la "Dette", le "principe de précaution" a lui, été (à peine) effleuré. Même si la liste suivante risque de ressembler à une liste "à la Prévert" - vache folle, amiante, sang contaminé, trou d'ozone, organismes génétiquement modifiés (OGM), pollutions de l'air ou de l'eau et... déchets nucléaires" -, tous ces "événements" partagent deux caractéristiques frappantes: ils sont les conséquences du progrès des sciences et des technologies, et malgré cela, ils sont mal maîtrisés, mal mesurés et comportent une inquiétante part d'incertitude [150]Alors, faut-il attendre des preuves absolues (mais cela existe-t-il?!) pour limiter les dégâts [151]? Il sera alors sans doute trop tard: le principe de précaution recommande de réagir avant.

Mais contrairement à une crainte très souvent exprimée, nous n'en sommes pas encore au moment où ce principe, largement appliqué, bloquerait toute la "machine": on en est plutôt au moment où, comme il n'est absolument pas appliqué, on prend souvent toutes sortes de mesures insuffisantes... Alors agir comment? On s'en doute, ce "principe" n'apporte pas de solution précise, mais un facteur apparaît essentiel: regagner la confiance du public et çà, l'orateur s'en est "évidemment" saisi avec son: «Une nouvelle vague - de l'énergie nucléaire - (vers les années 2020-2030) ne pourra survenir qu'à travers une révolution technologique assurant son acceptabilité»[152]...

Le succès de cette technologie suffira-t-il seul à contribuer à une meilleure acceptation de la communauté à toute l'industrie nucléaire? Et si la technique "nouvelle" sera effectivement plutôt novatrice, n'avons nous toujours pas à «faire face aux défis de demain avec des idées d'hier et des institutions d'avant-hier» [153]?

De par la faible part du nucléaire dans líénergie mondiale, il est possible de résumer ainsi le jugement d'une grande part de la communauté scientifique: le débat sur le recours ou non à cette énergie est NEGLIGEABLE d'un point de vue global (même si son rôle futur est toujours âprement discuté), point effleuré dans la conférence, mais pour nous préparer à une toute autre conclusion: «hors du "nucléaire nouveau", point de salut»! Et pourtant, paradoxalement, aucun doute là-dessus: considérer le très long terme de la gestion de la planète, bien au-delà de notre propre temps historique, "l'aventure nucléaire" nous y a introduit, nous y force et nous y forcera: si elle a ainsi inauguré une nouvelle classe de problèmes, elle a été et restera une sorte de laboratoire - trop rapidement défaillant - en matière de risques, de problèmes sociétaux et de démocratie des choix industriels.

Cependant, en déclarant que l'utopie technoscientifique n'est pas la seule issue à la survie de l'humanité, il ne s'agit évidemment pas de vouloir «remplacer les experts - actuellement trop souvent expert en communication - par des assemblées populaires, mais d'admettre que le "public a sa propre rationalité», comme le dit Claude Gilbert, politologue au CNRS et de dire que «la légitimité des actions collectives ne peut reposer uniquement sur des considérations scientifiques, (donc) DEBATTRE, débattre, etc. sans négliger le "risque" de récupération de démagogues ou de groupes de pression» [154].

Il faut relever que la notion de doute et d'incertitude en matière de gestion des risques est complètement différente selon qu'elle perçue par des scientifiques - dont la démarche a en quelque sorte le doute comme moteur de l'analyse et de l'expérimentation - ou par l'opinion publique pour la quelle il est un état de chose qui pousse à la méfiance. On dit que la justice est aveugle, on le dit aussi souvent de la science, mais l'homme (et la femme!) de la rue lorsqu'il est aveugle, trébuche; cette incohérence doit aussi être une des tâches du politique et les paragraphes "démocratie" ont tenté d'en apporter un éclairage, sinon une réponse.
 
«Il faut faire des recherches sur toutes les énergies, recherches soumises actuellement au court terme et handicapées par le bas prix du pétrole, améliorer la prospection pétrolière, améliorer les rendements (des moteurs de voitures), combattre l'effet de serre en augmentant la part de H2, en attendant la (venue de la) pile à combustible dans les 15 ans, avec un rendement de 80%»

Toute solution passe "naturellement" par la diversité. Il faudra passer de quelques "grands programmes" à des projets plus modestes mais plus nombreux, ainsi que tenir compte de l'ouverture des marchés: «il n'y a pas de réponse globale à des problèmes globaux, il y a des solutions diversifiées selon les géographies, les économies, les ressources et... les événements! En 2100, vous n'aurez ni un tout-nucléaire ni un tout-charbon, mais une dizaine de sources énergétiques, distribuées à même échelle: du charbon, du pétrole, du soleil, etc. Vous n'êtes pas non plus tout-renouvelable, parce que vous ne savez pas faire. En 2100, on doit avoir 60% de renouvelable et 40% de fossile» [155]:

scénario Noé
Scénario "Noé":
Du côté approvisionnement en énergie, ce scénario tient compte de la considérable inertie des systèmes 'nergétiques et des réalités régionales. On imagine mal en effet que la Chine renonce dans les prochaines décennies à utiliser ses réserves de charbon ou que le Groenland, compte tenu de sa population, parvienne à valoriser ses ressources en énergie éolienne, enfin, l'énergie nucléaire est considérée comme une énergie de transition, dont l'emploi reste confiné aux pays les plus industrialisés et dont l'utilisation décline lentement à compter du premier quart du XXIème siècle[156].

Le CME ajoute d'ailleurs que «45% des ER seront couverts par l'exploitation moderne de la biomasse, le reste se partageant entre le solaire (thermique et PV) 20%, éolien 15%, géothermie 7%, petite hydraulique 9% et 3% de l'énergie marémotrice et océanique thermique, le reste provenant de l'hydroélectrique; avec une surprise, ce n'est plus majoritairement dans les PVD, mais aux USA (30%), dans la CE (15%) et au Japon (10%) que sont attendues les capacités de production additionnelles: en effet, même si les ressources exploitables sont le plus souvent localisées dans les PVD, ce n'est pas là qu'est attendue la diffusion des techniques déjà suffisamment mûres et le développement des autres; dans les deux cas, politique et financement publics sont indispensables, conditions vraisemblablement jamais réunies: les pays riches qui possèdent la technologie n'ont pas grand intérêt à la céder gratuitement» [157].

Si cette dernière remarque est hélas assez juste, elle montre que les experts du CME assimilent toujours pénurie d'énergie et bon usage de l'énergie: c'est ainsi (vouloir) oublier les ressources provenant par exemple du remplacement des simples lampes à pétrole (30 fois plus d'énergie que dans les lampes "économes") et des camions et taxi-brousse (souvent 2 fois plus d'essence que leurs homologues modernes bien entretenus). De la même façon entre deux types de télévisions en couleurs haute définition (TVHD): l'une de technologie japonaise, à cristaux liquides, qui consomme 20 watts, et l'autre de technologie européo-américaine, à tube cathodique amélioré, de 500 watts, ce que nous consommions en 1950 avec nos TV en noir et blanc.

Si cela était encore nécessaire, la figure ci-dessus met bien en évidence la faible participation du nucléaire au niveau mondial et donc la possibilité "d'en sortir" sans bouleversements majeurs, pour peu qu'une volonté politique le souhaite et... le décide. On voit aussi, ce qui sans cette figure est moins évident, non seulement la participation montante du solaire (sous toutes ses formes), mais surtout celle de la biomasse (idem).

Une seule certitude: l'avenir énergétique sera, dans sa conception même, complètement autre que ce que nous connaissons, par la multiplication des filières (les systèmes combinés en sont un exemple), des opérateurs et des interconnexions (par les systèmes décentralisés). A ce sujet, la filière nucléaire, au contraire, de par sa centralisation, sa rigidité et sa complexité souffre d'une grande vulnérabilité.

Une condition concernant la "recherche tous azimuts": encore faudrait-il ne pas "piper" les budgets! Par exemple pour la France:

Premier aspect, le constat alarmant (sans être surprenant!) selon laquelle, sur les subventions aux énergies en France en 1995, 1% des crédits publiques de R&D était consacré aux ER [158], 1% aux économies d'énergie, 6% au pétrole et au gaz et... 90% au nucléaire (84% au nucléaire de fission et 6% à la fusion)! (statistique Ademe):

soutiens et subventions aux Ènergies renouvelables et nuclÈaires

Second aspect, sur le budget de la R&D, 3,9 MdF sur 6,9 sont dédiés au militaire [159]...

Et puis question prix, nous devons rester conscient que s'ils se forment par confrontation de l'offre et de la demande, ils ne sont que partiellement liés aux coûts techniques: ils sont maintenus artificiellement bas (non internalisation, concurrence sauvage, pillage des réserves, etc.) et de plus ils fluctuent sous l'influence complexe de facteurs d'ordres stratégique, politique et même psychologique (rumeurs de conflits et... de découvertes).

Encore une fois, priorité est malheureusement donnée au pétrole par accélération de la prospection; encore une fois (tout juste...) évoqué le combat contre l'augmentation de l'effet de serre qui serait résolu (on a vu que non [160]) par le nucléaire; encore une fois la simple évocation de «l'amélioration des rendements», sans aucun détail alors que, répétons-le, la lutte sur le front de l'efficacité énergétique est non seulement à la base de toutes les recherches actuelles mais la cause et/ou le signe le plus tangible de la non-corrélation consommation / PIB / bien-être... C'est aussi la stratégie qui, en permettant de limiter la consommation d'énergie, rendra crédible une participation importante des ER au bilan global (50% en moyenne) sans créer d'impacts et... de concurrences insupportables.

Un résumé de cette conférence ne pourrait-il donc pas être:
«"On" ne sait pas quelle sera l'énergie du 21ème siècle mais ne nous en faisons pas, la (techno)science trouvera ("bien") des solutions, de nouveaux moyens pour repousser les menaces: espérance d'un «"Rubbia ex machina"[161?!


Annotations:
[148]  Jean Guehenno, "La mort des autres"
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[149]  Mais des voix et des... voies commencent à explorer, après la maîtrise de la demande, celle de l'offre, même si cela fait grincer des dents!
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[150]  Ne trouve-t-on pas de plus en plus ce principe d'action «La science trouve, l'industrie applique et l'homme s'adapte» (devise de l'Exposition universelle de Chicago de 1933), traduit par Louis Armand par «Administrer un pays, c'est adapter ses structures à ses techniques» (devant les élèves de l'ENA)?
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[151]  Comment ne pas citer ici Bertrand de Jouvenel: «Prendre sans comprendre est le fait du barbare, ne comprendre que pour prendre, c'est la rationalisation de la barbarie», in Arcadie. Essai sur le mieux vivre, SEBES, Futuribles, 1998.
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[152]  Le 18ème congrès du CME de Houston (1998), a donné comme recommandations: «L'industrie nucléaire devra prendre les mesures nécessaires pour rassurer le public sur les questions de sécurité»: ce qui n'étonnera pas quiconque se rappelle que, fondée en 1924 (oui, déjà!) sous le nom de "Conférence Mondiale de l'Energie", l'organisation était au départ (déjà...) orientée sur l'industrie électrique...
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[153]  Pierre Calame, animateur de la Fondation pour le Progrès de l'Homme, De la vision globale à l'action collective, novembre 1996 (Source magazine Silence N°243, avril 1999, p. 3)
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[154]  Science et Vie, N°979, avril 1999, p. 97
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[155]  Benjamin Dessus, directeur du programme interdisciplinaire de recherche sur les technologies pour l'environnement et l'énergie (Ecotech-/CNRS), président de l'association de scientifiques Global Chance et membre du conseil scientifique du Fonds pour l'environnement mondial de l'ONU. Le premier scénario "soutenable", "Energy for a sustainable world", a été présenté en 1988 par quatre chercheurs, le Brésilien J. Goldemberg, le Suédois Th. Johansson, l'Indien A. K. N. Reddy et l'Américain R. H. Williams. Il a été publié sous le titre "Energie pour un monde vivable" à La Documentation Française en 1991. Ce scénario avait pour horizon l'année 2020. Depuis d'autres scénarios du même type ont été élaborés dont certains se fixent comme horizon la fin du XXIe siècle. C'est le cas du scénario Noé, "Nouvelles options énergétiques", élaboré par Benjamin Dessus et François Pharabod, présenté dans "Jérémie et Noé, deux scénarios énergétiques mondiaux à long terme", Revue de l'énergie, n°421, Juin 1990.
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[156]  Alternatives économiques, hors-série N°17, juillet 1993
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[157]  "L'énergie pour le monde de demain", Paris, Technip, 1993
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[158]  En comparaison, voici la part du budget R&D de la seule efficacité énergétique dans le budget "secteur énergie" dans quelques pays membres de l'AIE: Belgique 40%, Autriche, Pays-Bas et Turquie 35%, Suède 33%, Finlande 30%, Norvège 25%, Royaume-Uni et Portugal 22%, Italie 18%, Suisse 17% (et "curieusement" Allemagne 3%) Bernard Laponche et al, op. cit. p.147
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[159]  OST, Observatoire des Sciences et Techniques, année 1994
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[160]   Voir le site de l'IEER (Institute for Energy and Environmental Research) dédié à ce problème, http://www.ieer.org, mais également l'Annexe 6
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[161]  Que l'on n'y voie seulement une autre application des thèses de Marchetti aux oeuvres de C.Rubbia!...
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