Résumé, commentaire et analyse
(Travail fait en accord avec l'auteur de la conférence)
Yves Renaud, CERN
(septembre 1999)
Note: dans chaque paragraphe, les encadrés sont les déclarations ou documents de la conférence. |
I / Consommation
«L'angoisse des problèmes créés par les progrès de la consommation croissante d'énergie doit être relativisée, voire justifiée par les progrès de la civilisation». |
Le plus important est que ce n'est pas seulement valable pour l'Occident mais encore plus pour les pays "en voie de développement" (PVD) ou "pays émergeants" [8], telle particulièrement la Chine (Voir chapitre spécifique). Ainsi, nous devrions nous résoudre à prendre acte de l'augmentation «inéluctable»[9] de la consommation et à (continuer de) répondre à la demande sans s'occuper des multiples dégâts de cette (société de) consommation outrancière? Ne devrons-nous pas commencer par inverser la réflexion et partir des besoins à satisfaire au lieu des envies à exaucer?
Cette "volonté de laisser-faire" entraîne le risque d'être simplement victime, voire dupe des (erreurs de) prévisions du CME [10], sorte de "Nouvel Ordre Mondial" énergétique. Un N.O.M qui pourrait peut-être le mériter si on passait de se préoccuper d'environnement à s'en occuper vraiment: coopération économique (limitée trop souvent à des "transferts technologiques", mots tellement à la mode), pollutions mondiales (air et surtout eau avec le problème de son accès et plus exactement de sa mainmise) mais aussi désarmement. A défaut, ce "nouvel ordre mondial" est donc ainsi beaucoup plus un slogan de mobilisation qu'un véritable projet.
Heureusement, les nouveaux pays industrialisés d'abord, puis les PVD passent par une sorte d'apprentissage. Car, après un sommet de consommation énergétique par unité de PIB (le moment où de grosses infrastructures sont construites: les chemins de fer, les routes qui consomment du béton et donc de l'énergie), celle-ci commence à se saturer: on a du mal à avoir chacun sa tour Eiffel ! Eux aussi vont évoluer vers des structures qui contiennent plus de services et moins de matière, et donc consomment moins d'énergie. Cela permet d'imaginer des scénarios raisonnables (scénarios qualifiés au début d'utopiques...) beaucoup moins énergivores, à la condition d'être volontaristes.
Une interrogation malgré tout: la rareté des capitaux
leur permettra-t-elle d'opérer les substitutions nécessaires
aux énergies fossiles dans les délais qui s'imposent? Une
intégration économique de ces pays pourrait-elle seule, éviter
leur asphyxie énergétique? Craignons donc de ne voir doper
une telle "économie de type technoscientifique" que pour fortifier
une immobilité "politique". Application au Brésil: depuis
le "plan réal", les analystes ont découvert le potentiel
de 20 à 30 millions de ces "nouveaux consommateurs" qui dépassent
le niveau de... survie et accèdent à des produits plus sophistiqués.
Ils sont devenus le coeur de cible des marchands: c'est clair, sans eux,
c'est la récession, avec eux la croissance; à elle seule
- pour rester dans la même région - , cette nouvelle puissance
de petite classe moyenne représente un marché comparable
à toute l'Argentine.
«On ne peut soutenir très longtemps un tel accroissement»
«Plus question d'arrêter les moteurs aux feux rouges, ce qui est du détail (surtout si l'on se rappelle que) la Suisse ne représente que 1.6% de la population mondiale». |
Economiser l'énergie, ce n'est pas seulement faire plaisir aux
petits oiseaux, mais nous devons être persuadés aussi que
cela n'a pas non plus à voir directement avec l'obligation d'économiser
les ressources fossiles: «Il n'est aucun
de ces buts qui n'ait sa propre et solide rationalité aujourd'hui,
sur les plans économique, politique et écologique. Il n'en
est aucun dont la justification dépende uniquement de la réalité
du changement climatique. Il n'en est aucun (réduction et amélioration
de l'efficacité de la consommation, contrôle des transports
- particulièrement routiers -, préservation des écosystèmes,
etc.) dont on ne puisse aisément démontrer qu'il est utile
et nécessaire maintenant ou jamais»[11].
Economiser est ainsi également un scénario de paix au niveau
international.
|
Mais s'il s'agit en effet d'un point crucial - 32% de l'énergie consommée en Suisse et > 42% en France [12]...-, il ne faut pas oublier non plus que près de 45% sont utilisés pour le chauffage les bâtiments (et 60% en comptant celle de leur construction): c'est donc dans ces deux secteurs que devraient porter les efforts pour une utilisation plus rationnelle de l'énergie [13]. J'ajoute qu'au sujet du transfert de la route vers le rail, il faut répondre à ceux (très nombreux) rétorquant que cela va "consommer du nucléaire", que le rail ne consomme que 2% de la production EDF: le trafic pourrait donc DOUBLER sans nécessiter la construction de nouvelles centrales [14]...
Sans pouvoir entrer ici dans les détails, il faut bien admettre que la notion même d'énergie est complexe, puisque des distinction (parfois subtiles) existent entre: réserves et ressources (dont celles qui sont en place et celles sites récupérables), la demande et l'offre, les énergies primaires, intermédiaires ou utiles, plus les distinctions entre les des "agents énergétiques" (fossiles, nucléaires, hydraulique, solaire, etc.), en oubliant pas la plus courante et qui sera le plus généralement utilisée ici, entre énergies non renouvelables et les énergies renouvelables (ER); avec comme conséquence les différentes sortes d'unités pour leur mesure: tonne d'équivalent charbon (tec), tonne d'équivalent pétrole (tep), calorie (cal), kilowattheure (kWh), etc. sans parler du fait que ces unités ont une valeur différente selon les sources [15]! Tout ceci pour montrer que toutes les hypothèses et prospectives sont non seulement difficiles à traduire mais surtout périlleuses à interpréter: comme quoi la prévision [16]des prix est-elle une activité à haut risque, tellement également la loi du domaine énergétique est la surconsommation voisinant la pénurie.
A cela s'ajoute aussi, mais heureusement, l'inévitable élargissement des modes de calcul économique vers les effets externes, notamment environnementaux et, ce qui revient souvent au même, la prise en compte des effets à long terme. Ce qui changera drastiquement l'actuelle hiérarchie de coût entre énergies.
Profitons-en ici pour parler du préjugé très répandu, selon lequel économiser toujours plus d'énergie coûtera toujours plus cher (la "fameuse" zone des «retours positifs» à ne pas dépasser), ce qui pouvait s'avérer juste avec les théories économiques traditionnelles: maintenant, de grosses économies peuvent coûter moins cher que des petites, en associant plusieurs technologies efficaces les unes aux autres. Il n'est pas anodin, puisque nous avons esquissé l'enjeu des constructions, de signaler qu'une des raisons vient de ce que les architectes et les ingénieurs sont payés en fonction de ce qu'ils dépensent, non de ce qu'ils économisent [17]! Contrairement à ce qui est sous-entendu, les potentiels d'économies d'énergie restent donc très importants.
Pour aller au bout d'une véritable logique de maîtrise de l'énergie, encore faudra-t-il aller plus loin que la simple "économie" d'énergie en procédant à une révision complète du concept même de besoin énergétique qui n'est pas qu'un problème quantitatif mais aussi qualitatif car il associe non seulement une technique ou un appareil, mais aussi un produit énergétique et un mode d'usage. Dans cet ordre d'idées, deux exemples de l'importance de la formation: en France celle des conducteurs de bus de Dijon qui a fait passer la consommation de 47 à 42 l/100 km, source Ademe, et en Suisse, la Poste qui, déboursant plus de 1'000'000CHF en cours, va économiser ainsi plus de 1'500'000CHF en carburant [18].
Faut-il encore rappeler qu'économiser 1 kWh coûte moins cher que de produire 1 kWh supplémentaire? Pour réduire d'une tonne les rejets de gaz à effet de serre, il en coûte en moyenne 500F, alors que pour produire l'énergie qui lui a donné naissance, il en coûte 4 fois plus [19] (sans parler des coûts environnementaux, difficilement chiffrables). L'exemple très connu actuellement est celui des dispositifs de veille des appareils audiovisuels en particulier (dans une moindre mesure dans l'électroménager, avec la multiplication des horloges) dont la consommation annuelle est estimée à 4 TWh soit environ la moitié de la production d'une centrale nucléaire [20].
Pourquoi d'ailleurs l'idée qu'une mesure d'économie d'énergie devrait être rentabilisée en un ou deux ans, alors que les centrales énergétiques et particulièrement les centrales nucléaires, se voient accorder un délai de 10, 20 (voire 40 ans et même plus...)? L'opinion "en vogue" que toute solution aux problèmes d'environnement sera forcément coûteuse est donc définitivement une idée fausse, particulièrement à cause de la véritable révolution qu'est celle de l'efficacité [21], ce dont il sera question au chapitre "Effet de serre".
Il ne faudrait pas oublier non plus que cette révolution vient en grande partie de la «progression de l'immatériel» (selon une autre formule de René Passet), c'est-à-dire de la dématérialisation de l'économie, où 70% de la valeur ajoutée est réalisée par le secteur tertiaire: on n'a pas fini de consommer moins d'énergie pour produire plus de richesses. Sans compter qu'il reste beaucoup de sources d'économies à faire, l'une n'ayant pas été évoquée est celle des industries lourdes qui, ayant des équipements à longue durée de vie, ont encore été peu transformées.
Le questionnement "économie au risque de l'environnement" (ou le contraire) n'est ainsi plus de mise: cette efficacité est un facteur de développement économique, car des ressources financières qui auraient été consacrées à la production d'énergie (ou aux actions de dépollution) pourront être consacrées à d'autres activités permettant plus durablement l'amélioration du niveau et de la qualité de vie: construction de logements, développement des transports collectifs, construction d'hôpitaux, etc.
Finalement, ce qui est mis en jeu, n'est-il pas surtout la remise en cause de la consommation comme signe de richesse et par conséquent celle de la mainmise des producteurs centralisés, problème d'ailleurs particulièrement inséparable du nucléaire, lui-même indéfectiblement lié à une économie fondée sur le profit financier?