LE MONDE | 13.05.08
LYON ENVOYÉE SPÉCIALE L'avenir de la mer Méditerranée
préoccupe les chefs d'Etat, mais son passé, lui, passionne
les scientifiques. Et leurs trouvailles pourraient susciter bien des convoitises,
car il y est question de pétrole... sous une épaisse couche
de sel. La thèse est la suivante: la Méditerranée
fut jadis le théâtre d'une catastrophe environnementale de
grande ampleur dénommée par les géologues "Crise de
salinité messinienne". Il y a 5,5 millions d'années (Ma),
la quasi-fermeture du détroit de Gibraltar sous la poussée
de la plaque tectonique africaine a conduit à l'assèchement
de la Méditerranée. L'évaporation des eaux a provoqué
le dépôt de couches de sel épaisses de 2.000 m, surmontées
d'une grande quantité de sédiments. Mais la mise en évidence
de ce processus a provoqué une polémique scientifique internationale,
qui a duré... trente-six ans.
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C'est la grande crise
messinienne pendant laquelle le niveau de la Méditerranée
baisse de 1.500 m. L'évaporation entraîne le dépôt
d'épaisses couches de sels minéraux (sulfates, chlorure de
sodium et sels de potassium). Cette croûte de sel varie de 1,5 à
3 kilomètres d'épaisseur, et tapisse largement le fond des
bassins. De profonds canyons se creusent à l'emplacement du lit
des grands fleuves, qui seront plus tard comblés par des sédiments.
Le plus spectaculaire est celui du Nil, découvert au moment de la
construction du barrage d'Assouan (Egypte), avec une profondeur de 277
m sous le barrage lui-même et de 2.000 m sous Le Caire, et qui se
prolonge sur 700 km. Le Rhône possède lui aussi un canyon
long de près de 400 km, doté d'une profondeur de 1.150 m
sous les Saintes-Maries-de-la-Mer et qui s'arrête sous la Bresse.
La Société Bouygues l'a appris à ses dépens
lorsqu'elle a creusé la partie souterraine du périphérique
nord de Lyon. Là où les tunneliers devaient creuser du sable,
ils ont en fait rencontré la rocaille du canyon.
Mais le volume d'évaporites déposées dans les plaines abyssales de la Méditerranée correspond à un volume d'eau de mer évaporé égal à huit fois le volume total de la mer. On suppose alors qu'une alimentation océanique a subsisté en permanence pendant la crise de salinité sous la forme d'une cascade. Cette dernière, qui devait se situer sur l'emplacement actuel du détroit de Gibraltar, a fini par éroder l'obstacle qui empêchait l'arrivée des eaux de l'Atlantique. Et "il y a - 5,48 Ma, la remise en eau fut fulgurante: elle dura quatorze ans et remonta jusqu'au fond des canyons. Dans celui du Rhône, la mer est remontée jusqu'à Beaune", ajoute Jean-Pierre Suc. La mer Noire se remplit également mais, comme elle était moins salée, son assèchement n'a pas laissé d'évaporites. La remise en eau a eu aussi pour effet de débloquer la grande faille nord-anatolienne, qui démarre à l'est de la Turquie, et qui a à cette occasion traversé la mer de Marmara et le détroit des Dardanelles. Si ces informations semblent aujourd'hui acquises, la dessiccation de la plus grande surface marine fermée sur Terre conserve encore une partie de ses mystères. Et si, sous le sel, se cachait un "trésor"? Le chef de la mission du Glomar-Challenger, William Ryan (Université de Columbia) se souvient que, lors des forages entrepris dans les fonds méditerranéens en 1970, dans l'espoir de traverser les couches salines, les carottes "sentaient le pétrole à plein nez". De peur de provoquer une éruption pétrolière incontrôlée, les autorités scientifiques américaines avaient alors empêché la poursuite des forages. L'idée, à l'époque, n'était pas de chercher de l'or noir. Les chercheurs réunis à Lyon les 5 et 6 mai souhaitent, eux, sonder les profondeurs méditerranéennes dans le Golfe du Lion. D'autres projettent une campagne au sud de Chypre. Un programme international pourrait permettre de mobiliser le navire de sondage japonais Chikyu, le seul capable de forer des puits de 5 km à 7 km de profondeur sous les 2,5 km d'eau de la Méditerranée. Il est doté d'un "riser", une sorte de manchon qui entoure le train de tiges destiné à perforer les fonds marins, et qui est déjà utilisé par l'industrie pétrolière: les variations de pression sont mieux contrôlées, ce qui permet de creuser des puits profonds, même dans des zones instables. L'idée serait de forer pour atteindre la croûte océanique. Les carottes obtenues permettraient d'en savoir plus sur la présence éventuelle de pétrole; et d'avoir des précisions sur l'impact de la crise messinienne sur la faune et la flore, dont on sait peu de chose, si ce n'est qu'il a dû être extrêmement destructif. Christiane Galus
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