La course aux biocarburants s'emballe
http://www.lesechos.fr
Trois projets de démonstrateurs
technologiques de seconde génération sont lancés en
quelques jours. La France veut recoller au peloton.
La première génération,
lancée en grande pompe au début du siècle, s'est vite
révélée une mauvaise réponse au problème
de l'effet de serre, en raison d'un bilan carbonne discutable. Les investissements
se reportent désormais sur les biocarburants de la seconde génération
qui promettent jusqu'à 93% de réduction des émissions.
La France s'est fait distancer par l'Allemagne. En effet, la société
Choren y fait déjà tourner une usine, avec pour objectif
de produire 18 millions de litres de biodiesel par an, à partir
de bois.
La recherche française
sur les biocarburants passe du marathon au sprint. Hier, le CEA a clos
son appel d'offres pour la conception d'un prototype de raffinerie de biodiesel
de seconde génération portant sur 100 millions €. Dans
quinze jours, l'Ademe bouclera celui de son fonds démonstrateur
de quelques dizaines de millions €. La semaine dernière, les
céréaliers français et leurs partenaires lançaient
l'étude d'une raffinerie de bioéthanol fonctionnant aux végétaux
ligneux. Ce projet Futurol, doté de 74 millions €, prévoit
de tester un pilote de recherche aux alentours de 2011 et peut-être
un prototype industriel en 2016. Il positionnera la France sur la voie
des procédés biochimiques.
L'autre filière
de production thermochimique de biodiesel mobilise intensément ces
jours-ci les énergéticiens. Au centre de toutes les attentions,
le CEA cherche à s'imposer sur le sujet. D'abord parce que ces procédés
à haute température promettent un débouché
aux centrales nucléaires, au même titre que la production
d'hydrogène. Mais également parce que le commissariat a promis
au département de la Meuse, très boisé, d'implanter
une bioraffinerie en contrepartie du contesté laboratoire d'enfouissement
des déchets nucléaires de Bure. Le CEA a tenté ces
derniers mois de décrocher des subventions publiques dans le sillage
du Grenelle de l'environnement.
C'était compter
sans les membres de la commission Jarry, mandatée par l'Etat pour
expertiser les projets de pilote. D'après eux, le projet de Bure
ne comportait pas assez de recherche et développement. Le CEA se
contentait notamment de racheter la technologie de Choren, la filiale allemande
de Shell, pionnière de cette filière. Econduit par la commission
Jarry, le commissariat a du coup lancé son propre montage sous la
forme d'un appel d'offres. «Avant la fin de l'année, nous
voulons clore la procédure de dialogue compétitif pour acquérir
les briques technologiques nécessaires. Nous prévoyons une
installation capable de produire, après 2011, 120.000 barils par
an et de traiter 10 tonnes par heure de végétaux. Notre objectif
n'est pas de développer de l'innovation mais d'apprendre à
intégrer les technologies existantes pour la préparation
de la biomasse, pour la gazéification, le traitement du gaz ou la
catalyse», explique aux Echos Bernard Bigot, haut-commissaire
du CEA. Le montage financier n'est pas divulgué, mais il devrait
impliquer le CEA à plus de 50 millions € et des industriels
à plus de 25 millions.
Le projet de l'Ademe
Certains laboratoires
et industriels ont hésité à concourir au projet du
CEA, y voyant le concurrent d'un autre programme très alléchant
: le nouveau fonds démonstrateur de l'Ademe (Les Echos du
11 septembre) portant sur plusieurs dizaines de millions d'euros. L'Ademe
a ouvert cet été un appel à manifestations pour une
remise de dossier qui sera effectuée fin septembre. «Le
timing est très serré», soupire l'un des négociateurs.
Contrairement au pilote du CEA, l'objectif du fonds est de susciter des
ruptures technologiques dans la filière biodiesel de seconde génération.
Le projet candidat le mieux positionné est porté par Sofiproteol,
fédérateur de la filière des oléoprotéagineux.
Parmi les partenaires figurent l'Institut Français du Pétrole
et finalement le CEA, qui mise désormais sur ce projet pour effectuer
ses recherches. Le pilote se situerait à Compiègne où
se trouve déjà une usine de première génération.
Toutes ces initiatives
publiques et privées semblent se précipiter mais elles répondent
à une demande générale. «Tout mois perdu
nous pénalise», assure Benoît Tremeau, coordinateur
de Futurol. Il sait de quoi il parle: deux ans ont été nécessaires
au projet pour décrocher sa subvention. Il a dû d'abord survivre
à la disparition de l'agence de l'innovation industrielle fin 2007,
dont il briguait l'aide. Futurol a ensuite dû se formater au programme
ISI d'Oseo, qui le finance à hauteur de 23 millions €. Cet
été, le projet est finalement passé sous la coupe
du nouveau fonds démonstrateur.
Enjeu plus important que prévu
Or, ces recherches ont
fortement accéléré ces derniers temps, car la seconde
génération est devenue un enjeu économique et sociétal
beaucoup plus rapidement que prévu. La première génération,
lancée en grande pompe au début du siècle, s'est vite
révélée une mauvaise réponse au problème
de l'effet de serre et de raréfaction du pétrole. Son bilan
carbone est très discutable, à tel point que l'Ademe révise
actuellement son mode de calcul. Le bioéthanol et le biodiesel passent
désormais pour des concurrents à l'alimentation, car ils
sont fabriqués à partir des graines de blé, de maïs
ou de soja. Face aux lynchages scientifique et politique des biocarburants
de première génération, les investissements se reportent
désormais sur la prochaine. La France s'est laissé distancer
par l'Allemagne, qui a plusieurs pilotes mais aussi par la Suède,
qui possède déjà une usine de bioéthanol fonctionnant
à la paille et au bois. En Espagne, Abengoa va bientôt démarrer
une usine de bioéthanol de 70 tonnes par jour. Aux Etats-Unis, plusieurs
prototypes coordonnés par le département de l'énergie
se mettent en route. Même le Japon se dote d'une petite unité. |
Deux générations de biocarburants
· La première
génération de biocarburants est produite à partir
de l'organe de réserve de la plante. On obtient le bioéthanol
à partir de grains de la fermentation des sucres contenus dans les
grains de blé, de la canne, de la betterave.
Le bioéthanol
alimente les moteurs à essence.
Les esters d'huiles
végétales sont produits par réaction du méthanol
avec des huiles de palme, de tournesol ou de colza. Elles alimentent les
moteurs Diesel.
· La seconde
génération utilise l'intégralité des ressources
carbonées des plantes.
Outre les sucres simples,
ces procédés exploitent des structures plus complexes du
végétal comme l'hemicellulose. La production de bioéthanol
mise sur des levures et des enzymes très sophistiqués.
L'obtention de biodiesel passe par la gazéification des végétaux
à haute température, puis la catalyse de différents
hydrocarbures.
Les eurodéputés
veulent des agrocarburants respectant l'environnement et l'éthique
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LEMONDE.FR | 12.09.08 | 15h17 •
Mis à jour le 12.09.08 | 19h39
BRUXELLES BUREAU EUROPÉEN
Le sort réservé
par l'Europe aux agrocarburants donne lieu à d'intenses débats
entre les eurodéputés et les Etats membres de l'Union européenne
(UE). Les premiers sont, dans l'ensemble, plutôt préoccupés
par l'impact de ce type de culture sur l'environnement et cherchent à
adoucir l'une des dispositions-clés du "paquet climat-énergie",
placé parmi les priorités de la présidence française
de l'UE. Les seconds veulent maintenir l'objectif de 10% d'énergies
renouvelables dans les transports d'ici à 2020, tout en tenant
compte de la controverse que cette politique suscite.
Claude Turmes, le rapporteur
(Vert) du projet de directive en cours de négociation, a certes
regretté qu'"aucune majorité" ne se soit dégagée,
jeudi 11 septembre, au sein de la commission parlementaire industrie, afin
d'abroger ce seuil tant critiqué par les associations écologistes.
Mais le processus a été solidement encadré : un objectif
intermédiaire de 5% en 2015 a été défini, afin
de laisser le temps à d'autres technologies de monter en puissance
face aux agrocarburants de première génération, dont
l'impact sur les prix alimentaires est montré du doigt.
Les eurodéputés
ont tenu à préciser que le seuil retenu par les Européens
n'est atteignable qu'avec la contribution, à hauteur de 40%, des
véhicules électriques ou propulsés à l'hydrogène
et des agrocarburants de seconde génération.
Ces deux amendements
ont été soutenus par l'ensemble des groupes politiques, de
droite comme de gauche. Mais ils ne conviennent pas au Conseil : à
ce stade, les Etats membres préfèrent, plutôt que de
fixer des objectifs intermédiaires, opter pour une "clause rendez-vous"
à l'horizon 2015-2017, afin de réexaminer alors, si nécessaire,
les ambitions européennes. Cette échéance est jugée
trop tardive par les parlementaires.
Les Vingt-Sept sont
d'autant plus attachés à l'objectif des 10% d'énergies
renouvelables dans les transports qu'ils se demandent encore comment en
respecter un autre, qui lui est étroitement associé: atteindre
20% d'énergies renouvelables sur l'ensemble du "bouquet énergétique"
en 2020. Un palier jugé très ambitieux par toutes les délégations,
mais que les eurodéputés, tout comme la présidence
française de l'UE, n'entendent pas remettre en cause, de crainte
de transformer les discussions en véritable foire d'empoigne.
COMPROMIS, SEUIL ET "BONUS"
Soucieuse de répondre
aux détracteurs des agrocarburants, l'Union européenne cherche
à définir des critères destinés à promouvoir
des produits "durables". Les Etats membres sont parvenus, ces derniers
jours, à un compromis qui ménage les intérêts
des pays européens producteurs, comme la France, et ceux des importateurs,
tels le Royaume-Uni et les pays scandinaves.
Seules seront donc comptabilisées
les productions qui respectent, en Europe comme dans les pays tiers, la
biodiversité et certaines conventions sociales. Il s'agit d'éviter
la déforestation ou le travail des enfants dans les principaux pays
fournisseurs.
D'après les Etats
membres, seuls les agrocarburants permettant de réduire de 35% les
émissions de CO2 par rapport aux carburants traditionnels
seront certifiés dans un premier temps. Ce seuil sera porté
à 50% en 2017. Un bonus sera accordé aux agrocarburants issus
de terres "dégradées", c'est-à-dire non utilisées
pour
les cultures vivrières.
Néanmoins, le
Parlement européen a formulé, jeudi, des critères
plus exigeants afin de limiter, là encore, le recours aux carburants
de première génération: la commission industrie a,
entre autres, exigé une efficacité d'au moins 45%, portée
à 60% en 2020, et ce contre l'avis des Etats membres producteurs,
dont la France. "Le Parlement se veut plus strict que le Conseil, mais
les positions sont conciliables", veut croire Claude Turmes.
Philippe Ricard
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