CONTROVERSES ENERG...ETHIQUES !
Energies renouvelables, environnement-écologie, développement...
Climat: le scepticisme est-il un crime?
ADIT, http://www.lemonde.fr, juillet 2008
     Stéphane Foucart
LE MONDE | 08.07.08

     "Un crime contre l'humanité et la nature." C'est en termes crus, parfois utilisés dans les milieux écologistes radicaux mais jamais, ou presque, dans le monde académique, que le climatologue James Hansen s'en est pris, lundi 23 juin, aux dirigeants de certaines sociétés pétrolières et charbonnières. Le climatologue en chef de la NASA était invité par des parlementaires démocrates à s'exprimer devant une commission du Congrès des Etats-Unis, en commémoration de son audition du 23 juin 1988 - considérée comme la première affirmation forte de la réalité du changement climatique et de la nature de ses causes.
     Bien sûr, le directeur du Goddard Institute for Space Studies (GISS) ne met pas en cause Peabody et ExxonMobil pour leurs activités d'extraction et de commercialisation de combustibles fossiles. Il accuse les dirigeants de ces deux sociétés d'avoir participé à l'organisation du doute sur la réalité et la gravité du réchauffement. Un déni de réalité qui, diffusé auprès du grand public et des responsables politiques, a largement contribué, selon le chercheur, à entraver les actions fortes et nécessaires à la lutte contre le phénomène.
     "Des sociétés ayant leurs intérêts dans les combustibles fossiles ont propagé le doute sur le réchauffement, de la même manière que les cigarettiers avaient cherché à discréditer le lien entre la consommation de tabac et le cancer", écrit M. Hansen dans le texte de son allocution, qui ajoute que les 'méthodes sophistiquées' employées par ces entreprises incluent l'exercice d'une 'influence sur les manuels scolaires'. Avant de conclure: "Les PDG de ces sociétés savent ce qu'ils font et connaissent les conséquences sur le long terme d'un scénario 'business as usual''. A mon avis, ces dirigeants devraient être poursuivis pour crime contre l'humanité et la nature."
     Ce n'est pas la première fois que ces sociétés sont mises en cause. Une organisation scientifique américaine de gauche, l'Union of Concerned Scientists (UCS), a par exemple révélé il y a quelques mois qu'ExxonMobil avait distribué, entre 1998 et 2005, 16 millions de dollars (€) de subventions à une quarantaine de sites Internet diffusant des informations tronquées ou falsifiées.
     Internet est le terrain de propagande rêvé. Le climato-scepticisme s'y nourrit de la désinformation active, pratiquée par ces sites Web - se présentant comme ceux d'ONG, de fondations, de centres de réflexion, de blogueurs, etc. -, mais il prospère également sur un savant mélange d'ignorance, d'imbécillité ('l'été est pourri, donc le réchauffement est une fiction') et de théorie du complot ('les climatologues entretiennent le mythe du réchauffement pour assurer la pérennité de leurs budgets, les politiques les couvrent pour détourner les citoyens des vrais problèmes').
     La technique fonctionne admirablement. Pour preuve, ce sondage publié le 22 juin par The Observer, selon lequel plus de 60% des Britanniques doutent de la cause humaine du changement climatique. Ce ratio montre que la perception par le grand public de l'état des connaissances sur le sujet est biaisée.

     Un biais qui n'est pas sans rappeler celui qui prévalait jusque dans un passé récent, lorsque l'industrie du tabac recrutait (sans le dire) des universitaires au sein d'Associates for Research into the Science of Enjoyment (Arise). Ces chercheurs travaillaient dans un sens favorable à l'industrie du tabac et se chargeaient d'assurer la publicité de leurs 'découvertes' dans la presse grand public. L'affaire avait été révélée à l'occasion de poursuites engagées outre-Atlantique, à la fin des années 1990, contre Philip Morris: la société avait été tenue de déclassifier certains documents internes dévoilant le cynique modus operandi de cette 'fabrication du doute'.

UNE COMPLEXITE EXTREME
     S'agissant du climat, les scientifiques n'auraient donc plus le droit de douter ? Le changement climatique serait-il devenu une manière de religion qu'il ne serait plus possible d'interroger sans comparaître devant une nouvelle Inquisition? Le scepticisme serait-il synonyme d'insincérité et de corruption? Non, bien sûr. Le scepticisme est et doit demeurer le moteur de toute pratique scientifique.
     De nombreuses théories alternatives à la cause humaine au réchauffement ont ainsi été proposées depuis plus d'une dizaine d'années, en toute honnêteté et selon la marche normale de la science: influence des rayons cosmiques sur la haute atmosphère, des cycles d'activité du Soleil, de certains nuages, des paramètres orbitaux de la Terre, etc. Pour l'heure, toutes ces propositions ont été réfutées sans ambiguïté. La machine climatique est cependant d'une complexité extrême et ses ressorts n'ont pas tous été mis au jour. Il n'en faut pas plus à certains chercheurs, parfois impliqués dans la recherche de mécanismes alternatifs à l'effet de serre, pour communiquer avec ardeur sur leurs doutes. Et ce même si ces interrogations ne sont étayées par aucun travail scientifique dûment publié, donc préalablement évalué par des scientifiques selon le processus de peer review.
     Suivre leur raisonnement conduirait à dire que, puisque les mécanismes intimes de la cancérogenèse sont très mal connus et qu'on a identifié d'autres cancérogènes que le tabac, il est impossible d'affirmer que fumer augmente les risques de cancer. Et qu'il convient d'attendre de tout comprendre avant d'inquiéter la population. Dans son acception scientifique, la notion de doute recouvre tout autre chose que dans le monde politique ou médiatique. Pour les chercheurs, ce scepticisme est aussi un principe et une démarche intellectuelle. D'ailleurs, M. Hansen lui-même, pourtant surnommé "l'Alarmiste en chef" par ses détracteurs, ne se dit certain qu'à "99%" de la réalité et des causes du réchauffement...
     En matière de climat, la fabrication du doute n'est donc pas uniquement un processus de falsification. Elle est aussi un mécanisme subtil d'amplification et de transposition dans les sphères médiatique et politique d'un doute scientifique qui n'est parfois que formel, voire virtuel. En sciences, doute et dissidence sont omniprésents. Mais l'écho qu'ils trouvent dépend des intérêts économiques ou idéologiques qu'ils pourraient servir. Qui, par exemple, connaît les théories du polytechnicien Maurice Allais, Prix Nobel d'économie 1988, pour qui la relativité d'Einstein est fausse, ce qui devrait conduire tous les récepteurs GPS du monde à dysfonctionner...

Courriel: foucart@lemonde.fr.
Stéphane Foucart (Service sciences/environnement)