Faut-il imaginer un monde
sans pétrole?
Fait extraordinaire et
inquiétant, depuis le début de l'année 2008, le prix
du pétrole ne cesse de connaître une ascension fulgurante.
Alors qu'en 2002 le prix d'un baril valait 25 dollars, aujourd'hui il a
dépassé la barre symbolique des 100 dollars, pour atteindre
un niveau moyen de 137 dollars à la bourse de New York. Déjà
certains économistes prédisent pour dans deux ans un baril
à 200 $, avec à l'horizon un troisième choc pétrolier
(après ceux de 1973 et 1979). Comment expliquer une telle flambée
du coût du pétrole? Comment les pays consommateurs de pétrole
et les pays pauvres pourront-ils faire face à cette nouvelle donne?
Les pays producteurs
de pétrole (O.P.E.P.) estiment que l'offre est suffisante pour répondre
à la demande et que la flambée actuelle des prix résulte
de la spéculation, de la faiblesse du dollar (crise des «subprimes»:
prêts immobiliers à risque) et de l'instabilité politique
dans certaines régions. De leur côté, les pays consommateurs
d'or noir, au premier rang desquels les États-Unis, considèrent
que le principal problème réside au contraire dans l'insuffisance
de l'offre. Avec l'ère du pétrole rare et cher, il est donc
devenu indispensable de changer notre manière de consommer et d'imaginer
des alternatives possibles à cette énergie.
La flambée des prix
du pétrole
Données chiffrées.
Évolution du cours du baril de brent
(pétrole brut de référence au niveau mondial), en
$ courant.
* 1990 : 23,4.
* 1995 : 17.
* 2000 : 28,5.
* 2002 : 25.
* 2003 : 28,8.
* 2004 : 38,3.
* 2005 : 54,6.
* 2006 : 65,2.
* 2007 (moyenne au 10 octobre)
: 67,5.
* 2008. Janvier : le cours
du baril de brent atteint les 100 $ (67,93 euros) avant de retomber à
99,17
$.
20 février
: 100.
10 mars : 109.
17 avril : 115.
6 juin : 139,
12 (nouveau record à la bourse de New York).
25 juin : 136,36.
Prix des carburants (en €/litre ; source
: Ufip).
Sans plomb 95.
* 2000 : 1,09.
* 2002 : 1,01.
* 2004 : 1,06.
* 2005 : 1,17 (octobre : 1,23).
* 2006 : 1,24 (21 juillet
: 1,34 ; record).
* 2007 : 1,26 (octobre : 1,28).
* 2008 : 1,41 (en moyenne).
Gazole.
* 2000 : 0,85.
* 2002 : 0,77.
* 2004 : 0,86.
* 2005 : 1,03 (octobre : 1,10).
* 2006 : 1,08 (août
: 1,12).
* 2007 : 1,07 (29 octobre
: 1,145).
* 2008 : 1,3344.
Pourquoi une telle hausse
des prix?
Le déséquilibre entre l'offre et
la demande.
Bien que les prix soient
à la hausse, la demande continue de croître tandis que l'offre
stagne. Au rythme de l'augmentation actuelle des besoins énergétiques,
soit 2% par an, il faudrait en 2035 produire 165 millions de barils par
jour. On en produit aujourd'hui 85 millions et dans le futur, il n'est
guère possible d'en espérer plus de 90 à 100.
La spéculation.
Les pays producteurs
estiment que l'offre est suffisante pour répondre à la demande
et que la flambée actuelle des prix résulte de:
-
la spéculation;
-
la faiblesse du dollar;
-
l'instabilité géopolitique dans certaines régions.
Contre l'insuffisance de l'offre.
Les pays consommateurs,
au premier rang desquels les États-Unis, considèrent que
le principal problème réside dans l'insuffisance de l'offre.
La seule hausse de production
annoncée a été faite par l'Arabie saoudite, avant
la conférence du dimanche 22 juin 2008, à Djeddah (Arabie
saoudite). En gage de bonne volonté, Ryad a annoncé une hausse
de 200.000 barils de sa production quotidienne, qu'elle avait déjà
augmentée de 300.000 barils en mai. Avant même l'ouverture
de la conférence, l'O.P.E.P avait de son côté exclu
toute augmentation de la production du cartel dans l'immédiat, se
démarquant ainsi de l'Arabie, pourtant son chef de file.
Vers un troisième choc
pétrolier?
Étant donné
la flambée du prix du pétrole, on peut légitimement
se demander si on assiste à un troisième choc pétrolier,
après ceux de ceux de 1973 (guerre israélo-égyptienne)
et de 1979 (révolution islamique en Iran).
Hier. Dans les années 1970, il y
eut ce qu'on a appelle un « choc » parce que certains pays
producteurs de l'O.P.E.P. avaient décrété un embargo
contre des pays consommateurs accusés de soutenir Israël. L'offre
s'était brusquement tarie, entraînant une multiplication par
quatre du cours de l'or noir en 1979. Mais, ces cinq dernières années,
jamais le marché n'a véritablement été à
court de pétrole.
Aujourd'hui. Contrairement aux années
1970, de nos jours l'envolée des prix pétroliers n'a pas
entraîné de récession car cette flambée est
en partie alimentée par la vigueur de la croissance mondiale et
la demande des pays émergents (Chine, Inde, Moyen-Orient). Les Chinois,
les Indiens et les Américains ne cessent d'accroître leur
consommation, même si la crise des « subprimes » aux
États-Unis a menacé le pays d'une récession, ce qui
a créé les tensions sur le marché et contribué
à renchérir les prix.
Les économies
des pays industrialisés sont moins dépendantes de l'or noir
qu'autrefois; il leur faut moins de pétrole qu'il y a trente ans
pour créer la même richesse (automobiles, téléviseurs...).
Enfin, l'inflation a été maîtrisée, alors que,
dans les années 1970, l'indexation des salaires sur les prix a entraîné
une flambée de l'inflation.
Néanmoins, les
indices de prix publiés un peu partout dans le monde depuis le début
de l'année font état de tensions inflationnistes croissantes.
En Espagne, le taux a atteint 4,3% en décembre, le chiffre le plus
élevé depuis onze ans. En Allemagne, l'inflation est de l'ordre
de 2,2% en moyenne en 2007, son niveau le plus élevé depuis
1993.
L'offre.
Qui détient les réserves prouvées
de pétrole?
L'O.P.E.P. (Organisation des pays exportateurs
de pétrole).
Organisme créé
en septembre 1960 à l'initiative du Venezuela, initialement pour
obtenir un arrêt de la tendance à la baisse des prix du pétrole
brut. Les pays de l'O.P.E.P. (11 membres) détiennent près
de 80% des réserves prouvées de pétrole brut. Le rôle
de cet organisme est d'assurer un niveau de prix jugé raisonnable
en agissant sur la production, via des quotas.
Cinq pays fondateurs:
le Venezuela, l'Iran, l'Iraq, l'Arabie saoudite et le Koweït.
Autres membres: le Qatar
(1961), la Libye et l'Indonésie (1962), Abu Dhabi (1967), l'Algérie
(1969), le Nigeria (1971), l'Équateur (1973) et le Gabon (1975).
Ces deux derniers pays (l'Équateur en 1992, le Gabon le 1er janvier
1995) se sont retirés de l'organisation.
Évolution: les membres de l'O.P.E.P.
(Abu Dhabi s'étant fondu au sein des Émirats arabes unis)
obtiennent, à partir de 1973, de considérables hausses du
prix du pétrole, s'assurant par ailleurs le contrôle de la
production. |
Réserves prouvées en milliards
de barils (à fin 2006; source: BP).
* Total mondial : 1.208,2
dont
* Arabie saoudite : 264,3.
* Iran : 137,5.
* Iraq : 115.
* Koweït : 101,5.
* Emirats arabes unis : 97,8.
* Venezuela : 80.
* Russie : 79,5.
* Libye : 41,5.
* Kazakhstan : 39,8.
* Nigeria : 36,2.
Principaux pays producteurs (en millions de
barils/jour en 2007).
* Arabie saoudite : 10, 7.
* Russie : 9,7.
* États-Unis : 8,4.
* Iran : 4,2.
* Chine : 3,8.
* Mexique : 3,7.
* Canada : 3,3.
* Émirats arabes unis
: 2,9.
Principaux pays exportateurs (en millions de
barils/jour en 2006).
* Arabie saoudite : 8,3.
* Russie : 5,2.
* Émirats arabes unis
: 2,9.
* Iran : 2,8.
* Koweït : 2,5.
* Venezuela : 2,3.
L'Arabie saoudite : premier producteur et exportateur
de pétrole brut.
1er rang des réserves
mondiales: 264 milliards de barils.
Le pétrole représente:
90 % de ses exportations,
80 % de ses recettes budgétaires,
50 % de son produit intérieur brut (P.I.B.).
La demande.
Principaux pays consommateurs (en millions de barils/jour
en 2007).
* États-Unis : 20,6.
* Union européenne
: 14,6 (France : 1,9).
* Chine : 7,3.
* Japon : 5,2.
* Russie : 3,1.
* Allemagne : 2,6.
* Inde : 2,5.
* Canada : 2,2.
* Brésil : 2,2.
Le pétrole en France
* Le pétrole représente
un tiers de la consommation d'énergie primaire en 2007 (contre 67%
en 1973).
* Le principal secteur utilisateur
de produits pétroliers est celui des transports avec 53% de la consommation
totale.
* 99% du pétrole consommé
en France provient d'importations. De 1973 à 1985, on assiste à
une sensible diversification géographique ds imortations de pétrole
brut, avec la très forte diminution de la part du Proche-Orient
(71% en 1973; 27% en 2005), l'apparition de la Mer du Nord (0% en 1973;
26% en 2005) et les contributions accrues de l'Afrique Noire (11%) et de
la CEI (23%).
* Notre production représente
1% de la consommation nationale.
* Répartition : région
parisienne (54%), région aquitaine (45%) et Alsace (1%). Au
1er janvier 2006, nos réserves nationales de pétrole brut
représentaient 18 ans d'exploitation au rythme actuel et un peu
moins de 2 mois de consommation nationale.
* Il existe 13 raffineries
en France métropolitaine, soit une capacité totale de raffinage
de 97,7 MT/an.
Nouvelle donne: la hausse
de la consommation des pays émergents.
Selon l'Agence internationale
de l'énergie (A.I.E.), en 2008 et pour la première fois,
les grandes zones en développement de l'Eurasie (Russie, Chine,
Inde et Moyen-Orient) consommeront davantage d'or noir que les États-Unis
(20,6 millions de barils chaque jour).
Quelques chiffres.
Hausse de la consommation
estimée en 2008 : de l'ordre de 1,8 million de barils par jour,
selon le ministère américain de l'Énergie.
Population de l'Eurasie
: 2,5 milliards d'habitants.
Consommation : 20,67
millions de barils chaque jour.
Usages : voitures, climatiseurs
et usines.
Le cas de la Chine.
La Chine consomme à
elle seule près de 10% (en 2008) du pétrole produit dans
le monde.
Son parc automobile
sera multiplié par sept d'ici à 2030. Or, il n'existe aucun
substitut crédible au pétrole, même si agrocarburants
et voitures hybrides (essence-électricité) vont se développer.
Depuis la crise des
«subprimes» aux États-Unis, les financiers quittent
les actifs traditionnels (actions, obligations...) pour se tourner vers
sur les matières premières. Le dollar est la monnaie dans
laquelle est payé le brut et sa faiblesse actuelle permet aux détenteurs
d'autres devises d'en acheter à bon prix.
Le monde manque-t-il de pétrole?
Incertitude sur l'état des réserves.
Les pays consommateurs
demandent à ceux de l'O.P.E.P. de pomper davantage de pétrole
pour reconstituer leurs stocks à l'approche de l'hiver, notamment
aux États-Unis, qui consomment un quart du brut mondial. Mais l'O.P.E.P.
(qui reste floue sur les chiffres réels de ses réserves)
préfère pour l'heure engranger des «pétro-dollars»
que gagner des parts de marché en produisant plus. On estime qu'elle
pourrait mettre chaque jour sur le marché au moins 2 millions de
barils supplémentaires, ce qui permettrait de faire baisser les
prix.
Rentabilité des forages.
Avec un baril avoisinant
les 150 dollars, l'extraction des pétroles lourds et/ou difficilement
accessibles devient rentable. On fore désormais en mer par plus
de 3.000 m de profondeur et, à terre, des gisements sont enfouis
à plus de 6.000 mètres. Quant aux schistes ou aux sables
bitumineux (Canada, Venezuela...), on estime leur potentiel à 600
milliards de barils. Si l'on prend en compte ces «huiles» lourdes,
le Canada serait le deuxième pays pétrolier derrière
l'Arabie saoudite.
Les grandes compagnies pétrolières.
Bénéfices (en 2006).
Exxon Mobil : 39,5 milliards de $.
Shell : 25,4.
BP : 22,3.
Chevron : 17,1.
Total : 15,8.
Que font-elles de leurs profits?
- Rétribution des actionnaires.
- Financement de nouveaux champs pétrolifères
(explosion des coûts des équipements: bateaux, plates-formes,
câbles...). La facture du grand projet de Sakhaline 2, dans l'Extrême-Orient
russe, est passée de 10 à 22 milliards de dollars, celle
de Kashagan (Kazakhstan) de 30 à 140 milliards.
Europe: quelques pistes pour
réduire le coût du carburant.
1) Réduire la
TVA sur les carburants, actuellement de 19,6%. Cette solution, proposée
par Nicolas Sarkozy, a été refusée par la Commission
européenne. Elle estime que ce plafonnement enverrait «un
mauvais signal» aux pays producteurs de pétrole.
Selon Frédéric
Reynès, économiste et spécialiste du pétrole
à l'O.F.C.E. (Observatoire Français des Conjonctures Économiques):
«La hausse des prix du pétrole est amenée à
se poursuivre. Jouer sur la fiscalité aura un effet purement temporaire.
On perdra des ressources fiscales et on n'incitera pas les gens à
consommer moins.»
2) Taxe «Robin
des bois» sur les profits des compagnies pétrolières
(adoptée par le gouvernement italien).
3) Taxe sur les mouvements
spéculatifs, prônée par l'Autriche. «Nous
savons tous que la part de spéculation dans les prix du pétrole
est bien trop élevée. L'Europe doit avancer des propositions
sur la façon dont on peut contenir ce phénomène, parce
que ce n'est pas normal que nos consommateurs paient pour les spéculateurs
mondiaux». |