Surprise! On y apprend que la France, malgré tous ses efforts, ne
parviendra pas à diviser ses émissions de CO2
d'un facteur 4 d'ici 2050, l'objectif phare de la loi d'orientation sur
l'énergie de 2005, mais, au mieux, d'un facteur 2,4. La commission
avait pourtant commandé au bureau d'études Enerdata,
internationalement connu dans le domaine des statistiques énergétiques
et des prévisions, un scénario qui rend possible le fameux
"facteur 4"[1],
tout en laissant la part belle au nucléaire.
Comment y arriver? Tout d'abord, ce bureau d'études parie sur une politique très volontariste de maîtrise de l'énergie: alors que la consommation finale (celle de nos maisons, de nos usines, de nos voitures, etc.) de la France était de 162 millions de tonnes équivalents pétrole (Mtep) en 2006, elle ne serait plus que de 132 Mtep en 2020 et de 97 Mtep en 2050. Au point que le parcours de réduction apparaît en tous points identique à celui du scénario pour tant tant décrié jusqu'ici par nos énergéticiens officiels, le scénario «Négawatt», élaboré par l'association du même nom, regroupant des praticiens de terrain de la maîtrise de l'énergie. Puis, dans une logique chère à l'administration française, le scénario bâti par Enerdata propose, pour respecter la contrainte de limitation du CO2, une stratégie bien connue, celle du «tout-électrique, tout-nucléaire». La consommation d'électricité passerait de 23% aujourd'hui à 48% dans la consommation finale d'énergie. Le nucléaire resterait très largement dominant dans la production d'électricité - 450 térawatts heure (TWh) - suivi des renouvelables - 200 TWh - et enfin du charbon et du gaz - 105 TWh. Enerdata propose enfin la capture-stockage des 60 millions de tonnes de CO2 émises par l'électricité d'origine fossile et atteint ainsi l'objectif fixé: moins de 100 millions de tonnes de CO2 en 2050 contre presque 400 aujourd'hui. [1] "Facteur 4", von Weizsäcker & al., 1997; mais cet ouvrage mélange hélas des propositions réalistes et des erreurs d'analyse, ce qui nuit à sa crédibilité, et les approches réellement envisageables ont ainsi leurs limites. (Résumé disponible sur le Web) |
Contrat rempli!
Mais alors, pourquoi cette reculade de la commission? Tout simplement parce que son président, Jean Syrota, sans concertation semble-t-il, a estimé que le stockage du CO2 à l'horizon 2050 n'était pas raisonnable et l'a supprimé. Et voilà 60 millions de tonnes de CO2 qui resurgissent et expliquent la chute à 2,4 du fameux "facteur 4". On aurait pu s'attendre à voir la commission demander à l'auteur des scénarios de reprendre sa copie pour respecter le facteur 4, mais cette fois sans capture et stockage du CO2. Mais non, le rapport préfère s'étendre largement sur les bonnes raisons qu'aurait la France de ne pas respecter l'engagement solennel qu'elle a pris par voie législative. Paradoxalement, c'est très largement à cause de son «nucléotropisme»[2] que la commission en arrive à ce piètre résultat. Car dans ce scénario très intense en électricité, le nucléaire ne peut quand même pas tout faire. On est condamné par exemple à utiliser du charbon ou du gaz pour gérer les besoins d'électricité de pointe, et cela d'autant plus qu'on a besoin de plus d'électricité. D'où la production de 105 TWh d'électricité fossile (contre 60 en 2006) pour assurer ces pointes. Alors que le scénario Négawatt déjà cité, à partir d'une même évolution de la consommation d'énergie finale jusqu'en 2050, décrit un scénario bien plus modeste en électricité, sans nucléaire, avec deux fois moins d'énergie fossile et respecte le fameux facteur 4, sans même recourir à la capture et au stockage. Si la commission Syrota voulait nous asséner une démonstration éclatante de l'inanité du «tout-électrique, tout-nucléaire» qu'on continue à nous présenter comme la solution au problème climatique, on ne s'y prendrait pas autrement! Sans même compter qu'il faudrait avoir réussi à implanter en France à cette époque une cinquantaine de générateurs de quatrième génération pour éviter une pénurie annoncée d'uranium, un pari dont les risques valent bien celui de la capture et du stockage du CO2. [2] Le rapport "Facteur 4", remis au gouvernement français en octobre 2006, explique, lui, que "l'énergie nucléaire représente 2% de l'énergie finale dans le monde" et pointe "l'apport finalement marginal du nucléaire" dans la lutte contre l'effet de serre. On ne saurait mieux illustrer le fait que le nucléaire, même s'il impose un danger maximal, a en réalité une place très faible dans l'énergie mondiale. |