par George Monbiot, The Guardian, 16 mars 2009
Sur cette frontière grammaticale parfois
ténue qui sépare le conditionnel du futur, l'hésitation
est-elle encore de mise? Faut-il écrire que le réchauffement
serait ou sera de deux degrés, si ce n'est quatre? Les derniers
résultats de la communauté scientifique rendus publics lors
de la récente conférence de Copenhague sur le climat n'autorisent
plus, semble-t-il, à tergiverser. Doit-on en conclure que, le combat
contre les émissions étant si mal engagé, il conviendrait
désormais de consacrer tous nos efforts à l'adaptation à
un futur inévitable? Sûrement pas, avertit Monbiot. Car si
une reconfiguration immédiate de nos systèmes énergétiques
peut sembler fort coûteuse et à la limite extrême de
la faisabilité, le prix à payer est sans commune mesure avec
celui de la catastrophe d'un emballement incontrôlable du climat.
Nous n'aurions plus alors d'autre choix que de consacrer toutes nos énergies
à la survie, avant que la bataille ne soit définitivement
perdue, non seulement pour l'humanité, mais aussi pour la planète
dans son entier. Rarement sans doute, l'exigeante ligne de conduite
résumée par la devise de la maison d'Orange ne se sera imposée
avec autant de force. «Point n'est besoin d'espérer pour
entreprendre ni de réussir pour persévérer».
Calmement en public, mais haut et fort en
privé, les climatologues dans le monde entier disent la même
chose: c'est fini. Le moment où on aurait pu éviter un réchauffement
de la planète de 2 degrés est passé. Les occasions
d'y parvenir ont été gâchées pour cause de déni
et de retard à agir. Sur la trajectoire actuelle, nous aurons de
la chance si nous en tirons avec 4 degrés. Les mesures d'atténuation,
de limitation des émissions de gaz à effet de serre, ont
échoué, et désormais nous devons nous adapter à
ce que la nature nous réserve. Si nous le pouvons.
Tel était, en tout cas, le murmure
insistant entendu durant la conférence sur les changements climatiques
à Copenhague la semaine dernière [1]. C'est à
peu près le message que Bob Watson, le conseiller scientifique principal
pour l'environnement au ministère de l'Environnement, a délivré
au gouvernement britannique [2]. C'est également la conclusion
évidente, quoique non exprimée, que tirent des dizaines de
scientifiques. Par exemple, les travaux récents menés par
des chercheurs du Tyndall Centre for Climate Change Research, indiquent
que même avec une réduction à l'échelle mondiale
des émissions de 3% par an à partir de 2020, pourrait nous
conduire à un réchauffement de quatre degrés d'ici
à la fin du siècle [3] [4]. A l'heure actuelle, les
émissions croissent au contraire à peu près à
ce rythme. Si cela se poursuit ainsi, quelles en seront les conséquences?
Six? Huit? Dix degrés? Qui sait?
Face à de tels chiffres, je ne peux
blâmer quiconque qui serait tenté par le renoncement. Mais
avant de succomber à cette fatalité, permettez-moi de vous
exposer les choix auxquels nous sommes confrontés.
Certes, il est vrai que les mesures visant
à la limitation des émissions ont échoué jusqu'ici.
Sabotées par Clinton [5], désertées par Bush,
menées à contre-coeur par les autres nations riches, les
négociations mondiales sur le climat ont jusqu'à présent
été un échec total. Les objectifs qu'elles ont fixé
sont sans rapport avec ce qu'impliquent les données scientifiques
et sont vidées de leur sens en raison de leurs lacunes et de règles
de comptabilisation insincères. Les nations qui, comme le Royaume-Uni,
respectent leurs obligations envers le protocole de Kyoto, n'y parviennent
que parce qu'elles externalisent leur pollution vers d'autres pays [6]
[7]. Un pays comme le Canada, qui fait fi de ses obligations, ne subit
aucune sanction.
Lord Stern a été trop optimiste:
il semble avoir sous-estimé les coûts de la limitation des
émissions. Comme l'a montré Dieter Helm, un universitaire
spécialiste des questions de politiques énergétiques,
l'hypothèse de Stern selon laquelle notre consommation pourrait
continuer à croître, alors que nos émissions diminueraient,
est invraisemblable [8]. Pour avoir une chance de parvenir à
des réductions substantielles, nous devons à la fois réduire
notre consommation et transférer des ressources vers des pays tels
que la Chine afin de financer le passage à des technologies à
faible émission de carbone. Comme le note M. Helm, «l'étude
de la nature humaine et de la biologie humaine, ne donne que peu de raisons
d'être optimiste.»
Pourtant, nous ne pouvons pas renoncer à
la limitation des émissions, sauf à disposer d'une meilleure
option. Ce n'est pas le cas. Si vous pensez que nos tentatives pour prévenir
les émissions sont futiles, considérez donc quels efforts
seront requis pour s'adapter au réchauffement.
Là où Stern semble avoir raison
c'est lorsqu'il suggère que les coûts induits par la prévention
de la catastrophe climatique - aussi grand soient-ils - sont bien inférieurs
à ceux de l'adaptation pour la supporter. L'Allemagne investit
600 millions € uniquement pour construire une nouvelle digue de protection
pour Hambourg [9] - et cette somme a été engagée
avant même que l'on sache que l'élévation du niveau
de la mer durant le siècle pourrait être deux ou trois fois
plus importante que ce qu'avait prévu le Groupe Intergouvernemental
d'Experts sur le Changement Climatique [10]. Les Pays-Bas
vont dépenser 2,2 milliards € pour leurs digues d'ici à
2015, et là aussi, elles pourraient ne pas suffire. L'ONU indique
que les pays riches devraient aujourd'hui transférer de 50 à
75 milliards de dollars par an aux pays pauvres pour les aider à
faire face aux changements climatiques, puis que ces financement devraient
connaître une augmentation massive par la suite [11]. Mais
rien de tel ne se produit.
Une enquête du Guardian révèle
que les pays riches ont promis 18 milliards de dollars pour aider les nations
pauvres à s'adapter au changement climatique au cours des sept dernières
années, mais n'ont versé que seulement 5% de ce montant [12].
Une grande partie a été versée au titre des budgets
d'aide internationale, et n'induisent aucune augmentation des sommes reçues
par les pays pauvres [13]. Oxfam a fait une proposition intéressante
sur le modèle de financement de l'adaptation au changement climatique:
les nations devraient contribuer en fonction de la quantité de carbone
émise par habitant, pondérée par leur rang sur l'indice
de développement humain [14]. Sur cette base, les Etats-Unis
devraient fournir plus de 40% des fonds et l'Union européenne plus
de 30%. Le Japon, le Canada, l'Australie et la Corée,
finançant le reste. Mais quelles sont les chances de les y contraindre?
Il y a cependant une limite à ce que
cet argent pourrait financer. Le GIEC indique qu'«un changement
de la température moyenne mondiale supérieur à 4°C
au-dessus des niveaux de 1990-2000» serait au delà de
«... la capacité d'adaptation de nombreux systèmes.»
[15].
Arrivé à ce point on ne peut plus rien faire pour, par exemple,
prévenir la perte d'écosystèmes, la fonte des glaciers
et la désintégration de principales calottes glaciaires.
Le GIEC décrit ces conséquences de façon encore plus
frappante: la production alimentaire mondiale devrait «très
probablement diminuer au-dessus de 3°C» [16]. Dans
une telle situation, que pourrait l'argent?
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suite:
Mais le GIEC ne s'arrête pas là.
Il estime également qu'au-dessus de trois degrés de réchauffement
de la planète, le monde végétal deviendrait «une
source nette de carbone», émettant plus de CO2
qu'il n'en capture [17]. Ce n'est là que l'un des exemples
des rétroactions climatiques qui seraient enclenchées par
un niveau élevé de réchauffement de la planète.
Quatre degrés supplémentaires pourraient nous entraîner
inexorablement vers cinq ou six degrés de réchauffement.
Ce serait la fin pour l'homme - et à peu près tout le reste.
Jusqu'à récemment, les scientifiques
décrivaient la trajectoire des concentrations de carbone - et des
températures - en terme de pic suivi par un déclin. Mais
une étude récente parue dans les Actes de l'Académie
Nationale des Sciences indique que «... le changement climatique
est en grande partie irréversible durant 1.000 ans après
l'arrêt des émissions.» [18] Même si
nous réduisions les émissions de carbone à zéro
aujourd'hui, en l'an 3.000 notre contribution à sa concentration
dans l'atmosphère n'aurait diminué que d'à peine 40%.
Les températures devrait rester élevées de façon
plus ou moins constante jusqu'à cette date. Tout le carbone que
nous émettons restera collé à nos basques.
Dans les pays riches, nous parviendrons durant
quelques générations à nous débrouiller, en
dépensant à près de tout ce dont nous disposons pour
faire face aux conséquences du réchauffement. Mais là
où l'argent sera le plus indispensable, il n'y en aura pas. La dette
écologique des pays riches envers les pauvres ne sera jamais honorée,
tout comme celle - jamais reconnues - de la compensation qu'il devraient
offrir en réparation pour la traite des esclaves et pour le pillage
de l'or, l'argent, le caoutchouc, le sucre et de toutes les autres matières
premières accaparées sans juste rétribution dans les
colonies. Il est peu probable que la volonté politique requise pour
mettre en oeuvre des réductions drastiques des émissions
de carbone se manifeste. Mais lorsque la catastrophe aura commencé,
faire preuve de la volonté d'engager des dépenses afin de
financer l'adaptation des nations pauvres plutôt que pour nous-mêmes,
sera une tâche impossible.
Le monde ne s'adaptera pas et ne pourra
pas s'adapter: la seule réponse adaptative à une pénurie
mondiale de denrées alimentaires, c'est la faim. Des deux stratégies,
c'est la réduction des émissions, et non pas l'adaptation,
qui s'avère être l'option la plus réaliste, même
elle si elle étire le concept de faisabilité jusqu'à
ses limites. Comme le souligne Dieter Helm, l'action requise est aujourd'hui
peu probable, mais «pas impossible. En fin de compte, c'est une
question de bien-être humain et d'éthique.»[19]
Oui, il est peut-être
déjà trop tard - même si nous réduisions demain
les émissions à zéro - pour prévenir un réchauffement
de plus de deux degrés, mais nous ne pouvons pas nous comporter
comme si c'était le cas. Car ainsi nous rendrions cette prédiction
certaine. Aussi difficile ce combat soit-il, aussi improbable ses chances
de succès soient-elles, nous ne pouvons nous permettre de renoncer.
Références:
[1] Guardian: David Adam, 13th March 2009. Stern attacks
politicians over climate "devastation"
[2] Guardian: James Randerson, 7th August 2008. Climate
change: Prepare for global temperature rise of 4C, warns top scientist.
[3] Kevin Anderson and Alice Bows, 2008. Reframing the climate
change challenge in light of post-2000 emission trends. Philosophical Transactions
of the Royal Society (pdf)
[4] Ils tablent sur une stabilisation des émissions de
CO2 à 650ppm. Le GIEC suggère que cela se traduira par une
température avoisinant les 4 degrés, avant même la
prise en compte des rétroactions. Voir la table SPM6 de la synthèse
pour les décideurs du rapport 2007 du GIEC
[5] Monbiot hurray
we are going backwards
[6] Stockhom
Environment Institute
[7] Dieter
Helm
[8] Dieter Helm, 21st February 2009. Environmental challenges
in a warming world : consumption, costs and responsibilities. Tanner Lecture,
Oxford. (pdf)
[9] Oxfam, 29th May 2007. Adapting to climate change. Briefing
Paper 104 (pdf)
[10] Guardian: Sea
level could rise more than a metre by 2100, say experts
[11] John Vidal, 20th February 2009. Rich nations failing to
meet climate aid pledges - Guardian
[12] John Vidal, 20th February 2009. Rich nations failing to
meet climate aid pledges - Guardian
[13] Oxfam, 29th May 2007, ibid.
[14] Oxfam, 29th May 2007, ibid.
[15] GIEC, 2007b. Assessing key vulnerabilities and the risk
from climate change. (pdf)
[16] GIEC, 2007b Table 19.1.
[17] GIEC, 2007b, ibid.
[18] Susan Solomona,1, Gian-Kasper Plattnerb, Reto Knuttic,
and Pierre Friedlingstein, 16th December 2008. Irreversible
climate change due to carbon dioxide emissions.
[19] Dieter Helm, 21st February 2009, ibid.
Du même auteur:
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il est temps de cesser de parler de « changement » pour décrire
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