LE MONDE | 16.02.09
Depuis des mois, vous plaidez pour que les centaines de milliards
de dollars injectés dans les plans de relance servent à créer
une économie mondiale moins émettrice de gaz à effet
de serre. Quel bilan en tirez-vous?
Nous avons une opportunité historique
de financer une économie mondiale décarbonée. Il y
a urgence. Les coûts économiques associés au changement
climatique deviennent de plus en plus lourds. La vulnérabilité
des pays pauvres s'accroît et nous pourrions nous rapprocher très
rapidement de ce que les scientifiques appellent le "point de bascule"
au-delà duquel les conséquences du réchauffement deviendront
difficilement gérables.
Jusqu'à présent, seuls
quelques gouvernements ont répondu en partie de façon
satisfaisante à cette situation. Cela est pour moi un motif d'optimisme
mais l'enjeu est maintenant de changer d'échelle et de transformer
ces initiatives éparpillées en programmes de grande ampleur.
Quelles initiatives vont particulièrement dans le bon sens?
La Corée du Sud va consacrer
38 milliards de dollars (près de 30 milliards €) à un
"New Deal vert" qui permettra la création d'un réseau de
transport écologique, la dépollution des quatre principaux
fleuves du pays, des économies d'énergie dans l'habitat.
Une part importante du plan de relance chinois est affectée à
des investissements "verts".
Le Japon a également adopté
un ambitieux programme pour développer les énergies renouvelables...
Relancer la croissance par la consommation, est-ce vraiment compatible
avec la nécessité d'économiser les ressources naturelles?
Tout dépend de quelle consommation
on parle. Celle qui perpétue la vieille économie polluante,
ou celle qui soutient une nouvelle économie "verte". Des études
ont montré qu'un climatiseur standard utilisé
en Floride émet autant de CO2 qu'un Cambodgien pendant
toute sa vie ou que le lave-vaisselle d'une famille moyenne européenne
génère par an autant de gaz à effet de serre que trois
personnes en Ethiopie. Cette consommation-là, je ne peux
la soutenir. |
Notre objectif doit être de réduire
notre empreinte écologique.
Il y a plusieurs manières d'y parvenir. Cela ne passe pas nécessairement
par un changement de notre mode de vie.
Les Japonais parlent, par exemple, d'une
économie des 3R dans laquelle les matières premières
sont utilisées en quantité Réduite, Réutilisées
ou Recyclées. Tout y devient potentiellement matière première
à commencer par les déchets.
Les différentes instances internationales chargées
de traiter des questions environnementales ont peu de moyens et aucun pouvoir.
La création d'une organisation mondiale de l'environnement est-elle
enterrée?
La réforme de ces différentes
instances - dont le PNUE - reste un sujet de débat. Mais tant que
la communauté internationale n'aura pas défini clairement
les objectifs qu'elle souhaite atteindre, il sera difficile d'avancer.
Il y a cependant un sujet urgent à traiter: celui du financement.
Au cours des derniers vingt-quatre mois, quatorze nouveaux mécanismes
de financement pour lutter contre le changement climatique ont vu le jour.
Un nombre croissant d'acteurs interviennent : acteurs bilatéraux,
multilatéraux, fondations privées... Cela conduit à
une fragmentation des actions. Il faut mettre de l'ordre dans toutes ces
initiatives sinon elles nuiront davantage qu'elles n'aideront à
lutter contre le réchauffement.
La création d'un groupe d'experts international sur la biodiversité
à l'image de celui qui existe déjà sur le climat,
le GIEC, se heurte à l'opposition de nombreux pays, dont le Brésil,
l'Inde, les Etats-Unis. Craignent-ils d'être pointés du doigt
pour mauvaises pratiques?
Beaucoup de gouvernements se demandent
à quoi servirait cette nouvelle instance. Le GIEC a été
créé à un moment où la question du réchauffement
était très controversée. Ce n'est pas le cas pour
la biodiversité. De nombreux pays font l'expérience de la
disparition des espèces. La création de cette instance est
néanmoins nécessaire pour guider les politiques publiques.
Il existe une multitude d'études et de recommandations pour enrayer
la perte de biodiversité. Comment un fonctionnaire peut-il trancher?
Une instance scientifique indépendante et reconnue pourrait de ce
point de vue jouer un rôle utile.
A Nairobi, j'interrogerai les gouvernements
sur leurs intentions. Une chose est sûre: nous devons agir. Sans
attendre que la prise de conscience de l'opinion publique soit mûre.
Sinon pour de nombreuses espèces
il risque d'être trop tard.
Propos recueillis par Laurence Caramel
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